vendredi 31 mai 2024

Quand les mods, sapés comme jamais, donnaient un coup de fouet à la pop anglaise.

Angleterre, début des sixties, la jeunesse britannique cherche à s'émanciper de la pesante tutelle parentale, arborant de nouvelles tenues vestimentaires, se déplaçant sur des scooters customisés et carburant aux amphétamines. Ils se délectent des musiques noires américaines, avant, pour certains d'entre eux, de former leurs propres groupesCe sont les mods, dont Peter Meaden, manager des Who, définit l'état d'esprit comme "un mode de vie propre dans des circonstances difficiles." (source C p 1721) 


A la fin des années 1950, à une époque où le Royaume-Uni a définitivement tourné le dos aux années de disette de l'après-guerre, quelques jeunes anglais s'encanaillent dans les caves enfumées. Ils ne jurent que par le modern jazz. Ces "modernistes" (d'où l'on tirera l'abréviation "mods") se veulent élitistes, un brin snobs. Ils soignent leur apparence, cherchant à être aussi élégants que leurs modèles: Miles Davis ou Chet Baker. Il faut alors avoir de l'allure et être cool. Les premiers mods en tant que tels, apparaissent quelques années plus tard, dans les quartiers de l'Est londonien. Ces rejetons de la classe ouvrière vouent un culte aux musiques afro-américaines. Chez eux, le modern jazz est supplanté par le rythm and blues, la soul ou le bluebeat jamaïcain, des musiques au rythme binaire, propices à la danse. Un exemple avec le "Bar tender blues"de Laurel Aitken.

L'entrée dans l'air de la consommation transforme le monde de la musique avec l'essor des 45 et 33 tours. Les teenagers disposent alors d'un petit pécule qui leur permet d'acquérir disques et instruments.  

The Who en 1965. KRLA Beat/Beat Publications, Inc., Public domain, via Wikimedia Commons
 

Ces jeunes prolos attachent la plus grande attention à leur mise, écumant les boutiques de Carnaby Street pour y dégoter costumes italiens, chemises Ben Sherman, polos Fred Perry, cravates fines, jeans Levi's, desert boots effilées. Pour ne pas abimer leur tenue, ils se glissent dans des parkas militaires enveloppantes. Le tout est d'adopter une posture désinvolte, cool, de se démarquer, en refusant toute forme d'assignation sociale et surtout être vu, admiré. Leurs habits, élégants et chers, masquent leurs origines ouvrières, mais permettent de se façonner un style.  Sur le sujet, le morceau le plus marquant reste "Dedicated follower of fashion" des Kinks, satire douce amère de la folie consumériste des victimes de la mode. " On le cherche ici, on le cherche là / Ses tenues sont voyantes, mais jamais classiques / Comme sa vie en dépend, il achète ce qu'il y a de mieux / Car c'est un suiveur de mode dévoué / Et quand il fait ses petits tours / Dans les boutiques de Londres / Il poursuit avidement les dernières modes et tendances / Car c'est un suiveur de mode dévoué"

 

The face est celui qui donne le ton, le mod le plus en vue que l'on admire, qui sait dégoter les bons habits et précéder les tendances de la mode. Les détracteurs homophobes des mods raillent l'intérêt porté par les garçons mods aux fringues. Peter Meaden, le manager des Who écrit une chanson sur la mode intitulée "Zoot suit". «Je suis le mec le plus branché en ville. Et je vais te dire pourquoi. / Je suis le mieux sapé, y'a qu'à voir ma cravate effilée / Et pour vous affranchir, je vais vous expliquer / Les quelques petites règles que doit respecter le mec le plus classe.» 

Le style de vie mod est aussi un moyen de dépasser le système de classes. Profitant d'une période de plein emploi, et afin de gagner l'argent nécessaire à leur dispendieux mode de vie, les mods s'emploient dans les métiers de services qui se développent alors, comme employés de bureaux ou de banques. Le week-end, juchés sur leurs scooters chromés, Vespa ou Lambretta, largement customisés, les jeunes dandys sillonnent la ville. Le soir venu, ils se rendent dans les coffee bars et les clubs tels que le Flamingo et la Discotheque à Soho, le GoldHawk Club, The Scene à Ham Yard, le Twisted Wheel à Manchester. On n'y sert pas d'alcool aux mineurs. Peu importe, pour tenir jusqu'au bout de la nuit, les mods carburent aux amphétamines : Purple Hearts, French Blues et autres Black Bombers. "Here come the nice" des Small Faces, véritable hymne au speed, témoigne de la consommation effrénée de produits stupéfiants.

Small Faces en 1965. Press Records, Public domain, via Wikimedia Commons

Les mods vouent une sainte haine aux rockers et aux Teds. Ces derniers cultivent une attitude rebelle. Coiffés d'une banane, portant le blouson noir à la manière de leur idole Gene Vincent, ils se déplacent en bandes sur de grosses motos. Mods et rockers s'affrontent dans le cadre de batailles rangées comme à Brighton, le 18 mai 1964. L'opposition de styles entre les deux groupes est largement exagérée par le presse. (1) La médiatisation des mods fait que l'esprit originel du courant échappe rapidement à ses initiateurs, pour devenir l'étendard d'une grande partie de la jeunesse anglaise, quitte à en trahir l'identité initiale. Le mouvement se diffuse bientôt à tout le pays, attirant à Londres de nombreux jeunes provinciaux, forgeant au passage la légende du swinging London (2) et inspirant aux Kinks "Dandy", satire douce amère d'une jeunesse frivole.

Dans le sillage des Beatles, des dizaines de groupes apparaissent. Cette explosion juvénile donne à la musique populaire un regain de vitalité. Les formations se réclament alors moins du rock'n'roll que du rythm and blues. Les premiers mods ne s'intéressent d'ailleurs d'abord pas aux groupes anglais, incapables de produire, selon eux, autre chose que des reprises molles de la Motown, et incapables d'approcher le son brut d'un Junior Walker (exemple avec "roadrunner"). Certains Britanniques, tels que Georgie Fame and the Blue Flames, tentent de relever le gant. Dans son antre du Flamingo, l'organiste, encouragé par son public jamaïcain, intègre à ses sets les dernières sorties de ska diffusées en Angleterre par le label Blue Beat ("Yeh yeh").

Les mods préfèrent aller à la source, en dénichant les vinyles les plus rares (qu'ils désignent grâce aux numéros de matrice et non au titre). Néanmoins, c'est dans le sillage des mods que des groupes britanniques au son sale et électrique, influencés par les musiques afro-américaines, se constituent, contribuant à damer le pion à la domination américaine. Exemple avec le Spencer Davis Group. La voix puissante de Steve Winwood, associée au son abrasif de l'orgue Hammond, permettent d'obtenir des succès marquants, très influencés par les musiques jamaïcaines. Exemple avec "Keep on running"


Le phénomène mod témoigne de l'affirmation des teenagers, qui forment bientôt un marché prometteur. Des émissions de télé comme Ready, Steady, Go! à partir de 1963 répondent aux attentes d'une jeunesse en quête de nouveaux sons et de nouvelles danses. Le vendredi soir, les groupes à la mode viennent y jouer en direct devant un parterre d'adolescents déchaînés, tandis que la présentatrice Cathy McGowan ajoute une pointe d'enthousiasme bienvenue. La chanson du générique est un tube du moment et change donc environ tous les six mois. Un des plus fameux est le titre "Anyway, anyhow, anywhere" des Who, parfait concentré d'insolence envoyé à la face des adultes. "Rien ne peut m'arrêter, pas même les portes fermées" chante Roger Daltrey. Jusqu'en 1967, les radios pirates (Radio Caroline ou Radio London), émettant depuis des bateaux qui mouillaient en dehors des eaux territoriales anglaises, participent à leur manière à la diffusion des musiques mods.

Les Who s'imposent comme LE groupe Mod phare. Initialement connus sous le nom de High Numbers, les musiciens sentent le soufre, notamment en raison de la sauvagerie de leurs prestations scéniques. Devant un mur d'amplis, agressifs, arrogants, teigneux, généralement sous speed, ils paraissent incontrôlables. Le déhanché, l'énergie et la puissance vocale de Roger Daltrey, qui use du fil de son micro comme d'un lasso, galvanisent le public. Tiré à quatre épingles, Pete Townshend n'a d'yeux que pour sa guitare, dont il joue en dessinant de grands moulinets avec sa main droite. Après ce rituel fort en riffs, à l'issue des concerts, il n'hésite pas à fracasser son instrument sur les enceintes. À la batterie, Keith Moon déploie une virtuosité rarement atteinte, multipliant breaks et roulements. Les teenagers s'identifient aux compositions de Townshend, dont les paroles témoignent du mal-être d'une jeunesse en colère, insistant sur les frustrations adolescentes et l'incompréhension entre les générations. "J'espère mourir avant de devenir vieux" ("Hope I die before I get old"), clame-t-il sur My generation. Au fil des ans, les albums des Who deviennent de plus en plus ambitieux, contribuant à populariser l'idée de concept album tournant autour d'un thème dramatique unique. C'est le cas de l'opéra rock Tommy qui paraît en 1969. L'histoire est à dormir debout, mais les compositions terrassent l'auditeur.



Dans le sillage des Who, les Small Faces s'imposent comme le groupe culte du circuit des clubs. La formation est fondée en 1964 par le chanteur Steve Mariott et le bassiste Ronni Lane, passionnés l'un et l'autre de musique soul. Le premier est un chanteur a la voix rauque et puissante. En 1967, alors que le mouvement mod a tendance à se désagréger sous l'influence de la musique psychédélique, les composition des Faces portent témoignage de ces expérimentations sonores. Les textes se font surréalistes, introspectifs, méditatifs ou simplement burlesques, comme sur "Itchycoo Park" ou "Lazy sunday afternoon", dans lequel Mariott pousse son accent cockney au maximum.

 

Si les Kinks (les "tordus") ne se réclament pas du courant mod, ils n'en partagent pas moins avec lui de nombreuses affinités, ne serait-ce que vestimentaires. Fondés en 1963 par deux frères, Ray et Dave Davies, les Kinks s'inscrivent d'abord dans la vague du rythm and blues britannique. En 1964, un riff de guitare légendaire, associé à une progression harmonique de plus en plus soutenue font de "You really got me" un véritable hymne. Ray Davies, compositeur surdoué, passe maître dans l'art de raconter les vies ordinaires, les petits plaisirs de l'existence, glissant toujours dans ses paroles une bonne dose d'autodérision.

Kinks en 1964. Publisher: The State Register-Journal newspaper, Public domain, via Wikimedia Commons
 

Parmi les secondes lames du courant, nous pouvons citer The Action, un groupe du nord de Londres, produit George Martin, le producteur des Beatles. Les musiciens proposent une relecture des tubes de la Motown à la sauce mod comme sur "I'll keep on holding on" des Marvelettes. Reg King, le chanteur, possède une superbe voix. En quelques mois, le groupe enregistre une série de 45 tours remarquables, comme le psychédélique Shadows and Reflections. La sous-culture mod s'exporte comme le prouve The Easybeats, un groupe de Sidney. En 1966, ils décrochent la timbale avec l'extraordinaire Friday on my mind. Sur Good Times, Steve Marriott des Small Faces vient prêter main forte aux Australiens. Citons enfin la pop excentrique de The Creation ("making time"). 


A partir de 1966, alors que le courant s'essouffle, les hard mods entendent revenir aux origines du mouvement. Adeptes des musiques noires, ils s'inspirent du style des rude boys jamaïcains, arborant lunettes noires et chapeau pork pie. (3) Néanmoins, le mouvement périclite. LSD et marijuana supplantent le speed, tandis que la vague psychédélique portée par les hippies contribue également au déclin du courant mod. Cette scène survit néanmoins plus longtemps dans le nord de l'Angleterre autour des clubs soul tels le Casino à Wigan ou le Torch à Stoke. En 1979, on assiste même à un revival mod dans le sillage de The Jam, dont le troisième album s'intitule d'ailleurs All the mod cons ("tout le confort moderne"). Paul Weller, chanteur et leader du groupe, parvient à faire une synthèse entre l'urgence punk et les mélodies soul comme sur Down in the tubestation at midnight. La même année, les Who publient Quadrophenia, un opéra rock racontant l'histoire du mouvement mod au travers des aventures de Jimmy le Mod. 


Si le mouvement mod n'a guère duré, l'empreinte laissée est profonde. Ses adeptes ont cultivé une fière identité prolétarienne, profondément marquée par l'insularité britannique. Certes, le revival mod ne dure guère, mais des groupes apparus bien plus tard tels qu'Oasis, Blur ou The Coral témoignent de la persistance et du profond enracinement de ce mouvement au sein de la culture musicale britannique.

Notes:

1. Le film Quadrophenia, tiré en 1979 du concept album des Who, renforce le mythe en mélangeant fiction et réalité. 

2. Les créateurs de mode londoniens (Mary Quant) s'inspirent des innovations stylistiques des mods pour alimenter le goût du jour.

3. Peu à peu, le hard mod devient le skinhead avec rangers, jeans avec le bas retourné, chemise rayée, bretelles et cheveux ras.


Sources:
A. Neuvième épisode de la série de David Herschel "Histoire du rock" consacré aux Mod's.

B. "Génération Mods : au nom du style", émission Juke-Box sur France Culture

C. Yves Bigot et Mischka Assayas: "Mod" dans le tome II du Nouveau Dictionnaire du rock, éditions Robert Laffont, 2014.

D. Paolo Hewitt : "Mods, une anthologie : speed, vespas & rythm'n'blues", 2011, Editions Payot & Rivages.

E. Documentaire Mods vs rockers de Kamel diffusé sur Arte.

mardi 14 mai 2024

Chansons contre le Rassemblement national et Marine Le Pen.

Nous avons consacré un précédent billet à la création et à l'essor du Front national, sous l'égide de Jean-Marie Le Pen. Dans celui-ci, nous nous intéressons à l'affirmation du Rassemblement national de Marine Le Pen au sein de la vie politique française avec, comme toujours, la chanson comme fil directeur. 
 


Le 1er mai 1995, entre les deux tours de la présidentielle, en marge du défilé organisé par le Front National, un groupe de skinheads pousse un jeune marocain dans la Seine. Brahim Bouarram se noie; un crime raciste de plus à mettre à l'actif de l'extrême droite. Diziz la Peste s'insurge de l'indifférence dans laquelle s'est déroulé ce meurtre : « Ca m'fout la rage de faire comme si c'était pas grave / Lorsque le FN pousse à la Seine un arabe ». ("C'est ça la France")
 
Aux élections présidentielles de 1995, Jean-Marie Le Pen obtient 15% des voix. "Un jour en France" du groupe Noir Désir décrit avec amertume la fascisation rampante des esprits, dans une société française fracturée et de plus en plus oublieuse des valeurs contenues dans sa devise. "FN, souffrance / Qu'on est bien en France / C'est l'heure de changer la monnaie / On devra encore imprimer le rêve de l'égalité / On n'devra jamais supprimer celui de la fraternité / Restent des pointillés..."

Lors des municipales de 1995, le Front National s'empare d'Orange, Marignane, Toulon, trois villes du Sud -Est. En février 1997, une quatrième ville complète la progression du lepénisme municipal avec la victoire de Catherine Mégret à Vitrolles. Les nouveaux élus entendent toutefois s'affranchir du chef Le Pen, lequel, en retour, refuse toute parole autonome au sein du parti. Le 30 mai 1997, en visite à Mantes la Jolie pour y soutenir sa fille Marie-Caroline, l'homme de la Trinité agresse la candidate socialiste et invective des manifestants anti-FN. Protégé par son service d'ordre, il insulte, hurle, menace. Ce déchaînement de violences lui aliène pour un temps une partie de son électorat et lui vaut une condamnation à deux ans d'inéligibilité.

Dans "la bête (JMLP)", les Toulousains de Zebda retournent contre le tribun breton les amalgames et raccourcis dont il est passé maître. "Il est dangereux / Il a toutes les dents pointues / Il a pas de molaires / Il a que des canines / Les commères disent de lui / Qu'il est né par le cul / J'ai vérifié l'info, il a pas de racines".

Le Pen hors-jeu, Mégret entend profiter de l'aubaine. L'élu des Bouches-du-Rhône quitte le FN avec les cadres, deux tiers des militants et le programme pour fonder son propre parti, le Mouvement National Républicain. Le Pen semble fini, dépassé, trop vieux, isolé. Entre 1999 et 2002, Mégret insiste sur sa conception ethniciste et s'emploie à faire campagne contre l'islam. Il parle d'invasion et de "colonisation à rebours", développant les thèses ethno-différentialistes de la Nouvelle Droite, antithèse parfaite de l'universalisme. "La preuve par 3" du Saïan Supa Crew donne à entendre, pour mieux la pourfendre, la rhétorique de ces islamophobes. "Pour savoir qui me vole qui m'agresse / Ce sont toujours ces maghrébins / L'économie de la France est maigre, " eh ben " / C'est de la faute de ces bougnouls / Cet été au camping j'ai mis l'grapin sur un d'ces " oufs " qu'allait / Prendre mon grille-pain / On est barge hein ? / On en héberge un / Et c'est toute la famille qui se ramène / Avec des moutons qu'ils égorgent / Un matin je voudrais me lever sans qu'il y ait tous ces boutons, / Histoire d'être seul ici / C'est pour cela que je sollicite le national front / Pour nettoyer ce que salissent ces hystériques qui n'ont pas mon teint / BLEU, BLANC, ROUGE , moi de mon temps , de mon temps / Y'avait moins d' Cheb Khaled et beaucoup plus d'Yves Montand"

Une image de radical se dessine pour Mégret, au moment où Le Pen part fumer la chicha sous l’œil des caméras. Le leader frontiste, qui cherche à se dédiaboliser, se drape dans une image de notable, tout en accusant son adversaire d'être racialiste. La situation se décante très vite. Le Pen se moque du "pu-putsch" de Mégret, dont l'influence décline rapidement. Les attentats perpétrés par Al Qaida contre les tours jumelles du World Trade Center, le 11 septembre 2001, permettent au leader frontiste de laisser libre court à son inclination raciste. Dès lors, il amalgame islam, terrorisme islamiste et immigration, prophétisant une guerre entre islam et occident. Dans"Ah les salauds!", Ridan revient sur l'obsession identitaire à l'oeuvre chez le "père cyclope", puis sa fille, sous l'oeil bienvillant des médias.  "On l'a vu venir même d'un seul œil / L'enfant maudit du Père Cyclope / En s'écriant "vivement dimanche" / Tournant les pages des livres / Le petit livre blanc / Y'a trop d'arabes dans mon pays / Trop d'musulmans, trop d'pratiquants / Pas assez d'blancs, de bons chrétiens / Pour ramasser nos p'tites poubelles / On aime le vin, le saucisson / Les vraies valeurs de la nation / Que l'on marine dans la potion / Pour faire pâlir l'Islam / Pour faire pâlir l'Islam"

Peu à peu, les thématiques identitaires et sécuritaires, sujets de prédilection de l'extrême droite, s'imposent, comme lors de la présidentielle de 2002. Au soir du 21 avril, profitant de l'éparpillement des candidatures à gauche et de la campagne brouillonne de Lionel Jospin, de l'omniprésence de la thématique sécuritaire, Le Pen devançant le candidat socialiste dans les urnes et se qualifie pour le second tour face à Jacques Chirac. Pour la gauche, le traumatisme est immense, d'autant qu'une frange importante de l'électorat populaire et ouvrier vote désormais pour l'extrême droite. 

Dans "Front contre front", Svinkels s'interroge et avance une série d'explications au succès du vote FN:" Quel est cet électorat du troisième type nostalgique du troisième Reich / Qui donne au FN 30% des voix à Trifouillis-les-Oies / Là où y'a que des Français de souche à la noix ? / On a légalisé le FN dans le sud / Comme Charles, faut qu'on le martèle à Poitiers c'est sûr / Face à ce nationalisme moi je vois peu d'civisme / Exemple à Toulon aux élections y'a 50% d'abstentionnisme / Une politique gauche, une droite qui vire vers l'extrême / Voilà les responsables et ils récoltent c'qu'ils sèment / Une classe politique pourrie fait naître un parti qui se nourrit d'un climat moisi / Et qui nous ramène tout droit vers Vichy".

Le 1er mai 2002, près d'un million de Français protestent dans les rues contre la présence de Le Pen au second tour. Le FN et ses idées continuent à faire peur et à représenter une menace contre la démocratie. Jacques Chirac est réélu président avec 82% des suffrages. Désormais cependant, rien ne sera plus comme avant le 21 avril, ressenti comme un véritable séisme politique. Sur le front musical, les réactions ne se font pas attendre : 

> Quelques heures après l'annonce des résultats, Damien Saez compose et enregistre "Fils de France", qui témoigne de la sidération provoquée chez de nombreux électeurs au lendemain du premier tour. « J'ai vu les larmes aux yeux, les nouvelles ce matin / 20% pour l'horreur, 20% pour la peur / Ivre d'inconscience, tous Fils de France / Au pays des Lumières, amnésie suicidaire »

> "21/04" d'IAM est un pamphlet contre le Front National et ses électeurs. ["La voix du peuple, la voix maudite, celle qui tue l'humanité / L'expression, la diversité, ce que sont nos cités / La voix de ceux qui veulent que la paix meurt / Qu'on se divise pour nos couleurs, pour que revive le Führer / Faut croire que vous êtes lâches, en plus, tous autant que vous êtes / Ceux qui pensent que le mal se résout par le mal peut-être / Là il y a plus de peut-être, ils ont voté pour un facho / C'est pas un vote contestataire quand on connaît Dachau".]

> Deux ans après le choc du 21 avril, regrettant la passivité ayant conduit Le Pen au second tour, No One is Innocent s'interroge avec "Où étions-nous?". Fort de ce précédent fâcheux, peu avant les régionales 2015, le groupe enregistre un appel à la mobilisation intitulé "Putain, si ça revient". « Retour de flamme, avis de tempête / Le pyromane tient l'allumette / Retour de flamme sur le bulletin et 2002 n'est pas si loin »

Pour Le Pen, 2002 n'est qu'un demi échec, dans la mesure où Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur sous le second mandat de Chirac, fait siennes les thématiques frontistes, plaçant l'identité nationale au centre des débats. Ce faisant, il parvient à siphonner une partie de l'électorat frontiste. En 2007, il remporte la présidentielle, quand Le Pen est relégué en quatrième position. La défaite électorale est cuisante, mais pour le candidat d'extrême droite, la victoire idéologique est totale, car Sarkozy et son ministre Besson engagent un débat sur l'identité nationale.

L'âge avançant, Le Pen finit par passer la main après presque quarante ans à la tête du FN. Sa fille Marine prend les rênes du parti en 2011 après avoir devancé dans les urnes Bruno Gollnisch. Le FN reste une entreprise familiale, mais les relations se tendent entre le père et la fille. Le premier s'emploie à saboter consciencieusement par ses provocations verbales la stratégie de dédiabolisation de la seconde. (1) Le vieux chef reproche à l'héritière d'être trop modérée et d'aseptiser le message de l'extrême-droite. L'affrontement porte avant tout sur la forme, car Marine ne revient en aucune façon sur le fonds de commerce de l'extrême-droite. Si les expressions de préférence ou de priorité nationale s'imposent, elles restent toujours synonymes de discrimination raciale et de xénophobie.  

Derrière son air loufoque, le "20-04-2005"de Katerine souligne les dangers liés à la passation de pouvoir à la tête du FN. Alors que le père était agressif, provocateur, la fille joue la carte de la respectabilité, remisant au placard la rhétorique ouvertement raciste; au risque de séduire un nouvel électorat, un peu comme l'on peut être séduit par une personne que l'on ne verrait que de dos.   

En 2006, alors que Marine Le Pen n'est encore que la vice-présidente du FN, la rappeuse Diam's l'interpelle dans "Marine": "Marine t'as un prénom si tendre, / Un vrai visage d'ange, / Mais dis-moi ce qui te prend. / Marine, on ne sera jamais amies / Parce que ma mère est française / Mais que je ne suis pas née ici. Marine, regarde-nous, / On est beau. / On vient des quatres coins du monde / Mais pour toi on est trop."

Lors de la présidentielle 2012, la candidate frontiste rassemble 18% des voix, soit davantage que son père dix ans plus tôt. Avec "Marine est là", Tryo invite l'auditeur à la prudence et à aller au delà d'une apparence trompeuse. Si le discours semble moins brutal, le contenu reste toujours aussi dangereux. "Main de fer pour gant de velours, / Tout en sourire, coeur sur la main, / C'est la haine qui parle d'amour, / C'est le rosier dans le purin. (...) Que cette fille a l'air sympathique, / C'est le portrait de son papa, / C'est qu'le bagout c'est génétique / Et les chiens ne font pas des chats."

Au fil des élections, l'extrême-droite renforce ses positions et triomphe sans être encore arrivée au pouvoir, car la stigmatisation des immigrés, l'obsession sécuritaire et identitaire font désormais consensus au sein d'une grande partie du personnel politique. Au prétexte que pour lutter efficacement contre le FN/RN il faut l'affronter sur son terrain, les partis traditionnels se lancent dans une surrenchère droitrière suicidaire. Le parti des Le Pen profite également du sentiment de trahison de nombreux anciens électeurs de droite et de gauche qui s'abstiennent de voter, quand ils ne rallient pas carrément le RN. "Mort aux cons" de Tagada Jones témoigne de cette désaffection/trahison.  "Aujourd'hui c'est la débandade, les camarades ont foutu le camp / Les extrémistes fanfaronnent, objectif : le gouvernement / Les miliciens sont pleins d'espoir, ils arrivent aux portes du pouvoir / Loin du temps où l'on chantait « Plus jamais de 20% »!

Séverin fait part de son désepoir et de sa honte dans son titre "France". "Toi tout ça ne te ressemble pas / Toi mon pays en capitale / Que j'ai foulé de mes premiers pas / Toi, tu sais comme j'ai honte parfois / De l'image que tu donnes à voir / Des idées qui battent ton trottoir / Vois, toi qui fais tant partie de moi / Comme je voudrais mettre les voiles"

 

Les hymnes anti-FN directs se raréfient dans la production musicale. Les références aux turpitudes de l'extrême-droite prennent désormais davantage la forme de métaphore que de messages frontaux.  Plusieurs morceaux comparent ainsi l'essor de l'extrême-droite à une créature cruelle et malfaisante ou à un animal (la hyène chez No one is innocent, le porc chez les rappeurs). Citons quelques exemples de morceaux "la bête" par la Tordue, "la bête est revenue" de Pierre Perret, "la bête immonde" de Michel Fugain, "La bête JMLP" de Zebda...

Les dirigeants du Front, puis du rassemblement national, quant à eux, repensent leurs liens avec l'industrie musicale. Jean-Marie Le Pen, dont le magasin de disques mettaient surtout à l'honneur les chants de légionnaires, abhorre largement le rock et totalement le rap, considéré comme une "attaque barbare", une "excroissance pathogène". A sa suite, de nombreux élus frontistes s'emploient à priver les acteurs du rap de subventions publiques ou s'élèvent contre la venue d'artistes dans des municipalités frontistes. En parrallèle, une dizaine de groupes (dont Fraction Hexagone, Ile de France, Vae Victis) se réunissent sous la bannière du rock identitaire dont le répertoire reprend à son compte les thématiques favorites de l'extrême droite. Une scène rap s'affirme même avec Amalek, Goldofaf, Millésime K ou Kroc Blanc. Tous se targuent de s'adresser aux "patriotes", aux "français de souche", victimes du "racisme anti-blanc" des "racailles" dans des raps aux titres évocateurs : "génération faf", "honneur et patrie", "steak haché cassoulet", "pute à juifs", "casseur de pédés", quand il ne loue pas les mérites de Le Pen ("JMLP"). Espérons que nos lecteurs ne nous en voudrons pas, mais nous préférons mettre à l'honneur "Que de l'amour" de Sidi Wacho. 

En juin 2018, le Front national est rebaptisé Rassemblement national. Ce toilettage terminologique n'implique aucun changement idéologique notable. La pensée binaire défendue par l'extrême droite reste la même. Les patriotes s'opposent aux mondialistes, les français d'origine aux immigrés. Marine Le Pen et sa clique attisent les craintes liées à la mondialisation et à la globalisation culturelle, défendant un nationalisme restreint, de replis identitaire, agitant la hantise du déclassement et du grand remplacement, ce concept fallacieux et complotiste. Dans le même temps, elle s'emploie à subvertir les principes et valeurs républicaine: la laïcité est vue comme un outil de lutte contre l'islam, la liberté se confond avec la sécurité, quand à la fraternité, elle ne vaut que pour ceux qu'elle nomme les "Français de souche". 

Avec "Basique", Orelsan s'emploie à dénoncer la supercherie consistant à faire passer le loup pour l'agneau. "Les mecs du FN ont la même tête que les méchants dans les films (simple) / Entre avoir des principes et être un sale con, la ligne est très fine (basique) / Hugo Boss habillait des Nazis, le style a son importance (simple) / Les dauphins sont des violeurs, ouais, méfie-toi des apparences (basique)"

Vingt ans après le séisme du 20 avril 2002, Marine Le Pen échoue à son tour, mais non sans avoir obtenu 45 % des suffrages exprimés. A l'issue des législatives, 89 députés du RN entrent au palais Bourbon. Plus que jamais, l'extrême-droite est aux portes du pouvoir et personne ne pourra dire que nous n'avons pas été prévenus.

Notes:

1. En 2015, il prend la défense de Pétain dans les colonnes de Rivarol, réitère ses propos sur les chambres à gaz comme un "point de détail" de la guerre. Ces propos entraînent l'exclusion de Le Pen du FN dont il a pourtant été le chef pendant presque 40 ans.  

Sources:

 A. Baptiste Vignol : "Cette chanson qui emmerde le Front national", Tournon, 2007

B. "Jean-Marie Le Pen, l'obsession nationale", série de 7 émissions de Philippe Collin diffusée sur France Inter, en 2023 

C. Valérie Igounet : "Le Front national de 1972 à nos jours. Le parti, les hommes, les idées.", Le Seuil, 2014

mercredi 1 mai 2024

#SaveToomaj !

"Nous devons éliminer la musique", proclame Khomeyni, en 1979. L'instauration de la République islamique entraîne le déclin de la musique, traditionnelle ou pop. Cette dernière est alors suspectée de corrompre la jeunesse et de diffuser les influences dissolvantes du "Grand Satan" américain. Au cours de la décennie 1970, la pop iranienne avait pourtant connu un grand essor, avec l'émergence de chanteuses talentueuses, telles Googoosh. Or, la chute du shah s'accompagne de l'interdiction des concerts et de la fermeture des salles de spectacle. Les femmes ne peuvent désormais plus se produire seules sur scène. La musique ne se perpétue qu'à la condition d'emprunter les circuits clandestins (cassettes pirates). Pour poursuivre leurs activités, beaucoup d'artistes doivent s'exiler. 

Au cours des années 1990, une timide ouverture desserre le carcan coercitif. La musique traditionnelle retrouve droit de citer, avant que l'élection du président Khatami, en 1997, ne permette à la pop de se faire de nouveau entendre. Les productions restent cependant soumises à un contrôle préalable du ministère de la Culture et de l'Orientation, qui donne le la, ou plutôt ne donne pas le la, à tous ceux dont les textes et le tempo ne correspondent pas aux canons imposés par le rigorisme religieux ambiant. Rock et rap, aux paroles "indécentes" et aux rythmes trépidants, sont donc bannis. Pourtant, en dépit de la censure et des interdits, une scène underground, dynamique et clandestine, apparaît à Téhéran. A l'abri des regards, répétant dans les caves ou les logements privés, (1) les musiciens dissidents cherchent à échapper aux forces de sécurité qui veillent, traquent et persécutent. Les progrès techniques apparus au cours des deux dernières décennies ont offert de nouvelles perspectives aux artistes libres, rendant aussi plus difficile leur censure. Le déploiement d'internet et le développement des smartphones permettent ainsi d'enregistrer des vidéos et de diffuser les chansons. Rockeurs et rappeurs deviennent les hérauts d'une jeunesse aspirant à vivre dans une société pluraliste, sécularisée, ouverte et tolérante. 


Depuis 1979, plusieurs mouvements de protestations (révolte estudiantine de l'été 1999, "révolution verte" en 2009, les manifestations des classes populaire de l'hiver 2017-2018) tentèrent d'infléchir le cours des événements. En vain. L'élection d'Ébrahim Raïssi, en 2021, fut marquée par un durcissement de la "police des mœurs". (2) C'est dans ce contexte explosif qu'éclate un soulèvement, le 16 septembre 2022. Ce jour-là, Mahsa Jina Amini, étudiante de 22 ans, meurt à l’issue de son placement en garde à vue par la police des mœurs, au prétexte qu'une mèche de cheveux sortait de son voile. (3) La révolte revêt une dimension nationale. Au premier rang des protestataires se trouvent les femmes, les étudiants, les classes populaires. Tous aspirent à chasser un régime honni, qui se lance dans une surenchère sécuritaire et sème la mort, alors même que les difficultés économiques s'accumulent, en lien avec la baisse des revenus du pétrole. Tandis que les dépenses militaires ou celles liées au programme nucléaire explosent, les dépenses sociales chutent.  

La vague de protestation qui fit suite à la mort de Mahsa Jina Amini ne pouvait laisser indifférents les musiciens, eux même durement traité par le pouvoir. Une semaine après le début le décès de la jeune kurde, une chanson vient ainsi percuter le mur du silence imposé par les gardiens de la révolution. Le morceau a pour titre Baraye , un terme persan que l'on peut traduire par "pour" ou "à cause de". Nous en avons déjà parlé sur le blog. Le 24 septembre 2022, dans une vidéo rapidement devenue virale, une jeune femme anonyme reprend en persan Bella Ciao, la chanson érigée en symbole de résistance à toutes les oppressions. L'interprétation, sublime, propose une variante aux paroles originales. "O peuple, sois uni. Nous qui sommes debout jusqu'à demain, notre droit n'est pas faible."

 

Ces initiatives musicales, critiques du régime, font courir de grands risques à leurs autrices ou auteurs, comme le prouve la récente condamnation à mort de Toomaj Salehi. Rappeur engagé et très populaire, originaire d'Ispahan, Toomaj Salehi (توماج صالحی) naît en décembre 1990, dans une famille opposée à l'intégrisme religieux des mollahs. Adolescent, il se passionne pour le hip-hop et la figure de Tupac Shakur, ce qui le place très vite en porte-à-faux dans un pays où la police des mœurs traque et prohibe toute influence culturelle occidentale. Dans ses textes, Toomaj fustige l'ordre moral rétrograde imposé par la République islamique, les injustices et inégalités qui fracturent la société iranienne, la suppression des libertés fondamentales et l'assujettissement des femmes. En 2021, il obtient un succès important avec le morceau "Soorakh mooshe" (Trou de souris), dénonciation en règle de la corruption d'un régime rapace, dont les détournements financiers s'inscrivent dans une société en proie à la pauvreté. "Si tu as vu la douleur du peuple, / mais que tu as choisi de détourner ton regard. / Si tu as aperçu la répression des opprimés, / mais que tu as passé ton chemin. / Si tu l'as fait par peur / ou pour ne pas nuire à tes intérêts personnels, / alors, tu es complice du tyran, / tu es un criminel". 


Cette prise de parole courageuse suscite l'admiration de tous ceux qui veulent en finir avec le régime, mais lui attire aussi de très graves ennuis. Arrêté en septembre 2021, il est relâché sous caution. Après la mort de Mahsa Jina Amini participe au mouvement de protestation qui gagne tout le pays. Il publie le morceau "Meydoone jang", dans lequel il diffuse des images des manifestations. "Voici le champ de bataille. / Il est temps de dépasser nos peurs et d'affronter notre ennemi." Le rappeur brave encore la censure en publiant la chanson Faal, une diatribe contre l'absence de justice d'un régime au sein duquel "danser les cheveux au vent" constitue un crime. Avec Torkamanchay, Salhehi accuse le pouvoir iranien de se vendre à la Chine. "Si tu es un pouvoir religieux, pourquoi te soumets-tu à la Chine? / Pourquoi nous voles-tu pour le donner à ton ennemi?" Après quelques semaines de tergiversations, les mollahs engagent la répression. Plus de 500 Iraniens sont tués et près de 20 000 arrêtés, dont Salehi, en septembre 2022.

Condamné à 6 ans de détention pour "corruption sur terre", Toomaj est incarcéré. Placé à l'isolement, il subit des tortures. Libéré sous caution, le 19 novembre 2023, il accorde alors une interview à la Télé canadienne, dans laquelle il ne mâche pas ses mots. "En Iran, le bonheur est un crime. Danser est un crime. Un Iran libre, ce serait un pays où la police mœurs ne pourrait pas vous enlever en pleine rue, et avoir la loi de son côté. Un Iran libre, ce serait un pays où les agents du régime n'auraient pas le droit de commettre des viols ou des agressions sexuelles, ou à jeter de l'acide au visage d'une femme." Douze jours après avoir été libéré, le rappeur retourne en prison 12 jours plus tard. Le 24 avril 2024, un tribunal révolutionnaire le condamne à la peine de mort toujours pour "corruption sur Terre". Toutefois, selon le journal conservateur Hamshahri, "en raison de l'expression de remords par l'accusé, la justice a estimé que le chanteur avait le droit à une remise de peine", et sa condamnation transformée en longue captivité.

L'annonce de ce verdict suscite une vague d'indignation dans le monde entier. Des manifestations de soutien au "rappeur le plus courageux du monde", sont organisées. En médiatisant au maximum son cas, ses soutiens espèrent lui éviter la pendaison. En France, une tribune publiée dans Le Monde par un collectif d'artistes, d'écrivains et de militants des droits demande au président de la République d'agir au plus vite pour sauver le rappeur. Armin Arefi, grand reporter, en appelle, quant à lui, aux grands noms du rap français, afin de "faire du bruit".

Le cas de Toomaj Salehi est loin d'être isolé. Le régime s'en prend à tous les artistes, qui ne se conforment à l'idéologie au pouvoir. Le rappeur kurde Saman Yasin a été condamné à 5 ans de prison pour avoir "mené une guerre contre Dieu".  La dessinatrice Atena Fargahadani, qui tentait d'afficher un de ses dessins dans la rue, en avril 2024, a été violemment prise à partie, arrêtée et poursuivie pour "propagande contre l'Etat". Elle risque, elle aussi, la peine de mort. (4)

#SaveToomaj !

Notes :

1. En 2009, le film "Les Chats persans" du réalisateur Bahman Ghobadi retrace le parcours chaotique de jeunes Iraniens qui cherchent à créer leur groupe de rock.

2. Instaurée en 2005 par le sinistre Ahmadinejad, cette police est chargée de veiller "au respect des valeurs islamiques dans l'espace public.

3. La jeune femme, originaire de la ville de Saqez dans le Kurdistan iranien, était en visite à Téhéran lors de son arrestation. 

4. Les anonymes ne sont pas davantage à l'abri. En décembre 2023, Sadegh Bana Motejaded, 70 ans, marchand de poisson sur le marché de Racht, dans le nord de l'Iran, publie sur son compte instagram une vidéo dans laquelle il chante une comptine. Il y incite les spectateurs à faire de même. Le message devient viral. Le morceau est remixé et réadapté en version électro ou hip-hop. Les autorités voient rouge. Sadegh est accusé de "production de contenu criminel" et sa page bloquée. Le chanteur amateur, et ceux qui l'accompagnent, sont arrêtés, battus et poursuivis. Or, loin de l'effet attendu, la répression ravive la contestation. Dans un pays où il est prohibé de danser et chanter en public, des hommes et des femmes décident de braver l'interdit, entamant des chorégraphies dans les rues, les parcs, les écoles. La répression et la terreur mettront bientôt un terme à cette forme de résistance.

Sources:

- "Le rappeur Toomaj Salehi, voix de la révolte contre les mollahs", dans la BO du monde diffusée sur France Inter le 4 décembre 2023. 

- "Pour l'Iran : Bizaram Az Dine Shoma de the Kiffness & Saba Zameni"

- "Shahram Shabpareh, Prison song

- "Persian pop et rap iranien, les héros de la transgression", La série musicale du 1er janvier 2023, sur France Culture. 

- "Femme Vie Liberté : les voix de la révolution en Iran", La série musicale du 7 mai 2023, sur France Culture

- "Les artistes au coeur de la Révolution

- «Toomaj Salehi, "le rappeur le plus courageux du monde" condamné en Iran», vidéo de Courrier International.