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dimanche 8 juillet 2018

348. Last day of the miner's strike, Pulp (2002)

Lors de la campagne présidentielle François Fillon a été comparé à plusieurs reprises à M. Thatcher. Depuis son entrée en fonction, c’est au tour d’E. Macron. L’attitude de chef de l’état face aux mouvements sociaux, leur grandissante criminalisation, pousse la presse à mobiliser ce registre comparatif. Mais que désigne précisément ce terme de « criminalisation » ? Tout d’abord, un usage récurrent, disproportionné voire inapproprié de la violence par les forces de l’ordre contre de simples citoyens, ou de militant.es (syndicalistes, manifestant.es, jeunes) qui a parfois des conséquences dramatiques (morts, mutilations, traumatismes). Une mise au pas de la justice, ensuite, à des fins d’exemplarité et de dissuasion (multiplications des comparutions immédiates, peines requises  disproportionnées, impunité policière systématique, procédures malmenées y compris quand il s’agit de mineurs,comme on l’a vu récemment avec les gardé.es à vue du lycée Arago). Ces écarts problématiques et réitérés sont relayés par des discours médiatiques assez univoques et légitimants dont quelques animateurs et éditocrates se sont fait la spécialité (ce que le journaliste S. Gontier chronique régulièrement pour Télérama, dans Ma vie au poste ; on consultera, par exemple, ce billet sur la zadisation des esprits). Ces personnalités médiatiques, procèdent à l’inversion des responsabilités autour des actes de violence commis (on l’a vu, par exemple, lors de l’arrachage de chemise d’un responsable d’Air France), et distillent volontiers la peur dans le débat public (comme ici à propos de la dernière mobilisation à la SNCF).
  

Quelles sont les origines de ce schéma auquel nous nous accoutumons peu à peu ? La question mérite d’être posée. Bien évidemment, ce de modes opératoires est antérieur à l’arrivée d’Emmanuel Macron à l’Elysée. Dans un contexte d’état d’urgence, il a pris une ampleur inédite. Lors des lois travail, des mobilisations étudiantes et lycéennes, ou des actions de soutien aux réfugié.es sanctionnées par le troublant oxymore de « délit de solidarité », il a gagné en lisibilité.
Le parallèle Macron/Thatcher est mobilisé en raison de l’attitude inflexible des deux dirigeants face aux contestations, posture qui entretient une logique d’escalade. Cette raideur M. Thatcher l’a inscrite dans ses mandatures en différentes occasions (Malouines, grève de la faim et de l’hygiène des prisonniers de l’IRA). Mais pour ce qui est des mobilisations sociales c’est à la faveur de la grande grève des mineurs britanniques de 1984-1985, qu’elle l’a particulièrement bien exprimée. Il n’est pas impossible que cet épisode constitue une sorte de matrice du traitement criminalisé des mouvements sociaux. La distinction avec l’antérieur se niche dans le contexte qui l’entoure : celui de l’ascension néolibéralisme. Emmannuel Macron, bien relayé dans cette tache par une large partie des médias, ne fait qu’adapter, le modèle, à son époque.

La musique trouve parfois dans les mobilisations sociales, populaires ou ouvrières une puissante source d’inspiration. Celles des mineurs ne font pas exception.  Ainsi en 2011, Billy Bragg, chanteur militant britannique reprend le Which side are you on ? composé en 1931 pour soutenir ceux du Kentucky. Bragg est un habitué du registre, d’autres s’y frottent plus rarement. C’est le cas d’un des groupes majeurs de la riche scène musicale de Sheffield dont les Arctic Monkeys sont aujourd’hui les têtes de gondole. Moins puissante que celle de Londres, moins postcoloniale que celle de Bristol, moins connue que celles de Liverpool et  Manchester, la scène de Sheffield en est proche car elle s’inscrit dans une géographie de la désindustrialisation. Joe Cocker ou Deff Leppard en furent les prestigieux ainés, ils ont porté sa renommée à l’international ; la ville a ensuite alimenté une rutilante scène pop friande de synthés au cours des années 80 avec des groupes comme Human League, Cabaret Voltaire ou Heaven 17. Sheffield dispose également d’une scène électro qui est loin d’être confidentielle, avec son label local Warp Records, né à la fin de cette décennie (LFO, Aphex Twin). Enfin, la capitale métallurgique du South Yorkshire abrite, outre Alex Turner auquel on ne peut ôter cette qualité, quelques songwriters de talent dont le trop méconnu Richard Hawley, et le fantasque leader-chanteur-songwriter du groupe Pulp, Jarvis Cocker. C’est à cette formation que l’on doit le titre dont il est question ici. Il parle de la grève des mineurs de 1984-1985, mais, comme toujours avec Pulp, sous un angle décalé.


Kids are spitting on the town hall steps and frightening old ladies 
Les gosses crachent sur les marches de la mairie et effraient les vieilles dames
I dreamt that I was living back in the mid 1980s
J’ai révé que je vivais à nouveau au milieu des années 80 
People marching, people shouting, people wearing pastel leather 
Des gens qui manisfestent, des gens qui crient, habillés de cuir pastel
The future's ours for the taking now
L’avenir nous appartient, le futur est à nous
if we just stick together
Si on reste solidaires
And I said: "Hey, lay your burden down 
Et j’ai dit : « Hey, pose ton fardeau à terre
seems the last day of the miners' strike was the Magna Carta in this part of town"
le dernier jour de la grève des mineurs, ce fut comme la Grande Charte dans cette partie de la ville »

Well, my body sank below the ground
mon corps s’est enfoncé sous terre 
it became as black as night 
Il est devenu noir comme la nuit
overhead the sound of horses' hooves 
Au dessus de ma tête le son des sabots des chevaux
people fighting for their lives
Des gens qui se battent  pour leurs vies
Some joker in a headband was still getting chicks for free 
Un mec avec un bandeau obtenait encore  des filles pour rien (il s’agit d’une allusion à M. Knopfler de Dire Straits dont le titre Money for nothing est un tube de l’année 1984)
And Big Brother was still watching you 
Et Big Brother était toujours entrain de te surveiller
back in the days of '83
Retour en 1983
And I said: "Hey, lay your burden down 
Et j’ai dit : « Hey, pose ton fardeau à terre
seems the last day of the miners' strike was the Magna Carta in this part of town"
le dernier jour de la grève des mineurs, ce fut comme la Grande Charte dans cette partie de la ville »

Well by 1985, I was as cold a cold could be 
En 1985, j’étais aussi refroidi qu’on peut l’être
but no-one was underground to dig me out and set me free 
mais il n’y avait personne sous terre pour m’excaver et me libérer
'87 socialism gave way to socialising 
En 87 le socialisme laissait place à la sociabilité
so put your hands up in the air once more: 
alors lève les mains en l’air encore une fois
the north is rising
le nord se soulève
And I said: "Hey, lay your burden down 
Et j’ai dit : « Hey, pose ton fardeau à terre
seems the last day of the miners' strike was the Magna Carta in this part of town"
on dirait que le dernier jour de la grève des mineurs, est la Grande Charte dans cette partie de la ville »

Oh, sing Hallelujah 
Oh, chante Hallelujah
Oh, sing Hallelujah 
Oh chante Hallelujah
Don't let them fool you again 
Ne les laisse pas t’avoir à nouveau
Oh, sing Hallelujah
Oh chante Hallelujah

By now I'm sick and tired of just living in this hole 
Désormais je suis fatigué  et fatigué de ne vivre que dans ce trou
so I took the ancient tablets 
Alors j’ai ressorti les anciennes tables
blew off the dust
Je les ai dépoussiérées 
swallowed them whole 
avalées entièrement
Oh come on, let's get together 
Allez, rassemblons nous
Oh come on, the past is gone 
Allez le passé est le passé
Well, the very first commandment : Come on, come on, let's get it on 
Bien, le tout premier commandement : allez, allez, on y va
Come on, let's get it on
Allez, on y va
Get it on! 
On y va !
Oh, get it on
Oh, on y va
"Hey, lay your burden down 
Et j’ai dit : « Hey, pose ton fardeau à terre
seems the last day of the miners' strike was the Magna Carta in this part of town"
le dernier jour de la grève des mineurs, ce fut comme la Grande Charte dans cette partie de la ville »


Last day of the miner’s strike, tel est le titre du morceau sur lequel Hawley joue d’ailleurs en guitariste additionnel. Il a été enregistré au début des années 2000 pour intégrer la compilation Hits dont il constitue le seul inédit. L’album est une sélection choisie dans la discographie d’un groupe dont la carrière est alors à son crépuscule. Ses membres se séparent peu après, une dernière tournée fraichement achevée. Last days of the miner’s strike a une place assez marginale dans l’histoire de Pulp, au regard des tubes issus de LP comme Different Class avec son incontournable Common people. Si le songwriting de Cocker verse souvent dans la chronique sociale, il suit plus volontiers des trajectoires singulières dans un Angleterre post-industrielle que les grands épisodes de l’histoire militante du pays.
Qualifiée de moment de basculement, la grève des mineurs du milieu des années 80 constitue un pivot autour duquel s’articulent un avant (celui d’une jeunesse rageuse et irrespectueuse au temps du post punk, crachant devant les vieilles dames) et un après qui prend la forme d’une fête sans fin, celle des raves, mains levées au ciel, corps oscillant au rythme de la house et de la techno, dont on renforce l’effet à grand coup d’ecstasy. Cocker avoue son désintérêt, à l’époque, pour les piquets de grève tandis que Russel Senior, guitariste et violoniste du groupe, s’y rendait volontiers en soutien. Le titre se présente sous la forme d’une réminiscence, s’émancipe du ton engagé ou de la chanson hommage/témoignage, ce dont d’autres formations se sont chargées[1].

La grève des mineurs de 84-85 s’arrime à différentes temporalités historiques. Celle de l’âge du charbon, au cœur du processus d’industrialisation qui couvre un long 19ème siècle (1780-1914) dans une géographie plutôt septentrionale des Iles Britanniques.  Si l’on excepte les gisements de Galles du Sud, cette dernière  va de l’Ecosse (Glasgow), au Lancashire, au Sud Yorshire, et au NottinghamShire. Les West Midlands en sont le point méridional. Elle succède à d’autres grèves générales des mineurs du pays : celle de 1926, tout d’abord, qui porte sur des revendications salariales et le temps de travail, au moment où s’amorce un déclin de la production. En 1972, ensuite, la grève générale des mineurs marque un tournant et constitue par bien ses aspects, une propédeutique à celle qui nous intéresse. C’est alors que sont testés les flying pickets qui permettent lors de longues mobilisations, de créer des points de fixation dans le temps et dans l’espace susceptibles d’emporter l’avantage.  A l’époque, c’est à Saltley (près de Birmingham, dans les Midlands) que cette stratégie s’avère payante.
@Birmingham Mail
L’Angleterre est alors en plein marasme. La situation en Irlande du Nord est pour le moins tendue depuis plusieurs années, l’inflation galopante attise les revendications salariales afin de préserver le pouvoir d’achat. Plusieurs fermetures de puits sont annoncées. La grève générale débute au pays de Galles pour s’étendre à d’autres régions. Afin de peser sur le rapport de force, grévistes et organisations syndicales bloquent, en différents endroits, les livraisons de charbon nécessaires à la production d’électricité. C’est ainsi que le dépôt de houille de Saltley devient un point de fixation du mouvement. Face à une police missionnée pour en assurer l’ouverture, les 2000 picketters présents sont rejoints, en février, par des ouvriers de Dunlop, de British Leyland, de Drop Forge, de GEC ou encore par les salariées de SU carburattors. 10 000 à 15000 personnes convergent vers le dépôt comme le raconte un témoin : The police closed the gates. Victory was ours[2]. L’opération est un triple triomphe : les mineurs obtiennent 21 % d’augmentation de salaire, le gouvernement Heath s’en retrouve extrêmement fragilisé et la victoire assoit A. Scargill à la tête de la  NUM[3]. L’homme fort de la centrale syndicale en tire à ce moment là une conclusion : If working people are united, they can achieve anything[4]

Pour expliquer ce qui se passe entre 1972 et 1984, M. Montazami parle de sédimentation iconomnésique. Entre 1926 et 1984, les grandes luttes ont façonné une histoire des résistances sociales au cours de laquelle chaque nouvelle mobilisation catalyse les aspirations et volontés de batailles passées – une sédimentation iconomnésique – qu’elle « rejoue » (remet en jeu) dans un mouvement présent[5]. La bataille d’Orgreave, le 18 juin 1984, rappelle, par bien des aspects, celle de Saltley. Pourtant, dans l’intervalle, plusieurs lois ont été votées pour entraver les actions syndicales et les résistances sociales[6]. Pour autant, contexte politique est sensiblement différent. Les conservateurs, en la personne de Margaret Thatcher, ancienne ministre de l’éducation du gouvernement Heath, sont revenus aux affaires après un intermède travailliste. Grace à la guerre des Malouines, la dame de Fer est en positon de force depuis 1982, dotée d’une forte popularité. En revanche, le long déclin de l’exploitation charbonnière britannique se poursuit. Il n’y a plus que 280 000 mineurs en 1973, ils étaient 1,1 Million en 1913. Dans ce secteur stratégique nationalisé depuis 1947, la puissance et la centralité des grèves sont des obstacles aux réformes radicales qu’entend mener M. Thatcher. Ainsi, elle ne peut qu’aller à l’affrontement avec la NUM, pour en sortir victorieuse.
C’est l’annonce, début mars 1984 , par le gouvernement de la suppression de quelques 100 000 emplois dans les mines qui met le feu aux poudres.. Le pays compte alors quelques 3 millions de chômeurs. La grève touche au printemps 84, les sites Ecossais et ceux du Yorkshire. Le 15 mars, les puits du Pays de Galles sont à leur tour fermés. Le système des piquets volants destiné à paralyser les livraisons de charbon est réactivé. Seul un tiers des puits épargnés par les fermetures continuent d’alimenter le pays en charbon. La Grande-Bretagne dispose toutefois d’importantes réserves ce qui constitue un atout pour le gouvernement pour éviter l’asphyxie du pays. Le leader de la NUM choisit le site d’Orgreave pour mener la bataille décisive. Le Socialist Worker reprend pour l’occasion le mot d’ordre de Scargill Turn Orgreave into Saltley. Le site, à l’est de Sheffield, alimente en coke l’aciérie géante voisine de Scunthorpe. C’est là que le néolibéralisme, puissance émergeante, affronte un monde ouvrier affaibli. Le match n’est pas qu’un affrontement entre deux idéologies, il comprend aussi un duel entre Scargill et Thatcher qui dispose d’un atout déterminant : la police du Sud Yorkshire.
Ce 18 juin 1984, quelques 8000 mineurs venus de tous les sites du pays (Ecosse, pays de Galles, nord-est de l’Angleterre et d’autres villes du Yorkshire) se rejoignent au piquet de grève d’Orgreave à l’appel de la NUM.  La police déjà présente sur place les escorte vers la cockerie. Sur place, ils découvrent d’autres forces déployées en amont. Le piège se referme. Après 4 heures de face à face tendu, chaque groupe sur ses positions, la bataille se déchaine. Les pierres, briques et bouteilles volent d’un côté, la police montée, les chiens et les gourdins s’abattent de l’autre. Le soir les images de la bataille rangée envahissent la télévision. A l’issue des 10 heures de confrontation, 95 mineurs sont arrêtes, il y a 79 blessés, (51 pour les picketters, dont Scargill, 28 parmi les forces de l’ordre), aucun policier n’est inquiété. Le piquet de grève est levé. Les mineurs ont perdu une bataille, et ils s’apprêtent à perdre la guerre. Elle sera d’usure puisqu’elle s’étire jusqu’en mars 1985 date à laquelle la reprise du travail est actée. 160 000 d’entre eux ont participé à la grève. La défaite est cinglante car elle se double d’impressionnants prolongements policiers et judiciaires : 11 312 arrestations, 5653 poursuites en justice, près de 200 emprisonnements. C’est un conflit du travail dont l’ampleur, la force symbolique et les pics d’intensité sont inédits ; le « King Coal » perd les derniers joyaux de sa couronne : 140 puits sont fermés, 100 000 mineurs licenciés dans les 7 années qui suivent Orgreave.


Et après ? Comme le suggère le titre de Pulp rien ne fut plus jamais comme avant. En effet,  l’estocade est vite donnée.  En 1992, le plan Helsetine ferme 31 des 50 puits restant, laissant sur le carreau, c’est le cas de le dire, 31 000 emplois. T. Labica explique que cet effacement se traduit par une assez brusque invisibilité médiatique. Alors que les labour correspondents étaient auparavant des figures puissantes de la presse écrite, chargés notamment de chroniquer les mobilisations et de tisser pour ce faire des liens avec les centrales syndicales, ces figures du journalisme ont quasi entièrement avec l’Angleterre industrielle, ouvrière et syndiquée. Les lieux ont également été transformés si bien que les mémoires s’en trouvent affectées et que le fameux processus iconomnésique en est affecté. En 2008, Orgreave est devenu une pépinière d’entreprises High-tech avec des prolongements immobiliers le Warweley Housing.

Orgreave, aujourd'hui @Financial Times

Les souvenirs de ce monde englouti trouvent pourtant des chemins où se faufiler pour que les mémoires des luttes se transmettent aux générations actuelles. Le cinéma, à l’instar de la pop musique, participe à ce projet. Il y a un bien étrange paradoxe à voir le succès remporté par ces fictions cinématographiques qui évoquent sous des différents angles l’histoire de l’Angleterre industrielle. Le nom de Ken Loach vient immédiatement à l’esprit puisqu’il a réalisé un documentaire sur la grande grève de 1984-1985 intitulé Which Side Are You on ? La centralité de la question des luttes sociales dans son œuvre documente amplement le sujet. Mais pour ce qui est des succès populaires, de ceux qui brisent le plafond de verre façonné par les blockbusters américains,  on pense davantage à The Full Monthy pour la comédie, ou à Brassed Off pour le drame lacrymal (dans les deux, la musique ou les pratiques musicales populaires jouent un grnad rôle). Plus récemment, le succès de Pride a permis de braquer les projecteurs sur l’intersectionnalité des luttes sociales lors de la grève des mineurs de 1984 (mineurs, femmes, LGBT). Enfin,  comment ne pas évoquer la littérature ? Un des maitres du polar britannique David Peace s’est lui aussi penché sur la question dans le volume GB84.  


Pour autant, les productions culturelles ne sont pas les seules à façonner la postérité de la bataille d’Orgreave et, plus encore, de la grève de 84-85. Plusieurs éléments sont venus rouvrir un dossier que l’on croyait clos, et on extirpé ce moment de la terrible condescendance de l’histoire écrite par les vainqueurs. Il est possible finalement que la bataille d’Orgerave soit pas uniquement condamnée à la muséification ou à la folklorisation.
D’une part, la déclassification des archives de M. Thatcher a rendu possible l’établissement d’un nouveau regard sur la période. D’autre part, le drame survenu  sur le terrain de foot de Sheffield, Hillsborough, le 15 avril 1989, a ouvert de nouveaux horizons. Le stade fut le théâtre d’une meurtrière tragédie lors d’un match qui opposait Liverpool et Nottingham Forrest. Ce jour là, les supporters du LFC peinent à accéder à leur tribune. Tous ne sont pas encore entrés quand le coup d’envoi est donné. Saturée, la tribune continue pourtant à accueillir du monde jusqu’à ce qu’une bousculade se déclenche provoquant la mort de 96 personnes (la plus jeune âgée de 10 ans, la plus vieille de 67 ans, la dernière décédée en  1993 après 4 ans de coma).

Une ignominieuse du Sun, sur Hillsborough, le
19 avril 1989 @arretsurimages
La presse  se déchaine immédiatement[7] sur les hooligans avinés, assimilant bon nombre des victimes à peine décédées, à des brutes épaisses, ensauvagées. L’examen des faits conclut d’abord à des « morts accidentelles ». Les familles triplement accablées (par la perte d’un proche, par l’image dégradée qui en est donnée publiquement, notamment par de faux témoignages et par l’impossibilité de rendre audible un contre discours) se constituent en comité. Après 28 années de lutte inlassable, à l’issue de deux rapports publics (le premier concerne l’interdiction des tribunes debout), la responsabilité de la police ne fait plus guère de doute. En retardant sciemment l’arrivée des secours, sa négligence la rend responsable, outre les sales bidouillages de falsification de faits, de la mort des 96 personnes auxquelles s’ajoutent 766 blessés. La justice est saisie. En juin 2017, le chef de la police, D. Duckenfield, est inculpé pour « homicide involontaire pour grave négligence », mais aussi, comme son collègue l’inspecteur N. Bettison pour avoir menti sur la culpabilité des supporters tandis que deux autres policiers sont accusés d’avoir entravé le travail de la justice.

Sur ce modèle s’est constitué en 2012, la Orgreave for truth and justice campaign après que le témoignage d’un policier indiquant avoir falsifié des comptes rendus ait été diffusé sur la BBC. Chaque année le 18 juin, leur action pour la justice est réactivée sur le site avec un « rally ». L’anniversaire des 30 ans, a encore ajouté de l’intérêt pour la démarche initiée. Le parti travailliste a dors et déjà promis de rouvrir une enquête au cas où il reviendrait aux affaires. Toutefois, ce sont les Tories qui y sont. Si dans un premier temps, Theresa May, comme ministre de l’intérieur[8] puis comme premier ministre ne semblait pas hostile à l’ouverture d’une enquête, ses ardeurs se sont refroidies, et sa propre ministre de l’intérieure Amber Rudd, l’a fait savoir aux activistes. Cette dernière vient d’être contrainte à la démission suite au scandale Windrush, et dors et déjà la OTJC a repris les pourparlers avec son successeur Sajid Javid. Si l’on osait un mauvais jeu de mot, on dirait que c’est un last coal for justice





Bibliographie indicative :
Ouvrages
Mathilde Bertrand, Cornelius Crowley, Thierry Labica [coord], Ici notre défaite a commencé : la grève des mineurs britanniques 1984-1985, Paris, Syllepse, 2016, 214p. (Vu des dominés)
Gouffiès, Pierre-François, Margaret Thatcher face aux mineurs : 1972-1985, treize années qui ont changé l'Angleterre, Toulouse, Privat, 2007, 363p. vu des dominants (donc idéologiquement neutre comme le précise son auteur)

Revues
Retour sur la grande grève des mineurs britanniques, Un dossier de la revue Contretemps n°25, 1er trimestre 2015, https://www.contretemps.eu/le-numero-25-de-la-revue-contretemps-est-paru/

Morad Montazami, « L’événement historique et son double. Jeremy Deller, The battle of Orgreave », Images Re-vues [En ligne], 5 | 2008, mis en ligne le 20 avril 2011, consulté le 08 juillet 2018. URL : http://journals.openedition.org/imagesrevues/334
Presse
Dans The Guardian :
Via ce lien mois par mois, les archives sur le dossier Orgreave
Avec un article récapitulatif  ici
Sur Saltley, 1972 on lira éventuellement ceci ainsi que cela
Le journal britannique dispose également d’un épais dossier sur Hillsborough, et ses suites judiciaires, bien récapitulé ici







[1] En 1987, The Watersons interprete Coal Not Dole (du charbon pas des allocations, selon le slogan des mineurs mobilisés), titre qui sera aussi popularisé par le groupe Chumbawamba qui l’insère dans la compilation English Rebel Songs 1931-1988 qui sort en LP en 1988 justement.
[2] La police ferma les portes, nous avions gagné.
[3] Puissant syndicat des mineurs National Union of Mineworkers
[4] Quand les travailleurs sont unis, ils peuvent tout réussir.
[5] Morad Montazami, « L’événement historique et son double. Jeremy Deller, The battle of Orgreave », Images Re-vues [En ligne], 5 | 2008, mis en ligne le 20 avril 2011, consulté le 08 juillet 2018. URL : http://journals.openedition.org/imagesrevues/334
[6] Notamment pour interdire les grèves de solidarité
[7] Les Unes du Sun en particulier conduisent à des appels au boycott de la part de la population de Liverpool et des supporters du LFC qui font campagne sur le mot d’ordre don’t buy the Sun
[8] Home Office Secretary, le poste n’existe pas sous ce nom en France.

vendredi 1 décembre 2017

335. "El Mundial" (1978)

En 1966, l'Argentine est désignée par la FIFA comme pays organisateur de la 11ème coupe du monde de football qui doit se dérouler du 1er au 25 juin 1978. Ce choix a tout d'une aubaine pour cette jeune nation dans laquelle le foot constitue un vecteur d'unité nationale. Or, le 24 mars 1976, une junte militaire renverse le gouvernement d'Isabel Peron. Le général en chef des armées, Rafael Jorge Videla, s'empare alors du pouvoir et instaure une dictature. Après le Paraguay en 1954, le Brésil en 1964, la Bolivie en 1971, le Chili et l'Uruguay deux ans plus tard, c'est au tour de l'Argentine de subir un régime de terreur qui se donne pour objectif premier "de défendre la civilisation occidentale et chrétienne contre la subversion communiste et ses guérilleros". Pour parvenir à leurs fins, les militaires ne reculent devant aucun moyen: élimination des opposants, enlèvements, séquestrations, tortures, vols d'enfants..Au printemps 1978, Amnesty international comptabilise déjà 6000 personnes exécutées, 8000 prisonniers, 15000 disparus (le bilan total de 7 années de dictature atteindra finalement les 30 000 disparus). (1)

Buenos Aires 1978. [Wikimedia C]
 * Le Mundial, une opportunité pour la junte militaire argentine. 
L'opinion internationale, déjà sensibilisée au problème des violations des droits de l'Homme dans le sous-continent, dénonce les exactions des militaires. (2) Pourtant, à l'annonce du coup d'état, la FIFA ne bronche pas. Pire, elle paraît rassurée. Pour une institution aussi conservatrice (alors dirigée par le brésilien João Havelange), avoir comme interlocuteur un pouvoir fort signifie une compétition sans accrocs (manifestations, critiques...). Dans ces conditions, la junte considère l'organisation du Mundial - dont elle hérite - comme un atout formidable pour restaurer son image et légitimer le régime sur un plan international. Sur le plan intérieur, la dictature entend utiliser à son profit la ferveur suscitée par le football pour créer un consensus national autour du gouvernement dont les politiques économique et sociale font alors l'objet de contestations grandissantes (vague de grèves à l'automne 1977). 
Le comité d’organisation du Mundial, pris en main par les militaires, développe aussitôt une intense propagande à destination de l’opinion internationale et argentine. Pour arriver à ses fins, le régime passe un contrat de plus d'un1million de dollars avec la Burston-Marsteller, une agence de publicité américaine. (3) Le budget mis en place pour la compétition est astronomique. Contre un versement de 8 millions de dollars, Coca Cola devient le sponsor officiel de l'événement. Assurément, la coupe du monde argentine marque une nouvelle étape dans la professionnalisation et la  marchandisation du ballon rond.

* Boycotter...
Au même moment en Europe (Suède, Pays-Bas, RFA, Espagne), différents groupes s'organisent afin de contrecarrer la stratégie des militaires en se plaçant à leur tour sur le terrain de la politisation du football.  
En France, par exemple, des militants en faveur des droits de l'homme en Argentine se rassemblent dès 1975 (avant même le putsch) au sein du Comité de Soutiens aux Luttes du Peuple Argentin pour réclamer le boycott du Mundial. Le 19 octobre 1977, Marek Halter lance un appel dans ce sens dans Le Monde. C'est au nom de sa cousine Anna-Maria Isola, exécutée par la junte, qu'il prend la plume: "En 1936, nos parents n’ont pu empêcher les sportifs de se rendre aux Jeux Olympiques de Berlin et de faire le salut nazi devant un Hitler ébahi. Deux ans après, ils assistaient impuissants à la nuit de Cristal. Lançons ensemble un appel à tous les sportifs et leurs supporters qui doivent se rendre en Argentine. « Refusez de cautionner par votre présence le régime aussi longtemps qu’il n’aura pas libéré les prisonniers politiques et arrêté les massacres »" clame l'écrivain. Le 17 décembre 1977, un Comité pour le boycott de l’organisation par l’Argentine de la Coupe du Monde de football (COBA) voit le jour.
Pour faire entendre sa voix, le COBA  utilise différents moyens d'actions tels que la diffusion et distribution de tracts lors des matchs de football, l'organisation de conférences de presse, de réunions publiques, de manifestations, la création de comités (lycéens, étudiants) en province, la réalisation d'un journal.
Le 23 mai 1978, à la veille du départ des Bleus pour l'Argentine, des partisans du boycott vont jusqu’à tenter de kidnapper Michel Hidalgo, le sélectionneur des Bleus. Le Comité se désolidarise aussitôt de cette action. Si l'épisode relève de la mascarade, il permet en tout cas de médiatiser la cause. 


Affiche éditée par le COBA.
Le Comité compte dans ses rangs des membres de la revue de critique du sport Quel corps?, animée entre autre par Jean-Marie Brohm. Son slogan: "on ne joue pas au football à côté des centres de torture". Pour ses membres, le sport est considéré comme le nouvel opium du peuple, tandis que le spectacle sportif réduit le champ de la conscience sociale et abrutit les masses.
On y trouve également des enseignants d'éducation physique proches du courant "Ecole émancipée" de la Fédération de l’Éducation Nationale ou du SGEN-CFDT, hostiles à la "sportivation de l'éducation physique scolaire". [cf: Jean-Gabriel Contamin, Olivier Le Noé]


De proche en proche l'idée du boycott séduit de plus en plus de monde: intellectuels et artistes (Sartre, Aragon, J.F. Revel, Jean-Marie Domenach, Simone Signoret), réfugiés politiques latino-américains, membres d'organisations humanitaires, syndicalistes, militants d'extrême-gauche. Le succès du mouvement est incontestable. Au total, l'appel au boycott rassemble près de 150 000 signatures dont celles d'Aragon, Roland Barthes, Bertrand Tavernier, Jean Lacouture, Marguerite Duras ou Yves Montand... Les n°3 et 4 de L'Epique, journal du COBA, se vendent à plus de 120 000 exemplaires! Le 31 mai 1978, 8000 personnes manifestent en faveur du boycott à Paris. 

* ... ou participer?
Les arguments de leurs adversaires, tenants de la participation de l'équipe de France de football à la compétition, puisent à différents registres. Certains dénoncent la politisation des valeurs sportives induite par le boycott. S'abritant derrière l'apolitisme du sport, la fédération française de football, les joueurs, quelques journalistes sportifs et la plupart des supporters refusent de se voir priver de compétition (la dernière participation française à la phase finale remonte à 1966) et se rendent en Argentine sans barguigner. Au nom de ce même argument, le RPR, le FN et le Parti républicain prônent une participation sans condition du onze tricolore. 

D'autres, soucieux de dénoncer les violences du régime argentin, rejettent le mode d'action retenu, préférant d'autres types d'intervention politique. Le PS et le PC militent pour une participation "sous condition" (libération des prisonniers politiques argentins), estimant préférable de se rendre à Buenos Aires pour témoigner des exactions commises par la dictature et pour "manifester sa solidarité avec le peuple argentin". (4) Dans un même registre, les organisations syndicales entendent plutôt se servir de la compétition comme d'une caisse de résonance pour dénoncer les exactions de la junte militaire.
Au bout du compte et dans leur ensemble, les partis politiques optent donc pour le maintien de l'évènement. 
 D'autres éléments, moins avouables expliquent sans doute ce choix. A quelques mois des élections législatives, il s'agit aussi d'éviter de se mettre à dos les Français qui souhaitent voir les "bleus" participer (majoritaires selon plusieurs sondages).
Des considérations économiques - sonnantes et trébuchantes - expliquent aussi la position des autorités françaises. Le refus de participer au mondial impliquait en effet une dénonciation du régime et donc la renonciation aux accords économiques passés (prêts bancaires, vente d'armes...).

* "la folie du ballon a pratiquement tout submergé."
Au bout du compte, l’absence de relais dans le monde politique et sportif expliquent l'échec du boycott. Partout dans le monde, les campagnes de boycott échouent et toutes les équipes qualifiées pour le Mundial se rendent finalement en Argentine. Dans L’équipe, Christian Montaignac conclut, lapidaire: "Le football [...] par un phénomène sociologique exceptionnel, est parvenu à unir. [...] Il n’est guère que les intellectuels, dont le rayonnement et l’influence, ici, sont réduits, pour avoir réussi à se diviser."
 Chez les footballeurs, seules quelques personnalités isolées s’interrogèrent sur l’attitude à adopter. (5) Ce fut le cas de Dominique Rocheteau qui tenta en vain de convaincre ses coéquipiers d'arborer un brassard noir pendant les rencontres. Finalement, sous la pression de l'événement et de la logique sportive, les quelques joueurs "concernés" abandonnèrent leurs velléités d'actions. La compétition approchant rendit de plus en plus inaudible toute voix dissonante. "Dès le 1er juin, la folie du ballon a pratiquement tout submergé" note le COBA après coup. [Libération, 5 juillet 1978]  

Victoire de l'Argentine en finale. (wikimedia)
En Argentine, la fièvre nationaliste emporte la population. Partout, le drapeau céleste et blanc flotte, triomphant.
Une extraordinaire ferveur gagne le public lorsque l'équipe nationale entre sur le terrain. Les supporters envoient sur la pelouse des milliers de petits papiers (papelitos).  
Les soirs de matchs, la population argentine unanime célèbre les victoires de la sélection au cours de fêtes grandioses. Cette ambiance a pourtant tout du trompe l’œil... Si les gens sont heureux c'est avant tout car il s'agit des seules soirées au cours desquelles le régime lâche la bride, où l'on peut s'amuser, danser, sortir dans la rue sans être surveillé comme à l'accoutumée.
L'omniprésence policière, le régime d'accréditation de la FIFA font peser une lourde pression sur les épaules des journalistes étrangers qui se sentent surveillés. De même les joueurs qui affrontent l'équipe d'Argentine subissent une énorme pression du public. Au cours d'un entretien accordé à France culture en 2014, Dominique Rocheteau se souvient: "J'ai le sentiment que tout a été fait pour que l'Argentine gagne. Il fallait que l'Argentine gagne, ça c'est sûr!"
Le déroulement de la compétition est émaillé de plusieurs "dysfonctionnements. Alors que les places pour les demi-finales se jouent lors d'un mini championnat, le pays hôte semble mal engagé. Il doit remporter son dernier match par au moins quatre buts d'écart pour se qualifier. Or, l'Argentine l'emporte opportunément 6-1 contre le Pérou. Ce score digne d'un match de tennis laisse deviner des tractations financières en sous-main. Lima aurait accepter de "perdre" en échange de 35 000 tonnes de céréales, d'une annulation de la dette, d'une livraison d'armes et de l'accueil de 13 opposants politiques. En finale, les Blancs et Ciel battent les Pays-Bas, privés de leur superstar Johan Cruyff. La rencontre se déroule dans une ambiance délétère devant un public très hostile et chauffé à blanc. Après prolongations et grâce à un arbitrage complaisant, l'Argentine l'emporte 3 à 1.
 
* Un échec relatif:
A l'issue de la compétition, le COBA constate, amer:" Qu'est-ce que les joueurs et les dirigeants de la délégation française ont pu obtenir en Argentine? Une liste de prisonniers ou disparus, déjà connue, est fournie par l'ambassadeur de France à Buenos-Aires. Rien [...]. Qu'ont vu les visiteurs étrangers, de quoi ont-ils pu témoigner, sur quoi l'information du Mundial a-t-elle porté? [...] L'information s'est concentrée sur la perfection technique de l'organisation et le confort de l'accueil".  
En effet, le régime militaire peut célébrer son triomphe. Videla exulte et fait jouer à fond la fibre nationaliste afin d’occulter les violences: "Ce qui est important au premier chef pour nous, (...) c'est d'avoir pu accueillir un si grand nombre de gens du monde entier, venus visiter notre pays et assister au triomphe du football. Mais, ce que l'Argentine aura gagné par dessus tout, c'est d'avoir pu montrer à la face du monde que nous sommes un pays organisé, uni, qui a un destin sûr (...)."
Le Mundial s'est déroulé sans incidents.
Pourtant à y regarder de plus près, la compétition sportive ne paraît avoir offert qu'un moment de distraction éphémère aux Argentins, sans renforcer véritablement le régime.  
De même si sur la scène internationale le pays semble avoir gagné en respectabilité, l’appel du COBA n'a pas été vain. (6) Les critiques formulées à l'encontre de la dictature ont été relayées par les médias en France et à l'étranger, mettant en lumière la répression épouvantable des opposants au régime.

[Wikimedia Commons]
Finalement quels souvenirs garder de cette coupe du monde de football 1978? Son hymne? Au pays du tango, on pouvait l'espérer... d'autant que le compositeur finalement retenu était Ennio Morricone. A défaut d'être Argentin, il avait au moins du talent. Or, contre toute attente - sauf à suspecter des motivations avant tout alimentaires - le musicien proposa une "marche officielle" tout à fait indigne de son talent, achevant de rendre ce Mundial nul et non avenu. Décidément tout avait été fait pour étouffer les cris des opposants politiques dont les tortures se poursuivirent pendant la compétition, à 800 mètres seulement du stade de River Plate, au sein de l'école mécanique de la Marine! Sur les 5000 suppliciés qui y seraient passés, seuls 200 auraient survécu. Pieds et poings liés, les prisonniers y attendaient les séances de tortures dans un vaste dortoir appelé la Capucha (la "cagoule"). Parfois les suppliciés étaient extraits de leurs geôles pour être jetés dans l'estuaire du rio de la Plata depuis des hélicoptères (les sinistres "vols de la mort"). C'était aussi ça l'Argentine de 1978!

Notes: 
1. Dans les mois qui précèdent le Mundial, on apprend par exemple la disparition de membres du mouvement des "mères de la place de Mai" et de deux religieuses françaises des missions étrangères (Alice Domon et Renée Duquet). 
2. Pour échapper aux tortures et aux enlèvements, des milliers d’exilés chiliens se réfugient en Europe aux lendemains du 11 septembre 1973. Deux ans plus tard, l’Assemblée générale de l’ONU reconnaît d'ailleurs l’existence d’une torture institutionnalisée dans le Chili de Pinochet.
3. Il s'agit dès de faire taire tous les opposants exilés tout en incitant les journalistes étrangers venus en amont du Mundial  à ne s’intéresser qu’aux événements sportifs.
4. Les communistes redoutent également le boycott des jeux olympiques que Moscou doit accueillir en 1980. Aussi préfèrent-ils mettre en sourdine leurs critiques.
5. Les footballeurs suédois décidèrent de rencontrer collectivement les "folles de la place de mai", ces mères d'enfants disparus qui se rassemblaient chaque jeudi en guise de protestation. 
Les Néerlandais refusèrent quant à eux d'aller chercher la médaille du finaliste et de participer au banquet de clôture.
6. Le mot d'ordre du boycott sera reconduit à l'approche des Jeux Olympiques de Moscou en 1980, certains se proposant même d'organiser des "Jeux de la répression et de la dissidence" sur le plateau du Larzac.

Sources:
- Olivier Compagnon: "Un boycott avorté: le Mundial argentin de 1978", in "68, une histoire collective", La découverte, 2008.
- "A l'ombre des stades argentins. La coupe du monde du dictateur Videla". (Affaires sensibles avec l'historien Paul Dietschy).
- Jean-Gabriel Contamin, Olivier Le Noé: "La coupe est pleine Videla, le Mundial 1978 entre politisation et dépolitisation", Le Mouvement social 2010/1 (n° 230), p27-46.
- Xavier Breuil: "Les mouvements de boycott du mondial 1978"

Liens:
- En 1982, quatre ans seulement après le Mundial, la guerre des Malouines entraîne la chute de la junte militaire. Nous en avons parlé ici.