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mardi 15 novembre 2022

La salsa : bande son du barrio new-yorkais.

L'histgeobox dispose désormais d'un podcast diffusé sur différentes plateformes (n'hésitez pas à vous abonner). Ce billet fait l'objet d'une émission à écouter via le lecteur intégré ci-dessous:
 
 
 
Au début des années 1950, une importante communauté latino vit à New York. Arrivés à la faveur de différentes vagues migratoires, fuyant l'extrême misère, les révolutions ou l'insécurité, ces immigrés sont principalement originaires des Caraïbes. Les Portoricains sont les plus nombreux. Devenus Américains en 1917, ils n'en restent pas moins des citoyens de seconde zone. Les lois sur l'immigration de 1965 voient également affluer des Dominicains, Mexicains, Panaméens, Cubains. Ces populations résident dans les quartiers les plus déshérités de New York : le sud du Bronx et l'est de Harlem. La vie est rude dans le barrio. Pour tenir, ils se réfugient dans leur culture d’origine, et en particulier la musique. De nombreux dancings ouvrent leurs portes.Le plus connu se nomme le Palladium. De grands orchestres y popularisent les rythmes cubains (mambo, cha-cha-cha) au cours des années 1950. 
 
Neodop, CC BY-SA 4.0, via Wikimedia Commons
 

En 1959, à Cuba, Fidel Castro et ses barbudos chassent le dictateur Battista et s'emparent du pouvoir. Les États-Unis placent bientôt l'île sous embargo. Cuba cesse alors d’être la place forte des musiques latines, statut désormais assumé par NY. Les musiciens latinos y forgent progressivement une musique hybride, qui puise ses influences à la fois dans les rythmes caribéens (son, mambo, chacha cubains, merengue dominicaine, bomba et plena portoricaines), mais aussi dans les musiques afro-américaines (jazz, soul). A la fin des années 1960 apparaît le boogaloo (« I like it like that » de Pete Rodriguez)

Une nouvelle musique émerge peu à peu. Jouée par les percussions (congas, bongos, timbales), la clave sert de repère rythmique syncopée aux pas des danseurs. Les instruments utilisés comme le güiro ou les maracas témoignent des emprunts aux différents folklores caribéens, mais les jeunes générations innovent en introduisant la basse électrique, le synthétiseur, le trombone. Un instrument mis à l'honneur dans le titre la Murga.


Le barrio des années 1960 abrite une densité phénoménale de musiciens exceptionnels. Parmi eux se trouve Willie Colon. Né dans le Bronx de parents portoricains, ce jeune tromboniste prodige produit une musique abrasive. Les enregistrements de celui que l'on surnomme El Malo, « le méchant », reflètent la dureté des conditions de vie du ghetto. Il chante « Je suis le méchant / parce que j'ai un cœur ».

Très vite, Colon tape dans l’œil de Johnny Pacheco, multi-instrumentiste talentueux et compositeur brillant, originaire de Saint-Domingue. Frustré de ne pouvoir trouver une maison disque à la hauteur de son talent, Pacheco fonde en 1964 la Fania records avec l’avocat italo-américain Jerry Masucci. Au premier le volet artistique, au second le business. Fania réunit bientôt les musiciens les plus doués de la ville : le claviériste Larry Harlow, le bassiste Bobby Valentin, le conguero Ray Barretto, mais aussi des chanteurs capables d'improviser comme Ismael Miranda, Hector Lavoe, Cheo Feliciano. 


La musique jouée par tous ces talents n'a pas encore de nom, mais les différents ingrédients sonores qui la compose donnent du liant, comme la sauce donne son caractère à un plat. L’appellation salsa s'impose peu à peu pour désigner cette musique de danse aux rythmes endiablés, une musique qui revendique fièrement ses racines et sa culture de rue. Le 26 août 1971, Masucci a l'idée d'organiser un grand concert filmé à la gloire de la salsa au Club Cheeta. 'Our latin thing : Cosa nuetra', c'est son nom, obtient un immense succès, qui fait de l'événement l'acte de naissance officieux de la salsa.


Dès lors, la Fania connaît un essor prodigieux et finit par exercer un quasi monopole sur la salsa. Les stars de la maison de disques se produisent désormais en groupe sous le titre de Fania All stars. Sur scène, les musiciens improvisent, instaurant un dialogue avec l'auditoire, jusqu'à atteindre un paroxysme sonore. Le 24 août 1973, 50 000 spectateurs assistent à un concert géant au Yankee Stadium de New York. Au bout de quinze minutes de concert, le public franchit les barrières, envahit la pelouse et se précipite vers la scène. Peu importe, les étoiles de la Fania tournent désormais dans le monde entier. En octobre 1974, ils se produisent ainsi à Kinshasa, dans le cadre du « combat du siècle » entre Mohamed Ali et George Foreman. Sur scène, la chanteuse cubaine Celia Cruz interprète Quimbara. Les percussions, les cuivres incendiaires constituent un écrin sonore à la hauteur de cette véritable reine de la salsa. 

 

Tout au long des années 1970, la salsa témoigne du processus d'affirmation identitaire des latinos new-yorkais. Les textes des morceaux chroniquent la vie de quartiers déshérités, ces ghettos où violence et trafic de drogue sévissent sans partage. Les titres font souvent l’éloge du voyou, du cador hâbleur, frimeur, sapé de manière ostentatoire. Le plus célèbre de ces personnages, inventé par le chanteur panaméen Ruben Blades a pour nom Pedro Navaja (1978). Le texte, très travaillé, tient l’auditeur en haleine. « Pedro Navaja porte, incliné, un chapeau à larges bords et des espadrilles pour s’envoler, en cas de problèmes ; des lunettes noires, pour qu’on ne sache pas ce qu’il regarde et une dent en or, qu’on voit briller quand il rit. » 

 

Dans une Amérique toujours dominée par les WASP, la salsa est une manière de clamer en rythmes sa différence. Dans le contexte déprimé du ghetto, elle insuffle un sentiment de fierté, célébrant les barrios et leur négritude. A l'occasion, les titres se font revendicatifs, dénonçant les pratiques discriminatoires à l'encontre des Portoricains. Sur un morceau d'Eddie Palmieri intitulé Revolt La Libertad Logico, Ismael Rivera chante : « La liberté, Monsieur, ne me l'enlève pas. Moi aussi, tu sais, je suis humain. Et c'est ici que je suis né. » 

 

C° Au fond la salsa, « c'est une frangine portoricaine qui vit dans le spanish harlem, les reins cambrés au bon endroit. Elle est superbe, c'est la salsa. » (Titre Salsa enregistré par Bernard Lavilliers avec Ray Barretto), une frangine qui est parvenue à fédérer au cours des 1970's toute l'Amérique hispanophone, réalisant enfin le vieux rêve de Bolivar. Une frangine installée à Nueva York, mais qui a essaimé partout, et notamment en Colombie

Également victimes de la ségrégation, les Portoricains se rapprochent du combat des Noirs américains. Sur le modèle des Black Panthers, il se dote de leur propre organisation: les young lords, particulièrement actifs de 1968-1973. Le barrio s'embrase. Les poubelles débordent. Les youngs lords y mettent le feu. C'est l'offensive citoyenne des poubelles de 1969. Ils mettent en place des programmes sociaux (distribution gratuite de petits déjeuners, bilans de santé, collecte de vêtements). Eddie Palmieri organise des collecte de fonds pour des organisations militantes.

Sources :

A. « La salsa au sommet »

B. « Pop n' Salsa : une latine de Manhattan  »

mercredi 7 décembre 2016

317. Cuba en Afrique, une odyssée musicale.

Avec la révolution cubaine de 1959, les barbudos emmenés par les frères Castro et Che Guevara renversent Batista. Progressivement Cuba intègre le bloc de l’est et joue un rôle majeur en Afrique. Au cours des années 1970, ce sont ainsi des centaines de milliers de Cubains qui partent combattre au Congo, en Angola, en Guinée-Bissau… Au nom d'un idéal internationaliste, ces hommes entendent aider les pays encore colonisés à se libérer, tout en permettant aux États nouvellement indépendants de s'affranchir de toute tutelle néocoloniale. 
Or pour exporter la révolution, Che Guevara entend mener dans les points chauds du tiers-monde une guerre de guérilla similaire à celle qui a permis l'accession de Castro au pouvoir en 1959. En s'appuyant sur des armées populaires, il faut selon lui combattre « l'impérialisme  yankee », multiplier les fronts afin de "créer deux, trois, plusieurs Vietnam". Pour le médecin argentin, la théorie du foco (foyer) doit tenir compte des principes suivants:
"1) Les forces populaires peuvent gagner une guerre contre l'armée régulière;
2) on ne doit pas toujours attendre que soient réunies toutes les conditions pour faire la révolution: le foyer insurrectionnel peut les créer;
3) dans l'Amérique sous-développée, le terrain fondamental de la lutte armée doit être la campagne."

L'Angolais Agostinho Neto et le Cubain Fidel Castro.


L'internationalisme cubain se concrétise bientôt sous la forme d'un engagement militaire massif en Afrique.
En 1961, Castro arme ainsi le FLN algérien alors en lutte contre la France. Un an plus tard, Ahmed Ben Bella, nouveau dirigeant de l'Algérie indépendante, est accueilli en héros à la Havane. 
En 1964, le Che s'embarque pour l'Afrique où il entend bien se faire l'ambassadeur de la révolution cubaine. En trois mois, il se rend auprès des régimes "amis" (la Guinée de Sékou Touré, le Mali de Modibo Keita, l'Algérie de Ben Bella, le Ghana de NKrumah, le Congo Brazzaville de Massamba-Débat...), mais aussi auprès des dirigeants nationalistes toujours en lutte pour obtenir l'indépendance de leur pays (Guinée-Bissau, Angola, Mozambique). 
A l'occasion de ces rencontres, le Che prend ses distances avec l'URSS. A Alger, il fustige ainsi le "dévoiement bureautique" du grand frère soviétique qui exploite sans vergogne les pays du Tiers-Monde. De retour à la Havane, Castro lui reproche d'ailleurs ces critiques, mais la décision est prise d'exporter la guérilla révolutionnaire façon cubaine en Afrique. Dès lors, le Che n'apparaît plus en public. L'Argentin modifie son apparence physique, se coupe les cheveux, se rase la barbe et subit une opération qui lui modifie la mâchoire. Métamorphosé, il rejoint les maquis (Simba) de l'est de la République du Congo en lutte contre le pouvoir central. (1)  D’après les informations recueillies par le Che lors de son premier voyage, c’est là que le mouvement révolutionnaire serait le plus avancé, en passe de remporter la victoire. 


Che Guevara au Congo en 1965.



Après avoir traversés le lac Tanganyika depuis la Tanzanie, Le Che et les quelques barbudos qui l'accompagnent, prennent contact avec les maquisards et déchantent aussitôt. Mal organisés (2), les rebelles se querellent davantage qu'ils ne combattent l'adversaire. Dans ces conditions, ils ne font que perdre du terrain. Surtout, les malentendus culturels qui séparent guérilleros cubains et soldats congolais révoltés, transforment l’expédition en un véritable fiasco. Dans le journal qu'il tient au cours de son expédition congolaise, Guevara témoigne de son impréparation face aux réalités congolaises et ne peut que reconnaître sa déroute. « Ceci est l’histoire d’un échec. […] Pour être plus précis, ceci est l’histoire d’une décomposition. Lorsque nous sommes arrivés sur le territoire congolais, la Révolution était dans une période de récession ; ensuite sont survenus des épisodes qui allaient entraîner sa régression définitive ; pour le moment, du moins, et sur cette scène de l’immense terrain de lutte qu’est le Congo. »
Les Cubains rentrent au pays, dépités. Guevara ne s'avoue pourtant pas vaincu: « Le plus intéressant ici n’est pas l’histoire de la décomposition de la Révolution congolaise […], mais le processus de décomposition de notre moral de combattants, car l’expérience dont nous avons été les pionniers ne doit pas être perdue pour les autres et l’initiative de l’Armée prolétaire internationale ne doit pas succomber au premier échec. »".

 Les Cubains tournent ensuite leur regard vers l'Angola, toujours aux mains des Portugais. (3) L'aide cubaine prend différentes formes, de l'entraînement des soldats au financement de la lutte en passant par la formation médicale ou l'accueil d'étudiants africains à la Havane.
Cuba envoie à Agostinho Neto, chef du MPLA (mouvement populaire de libération de l’Angola de tendance marxisante), une division entière au milieu des années 1960. En dépit de cet appui, le mouvement de libération ne remporte aucun succès militaire décisif et c'est finalement la révolution des œillets en 1974 qui précipite la chute du régime dictatorial et marque la fin de l'empire colonial portugais.
L'Angola n'en a pourtant pas fini avec la guerre, loin s'en faut. (4) Désormais trois mouvements antagonistes s'affrontent. Le MPLA, qui profite des subsides de l'URSS et des Cubains, est en lutte contre le FNLA et l’UNITA, tous deux financés et armés par les Etats-Unis et l'Afrique du Sud.  
Grâce à l'appui décisif de 35 000 soldats cubains (5) envoyés par Castro et armés par Moscou, le MPLA parvient à tenir la capitale Luanda. Aussi Neto proclame l’indépendance de l'Angola le 11 novembre 1975. En dépit de cette annonce, les affrontements s'éternisent. (6) L'Afrique du Sud, qui redoute par dessus-tout une propagation du socialisme en Afrique australe, apporte un appui logistique important à l'Unita dans sa lutte contre le MPLA. Après plus de douze années d'affrontements, la situation est dans l'impasse. Il faut négocier.

 En juillet 1988, un accord en 14 points est enfin trouvé entre le MPLA/ Cuba et l'Afrique du Sud. Cette dernière s'engage à renoncer au "Sud-Ouest africain" (la future Namibie dont l'Afrique du Sud avait fait une province), (7) tandis que Cuba s’engage à retirer son contingent d’Angola. En décembre 1988, le protocole d’accord est ratifié. Il aboutit à l’indépendance de la Namibie et contribue à desserrer l’étau de l’apartheid en Afrique du sud. Au cours de l'année 1989, les derniers soldats cubains quittent le sol angolais au moment où la Havane n'a de toute façon plus du tout les moyens de financer quoi que ce soit.

Les tentatives d'exportation de la révolution en Afrique se sont donc soldés par des échecs cuisants. Sur le plan politique, il ne reste rien de l'engagement internationaliste cubain en Afrique. La solidarité combattante s'est métamorphosée quelque temps en une coopération de type humanitaire (assistance médicale par exemple). Finalement, c'est bien dans le domaine culturel que les legs semblent les plus solides, en particulier sur le plan musical.
Les Maravillas de Mali, La Havane, 1967.
 
  Toujours dépendante des financements soviétiques pour s'équiper militairement, Cuba disposait pourtant avec sa musique d'une arme de séduction massive.
De fait, une vogue musicale afro-cubaine exceptionnelle s’empare de toute l’Afrique subsaharienne à la veille des indépendances. Tabu Ley Rochereau, immense chanteur congolais, racontait qu'à ses débuts, il avait dû apprendre des rudiments d'espagnol afin de pouvoir intégrer l'African Jazz de Joseph Kabasele. A la fin des années 1950 en effet, vouloir faire une carrière musicale au Congo sans maîtriser la langue des Cubains était impensable. Cette anecdote permet de mesurer l'influence considérable des musiques de l'île des Caraïbes sur une grande partie du continent africain au moment des indépendances et au cours de la décennie suivante
Amenés par les marins de passage dans les boîtes de nuit des villes portuaires, les musiques et rythmes cubains bénéficient alors d’un engouement extraordinaire. Les charanga et cha-cha-cha de l'Orquestra Aragon subjuguent l'auditoire locale. Lors de ses tournées africaines, la formation fait d'ailleurs figure d'ambassadrice de la musique cubaine. Membre de l'Orquestra Aragon, Rafael Lay Jr se souvient ainsi que "ces voyages étaient en partie financés par notre gouvernement, c'était une façon de poursuivre l'aventure africaine du Che."
En Guinée, au Sénégal, au Mali, le Bembeya Jazz national, l’orchestre Baobab et les Maravillas mettent les sons cubains à l’honneur, introduisant cuivres et rythmes caribéens à leur musique. Certaines de ces formations se rendent même à Cuba pour étudier, enregistrer, se produire. Le saxophoniste Mamadou Barry, ancien chef d'orchestre des Amazones de Guinée se souvient:" Nous étions 1800 musiciens et artistes. 1800 pour représenter les dix pays d'Afrique de l'Ouest au 11ème Festival  mondial de la Jeunesse et des étudiants de La Havane en 1978. Arrivés par avion à Oran, on nous fit embarquer sur un bateau russe de sept étages. Je me souviens encore son nom, le Nakimo. Le voyage dura dix-sept jours. C'était de la folie. Il y avait plusieurs boîtes de nuit et des orchestres se produisaient non-stop sur le grand pont. Tu dors, tu te réveilles et tu trouves toujours quelqu'un pour jouer. Les Congolais étaient là  avec les Bantous de la Capitale. Pour représenter la Guinée, il y avait le Bembeya Jazz et Keletigui." Ces échanges musicaux intensifs contribuèrent assurément à l'essor des rythmes afro-cubains.

Les formations africaines ne se contentent toutefois pas de mettre à leur répertoire cha cha cha, merengue, pachanga ou bolero. Elles s'approprient véritablement ces rythmes et s'en inspirent pour créer une musique véritablement originale. Ceci vaut particulièrement pour le Congo où les sonorités cubaines – en particulier le jeu des claves – irriguent la rumba congolaise; une polyphonie de guitare y remplaçant le piano. 
Au fond, l'influence des rythmes cubains sur les musiques d'Afrique de l'ouest n'est qu'un juste retour des choses dans la mesure où la rumba cubaine n'est rien d'autre que le mélange (exquis) des musiques latino-américaine aux  rythmes importés d'Afrique centrale par les esclaves au milieu du XIXème siècle. 

Pour se convaincre que l'influence cubaine sur les musiques africaines n'est pas qu'une vue de l'esprit, nous avons sélectionné (et commenté) ces 8 merveilles afro-cubaines:

   
1. Bembeya Jazz National: "Sabor de guajira"(1968). Fer de lance de la politique d'authenticité culturelle voulue par le guinéen Sékou Touré (au pouvoir de 1958 à 1984), la musique du Bembeya représente une synthèse parfaite des rythmes afro-cubain et mandingues. 
A la fin du morceau, on entend un des musiciens prononcer les mots suivants:
"En décembre 1965,  j'étais à Cuba avec la délégation guinéenne qui a participé aux travaux et aux festivités de la Tri-continentale. Un soir, je chantais "Guantanamo" en présence du vieil animateur et compositeur Abelardo Barroso. Le vieux était tellement content et tellement fier qu'il a proclamé devant tout le peuple cubain que je suis son fils. Nous avons tous les deux pleuré de joie et de reconnaissance. Je n'oublierai jamais mon passage à Cuba. "
2. Maravillas de Mali: "Lumumba". Formés au conservatoire de la Havane de 1963 à 1973, les Maravillas s'épanouissent dans le Mali socialiste de Modibo Keita (de 1960 à 1968). Ils rendent ici hommage à Patrice Lumumba.
3. Orchestra Baobab: "El carretero". Cette formation sénégalaise star reprend ici un classique cubain (écrit par Guillermo Portabales et popularisé par le Buena Vista Social Club).
4. Africando: "Yay boy". Formé en 1992, Africando mélange avec bonheur les sonorités afro-cubaines.
5. African Jazz: "indépendance cha cha". Fondateur du crucial African Jazz en 1953, Joseph Kabasele révolutionne la musique congolaise en électrifiant la rumba nationale et y introduisant tubas et trompettes.
6Super Eagles: "Manda Ly". Le Sénégal fut, davantage encore que tous les autres pays d'Afrique de l'ouest, durablement imprégné par la musique cubaine. Ce répertoire afro-cubain forge la matrice de la musique moderne sénégalise.
7. Franco: "Tcha tcha tcha de mi amor". Grand rival de Kabasele, Franco reste sans conteste le plus populaire des chanteurs congolais. 
8. Gnonnas Pedro: "Yiri yiri boum". Gnonnas Pedro constitue (avec l'Orchestre Poly-Rithmo de Cotonou) le fer de lance funky de la « République populaire du Bénin », dirigée par Mathieu Kérékou de 1975 à 1990.



Notes:
1. En novembre 1964, Joseph-Désiré Mobutu, commandant de l'armée, fomente un coup d'Etat en République du Congo et impose sa dictature. Pour ce faire, il bénéficie du soutien tacite des puissances occidentales dont les entreprises convoitent les riches sous-sol congolais.

2.Le chef de zone Laurent-Désiré Kabila ne bouge guère de la Tanzanie voisine.
3. Avant de rentrer pour Cuba, Guevara rencontre les dirigeants des mouvements nationalistes des colonies toujours aux mains des Portugais: Amilcar et Luis Cabral, fondateurs du Partido Africano da Independencia da Guiné e Cabo Verde (Parti Africain pour l’Indépendance de la Guinée et du Cap-Vert ou PAIGC).
4. Dans le contexte de la guerre froide, les deux grands lorgnent sur ce pays riche en ressources (pétrolières et diamantifères). L'Afrique du Sud qui redoute une contagion socialiste en Afrique australe entrent dans aussi dans le conflit.
5.On estime que près de 350 000 Cubains ont combattu en Angola durant toute la durée de la guerre civile.
6. Grâce aux importants subsides débloqués par le président américain Ronald Reagan, l'UNITA reprend l'avantage sur la coalition angolo-cubaine lors de la bataille de Cuito Canavale en 1987. 
7. Des élections doivent être organisées sous le contrôle des Nations Unies.


Sources:
- Le Monde du 28/11/2016: « En Afrique, la petite Cuba s'est donné un rôle planétaire. »
- "Le rêve d'un monde castriste", Le Monde du jeudi 21 février 2008.
- "Le rêve africain de Castro", Jeune Afrique.

- « Cuba,une odyssée africaine ».  Ce documentaire revient sur l'engagement des Cubains en Afrique.
- Mondomix n°36, article consacré aux 70 ans de l'Orquestra Aragon.
- F. Mazzoleni:"l'épopée de la musique africaine", Hors collection, 2008.
- E. M'Bokolo:"Afrique noire, histoire et civilisation", Hatier, 2008.
- Ernesto Guevara: Passages de la guerre révolutionnaire : le Congo, Métailié (2000)
- Deux émissions de l'Afrique enchantée: Africuba et Cubafrica.
"Che Guevara est lui aussi Africain".

Liens:
 - Pan African Music: "La musique, soft power cubain en Afrique."
- Pan African Music: "Le Congo dans le grand bain de l'Afro Cubain."
- Le fabuleux destin de l'Afro-cubain: épisode 1, 2, 3 et 4.
- Une sélection de morceaux par Pan African Music.  



mardi 17 mai 2011

235. Dixie Nightingales: "Assassination".

Le 22 novembre 1963 au matin, le président des Etats-Unis, John F. Kennedy, se rend à Dallas dans le cadre d'une visite officielle au Texas. Le cortège présidentiel sillonne la ville à bord d'une Cadillac décapotable. Le président doit se rendre dans un centre commercial, le Dallas Trade Mart, où il est censé prononcer un discours. Un cinéaste amateur, Abraham Zapruder filme la scène avec sa caméra 8 mm (voir ci-dessous). A 12h30, alors que la voiture présidentielle se trouve à peu près au milieu d'Elm Street, il voit Kennedy porter brusquement la main à sa poitrine. Au même moment, un journaliste, dont le micro était ouvert, enregistre des coups de feu. On vient de tirer sur le président! Dans la confusion, la limousine ralentit, le président reçoit de nouveau une ou des balles qui lui pulvérisent le crâne. Paniquée, Jackie Kennedy, assise à ses côtés, rampe sur le capot vers l'arrière du véhicule avant d'être repoussée sur son siège par un agent des services de sécurité. La Cadillac accélère et fonce vers le Parkland Memorial Hospital

Vue aérienne de Dealey Plazza, le lieu du crime. 

L'attentat provoque le décès de JFK. Très vite, des témoins orientent les recherches vers l'immeuble du Texas School Book Depository, d'où ont été tirés des coups de feu. On y retrouve un fusil, des douilles; de plus, on y signale un employé absent. Simultanément, et sans que l'on n'ait encore compris qu'il s'agissait du même homme, des policiers appréhendent un individu dans un cinéma de quartier dans le cadre de l'assassinat de l'agent de police Tippit. Le jeune homme arrêté a 24 ans et travaille comme employé de bureau au 6ème étage du Texas School Book Depository. Il se nomme Lee Harvey Oswald. Après recoupement des informlations, ce dernier fait figure de suspect principal dans l'assassinat de JFK. Il reste aujourd'hui officiellement considéré comme le responsable de l'attentat. Pourtant, très vite, une question se pose: Oswald a-t-il agi seul ou le président est-il la victime d'un complot plus vaste? Tous les éléments semblent réunis pour que l'affaire soit rapidement résolue: de nombreux témoins, une scène de crime filmée et photographiée, un suspect rapidement arrêté. Or, en dépit des enquêtes officielles ou officieuses, de nombreuses zones d'ombre subsistent. * "Welcome M Kennedy" Parmi les rares certitudes de ce drame, il en est une qui ne souffre aucune contestation: la police du Texas a failli à sa tâche. En 1963, Dallas reste un des bastions ségrégationnistes. Le président y est détesté. On y tue alors chaque année davantage d'individus que dans toute l'Europe de l'ouest. Des groupes d'extrême droite très actifs ont pignon sur rue dans la ville et reprochent à Kennedy sa politique d'apaisement avec l'URSS depuis la crise de Cuba. Les autorités municipales reçoivent d'ailleurs des menaces contre le président dans les jours qui précèdent sa mort. Le matin même de sa visite, le Dallas Morning news publie un pamphlet contre le "traître" sous un titre trompeur: "Bienvenue à Dallas, M. Kennedy". Pourtant, en dépit de ce contexte dangereux, le parcours du cortège n'a pas été visité. Aucune disposition particulière n'est prise dans les endroits sensibles, en particulier au niveau du Dealey Plazza où deux virages successifs obligent les voitures à ralentir. Le président John F. Kennedy et Jackie Kennedy viennent d’atterrir à l'aéroport Love Field de Dallas.  

* Le complot? 

Sitôt l'assassinat perpétré, une controverse s'ouvre. Elle dure toujours. Un faisceau d'éléments troublants accréditent auprès d'une frange importante de l'opinion américaine l'hypothèse d'un complot dirigé par une équipe de professionnels. La curieuse autopsie du président, la disparition de son assassin deux jours seulement après les faits, la commission d'enquête censée faire toute la lumière sur le drame et pourtant entachée de nombreuses zones d'ombre, constituent autant d'arguments avancés par les tenants de la thèse du complot. 

 * L'autopsie. 

 Les médecins texans de l'hôpital de Dallas chargés des premières constatations sont rapidement écartés par le secret service, le service de sécurité de la présidence qui récupère le corps de Kennedy afin de le transférer en urgence à Washington. L'autopsie s'y déroule dans un hôpital de la Marine. Les résultats suscitent très vite la controverse dans la mesure où les constatations officielles diffèrent des relevés effectués dans l'urgence par les médecins texans. Lee Harvey Oswald pose avec un exemplaire du manifeste du parti communiste et le fusil Mannlicher-Carcano qui lui aurait permis d'abattre JFK. La photo, divulguée par la police de Dallas quelques jours après le meurtre, est considérée comme truquée par les partisans du complot.  

* "je suis un pigeon." 

Sitôt l'attentat commis, une véritable chasse à l'homme s'engage. L'arrestation se déroule dans un cinéma, 1h30 après l'attentat contre JFK. Transféré dans un commissariat, Oswald nie être responsable de la mort du président et réclame un avocat. Hagard, le visage tuméfié, il clame à l'adresse des nombreux journalistes présents sur place: "J'aimerai voir mon avocat, mais la police me refuse ce droit. Je ne comprends pas. On m'accuse, mais on ne me dit rien." Pendant près de 12 heures, les interrogatoires semblent menés par des amateurs qui font preuve d'une grande légèreté. La police ne prend pas la peine d'enregistrer les déclarations de l'accusé (il n'existe pas de procès-verbal!). On refuse à ce dernier un avocat en violation de la loi américaine, au motif qu'il ne l'aurait pas demandé (ce que contredisent les enregistrements de la presse). Oswald est baladé dans les couloirs du commissariat, ce qui permet aux journalistes de l'interroger, le photographier, jusqu'à assister à sa mort en direct. Le 24 novembre, lors du transfert du détenu de la prison municipale vers celle du comté, Jack Ruby l'abat froidement dans les sous-sol du commissariat. Un patron d'une boîte de nuit locale, Jack Ruby, s'extrait de la foule et tire sur Oswald, pourtant escorté par deux policiers. Le meurtrier affirme avoir agi pour venger le président et surtout afin d'épargner un procès éprouvant à Jackie Kennedy. L'événement est diffusé en direct à la télévision. 

Ce meurtre, qui intervient deux jours après celui du président, instille un peu plus le doute. D'aucuns considèrent qu'on a voulu faire taire celui qui se présentait comme un bouc-émissaire ("je suis un pigeon"). En outre, son assassin tient un club de strip tease très fréquenté, notamment par le crime organisé et les policiers de Dallas. 

 * Lee Harvey Oswald. 

La personnalité d'Oswald ne laisse pas de surprendre. Inconnu du grand public, les autorités le connaissent en revanche très bien. En 1959, donc en pleine guerre froide, cet ancien des marines, émigre en ... URSS! Bien accueilli par les autorités soviétiques, il s'installe à Minsk où il mène une vie paisible et fonde une famille. En 1962, il rentre aux Etats-Unis sans la moindre difficulté. Les agents de l'immigration, d'habitude si sourcilleux, ne croient pas utile d'interroger cet ancien marine de retour de chez l'ennemi. Dès lors, Oswald milite pour des organisations pro-castristes. Des enquêtes postérieures à l'assassinat affirment qu'il entretenait aussi des amitiés et des activités anti-castristes. Le rapport Warren (cf: ci-dessous) dépeint Oswald sous les traits d'un loser, un marginal insatisfait. Ce portrait sera remis en cause par tous ceux qui n'admettent pas qu'un être si insignifiant ait pu assassiner quelqu'un d'aussi important que JFK. Pour Norman Mailer qui lui a consacré une enquête, Oswald n'a rien du pauvre type analphabète, inadapté et solitaire. L'enquête révélera que, peu de temps avant le meurtre du président, il avait tenté d'exécuter Edwin Walker, un fervent partisan de la ségrégation raciale, à la tête de la John Birch Society. Cet élément tendrait à prouver sa ferme intention de tuer quelqu'un. Pour Mailer, Oswald se serait dit que s'il parvenait à éliminer JFK sans se faire arrêter, il en retirerait un sentiment de toute puissance délectable. Si il était pris, il aurait droit à un procès qui lui permettrait d'exposer ses conceptions politiques. Il deviendrait célèbre dans le monde entier et marquerait l'histoire à jamais, même si on l'exécutait. Le fait que Kennedy passe devant son lieu de travail constituait une occasion en or. Mailer conclut: "Que l'on ait fomenté des complots, ou même qu'on ait tenté de les mener à bien ce jour là, je suis tout à fait disposé à l'admette. Mais la conclusion à laquelle je suis arrivé [Oswald comme unique coupable] est la seule qui me paraisse rationnelle, parce qu'il avait un mobile pour agir, qu'il en avait la capacité et la volonté. (...) Oswald est un fantôme qui plane sur la vie des Etats-Unis, un fantôme qui a donné lieu à maintes discussions sur les origines de l'histoire américaine. Ce qui est abominable et désespérant avec les fantômes, c'est que l'on n'obtient jamais de réponses." (cf: source 3) Photo anthropométrique de Lee Harvey Oswald.  

* La commission Warren. 

L'assassinat de Kennedy place sous les feux de la rampe son vice-président: Lyndon B. Johnson. Ce dernier tient à faire taire les rumeurs les plus folles qui courent déjà. Dans l'optique de la présidentielle de 1964, il doit agir vite afin de livrer aux citoyens américains les noms du ou des coupables et lever les derniers soupçons. Dès le 29 novembre 1963, il convoque une commission d'enquête impartiale placée sous la présidence d'Earl Warren, le président de la Cour Suprême et composée de 7 sommités à la réputation irréprochable. Sous la pression de la CIA, du FBI et du président, la commission travaille dans l'urgence et rend ses conclusions en septembre 1964. Le rapport final conclut à la culpabilité du seul Oswald, écartant du même coup toute idée de conspiration. Très rapidement, des voix remettent pourtant en cause les conclusions de la commission: tous les témoins n'auraient pas été entendus, le CIA et le FBI auraient caché des informations aux enquêteurs afin de dissimuler leurs responsabilités, enfin l'enquête scientifique aurait été bâclée et orientée. JFK est déclaré mort à 13 heures. Juste avant de rentrer à Washington avec le corps du président défunt, Lyndon B. Johnson prête le serment présidentiel à bord de l'un des avions d'Air Force One. Jackie Kennedy se tient à sa gauche et sa femme, Lady Bird Johnson, à sa droite. 

Les détracteurs de la commission rejettent en particulier les conclusions des analyses balistiques et tournent en dérision la théorie de la "balle unique" qui aurait traversé la tête, puis la gorge du président, avant de frapper le gouverneur du Texas, John Connally, installé devant lui (théorie de la "balle magique"). D'autre part, toutes les informations concernant Oswald sont savamment sélectionnées. De même, les éléments mettant en évidence les liens de Ruby avec le crime organisé sont évacués. En outre, le fonctionnement de la commission s'avère chaotique. Ses membres laissent faire le travail par leurs conseilleurs et brillent surtout par leurs absences. Enfin, l'analyse du film de Zapruder par la commission est également remise en cause par les sceptiques qui accordent une grande importance aux mouvements de la tête de JFK lors de l'impact des balles. Ceux qui décèlent une brusque projection vers l'arrière affirme qu'il y aurait eu un tireur posté face à la voiture, caché derrière une palissade. Oswald se trouvant derrière la Cadillac, il y aurait donc au moins deux tireurs... et donc conspiration.  

* House Select Committee on Assassination. 

 Ces différents éléments alimentent les doutes et nourrissent plusieurs contre-enquêtes. Par exemple, Jim Garrison, le procureur de la Nouvelle Orléans, soutient que la CIA serait responsable de l'assassinat. Aussi les autorités décident de convoquer en 1976 une seconde commission officielle, la House Select Committee on Assassination, comité restreint de la Chambre des représentants. En 1979, l'enquête livre des conclusions assez semblables à celles du rapport Warren, mais qui diffèrent néanmoins sur certains points. JFK aurait été victime d'un complot ourdi par une conspiration. En se fondant sur l'analyse d'un enregistrement effectué à partir du microphone d'une moto de la police présente sur les lieux du crime, la commission conclut a la présence deux tireurs, ruinant la thèse du tireur isolé. Oswald aurait tiré trois coups de feu, tandis qu'un quatrième tir serait venu de l'avant du véhicule. Le comité confirme que les services secrets à Dallas n'ont pas suffisamment protégé le président, tandis que la CIA a mal utilisé les renseignements à sa disposition. La commission valide la thèse d'une conspiration, mais dédouane tour à tour les régimes soviétique et cubain, le Secret Service, le FBI, la CIA, les mouvements anti-castristes, le crime organisé. Dans le même temps, le rapport concède que les preuves disponibles ne permettent pas d'exclure la participation individuelle des membres des acteurs précédemment citées . L'exécutif, malgré les demandes insistantes, ne rouvre pas d'enquête, ce qui aurait peut-être permis de lever les soupçons insistants, de tordre le coup définitivement aux thèses conspirationnistes. Le contexte politique n'est pas favorable à ces investigations. Ronald Reagan vient de triompher aux élections (1980). Celui qui clame haut et fort que "l'Amérique est de retour" ne souhaite pas sortir les cadavres du placard. Au bout du compte, le doute plane pour une majorité d'Américains qui récuse la thèse officielle. 

 * On nous cache tout, on nous dit rien. 

Le refus de croire en la seule responsabilité d'Oswald se combine avec une méfiance à l'égard des autorités en général. Dès le lendemain de l'assassinat, l'idée d'un complot fomenté par les plus hautes sphères de l'Etat voit le jour. 29% des Américains considèrent alors qu'Oswald a agi seul. Pourtant, la publication du rapport Warren convainc, puisque 87% de la population accepte un temps la thèse du "tireur isolé". Mais, les assassinats de Martin Luther King, de Bobby Kennedy en 1968, le scandale du Watergate en 1974, réactivent le doute et assurent la résurgence des thèses conspirationnistes. Le niveau de confiance dans les autorités se situe alors au plus bas. En mêlant habilement fiction et réalité, le film JFK d'Oliver Stone (1991) accrédite l'idée de complot auprès d'un large public (il reprend à son compte les conclusions de Jim Garrison). Loin de décliner, cette croyance semble se renforcer à mesure qu'on s'éloigne du 22 octobre 1963. L'idée que ce sont des cabales qui tirent les ficelles s'enracine dans l'imaginaire des Américains. A posteriori, la présidence Kennedy apparaît comme un âge d'or.

* Le poids des images. 

L'écho médiatique de l'assassinat du président est colossal. Sitôt les coups de feu tirés, le drame pénètre dans tous les foyers américains par le biais de la radio et de la télévision. Les grands réseaux enchaînent flashs et reportages spéciaux. Le court film amateur d'Abraham Zapruder (26,6 secondes), enregistre l'instant où les projectiles atteignent leur cible et présente, en dépit de la qualité des images, la meilleure vision directe de l'événement. Le film, considéré comme trop choquant pour être montré en public au lendemain du drame, ne sera diffusé dans son intégralité à la télévision qu'en 1975. Mais le magazine Life signe un contrat d'exclusivité avec le cinéaste amateur et reproduit 31 des 486 images du film dans une édition spéciale consacrée au meurtre du président. Dès lors, beaucoup d'Américains s'érigent en expert de l'analyse d'images et pensent y trouver les clefs de l'énigme. Cette séquence constitue d'ailleurs la clef de voûte des tenants de la conspiration. Richard Stolley, éditeur de Life, rappelle néanmoins que, "selon votre point de vue, [ces images] peuvent prouver à peu près tout ce que vous voulez qu'elles prouvent."

   

le film d'Abraham Zapruder.  

* Du côté des conspirationnistes. 

 Qui sont les instigateurs du complot, si complot il y a? Au cours de sa présidence, JFK s'est fait beaucoup d'ennemis: 

- l'extrême droite lui reproche sa politique en faveur des Noirs;

 - les magnats du pétrole redoutent l'instauration d'une fiscalité qui leur soit défavorable;

 - la guerre menée par le ministre de la justice, Bobby Kennedy, contre le crime organisé irrite les pontes de la mafia; 

- une partie du complexe militaro-industriel récuse son indécision au Vietnam et la baisse des commandes militaires, 

- des membres de la CIA, qui n'ont pas oublié la "trahison" de la baie des cochons.

- Le vice-président Lyndon Johnson, qui déteste autant JFK que celui-ci le hait, est loin d'être assuré de conserver sa fonction dans l'option d'une réélection de Kennedy en 1964; 

- J.Edgard Hoover, l'inamovible directeur du FBI, entend éviter à tout prix une mise à la retraite que souhaite le président (Hoover prend alors l'habitude de collecter des dossiers compromettants sur les responsables politiques et les utilise ensuite comme moyen de chantage); 

- Richard Nixon, ancien vice-président d'Eisenhower et malheureux candidat républicain aux élections de 1960, a besoin d'un retrait des Kennedy pour réussir son retour. 

Tous ces acteurs ont donc été placés sur la sellette à un moment ou un autre. Thierry Lentz (cf: source 1), dans une synthèse solidement étayée, évoque chacune de ces pistes. Pour lui, "Johnson, Nixon, les grands industriels ou la tête de l'armée ne donnèrent pas l'ordre d'exécuter qui un rival, qui un adversaire supposé du libéralisme, qui un empêcheur de tourner en rond." (cf 1 p 427) L'auteur considère plutôt "qu'il faut regarder vers des groupes et des individus d'un niveau inférieur. Reliés à la CIA, aux anticastristes et à la pègre, leurs cercles n'étaient pas séparés. Mieux, leurs rapports et le maillage de leurs réseaux rendaient leurs interconnections fréquentes." (cf 1 p 427). Un groupe de barbouzes du sud (Texas, Louisiane) travaillant à la fois pour la mafia et la CIA, aurait cherché à se débarrasser de JFK auquel on reprochait les reculades face au lider maximo. Pour Lentz, c'est un véritable guet-apens qui paraît avoir été organisé sur Dealey Plaza. Deux équipes, installées respectivement dans le dépôt de livres et derrière une palissade de bois située sur la place, mènent l'exécution sommaire du président. Oswald n'est qu'un pion dans leur jeu, un bouc-émissaire idéal, "un 'pigeon' facile à manœuvrer." C'est donc la compromission de brebis égarées de la CIA avec le crime organisé qui aurait décidé les milieux officiels à verrouiller au maximum l'enquête afin de ne pas discréditer un peu plus l'agence fédérale. Dans ces conditions, elles ont tout intérêt, elles aussi, à accréditer la thèse de l'assassin isolé. Jusqu'à sa mort, Lyndon Jonson reste d'ailleurs convaincu que son prédécesseur est une victime collatérale des projets secrets de la CIA visant à éliminer des dirigeants étrangers... De retour des obsèques de Kennedy, de Gaulle aurait également confié à Peyrefitte, : "Toute cette histoire là, c'est une histoire de barbouze. On a trouvé un minus habens, qui est Oswald, mais vous savez très bien que les services secrets sont derrière tout ça. On ne saura jamais la vérité, car si un jour on apprend la vérité, il n'y a plus d’États-Unis."  

* Les arguments en faveur de la thèse officielle. 

Les partisans de la thèse officielle attribuent les incohérences initiales de l'enquête au choc provoqué par ce drame. Un véritable chaos règne par exemple dans le poste de police de Dallas où est retenu Oswald. Ceci expliquerait le manque de précaution qui conduit à son assassinat. Par ailleurs, les preuves à charge contre lui abondent. Il a été vu entrer dans le dépôt de livres, puis en sortir. Un fusil portant ses empreintes y a été retrouvé, il a abattu un policier et les douilles retrouvées près du corps correspondent à son arme. Au fond, c'est avant tout la mort d'Oswald qui relance les supputations et accrédite l'idée chez certains qu'il n'a été que la victime d'un coup monté. Complot ou pas? Il est bien difficile de trancher. Remarquons cependant que, presque cinquante ans après les faits, et malgré l'activisme des partisans du complot, aucun élément absolument incontestable n'est parvenu à ruiner la thèse officielle. Norman Mailer le dit ainsi: "Comme la plupart des théoriciens du complot, je voulais que ce soit une conspiration, mais j'ai retourné la chose dans tous les sens et je dois dire que je n'ai pas trouvé. Il manquait des preuves, il y avait trop d'éléments qui ne collaient pas." De même, Edward Epstein, auteur d'un classique sur le sujet, concède: "Si je crois de moins en moins à un complot, ce n'est pas parce que l'idée est infondée, c'est à cause du temps qui passe. (...) On a enquêté pendant des décennies et on a toujours rien de concret sur cette éventuelle conspiration. Au bout des quarante ans [lors de l'entretien] aucune des hypothèses ne s'est confirmée."  

* "He was a man of honor" 

Le décès du président américain suscite un immense émoi, en particulier chez les Afro-américains. En dépit de nombreux atermoiements, Kennedy apparaît comme celui qui fera enfin avancer les choses. Aussi, de nombreux musiciens noirs lui rendent hommage en chanson. C'est le cas du groupe de gospel des Dixie Nightingales mené par Ollie Hoskins. Le label Stax, qui souhaite ouvrir ses catalogues au gospel, signe le groupe et sort le titre "the Assassination", ballade crève-coeur narrant l'attentat contre JFK.

   

Dixie Nightingale: "Assassination". 

 Assassin in the window, down in a Texas town, (Lord have mercy) 

He waited till he saw him, he shot the president down. 

L'assassin à la fenêtre, dans une ville du Texas, (Seigneur ait pitié) attendit jusqu'à ce qu'il l'aperçoive, il tira sur le président. 

Oh, oh, what a shame it was! (3X) He shot the president down. 

Oh, oh, quel honte ça a été! Il tira sur le président. 

The world became a sphere of solitude and sadness, rich men and poor men cried, When the news came on the radio, that president Kennedy had died. 

 Le monde devint une sphère de solitude et de tristesse, riches et pauvres crièrent, à la nouvelle la mort du le président Kennedy. 

He was a man of honor, a man who had pride, a man who faced responsibility, had equality in his eye. 

Il était un homme d'honneur, un homme qui avait de la fierté, un homme qui assuma ses responsabilités, et avait l'équité au fond du regard. 

Notes:

1. la CIA en accord avec Eisenhower avait préparé un débarquement d'exilés cubains visant à renverser Fidel Castro. Hésitant, JFK donne finalement son accord. Le débarquement, lancé à la mi-avril 1961, tourne rapidement au fiasco. Aussi, le président refuse une intervention de l'aviation américaine en soutien aux troupes anti-castristes débarquées. Cent jours seulement après sa prise de fonction, l'administration Kennedy est ridiculisée. JFK sanctionne aussitôt l'agence en débarquant Allen Dulles. Au sein de la CIA, "on commença à murmurer que le président avait lâchement abandonné les "combattants de la Liberté" sur la plage de la Baie des Cochons (...)." (cf: 1 p 381) 

Sources: 

1. Thierry Lentz: "L'assassinat de John F. Kennedy : Histoire d'un mystère d'Etat", Nouveau Monde Editions, Juin 2010. Excellente synthèse en français sur le sujet. L'historien, spécialiste de l'Empire, s'autorise ici un détour par l'histoire contemporaine. Il présente les différentes thèses en présence et récuse la thèse officielle.

 2. 2000 ans d'histoire du 2 septembre 2010 avec Thierry Lentz comme invité: "qui a tué John F. Kennedy?

3. Le documentaire de Robert Stone: "Kennedy-Oswald : le fantôme d'un assassinat",(2007, 82mn) 

4. Lindsay Porter: "Assassinat. Une histoire du meurtre politique", Actes Sud, 2010. 

Lien: 

- "1963: KENNEDY, controverse pour un assassinat" (sur l'excellent blog La plume et le rouleau).

mercredi 9 septembre 2009

182. Carlos Mejia Godoy: "Pinocho".


Cette petite comptine du chanteur-poète Carlos Mejia Godoy dénonce l'inféodation de Pinochet aux Etats-Unis, dont il ne serait que la marionnette. On le sait, depuis, l'élaboration de la doctrine Monroe (1823), qui fait de l’Amérique Latine la chasse gardée des EU, invitant l’Europe à rester sur le vieux continent, beaucoup d'observateurs voient la main des Etats-Unis partout. Qu'en est-il vraiment? Nous tenterons d'y répondre en nous intéressant au cas chilien évoqué dans la chanson.





* De 1945 à 1959: une protection très rapprochée.

Avec l’entrée dans la guerre froide, la "protection" de Washington sur l'Amérique centrale et latine se précise.

Dès 1945, les États-Unis mettent en garde les militaires sud-américains contre le communisme, et, en 1947, le Traité inter-américain d’assistance réciproque (TIAR) place toutes les armées du sous-continent sous la tutelle de Washington. Pour compléter le dispositif, l'Organisation des Etats Américains (OEA) est créée l'année suivante et devient un instrument d’action des États-Unis contre le communisme ou tout régime susceptible de remettre en cause la domination économique des grandes firmes américaines sur le continent. L'organisation élabore un programme d’assistance militaire et renforce le rôle de la CIA dans l’entraînement et l’encadrement des armées sud américaines.

Or dans les années 1950, les dictatures se multiplient en Amérique Latine. Ces régimes autoritaires y empêchent la propagation du communisme. Ils s’appuient généralement sur les élites qui dominent ces sociétés très inégalitaires (une poignée de très grands propriétaires terriens et une multitude de paysans sans terre). Les EU soutiennent ces régimes tant qu’ils garantissent les nombreux intérêts économiques américains (grandes firmes agroalimentaires : United fruit).

Au contraire, sans intervenir directement, ils renversent, par l’intermédiaire de la CIA, les gouvernements jugés dangereux (favorables aux réformes agraires) comme au Guatemala en 1954 ou encore le renversement de Goulart au Brésil en 1964.

 



Le président Jacobo Arbenz et son épouse. Alors que le Guatemala connaît le premier gouvernement démocratique de son histoire, un coup d'état militaire soutenu par la CIA renverse le président élu.


En 1959, Fidel Castro s’empare du pouvoir à Cuba et renverse Batista, l’allié de Washington, garant des intérêts américains dans l'île. Les EU tentent alors de renverser Castro en organisant blocus de l’île, ou en tentant un débarquement dans la baie des cochons en 1961, en vain. Entre temps, Castro glisse vers le communisme et s’allie à Moscou.

Cette radicalisation des positions débouche bientôt sur la crise des fusées de Cuba (1962).
La présence d'un régime socialiste aux portes des Etats-Unis constitue un véritable camouflet pour les Etats-Unis. Plus que jamais les autorités américaines entendent empêcher à tout prix la propagation du communisme en Amérique latine et, pour arriver à leurs fins, n'hésitent pas à s'allier à des régimes peu fréquentables. 

http://graphics8.nytimes.com/images/2008/04/11/us/22782775.JPG
Castro à la tribune, en 1959.

De fait, au cours des années 1960 et 1970, les juntes militaires au pouvoir en Amérique laine bénéficient de l'accord tacite pour réprimer les guérillas marxistes et les mouvements révolutionnaires (assassinat du Che Guevara en Bolivie en 1967). La plupart du temps, les Etats-Unis n'interviennent pas, mais laisse faire. La victoire électorale d'Allende au Chili les incitent en tout cas à agir.

* Le Chili d'Allende et le coup d'état du 11 septembre 1973.

Au Chili, lors des élections présidentielles de 1970, Salvador Allende, soutenu par les socialistes, les communistes et l'aile gauche de la démocratie chrétienne, arrive en tête du scrutin, avec seulement 40 000 voix d'avance sur le candidat de la droite Alessandri. Il devient donc président du Chili grâce à un vote du parlement. 




Le président Allende à la tribune.

Socialiste légaliste, Allende entend engager le pays dans “la voie chilienne au socialisme”. Il forme un gouvernement d'”unité populaire” avec les communistes, les socialistes, les radicaux et les chrétiens d'extrême gauche. Très vite, Allende se trouve pris en étau entre les surenchères de la gauche révolutionnaire (MIR) qui reproche à Allende son réformisme et l'opposition de droite qui détient la majorité au Parlement.


Néanmoins, le gouvernement engage des réformes conséquentes: nationalisation du cuivre (juillet 1971), accélération de la réforme agraire, nationalisation des grandes banques, passage sous contrôle de l'Etat du papier, du textile, des houillères, de l'industrie sidérurgique… Or, certaines de ces mesures portent préjudices aux intérêts américains. C'est la raison pour laquelle, Washington entend empêcher Allende d'assumer le pouvoir, “par tous les moyens” pour Henry Kissinger, le conseiller en politique étrangère des présidents Eisenhower, Kennedy et Johnson . 




Le secrétaire d'Etat américain (au premier plan à gauche) avec Pinochet.

Aux yeux de Kissinger, si "par malheur" s'impose dans un un pays latino-américain, il ne peut le faire que par la force. Instaurer le socialisme par les urnes, comme le tente Allende, constitue un très mauvais exemple pour l'Europe selon Kissinger. Ce dernier affirme: “L'élection d'Allende est grave pour les intérêts américains au Chili et pour le gouvernement américain. Allende est probablement un communiste, un communiste de Moscou.” Il convient donc de réagir. L'existence du plus grand parti communiste des Amériques au Chili inquiète particulièrement le département d'Etat américain.

En 1971, Washington programme le “chaos économique au Chili”. La CIA finance les grèves de transporteurs et de commerçants qui paralysent le pays en 1972 et 1973. Les EU coupent les crédits dès 1971 et organise une sorte de “blocus invisible” autour du Chili. Dans ces conditions, les marges de manœuvre du gouvernement sont bien minces (face à la pénurie, il instaure le rationnement qui mécontente les ménagères chiliennes). Dès 1971, Allende ne peut plus compter sur le soutien de la démocratie chrétienne ni sur celui du parlement. Fin 1972, pour consolider le gouvernement, Allende doit faire entrer des militaires dans le gouvernement (dont Pinochet).

Dans le même temps, la CIA appuie les tentatives de putschs, qui échouent, mais préparent le terrain pour le 11 septembre 1973. On peut considérer en effet, que l'ingérence nord-américaine au Chili a permis l'instauration d'une des dictatures les plus dures du continent, celle de Pinochet.
L'extrait d'un rapport de CIA qui suit ne laisse guère de doutes à ce sujet:

"L'effort de la CIA contre Allende a commencé en 1970 sous la forme d'une tentative de bloquer son élection et son accession à la présidence. [...] La CIA a tenté d'influencer (les parlementaires) en faveur d'un vote éliminatoire contre Allende, puisque celui-ci n'avait pas obtenu la majorité absolue. [...] La révolution cubaine et l'émergence des partis communistes en Amérique latine avaient apporté la guerre froide dans l'hémisphère occidental [càd l'Amérique Latine]. [...] On estimait au plus haut niveau gouvernemental, de manière unanime, que la présidence d'Allende nuirait gravement aux intérêts américains. [...] (Pendant la présidence d'Allende), le rôle de la CIA au Chili fut de fournir des fonds aux partis d'opposition. [...] Vers octobre 1972, le gouvernement américain pensait que l'armée projetait un coup d'Etat, mais que son succès ne nécessitait pas l'intervention ou l'assistance américaine."
Rapport de la CIA (septembre 2000, élaboré à la demande du président Clinton.)

Le palais présidentiel de la Moneda bombardé par l'armée.

Le 11 septembre 1973, une junte militaire renverse le gouvernement d'unité populaire. Le putsch porte au pouvoir le général Pinochet, tandis qu'Allende se tue dans le palais présidentiel de la Moneda. Désormais, Pinochet a une obsession: extirper le marxisme du Chili. La junte militaire procède à une répression sanglante (au moins 3000 morts, des milliers d'internements sans jugement). Le Parlement est dissous, les partis politiques supprimés. Pinochet prend le titre de “chef suprême de la nation”, en 1974. Aussitôt, il suspend la Constitution et le Parlement, impose une censure totale et interdit tous les partis politiques. Il restera au pouvoir jusqu'en 1990!
L'Amérique latine à la fin des années 1970 (cf: carte tirée du manuel d'histoire Hachette Terminale). Cliquez sur la carte afin de l'agrandir.

Certes, on peut considérer que les Etats-Unis ne sont pas intervenus directement, il n'empêche que la CIA appuie le putsch du général Pinochet.
Ces pratiques se poursuivent à plus vaste échelle dans le cadre du plan condor (à partir de 1975), vaste programme de répression à l'échelle du continent.
Les juntes militaires au pouvoir en Argentine, au Paraguay, en Bolivie, au Chili, en Uruguay, s’engagent dans une chasse aux opposants, grâce à une étroite collaboration entre services de renseignement et en utilisant les méthodes les plus ignobles : tortures, exécutions sommaires, attentats, enlèvements. L’objectif reste d’éliminer les opposants (et pas seulement des communistes) des différentes dictatures, par delà les frontières de chaque Etat.

Ce plan doit rester secret, car Pinochet a tôt saisi qu’il était essentiel de réprimer le plus discrètement possible. Les Etats-Unis ne participent pas, là encore, directement au plan, mais plusieurs documents prouvent que la CIA connaissaient ces actions. Lors d’une visite au Chili en juin 1976, le secrétaire d’Etat américain Kissinger dénonce les violations des droits de l’homme dans un discours public, mais il assure Pinochet de son soutien en privé. Cette attitude illustre tout à fait les ambiguïtés de Washington.


Le 21 septembre 1976, à Washington, Michael Townley fait sauter une bombe sous la voiture d'Orlando Letelier, ex-ministre des affaires étrangères d'Allende.

L'action la plus spectaculaire menée dans le cadre du plan condor reste l’attentat contre Orlando Letelier, ex-ministre des affaires étrangères d'Allende, dans un attentat perpétré à Washington, en septembre 1976. C’est d’ailleurs l’opération de trop pour les Américains. Ce meurtre manque de « discrétion », le président Carter fraîchement élu, a fait du respect des droits de l’Homme son cheval de bataille. Il fait désormais pression sur le Chili. En août 1977, la DINA, police secrète chilienne dont le directeur est aussi le grand organisateur du plan condor, est dissoute.

Dans ces conditions, on comprend mieux les insinuations et critiques formulées par le chanteur. Carlos Mejia Godoy est Nicaraguayen est a joué un rôle actif dans son pays dans la mesure où il fut ministre de la culture. Chantre de la révolution sandiniste (ce mouvement révolutionnaire nicaraguayen qui accède au pouvoir en 1979 après avoir renversé le dictateur Somoza), s'est éloigné d'Ortega le dirigeant sandiniste historique (1979-1990), revenu au pouvoir à la faveur des élections de 2006. Il l'accuse de confisquer le pouvoir et compare son mode de gouvernement à celui de Somoza. Il a d'ailleurs interdit au gouvernement d’utiliser ses chansons à des fins de propagande.

Quoi qu'il en soit, son morceau "Pinocho" brocarde avec humour le sinistre Pinochet qui est mort dans son lit, sans jamais avoir été sérieusement inquiété par la justice, malgré les tentatives des juges Guzman et
Garzon !

Carlos Mejia Godoy: "Pinocho".

Pinocho...

El tío Sam-Gepeto
el viejo titiritero
dispuso hacer un muñeco
que lo acompañe en su senectud.
El tío Sam-Gepeto
ese viejo tan morocho
dispuso hacer un pinocho
que le obedezca con exactitud.

L’oncle Sam-Gepeto /
Le vieux marionnettiste/
voulut faire un automate/
pour accompagne ses vieux jours./
L'oncle Sam-Gepeto, ce vieux/
voulut faire une marionnette qui lui obéisse au doigt et à l’oeil/
Este pinocho... pino, pinochet
es un buen chico, como lo véis
amaestrado, bien alienado
habla español, pero piensa en inglés
¡OH YES!
Este pinocho, pino, pinochet
todo lo aprende en un dos por tres,
sabe tan bien las poses gorilistas
que le enseñó su tío imperialista
que ya parece todo un chimpancé.

C’est Pinocho, pino, Pinochet/
C’est un bon gars, comme vous le voyez/
Bien dressé, bien soumis/
Il parle espagnol, mais il pense en anglais/
Oh Yes!/
Ce Pinocho, pino, Pinochet/
Il apprend tout en moins de deux/
Il sait si bien faire les singeries/
Que lui a enseigné son oncle impérialiste/
Qu’il a tout du chimpanzé./


El tío le dió al muñeco
una lujosa guerrera,
dos flamantes charreteras
y el presuntuoso quepís oficial.
Le dió condecoraciones,
medallas hasta los dientes
y en los hombros relucientes
las cinco estrellas de la iniquidad.

l'oncle donna à la marionnette
un uniforme flambant neuf

deux galons brillants
et le fameux képi officiel.
Il lui donna des décorations,
des médailles des pieds à la tête

et sur ses larges épaules
les cinq étoiles de l'iniquité.


Este pinocho...

Pero a todo muñequito,
aún siendo un juguete fino
le llega su cruel destino...
la cuerda al fin tiene que reventar.
Y ahora que venga el cambio
¡Al diablo tanta locura!
y al cajón de la basura
la marioneta tendrá que ir a dar.

Mais comme toute les poupées
même si c'est un jouet recherché
son destin cruel le rattrape...
à la fin la corde doit céder.
Et maintenant, que vienne le changement,
au diable tant de folies!
Et dans la benne à ordure

atterrira la marionnette

Este pinocho...
Colorín, colorado...
El pinocho está acabado.


Colorin colorado (formule traditionnelle qui clôt un conte et difficile à rendre en français)
la marionnette disparaît


Sources:
- Alternatives internationales n°7, mars 2003.
- Les Archives du Monde 2, n°60, avril 2005.
- Le Monde diplomatique n°90 consacré à “l'Amérique latine rebelle”, en décembre 2006.
- Numéro spécial de L'Histoire consacré à l'Amérique latine, n°322, juillet-août 2007.

Liens:
- L'Amérique depuis 1945.
- La lutte en chantant: le Cône sud (série en 3 volets). 
- Plusieurs titres consacrés au Chili sur l'histgeobox.
- L'équipe de choc de la CIA sur le site du Monde diplomatique.