Lors de la campagne présidentielle François Fillon a été
comparé à plusieurs reprises à M. Thatcher. Depuis son entrée en fonction, c’est
au tour d’E. Macron. L’attitude de chef de l’état face aux mouvements sociaux, leur
grandissante criminalisation, pousse la presse à mobiliser ce registre
comparatif. Mais que désigne précisément ce terme de
« criminalisation » ? Tout d’abord, un usage récurrent,
disproportionné voire inapproprié de la violence par les forces de l’ordre contre
de simples citoyens, ou de militant.es (syndicalistes, manifestant.es, jeunes) qui
a parfois des conséquences dramatiques (morts, mutilations, traumatismes). Une mise
au pas de la justice, ensuite, à des fins d’exemplarité et de dissuasion
(multiplications des comparutions immédiates, peines requises disproportionnées, impunité policière
systématique, procédures malmenées y compris quand il s’agit de mineurs,comme
on l’a vu récemment avec les gardé.es à vue du lycée Arago). Ces écarts
problématiques et réitérés sont relayés par des discours médiatiques assez univoques
et légitimants dont quelques animateurs et éditocrates se sont fait la
spécialité (ce que le journaliste S. Gontier chronique régulièrement pour Télérama, dans Ma vie au poste ; on consultera, par exemple, ce billet sur la
zadisation
des esprits). Ces personnalités médiatiques, procèdent
à l’inversion des responsabilités autour des actes de violence commis (on l’a
vu, par exemple, lors de l’arrachage de chemise d’un responsable d’Air France),
et distillent volontiers la peur dans le débat public (comme ici à propos de la
dernière
mobilisation à la SNCF).
Quelles sont les origines de ce schéma
auquel nous nous accoutumons peu à peu ? La question mérite d’être posée. Bien
évidemment, ce de modes opératoires est antérieur à l’arrivée d’Emmanuel Macron
à l’Elysée. Dans un contexte d’état d’urgence, il a pris une ampleur inédite. Lors
des lois travail, des mobilisations étudiantes et lycéennes, ou des actions de
soutien aux réfugié.es sanctionnées par le troublant oxymore de « délit de
solidarité », il a gagné en lisibilité.
Le parallèle
Macron/Thatcher est mobilisé en raison de l’attitude inflexible des deux
dirigeants face aux contestations, posture qui entretient une logique
d’escalade. Cette raideur M. Thatcher l’a inscrite dans ses mandatures en différentes
occasions (Malouines, grève de la faim et de l’hygiène des prisonniers de
l’IRA). Mais pour ce qui est des mobilisations sociales c’est à la faveur de la
grande grève des mineurs britanniques de 1984-1985, qu’elle l’a
particulièrement bien exprimée. Il n’est pas impossible que cet épisode constitue
une sorte de matrice du traitement criminalisé des mouvements sociaux. La
distinction avec l’antérieur se niche dans le contexte qui l’entoure : celui
de l’ascension néolibéralisme. Emmannuel Macron, bien relayé dans cette tache
par une large partie des médias, ne fait qu’adapter, le modèle, à son époque.
La musique trouve parfois dans les mobilisations sociales,
populaires ou ouvrières une puissante source d’inspiration. Celles des mineurs ne
font pas exception. Ainsi en 2011,
Billy Bragg, chanteur militant britannique reprend le Which side are you on ? composé en 1931 pour soutenir ceux du
Kentucky. Bragg est un habitué du registre, d’autres s’y frottent plus rarement.
C’est le cas d’un des groupes majeurs de la riche scène musicale de
Sheffield dont les Arctic Monkeys sont aujourd’hui les têtes de gondole. Moins
puissante que celle de Londres, moins postcoloniale que celle de Bristol, moins
connue que celles de Liverpool et Manchester, la scène de Sheffield en est proche car elle
s’inscrit dans une géographie de la désindustrialisation. Joe Cocker ou Deff
Leppard en furent les prestigieux ainés, ils ont porté sa renommée à
l’international ; la ville a ensuite alimenté une rutilante scène pop friande
de synthés au cours des années 80 avec des groupes comme Human League,
Cabaret Voltaire ou Heaven 17. Sheffield dispose également d’une scène électro qui
est loin d’être confidentielle, avec son label local Warp Records, né à la fin
de cette décennie (LFO, Aphex Twin). Enfin, la capitale métallurgique du South
Yorkshire abrite, outre Alex Turner auquel on ne peut ôter cette qualité,
quelques songwriters de talent dont le trop méconnu Richard Hawley, et le fantasque
leader-chanteur-songwriter du groupe Pulp, Jarvis Cocker. C’est à cette
formation que l’on doit le titre dont il est question ici. Il parle de la grève
des mineurs de 1984-1985, mais, comme toujours avec Pulp, sous un angle décalé.
Kids are spitting on
the town hall steps and frightening old ladies
Les gosses crachent sur
les marches de la mairie et effraient les vieilles dames
I dreamt that I was living back in the mid 1980s
I dreamt that I was living back in the mid 1980s
J’ai révé que je vivais
à nouveau au milieu des années 80
People marching, people shouting, people wearing pastel leather
People marching, people shouting, people wearing pastel leather
Des gens qui manisfestent, des gens
qui crient, habillés de cuir pastel
The future's ours for the taking now
The future's ours for the taking now
L’avenir nous
appartient, le futur est à nous
if we just stick together
if we just stick together
Si on reste solidaires
And I said: "Hey, lay your burden down
Et j’ai dit : « Hey,
pose ton fardeau à terre
seems
the last day of the miners' strike was the Magna Carta in this part of
town"
le dernier jour de la grève des mineurs, ce fut comme la Grande
Charte dans cette partie de la ville »
Well, my body sank below the ground
mon corps s’est enfoncé sous terre
it became as black as night
it became as black as night
Il est devenu noir comme la
nuit
overhead the sound of horses' hooves
overhead the sound of horses' hooves
Au dessus de ma tête le son
des sabots des chevaux
people fighting for their lives
people fighting for their lives
Des gens qui se battent pour
leurs vies
Some joker in a headband was still getting chicks for free
Some joker in a headband was still getting chicks for free
Un mec avec un bandeau
obtenait encore des filles pour
rien (il s’agit d’une allusion à M. Knopfler de Dire Straits dont le
titre Money for nothing est un tube de l’année 1984)
And Big Brother was still watching you
And Big Brother was still watching you
Et Big Brother était toujours entrain de te
surveiller
back in the days of '83
Retour en 1983
And I said: "Hey, lay your burden down
Et j’ai dit :
« Hey, pose ton fardeau à terre
seems the last day of the miners' strike was the Magna Carta in
this part of town"
le dernier jour de la grève des mineurs, ce fut comme la Grande
Charte dans cette partie de la ville »
Well by 1985, I was as cold a cold could be
En 1985, j’étais aussi
refroidi qu’on peut l’être
but no-one was underground to dig me out and set me free
but no-one was underground to dig me out and set me free
mais il n’y avait personne
sous terre pour m’excaver et me libérer
'87 socialism gave way to socialising
'87 socialism gave way to socialising
En 87 le socialisme laissait
place à la sociabilité
so put your hands up in the air once more:
so put your hands up in the air once more:
alors lève les mains en l’air
encore une fois
the north is rising
le nord se soulève
And I said: "Hey, lay your burden down
Et j’ai dit :
« Hey, pose ton fardeau à terre
seems the last day of the miners' strike was the Magna Carta in
this part of town"
on dirait que le dernier jour de la grève des mineurs, est la Grande
Charte dans cette partie de la ville »
Oh, sing Hallelujah
Oh, chante Hallelujah
Oh, sing Hallelujah
Oh, sing Hallelujah
Oh chante Hallelujah
Don't let them fool you again
Don't let them fool you again
Ne les laisse pas t’avoir à
nouveau
Oh, sing Hallelujah
Oh, sing Hallelujah
Oh chante Hallelujah
By now I'm sick and tired of just living in this hole
Désormais je suis fatigué et fatigué de ne vivre que dans ce trou
so I took the ancient tablets
so I took the ancient tablets
Alors j’ai ressorti les
anciennes tables
blew off the dust
blew off the dust
Je les ai dépoussiérées
swallowed them whole
swallowed them whole
avalées entièrement
Oh come on, let's get together
Oh come on, let's get together
Allez, rassemblons nous
Oh come on, the past is gone
Oh come on, the past is gone
Allez le passé est le passé
Well, the very first commandment : Come on, come on, let's get it on
Well, the very first commandment : Come on, come on, let's get it on
Bien, le tout premier
commandement : allez, allez, on y va
Come
on, let's get it on
Allez, on y va
Get it
on!
On y va !
Oh, get it on
Oh, get it on
Oh, on y va
"Hey,
lay your burden down
Et j’ai dit :
« Hey, pose ton fardeau à terre
seems the last day of the miners' strike was the Magna Carta in
this part of town"
le dernier jour de la grève des mineurs, ce fut comme la Grande
Charte dans cette partie de la ville »
Last day of the
miner’s strike, tel est le titre du
morceau sur lequel Hawley joue d’ailleurs en guitariste additionnel. Il a été enregistré
au début des années 2000 pour intégrer la compilation Hits dont il constitue le seul inédit. L’album est une sélection
choisie dans la discographie d’un groupe dont la carrière est alors à son
crépuscule. Ses membres se séparent peu après, une dernière tournée fraichement
achevée. Last days of the miner’s strike
a une place assez marginale dans l’histoire de Pulp, au regard des tubes issus de
LP comme Different Class avec son incontournable
Common people. Si le songwriting de
Cocker verse souvent dans la chronique sociale, il suit plus volontiers des
trajectoires singulières dans un Angleterre post-industrielle que les grands
épisodes de l’histoire militante du pays.
Qualifiée de moment de basculement, la grève des mineurs du
milieu des années 80 constitue un pivot autour duquel s’articulent un avant
(celui d’une jeunesse rageuse et irrespectueuse au temps du post punk, crachant
devant les vieilles dames) et un après qui prend la forme d’une fête sans fin,
celle des raves, mains levées au ciel, corps oscillant au rythme de la house et
de la techno, dont on renforce l’effet à grand coup d’ecstasy. Cocker avoue son
désintérêt, à l’époque, pour les piquets de grève tandis que Russel Senior, guitariste
et violoniste du groupe, s’y rendait volontiers en soutien. Le titre se
présente sous la forme d’une réminiscence, s’émancipe du ton engagé ou de la
chanson hommage/témoignage, ce dont d’autres formations se sont chargées[1].
La grève des mineurs de
84-85 s’arrime à différentes temporalités historiques. Celle de l’âge du
charbon, au cœur du processus d’industrialisation qui couvre un long 19ème
siècle (1780-1914) dans une géographie plutôt septentrionale des Iles
Britanniques. Si l’on excepte les
gisements de Galles du Sud, cette dernière va de l’Ecosse (Glasgow), au Lancashire, au Sud Yorshire, et
au NottinghamShire. Les West Midlands en sont le point méridional. Elle succède
à d’autres grèves générales des mineurs du pays : celle de 1926, tout
d’abord, qui porte sur des revendications salariales et le temps de travail, au
moment où s’amorce un déclin de la production. En 1972, ensuite, la grève
générale des mineurs marque un tournant et constitue par bien ses aspects, une propédeutique
à celle qui nous intéresse. C’est alors que sont testés les flying pickets qui permettent lors de longues
mobilisations, de créer des points de fixation dans le temps et dans l’espace
susceptibles d’emporter l’avantage. A l’époque, c’est à Saltley (près de Birmingham, dans les
Midlands) que cette stratégie s’avère payante.
@Birmingham Mail |
L’Angleterre est alors en
plein marasme. La situation en Irlande du Nord est pour le moins tendue depuis
plusieurs années, l’inflation galopante attise les revendications salariales afin
de préserver le pouvoir d’achat. Plusieurs fermetures de puits sont annoncées.
La grève générale débute au pays de Galles pour s’étendre à d’autres régions.
Afin de peser sur le rapport de force, grévistes et organisations syndicales
bloquent, en différents endroits, les livraisons de charbon nécessaires à la
production d’électricité. C’est ainsi que le dépôt de houille de Saltley
devient un point de fixation du mouvement. Face à une police missionnée pour en
assurer l’ouverture, les 2000 picketters
présents sont rejoints, en février, par des ouvriers de Dunlop, de British
Leyland, de Drop Forge, de GEC ou encore par les salariées de SU carburattors. 10
000 à 15000 personnes convergent vers le dépôt comme le raconte un témoin :
The police closed the gates. Victory was
ours[2].
L’opération est un triple triomphe : les mineurs obtiennent 21 %
d’augmentation de salaire, le gouvernement Heath s’en retrouve extrêmement
fragilisé et la victoire assoit A. Scargill à la tête de la NUM[3].
L’homme fort de la centrale syndicale en tire à ce moment là une
conclusion : If working people
are united, they can achieve anything[4].
Pour expliquer ce qui se passe entre 1972 et 1984, M.
Montazami parle de sédimentation iconomnésique.
Entre 1926 et 1984, les grandes
luttes ont façonné une histoire des résistances sociales au cours de laquelle chaque
nouvelle mobilisation catalyse les aspirations
et volontés de batailles passées – une sédimentation iconomnésique – qu’elle
« rejoue » (remet en jeu) dans un mouvement présent[5]. La bataille
d’Orgreave, le 18 juin 1984, rappelle, par bien des aspects, celle de Saltley.
Pourtant, dans l’intervalle, plusieurs lois
ont été votées pour entraver les actions syndicales et les résistances sociales[6].
Pour autant, contexte politique est sensiblement différent. Les conservateurs,
en la personne de Margaret Thatcher, ancienne ministre de l’éducation du gouvernement
Heath, sont revenus aux affaires après un intermède travailliste. Grace à la
guerre des Malouines, la dame de Fer est en positon de force depuis 1982, dotée
d’une forte popularité. En revanche, le long déclin de l’exploitation
charbonnière britannique se poursuit. Il n’y a plus que 280 000 mineurs en 1973,
ils étaient 1,1 Million en 1913. Dans ce secteur stratégique nationalisé depuis
1947, la puissance et la centralité des grèves sont des obstacles aux réformes
radicales qu’entend mener M. Thatcher. Ainsi, elle ne peut qu’aller à
l’affrontement avec la NUM, pour en sortir victorieuse.
C’est l’annonce, début mars 1984 , par le gouvernement de
la suppression de quelques 100 000 emplois dans les mines qui met le feu aux
poudres.. Le pays compte alors quelques 3 millions de chômeurs. La grève touche
au printemps 84, les sites Ecossais et ceux du Yorkshire. Le 15 mars, les puits
du Pays de Galles sont à leur tour fermés. Le système des piquets volants
destiné à paralyser les livraisons de charbon est réactivé. Seul un tiers des
puits épargnés par les fermetures continuent d’alimenter le pays en charbon. La
Grande-Bretagne dispose toutefois d’importantes réserves ce qui constitue un
atout pour le gouvernement pour éviter l’asphyxie du pays. Le leader de la NUM choisit
le site d’Orgreave pour mener la bataille décisive. Le Socialist Worker reprend pour l’occasion le mot d’ordre de Scargill Turn Orgreave into Saltley. Le site, à l’est de Sheffield, alimente
en coke l’aciérie géante voisine de Scunthorpe. C’est là que le néolibéralisme,
puissance émergeante, affronte un monde ouvrier affaibli.
Le match n’est pas qu’un affrontement entre deux idéologies, il comprend aussi
un duel entre Scargill et Thatcher qui dispose d’un atout déterminant : la
police du Sud Yorkshire.
Ce 18 juin 1984, quelques 8000 mineurs venus de tous les sites du pays
(Ecosse, pays de Galles, nord-est de l’Angleterre et d’autres villes du Yorkshire)
se rejoignent au piquet de grève d’Orgreave à l’appel de la NUM. La police déjà présente sur place les
escorte vers la cockerie. Sur place, ils découvrent d’autres forces déployées en
amont. Le piège se referme. Après 4 heures de face à face tendu, chaque groupe
sur ses positions, la bataille se déchaine. Les pierres, briques et bouteilles
volent d’un côté, la police montée, les chiens et les gourdins s’abattent de
l’autre. Le soir les images de la bataille rangée envahissent la télévision. A
l’issue des 10 heures de confrontation, 95 mineurs sont arrêtes, il y a 79
blessés, (51 pour les picketters,
dont Scargill, 28 parmi les forces de l’ordre), aucun policier n’est inquiété.
Le piquet de grève est levé. Les mineurs ont perdu une bataille, et ils
s’apprêtent à perdre la guerre. Elle sera d’usure puisqu’elle s’étire jusqu’en
mars 1985 date à laquelle la reprise du travail est actée. 160 000
d’entre eux ont participé à la grève. La défaite est cinglante car elle se
double d’impressionnants prolongements policiers et judiciaires : 11 312 arrestations,
5653 poursuites en justice, près de 200 emprisonnements. C’est un conflit du
travail dont l’ampleur, la force symbolique et les pics d’intensité sont
inédits ; le « King Coal » perd les derniers joyaux de sa
couronne : 140 puits sont fermés, 100 000 mineurs licenciés dans les 7
années qui suivent Orgreave.
Et après ? Comme le suggère le titre de Pulp rien ne
fut plus jamais comme avant. En effet, l’estocade est vite donnée. En 1992, le plan Helsetine ferme 31 des 50 puits restant,
laissant sur le carreau, c’est le cas de le dire, 31 000 emplois. T. Labica
explique que cet effacement se traduit par une assez brusque invisibilité
médiatique. Alors que les labour
correspondents étaient auparavant des figures puissantes de la presse
écrite, chargés notamment de chroniquer les mobilisations et de tisser pour ce
faire des liens avec les centrales syndicales, ces figures du journalisme ont
quasi entièrement avec l’Angleterre industrielle, ouvrière et syndiquée. Les
lieux ont également été transformés si bien que les mémoires s’en trouvent
affectées et que le fameux processus iconomnésique en est affecté. En 2008,
Orgreave est devenu une pépinière d’entreprises High-tech avec des prolongements
immobiliers le Warweley Housing.
Les souvenirs de ce monde englouti trouvent
pourtant des chemins où se faufiler pour que les mémoires des luttes se transmettent
aux générations actuelles. Le cinéma, à l’instar de la pop musique, participe à
ce projet. Il y a un bien étrange paradoxe à voir le succès remporté par ces
fictions cinématographiques qui évoquent sous des différents angles l’histoire
de l’Angleterre industrielle. Le nom de Ken Loach vient immédiatement à
l’esprit puisqu’il a réalisé un documentaire sur la grande grève de 1984-1985
intitulé Which Side Are You on ?
La centralité de la question des luttes sociales dans son œuvre documente
amplement le sujet. Mais pour ce qui est des succès populaires, de ceux qui
brisent le plafond de verre façonné par les blockbusters américains, on pense davantage à The Full Monthy pour la comédie, ou à Brassed Off pour le drame lacrymal (dans les deux, la musique ou
les pratiques musicales populaires jouent un grnad rôle). Plus récemment, le
succès de Pride a permis de braquer
les projecteurs sur l’intersectionnalité des luttes sociales lors de la grève
des mineurs de 1984 (mineurs, femmes, LGBT). Enfin, comment ne pas évoquer la littérature ? Un des maitres
du polar britannique David Peace s’est lui aussi penché sur la question dans le
volume GB84.
Pour
autant, les productions culturelles ne sont pas les seules à façonner la postérité
de la bataille d’Orgreave et, plus encore, de la grève de 84-85. Plusieurs
éléments sont venus rouvrir un dossier que l’on croyait clos, et on extirpé ce
moment de la terrible condescendance de l’histoire écrite par les vainqueurs. Il est possible finalement que la
bataille d’Orgerave soit pas uniquement condamnée à la muséification ou à la
folklorisation.
D’une part, la
déclassification des archives de M. Thatcher a rendu possible l’établissement
d’un nouveau regard sur la période. D’autre part, le drame survenu sur le terrain de foot de Sheffield,
Hillsborough, le 15 avril 1989, a ouvert de nouveaux horizons. Le stade fut le
théâtre d’une meurtrière tragédie lors d’un match qui opposait Liverpool et
Nottingham Forrest. Ce jour là, les supporters du LFC peinent à accéder à leur
tribune. Tous ne sont pas encore entrés quand le coup d’envoi est donné.
Saturée, la tribune continue pourtant à accueillir du monde jusqu’à ce qu’une
bousculade se déclenche provoquant la mort de 96 personnes (la plus jeune âgée
de 10 ans, la plus vieille de 67 ans, la dernière décédée en 1993 après 4 ans de coma).
Une ignominieuse du Sun, sur Hillsborough, le 19 avril 1989 @arretsurimages |
La presse se déchaine immédiatement[7]
sur les hooligans avinés, assimilant bon nombre des victimes à peine décédées,
à des brutes épaisses, ensauvagées. L’examen des faits conclut d’abord à des
« morts accidentelles ». Les familles triplement accablées (par la
perte d’un proche, par l’image dégradée qui en est donnée publiquement,
notamment par de faux témoignages et par l’impossibilité de rendre audible un
contre discours) se constituent en comité. Après 28 années de lutte inlassable,
à l’issue de deux rapports publics (le premier concerne l’interdiction des
tribunes debout), la responsabilité de la police ne fait plus guère de doute.
En retardant sciemment l’arrivée des secours, sa négligence la rend
responsable, outre les sales bidouillages de falsification de faits, de la mort
des 96 personnes auxquelles s’ajoutent 766 blessés. La justice est saisie. En
juin 2017, le chef de la police, D. Duckenfield, est inculpé pour
« homicide involontaire pour grave négligence », mais aussi, comme
son collègue l’inspecteur N. Bettison pour avoir menti sur la culpabilité des
supporters tandis que deux autres policiers sont accusés d’avoir entravé
le travail de la justice.
Sur ce modèle s’est
constitué en 2012, la Orgreave for truth
and justice campaign après que le témoignage d’un policier indiquant avoir
falsifié des comptes rendus ait été diffusé sur la BBC. Chaque année le 18
juin, leur action pour la justice est réactivée sur le site avec un
« rally ». L’anniversaire des 30 ans, a encore ajouté de l’intérêt
pour la démarche initiée. Le parti travailliste a dors et déjà promis de rouvrir
une enquête au cas où il reviendrait aux affaires. Toutefois, ce sont les Tories
qui y sont. Si dans un premier temps, Theresa May, comme ministre de
l’intérieur[8]
puis comme premier ministre ne semblait pas hostile à l’ouverture d’une
enquête, ses ardeurs se sont refroidies, et sa propre ministre de l’intérieure
Amber Rudd, l’a fait savoir aux activistes. Cette dernière vient d’être
contrainte à la démission suite au scandale Windrush, et dors et déjà la OTJC a
repris les pourparlers avec son successeur Sajid Javid. Si l’on osait un mauvais
jeu de mot, on dirait que c’est un last coal
for justice …
Bibliographie indicative :
Ouvrages
Mathilde
Bertrand, Cornelius Crowley, Thierry Labica [coord], Ici notre défaite a commencé : la grève
des mineurs britanniques 1984-1985, Paris, Syllepse, 2016, 214p. (Vu des dominés)
Gouffiès, Pierre-François, Margaret Thatcher
face aux mineurs : 1972-1985, treize années qui ont changé l'Angleterre, Toulouse, Privat, 2007, 363p. vu des dominants (donc idéologiquement neutre comme le précise son auteur)
Revues
Retour sur la grande grève des mineurs britanniques, Un dossier de la revue Contretemps
n°25, 1er trimestre 2015, https://www.contretemps.eu/le-numero-25-de-la-revue-contretemps-est-paru/
Morad Montazami, « L’événement historique et son double. Jeremy
Deller, The battle of Orgreave », Images
Re-vues [En ligne],
5 | 2008, mis en ligne le 20 avril 2011, consulté le 08 juillet 2018.
URL : http://journals.openedition.org/imagesrevues/334
Presse
Dans The
Guardian :
Via ce lien mois par mois, les archives
sur le dossier Orgreave
Avec un article récapitulatif ici
Le journal britannique dispose également d’un
épais dossier sur Hillsborough, et ses suites judiciaires, bien récapitulé ici
Enfin le site de Orgreave
Truth and Justice campaign
[1] En 1987, The Watersons
interprete Coal Not Dole (du charbon
pas des allocations, selon le slogan des mineurs mobilisés), titre qui sera
aussi popularisé par le groupe Chumbawamba qui l’insère dans la compilation English Rebel Songs 1931-1988 qui sort
en LP en 1988 justement.
[2] La police ferma les portes,
nous avions gagné.
[3] Puissant syndicat des
mineurs National Union of Mineworkers
[4] Quand les travailleurs sont
unis, ils peuvent tout réussir.
[5] Morad Montazami,
« L’événement historique et son double. Jeremy Deller, The battle of Orgreave », Images Re-vues [En ligne], 5 | 2008, mis en ligne le 20
avril 2011, consulté le 08 juillet 2018. URL :
http://journals.openedition.org/imagesrevues/334
[6] Notamment pour interdire
les grèves de solidarité
[7] Les Unes du Sun en particulier conduisent à des
appels au boycott de la part de la population de Liverpool et des supporters du
LFC qui font campagne sur le mot d’ordre don’t
buy the Sun
[8] Home Office Secretary, le
poste n’existe pas sous ce nom en France.
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