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dimanche 9 janvier 2011

Les hymnes ont une histoire (III) "You'll Never Walk Alone" : l'hymne du Liverpool Football Club



Ce billet vous propose de découvrir la longue, tortueuse et riche histoire d'un hymne. Pas un hymne national (quoique), mais un hymne disputé, revendiqué, contesté dans le vaste rectangle vert d'une gigantesque assemblée qui voue un culte à un drôle d'objet, un ballon de forme ronde. Comptant de nombreux adeptes de par le monde, elle est particulièrement puissante outre-Manche. C'est d'ailleurs là que l'hymne en question est l'objet de convoitises et de tentatives d'appropriations conflictuelles.


La route du succès emprunte parfois des voies inattendues...


1. De Broadway aux rives de la Mersey.


1945, le Magic Theatre de Broadway accueille une nouvelle comédie musicale appelée à connaître un immense succès : "Carousel". Créée d'après un livret de Oscar Hammerstein II et mis en musique par Richard Rogers, "Carousel" compte une histoire d'amour tragique, née en Nouvelle Angleterre à la fin du XIXème siècle, autour d'un manège, entre Julie, une jeune ouvrière, et Billy Bigelow, forain.

Bien qu'amoureux, Billy délaisse la douce Julie pour s'enivrer des plaisirs de la vie jusqu'au jour où la perspective de devenir père lui fait commettre l'irréparable. Pour apporter rapidement de l'argent au ménage il s'embarque dans un mauvais coup qui se termine mal et, désespéré se suicide.
Après une longue période au purgatoire , il lui est heureusement proposé de se racheter et de gagner sa place au paradis en revenant sur terre pour améliorer le sort de sa femme et celui de sa fille mises à l'écart des autres de par sa mauvaise réputation.





"Carousel" est un succès (890 représentations jusqu'en mai 1947) et sera repris de nombreuses fois sur les scènes états-uniennes et européennes, à Londres en particulier. En 1956, une adaptation cinématographique est tournée sous la direction d'Henry King (il réalise également l'adaptation, avec Tyrone Power et Ava Gardner, du livre d'Hemingway "Le soleil se lève aussi").
En 2006, l'acteur Hugh Jackman s'est porté acquéreur des droits de la comédie musicale qui devrait faire prochainement l'objet d'un remake (Anne Hathaway pourrait y incarner Julie et Hugh Jackman garderait celui de Billy Bigelow). Une belle réussite donc.




1963, Liverpool. La ville est gagnée par des rythmes nouveaux venus de l'autre rive de l’Atlantique. C'est d'abord la folie skiffle : avec une guitare, un banjo, une planche à lessiver et un manche à balai des groupes se constituent dans toute la ville. L'un d'eux, The Quarrymen, est d'ailleurs emmené par un certain John Lennon.(1) Puis, les instruments un peu étranges tombent en désuétude; la guitare électrique fait une entrée triomphale dans le monde de la musique. Liverpool prend un coup de jus : le Merseybeat est né. Evidemment on pense aux Beatles qui s'installent très vite en haut des hits parades. Mais d'autres groupes les suivent, appelés à un avenir, certes plus éphémère, mais toutefois intéressant, au moins pour l'un d'entre eux : Gerry and the Pacemakers.





Le groupe se forme en 1959 autour de la fratrie Marsden, composée de Gerry et Fred et est managé par un certain Brian Epstein (2). Leur premier tube "How do you do it?" atteint la plus haute place des hits en mars 1963. Ils enchainent avec un autre 45 tours en mai intitulé "I like it" qui connait le même succès. En octobre 1963, ils récidivent et décrochent de nouveau la plus haute place des charts avec une reprise d'un des titres de la comédie musicale "Carousel" : "You'll never walk alone". C'est là où s'établit le rapport avec le protège-tibia, la chaussure à crampons et le maillot mouillé. Mais avant de le dévoiler complètement, prenons connaissance de cette émouvante chanson.

When you walk through a storm,
Quand tu traverses une tempête
hold your head up high,
garde la tête haute
and don't be afraid of the dark;
et n'aies pas peur du noir
at the end of a storm there is a golden sky
au bout de la tempête il y a un ciel doré
and the sweet silver song of a lark.
le doux chant argenté d'une alouette.

Walk on through the wind,
Traverse le vent
walk on through the rain,
traverse la pluie
tho' your dreams be tossed and blown.
bien que tes rêves soient ballotés et emportés.

Walk on, walk on with hope in your heart,
marche, continue de marcher avec l'espoir au coeur
and you'll never walk alone,
et tu ne marcheras jamais seul
you'll never, ever walk alone.
tu ne marcheras plus jamais seul
Walk on, walk on with hope in your heart,
marche, continue de marcher avec l'espoir au coeur
and you'll never walk alone,
et tu ne marcheras plus seul
you'll never, ever walk alone.
Tu ne marcheras plus jamais seul.


2. Des planches aux vestiaires...


Mais voilà que notre chanson emprunte une nouvelle route vers le succès populaire. Restons à Liverpool en 1963. La ville chaloupe au rythme du Merseybeat et des Beatles. Mais Liverpool sait aussi vibrer à celui des passes, des coups de têtes et des buts. Pour cette seule ville, deux clubs de football se partagent l'audience : le L.F.C (Liverpool Football Club) aux couleurs rouges et blanches et d'obédience protestante d'une part; d'autre part, Everton paré de bleu, affilié davantage aux catholiques. Les derbys sont fatalement l'occasion d'exacerber ces tensions au stade.




Emblème du Liverpool Football Club placé
au dessus de l'escalier qu'empruntent les
joueurs vers le pelouse. Le toucher porte
bonheur. Dessus le rouge, le blanc et le
Liverbird. (Photo Vservat)
Les deux clubs sont implantés dans les faubourgs de la ville depuis la fin du XIXème siècle (1878 pour Everton, 1892 pour Liverpool). La ligue de Football anglaise naît,pour sa part, en 1888.


Comme tout club de foot, Liverpool connut des hauts et des bas. Les années 50 sont plutôt une période difficile ; le club évolue alors en 2° division. A croire que l'histoire se répète, alors que le premier manager du club était un écossais nommé McKenna, c'est de nouveau grâce au petit voisin du nord, que le Liverpool Football Club va sortir de l'impasse. En effet, en décembre 1959, l'écossais William Shankly, signe pour entraîner l'équipe et, en l'espace de 4 ans, les joueurs deviennent champion d'Angleterre pour la 6° fois. La saison suivante le LFC décroche la FA cup (Football Association Cup) et également une place en demi finale de la coupe d'Europe.


L'époque des débuts de Shankly n'a pourtant, en coulisses, rien d'un "golden age". Les installations du club, stade et terrain d'entrainement sont en piteux état, tant et si bien que l'entraîneur va miser sur la cohésion humaine de l'équipe plutôt que sur son confort matériel. Ainsi, il instaure rapidement des rituels permettant de la souder : repas pris en commun après l'entraînement, trajets collectifs en bus d'Anfield (3) à Melwood (4), place imposée dans le vestiaire de façon à ce que les joueurs se lient les uns aux autres en fonction de leur place sur le terrain etc. Il faut croire que la recette a fonctionné aussi bien pour ce qui concerne les résultats que pour la postérité.


Bill Shankly est l'objet d'un véritable culte à Liverpool. Resté 15 ans manager de l'équipe, il a aujourd'hui sa statue à l'entrée du stade d'Anfield, une porte à son nom. Ceci dit, Bill Shankly n'était ni chanteur, ni membre de Gerry and the Pacemakers...Pourtant c'est visiblement grâce à lui que cette chanson a fini par devenir l'hymne officiel du Liverpool Football Club, entonné par des milliers de supporters à chaque match, à l'extérieur et encore plus à domicile : this is Anfield.


Le vestiaire des joueurs au stade d'Anfield aujourd'hui. L'esprit
et les méthodes de Bill Shankly n'ont pas disparu. Confort
sommaire et placement des joueurs selon leur place sur le
terrain (ici les attaquants et les milieux de terrain).
(photo Vservat)
3. Jusqu'aux tribunes du stade d'Anfield.

Main Stand, Anfield. Les
sièges sont encore de
bois. (photo VServat)
C'est dans cette phase ascendante pour le Liverpool Football Club que Merseybeat et ballon rond vont s'unir à Anfield, le stade du club, situé au nord est du grand port anglais. Il existe depuis 1884 et fut, à l'origine utilisé par l'équipe d'Everton qui l'abandonna rapidement.

La tribune principale (Main Stand) aménagée en 1895, fut refaite en 1973. Mais les supporters les plus fervents du club investissent surtout la tribune située à droite, baptisée "the Kop Stand", ou simplement, le Kop. Construite en 1906, elle fait face à l'Anfield Road Stand plus "jeune" de 3 ans, et porte le nom d'une coline d'Afrique du Sud (précisément dénommée Scion Kop) sur laquelle un régiment de soldats liverpuldien fut décimé lors de la guerre des Boers. Elle peut alors accueillir 30 000 spectateurs debout (depuis 1994, suite au hooliganisme, et à la tragédie de Hillsborough (5) qui affecta les supporters de Liverpool, la tribune ne contient plus que 12 000 places assises). C'est une tribune populaire, sur laquelle Billy Shankly veillait comme une poule sur ses oeufs aussi bien en raison de ses idées travaillistes (6) que par un profond respect pour ses membres et le souci d'assurer à son équipe une armada de supporters capable de la porter aux nues (7). Ainsi, il morigéna un policier qui eut l'outrecuidance de renvoyer dans les tribunes une écharpe lancée sur la pelouse par un fan du club au moment d'un tour d'honneur, considérant ce geste comme un outrage à la ferveur du propriétaire envers son équipe.
Le blason du club sur le mur
extérieur de la tribune du Kop.
(Photo Vservat)

La tribune du Kop vue de Main Stand à Anfield.
(photo Vservat)

























Revenons en 1963. Gerry Marsden rencontre Shankly qui a un coup de coeur pour sa reprise du "You'll never walk alone" de "Carousel". Le titre est alors en devenir, il n'est pas encore commercialisé. Une fois sorti comme single, il sera joué dans l'enceinte d'Anfield, qui emploie alors un DJ. Il est, en effet, de coutume à l'époque de faire monter l'ambiance dans les tribunes avant le match en diffusant les 10 premières chansons en tête des hits parades. Les goûts de Shankly et ceux des supporters du Kop vont sceller le destin de notre chanson. Restée de nombreuses semaines en tête des hits parades, elle est entonnée avec ferveur dans les tribunes. Elle descend dans le classement puis disparait....mais au Kop d'Anfield, on continue de la chanter. Shankly ne peut que suivre : "You'll never walk alone" devient l'hymne officiel du club, le titre, sa devise.


Lorsque l'entraîneur mythique de Liverpool décède en septembre 1981, les supporters lui rendent hommage en chantant solennellement cette chanson de comédie musicale devenue l'hymne des Reds, pour lui dire au revoir. La Grille des Shankly Gates à Anfield est ornée des quelques mots du titre si proche de l'esprit qui anima l’entraîneur écossais.




Des planches de Broadway, au Kop d'Anfield Stadium, "You'll never walk alone" a su trouver une route surprenante vers la postérité. La force simple de ses paroles qui appellent à l'union dans les moments de doute a séduit d'autres clubs de foot et d'autres tribunes, chaque club revendiquant de l'avoir, en premier, adopté pour hymne (8). Pourtant, en entendant les supporters de Liverpool et la tribune du Kop le chanter (ici en deux versions, l'une lors d'un match de championnat contre Chelsea- le choix d'Aug- et, pour commémorer les 20 ans de la tragédie d'Hillsborough par Gerry Marsden lui même), il n'est guère permis de douter de l'osmose qui s'opère entre les scousers (9) et ce tube des sixties.


La version championnat anglais :





La version de Gerry Marsden et d'Anfield pour la 20ème commémoration de la tragédie d'Hillsborough :





Un petit rappel des dates clés du L.F.C. :

1884 : Construction du stade d'Anfield.
1892 : naissance du Liverpool Football Club
1901 : premier titre de chamion d'Angleterre (il y en aura 17 autres).
1959 : William "Bill" Sahnkly devient manager du LFC.
1964 : Champion d'Angleterre.
1965 : première FA cup
1966 : champion d'Angleterre.
1973 : réfection du stade d'Anfield et de la tribune principale "main Stand" et premier titre en ligue Europa.
1977 : premier titre en ligue des champions.
1985 : Le Heysel. Affrontement entre suporters de Liverpool et de la Juventus.
L'agression deshooligans du LFC provoque l'effondrement d'un mur du stade te la mort de 34 supporters italiens.
1989 : lors d'un matche de la FA cup à Sheffield, dans le stade d'Hillsborough, 96 supporters de Liverpool décèdent suite à des mouvements de foule et à la surcharge humaine d'une des tribunes du stade.
2005 : dernier titre en ligue des champions remporté à Istanbul face au Milan AC (après avoir été menés 0-3, les Reds parviennent à remonter et l'emportent aux tirs aux buts...).




Post Scriptum :
L'idée de cet article s'est imposée après avoir visité ce stade mythique. Bien que peu intéressée par le foot, il se dégage des lieux une énergie et une tension telles que cela emporte l'adhésion. En outre, les guides qui nous ont accompagnés des salons d'honneurs, aux vestiaires puis aux tribunes, ont su communiquer (avec un accent parfois très improbable) leur enthousiasme pour les figures du LFC, tout en arborant à la boutonnière, ce fameux esprit "Shankly" fait de modestie, de simplicité et de ferveur.

Ces quelques lignes sont aussi un clin d'oeil amical à notre collègue bloggeur, Emmanuel Grange, qui anime aussi bien les pages de la P@sserelle, que les tribunes de l'ASSE. He'll never walk alone.




Notes :
(1) Sur la naissance du skiffle et la jonction avec le Merseybeat voir aussi l'article de l'Histgeobox sur le Liverpool de Penny Lane et Strawberry Fields Forever.
(2) Brian Epstein managea aussi les Beatles jusqu'à sa mort prématurée, très jeune, à 32 ans en 1967.
(3) Anfield est le stade actuel du Liverpool Football Club.
(4) Melwood est le terrain d'entraînement du L.F.C. à l'époque. Il se situe à environ 6 km à l’ouest d'Anfield, dans le faubourg de West Derby.
(5) La tragédie de Hillsborough porte le nom du stade de football de Sheffield. Elle fit 96 victimes, le 15 avril 1989. Tous les morts sont des supporters du LFC. 4 ans après le Heysel, Liverpool enchaîne donc les catastrophes meurtrières dans les stades.
A Sheffield, une énorme bousculade a lieu dans les tribunes qui accueillent les fans des Reds. Bien que beaucoup plus nombreux que les supporters de l'équipe adverse, ils ont été guidés dans la plus petite des tribunes par la police. Or une partie d'entre eux, retenue par des ralentissements dus aux travaux sur les routes, arrive encore quelques temps avant le coup d'envoi et souhaite entrer. A l'extérieur, la foule se masse et arrive à pénétrer dans la tribune, la sécurité étant totalement débordée. Le match commencé s'arrête au bout de 6 minutes lorsque la foule tente d'échapper par tous les moyens à la pression humaine qui s'exerce dans un espace désormais saturé. De nombreuses victimes décèdent asphyxiées dans la compression. Ceux qui le peuvent trouvent leur salut sur la pelouse.
(6) Bill Shankly n'a jamais caché ses opinions politiques semble-t-il. A sa mort, une minute de silence fut observée au cours de la convention du Labour qui se déroulait à ce moment là (fin septembre 1981).
(7) Beaucoup d'anecdotes circulent sur les rapports entre Shankly et les supporters des Reds, notamment qu'il lui arrivait de téléphoner chez certains pour refaire le match de la veille ou encore d'offrir des billets à d'autres.
(8) Le Celtic de Glasgow en particulier dispute à Liverpool l'usage premier de la chanson comme hymne.
(9) Le scouser désigne aussi bien le natif de Liverpool que l'argot local.



Quelques références si vous n'allez pas demain visiter Liverpool et Anfield :
  • le site du LFC sur lequel on peut consulter la rubrique histoire.
  • en complément on peut aussi aller consulter celui d'Everton.
  • des articles fournis sur wikipedia mais en anglais (les versions françaises sont souvent atrophiées et donc moins intéressantes)
  • sur Billy Shankly, sur Anfield stadium, et sur Liverpool Football Club
  • Deux portraits de joueurs mythiques ayant évolué chez le grand rival Manchester United sur l'indispensable site Wearefootball : Eric Cantonna et Georges Best.

Quelques lectures :
  • Matthew Taylor, "Football et culture politique en Grande-Bretagne" in Y. Gastaut et Stéphane Mourlane, Le Football dans nos sociétés, Autrement, 2006.
  • Laurent Mauvignier, Dans la foule, Minuit, 2006. Un roman autour de la tragédie du Heysel.
  • Paul Dietschy, Histoire du Football, Perrin, 2010
  • Joseph M. Bradley, "Racisme et préjugé social dans le football : l'identité irlandaise en Ecosse" in Histoire et Sociétés n°18-19, juin 2006

jeudi 26 août 2010

Loca Virosque cano (1) : Le Liverpool de Penny Lane et Strawberry Field.

Liverpool, sur les rives de la Mersey, est un des principaux centres urbains de l'Angleterre appartenant jusqu'en 1974, au comté du Lancashire, au nord-ouest du pays. Fondée au Moyen Age, c'est surtout aux XVIII° et XIX° siècles que la ville prend son essor avec d'une part le développement de son port stimulé par le commerce triangulaire, donc le trafic des esclaves, et d'autre part, la révolution industrielle (Liverpool est une des premières villes desservies par le chemin de fer en 1830).
Le Port of Liverpool Building un des 3
bâtiments principaux du Pier Head, port
Liverpool. (photo vservat)
Les rives de la Mersey vues du Pier Head.
En face, sur l'autre rive de l'estuaire la ville
de Birkenhead. (photo vservat)
















Au milieu du XIX° siècle alors que la population de l'Irlande fuit massivement en raison de la Grande famine et de l'oppression anglaise (1) , Liverpool servit à la fois de porte d'entrée en Grande Bretagne mais également de point de départ vers les rives de la côte est des Etats-Unis. La ville garde jusqu'à aujourd'hui une dimension cosmopolite ; ainsi le Chinatown de Liverpool est le plus ancien d'Europe et la communauté d'origine irlandaise y est encore très présente.


La ville subit de nombreuses destructions au cours du deuxième confit mondial durant le Blitz, en 1941. Elle peine à se relever mais son ouverture sur l'Atlantique lui permet d'avoir encore quelques années de relative croissance avant de connaître la crise industrielle des années 70.




L'église Saint Luke à Liverpool laisse passer le jour à
travers ses murs, elle atteste du bombardement de la ville
pendant le Blitz. (photo Vservat)
Dans cette immédiate après guerre, une multitude de groupes se produisent et importent les sonorités venues d'Amérique. Ce sont les échanges portuaires qui amènent d'Outre-Atlantique des sons et rythmes qui se popularisent sous le nom de "skiffle" dans les années 50 (2). Nous sommes alors dans les prémices de ce qui deviendra le Merseybeat. Le skiffle déclinant, la musique s'électrifie et le Cavern Club devient la scène incontournable de la ville. C'est là, au coeur de Liverpool, que les Beatles font leurs débuts et amorcent une carrière qui les mènera aux 4 coins du monde : pour les Etats-Unis, l'invasion de la musique britannique dans les années 60 sur leur propre sol est un ironique retour de bâton.
On reconnait aisément le jeune Lennon au sein de son groupe
de skiffle the Quarryment aux instruments incongrus.
(photo vservat/Beatles story musuem)
La colonne vertébrale des Beatles constituée de John Lennon et Paul MacCartney est tout à fait représentative de la population de la ville, une population de ville portuaire. Tous deux ont, en effet, deux grands parents irlandais (3).

Pourtant, au milieu des années 60, à un moment clé de leur parcours, John Lennon et Paul MacCartney, en écrivant deux des chansons les plus intemporelles du groupe, reviennent dans la ville de leur enfance, avec un 45 tours de légende, une "double face A" : en ouverture "Penny Lane" (4), dans sa suite "Strawberry Fields Forever".

Liverpool en résumé (5)

  • 1207 : Le roi Jean sans Terre accorde une charte de liberté à Liverpool, il fait construire un château qui domine la Mersey et sera achevé en 1237.
  • XVIII° siècle : développement du port grâce au commerce triangulaire.
  • 1807 : abolition de l'esclavage. Progressivement le port se met à transporter davantage de migrants vers le nouveau monde.
  • 1941 : la ville est bombardée car elle sert alors de porte d'entrée aux approvisionnements venus des Etats-Unis.
  • 1960 : naissance des Beatles.
  • 1970-fin des 90's : la ville s'enfonce dans la crise. Emeutes de Toxteth en 1981 et 1985, grève des dockers à partir de 1995.
  • années 2000 : rénovation des docks et du centre (projet Liverpool One) et pour le 800° anniversaire de la fondation de la ville, Liverpool devient la capitale européenne de la culture en 2008. Un musée sur la Traite des esclaves ouvre en 2007.
Liverpool compte aujourd'hui 441 000 habitants (6), son maire est depuis 2010 Joe Anderson du Parti travailliste.



"Penny Lane/ Strawberry Fields" : Une double face A de légende.


C'est en 1967 que sort ce 45 tours incroyable destiné à figurer sur le 8° album du groupe. La situation des Beatles est alors à un tournant. Les 4 de Liverpool viennent de décider d'arrêter définitivement la scène et sont dans une phase de break (7) . Un vide commercial après l'album "Revolver", paru en août 1966, doit être comblé, c'est en tous cas le souhait de leur maison de disque, EMI. Depuis fin novembre 1966 a commencé, dans les mythiques studios d'Abbey Road, l'enregistrement de ce qui deviendra "Sergent Pepper's Lonely hearts club band" (8). "Penny Lane"" et Strawberry Fields Forever" étant les deux chansons dont l'enregistrement studio est le plus avancé, elles sortent, sous la pression, le 17/02/1967 en Angleterre (4 jours avant aux Etats-Unis) sous cette forme de double face A. En réalité, "Penny Lane" apparait en face A et "Strawberry Fields Forever" en face B, mais les deux titres sont jugés d'égale importance.

L'entrée de Penny Lane aujourd'hui.
(photo vservat)
Les deux chansons évoquent donc de façon extrêmement différentes, l'enfance de Lennon et Mc Cartney à Liverpool. McCartney écrit Penny Lane (la chanson sera toutefois créditée Lennon/MacCartney) en souvenir de ce quartier des faubourgs de la ville où il passa son enfance. Il y décrit par des flashs imagés des scènes d'une rue vivante dans laquelle il intègre des repères tout à faits réels, bien qu'il la peuple de personnages souvent imaginaires. Ces petits héros, avec leurs habitudes, leurs illusions, leurs bizarreries (le pompier avec un portrait de la Queen dans la poche) font de sa chanson un véritable mini reportage sur cette rue de la ville. A l'enregistrement seront ajoutés des sons qui téléportent véritablement l'auditeur au milieu de Penny Lane (la cloche des pompiers, par exemple). La chanson est également restée célèbre (comme l'autre titre du 45 tours d'ailleurs) par l'ajout de sonorités incongrues dans le monde du pop-rock. Ainsi dans"Penny Lane", on entend une trompette Piccolo jouée par David Mason. (8)





In Penny Lane there is a barber showing photographs

A Penny Lane il y a un coiffeur qui montre des photos
Of every head he's had the pleasure to have known

De chaque personne qu'il a eu le plaisir de connaitre
And all the people that come and go

Et tous les passants qui vont et viennent
Stop and say hello
S'arrêtent lui dire bonjour

On the corner is a banker with a motorcar

Au coin il y a un banquier avec une voiture
The little children laugh at him behind his back
Les petits enfants rient de lui derrière son dos
And the banker never wears a mac
Et le banquier ne porte jamais de ciré
In the pouring rain...
Sous la pluie battante
Very strange
Très étrange
Penny Lane is in my ears and in my eyes

Penny Lane est dans mes oreilles et mes yeux
There beneath the blue suburban skies

Là sous les cieux bleus de la banlieue
I sit, and meanwhile back
Je m'assieds et pendant ce temps.



In Penny Lane there is a fireman with an hourglass
Dans Penny Lane il y a un pompier avec un sablier
And in his pocket is a portrait of the Queen.
Et dans sa poche il a un portrait de la Reine
He likes to keep his fire engine clean

Il aime entretenir la voiture des pompiers
It's a clean machine

C'est une machine propre


Penny Lane is in my ears and in my eyes

Penny Lane est dans mes oreilles et mes yeux
Four of fish and finger pies (a)


In summer, meanwhile back

En été, pendant ce temps.

Behind the shelter in the middle of a roundabout

Derrière l'abri au milieu du rondpoint
A pretty nurse is selling poppies from a tray

Une jolie infirmière vend les coquelicots d'un plateau
And though she feels as if she's in a play

Et bien qu'elle se sente comme dans une pièce de théâtre
She is anyway

Elle l'est de toute façon
In Penny Lane the barber shaves another customer

A Penny Lane le coiffeur rase un autre client
We see the banker sitting waiting for a trim
On voit le banquier assis qui attend pour une coupe
Then the fireman rushes in

Puis le pompier se précipite à l'intérieurFrom the pouring rain...
Pour échapper à la pluie battante
Very strange
Très étrange

Penny Lane is in my ears and in my eyes

Penny Lane est dans mes oreilles et mes yeux
There beneath the blue suburban skies

Là sous les cieux bleus de la banlieue
I sit, and meanwhile back

Je m'assieds et pendant ce temps.

Penny Lane is in my ears and in my eyes
There beneath the blue suburban skies...
Penny Lane


(a) L'expression argotique "Four of fish" se réfère au fish & chips coûtant 4 pennies. Quant à "finger pie" il s'agirait également en argot, de décrire des prat.iques grivoises, souvent adoptées par les ados dans l'abri du rond point.

"The Shelter in the middle of the
roundabout"
(photo vservat)
20 Forthling Road Liverpool
(photo vservat)
4 personnages et un groupe peuplent donc cette rue : le coiffeur, le pompier le banquier, l'infirmière et les enfants. D'aucuns diront que le LSD a un peu embrumé l'esprit de l'auteur mais peut être est-ce simplement le flou des souvenirs et la multitude des détails qui affluent qui lui fait parler à la fois d'un jour d'été où il pleut des cordes, alors que l'infirmière vend les "Poppies" (9) traditionnellement vendus début novembre. Toutefois, cela ne porte pas préjudice à la démarche : c'est bien une rue d'un quartier animé, habité par une classe moyenne plutôt modeste qui croise la jonction de Smithdown Road et Allerton Road. Des souvenirs qui reviennent aisément au bout de la plume de Paul Mc Cartney qui a grandi à partir de 1955 à Forthlin Road, au n°20 de la rue, quelques centaines de mètres au sud de Penny Lane.


Les grilles du jardin de Stawberry Field sur Beaconfield
Road, Liverpool. (Photo Vservat) 
"Strawberry Fields Forever" est la composition de John Lennon, bien que, de nouveau, elle soit créditée Lennon/Mc Cartney à sa sortie. L'enregistrement de la chanson s'est étalé sur un temps remarquablement long, puisqu'il prendra environ 1 mois, se terminant peu avant Noel 1966. Il nécessita 26 prises et de nouveau l'intervention d'instruments tout à fait iconoclastes pour le monde du pop-rock : un mellotron et un swormandel (instrument originaire du sous continent indien ressemblant à une cithare), du violoncelle et de la trompette. Il incorpora des nouveautés techniques relevant des expériences du petit chimiste ou du sorcier de studio telles les variations de vitesse d'enregistrement des bandes. C'est sans doute, un des morceaux les plus complexes en terme d'orchestration et de travail des sons que les Beatles aient produit.



Le manuscrit des paroles de
Strawberry Fields Forever
de la main de John Lennon.
Le titre de Lennon n'emprunte pas les mêmes voies que le précédent pour se remémorer Liverpool. Là où MacCartney s'enracine dans le réalisme, Lennon laisse vagabonder sa plume et suit la voie de l'onirisme (bien aidé en cela par la drogue et en particulier le LSD). On reste toutefois dans le même quartier du grand port nord-ouest de l'Angleterre. Strawberry Field est, ou plutôt était, un orphelinat de l'Armée du Salut, situé à environ deux kilomètres au sud-est de la jonction Penny Lane/Smithdown Road. Lennon jouait enfant dans les jardins de cet orphelinat puisque, abandonné par son père, il est confié par sa mère, Julia, à sa tante, qui habite 251 Menlove Avenue (voir photos de la maison ci dessous). Lennon grandit dans un secteur beaucoup plus aisé de la banlieue liverpuldienne, où vivent bon nombre de médecins et avocats (Rappelons que les deux autres membres du quator sont, eux, de véritables rejetons de la working-class et des cités ouvrières de Liverpool).

Éternels fans des Beatles, les mancuniens
d'Oasis choisissaient en couverture de leur
single "Live Forever" sorti en aout 94, une
photo du 251 Menlove Avenue.




La maison de "Aunt Mimi" ou Mendips, dans
laquelle Lennon vécut jusqu'en 1963 à deux pas
de Stawberry Field.
(photo vservat)
Plaque du 251 Menlove Avenue.
(photo vservat)













Il ne reste aujourd'hui que peu de choses de l'endroit dont parle John Lennon puisque le bâtiment de l'orphelinat contemporain de l'auteur a fermé définitivement ses portes en mai 2005. On peut encore voir l'entrée avec ses grilles, mais l'immeuble victorien d'origine fut détruit en 1977. Dans un langage passablement crypté et sous influence lysergique, Lennon arrive néanmoins à faire revivre quelque chose de la douceur mais aussi des peurs de son enfance dans ce jardin où il venait se réfugier à l'ombre des arbres, ou animer avec quelques amis les fêtes d'été en vendant des "limonades pour 1 penny".(10)





Let me take you down, 'cause I'm going to Strawberry Fields.
Laisse-moi t'emmener car je m'en vais à Strawberry Fields
Nothing is real and nothing to get hung about.

Rien n'est réel et il n'y a pas de souci à se faire
Strawberry Fields forever.

Strawberry Fields pour toujours.

Living is easy with eyes closed, misunderstanding all you see.

La vie est facile les yeux fermés, sans rien comprendre de ce que tu vois
It's getting hard to be someone but it all works out, it doesn't matter much to me.

Cela devient dur d'être quelqu'un mais ça finit par marcher, et ça m'est bien égal
Let me take you down, 'cause I'm going to Strawberry Fields.
Laisse-moi t'emmener car je m'en vais à Strawberry Fields.
Nothing is real and nothing to get hung about.

Rien n'est réel, pas de souci à se faire
Strawberry Fields forever.

Strawberry Fields pour toujours.

No one I think is in my tree, I mean it must be high or low.

Personne, je pense n'est dans mon arbre, je veux dire qu'il doit etre en haut ou en bas
That is you can't you know tune in but it's all right, that is I think it's not too bad.

C'est pourquoi tu ne peux rien capter mais ce n'est rien, c'est que je pense que ce n'est pas plus mal
Let me take you down, 'cause I'm going to Strawberry Fields.
Laisse moi t'emmer car je m'en vais à Strawberry Fields.
Nothing is real and nothing to get hung about.

Rien n'est réel et il n'y a pas de souci à se faire
Strawberry Fields forever.

Strawberry Fields pour toujours.

Always, no sometimes, think it's me, but you know I know when it's a dream.
Toujours, non parfois, je pense que c'est moi, mais je sais quand c'est un rêve.
I think I know I mean a 'Yes' but it's all wrong, that is I think I disagree.
Je crois que je sais que je veux dire "oui", mais c'est faux, c'est que je crois que je ne suis pas d'accord.
Let me take you down, 'cause I'm going to Strawberry Fields.
Laisse moi t'emmer car je m'en vais à Strawberry Fields.
Nothing is real and nothing to get hung about.
Rien n'est réel et il n'y a pas de souci à se faire
Strawberry Fields forever.
Strawberry Fields pour toujours.
Strawberry Fields forever
Strawberry Fields pour toujours.



Notes :
1 : Elle est due dès 1845 au mildiou qui affecte les récoltes de pomme de terre qui donne du travail et à manger à une population irlandaise rurale. Elle dure 4 ans, mais ses conséquences s'étalent sur des décennies par le déficit démographique provoqué, le décès massif des populations (500 000 à 1 million), les réfugiés et les émigrants étant estimés à 4 millions.
2 : Le Skiffle est une sorte de musique folk, blues et country originaire du sud des Etats-Unis se démarquant par l'utilisation d'instruments et d'accords simples. La batterie, par exemple est remplacée par un wasboard (planche à laver sur laquelle on tape avec des dés à coudre) ou un tea chest bass (un manche de balai fixé à une caisse de bois avec une corde tendue) pour jouer de la basse. On y emploie aussi des guitares acoustiques, des banjos, des kazoos.
3 : voir le site et l'article de Aug sur l'histgeobox : http://lhistgeobox.blogspot.com/2009/08/178-u2-sunday-bloody-sunday.html
4 : Le nom de la rue vient de celui du marchand d'esclaves James Penny.
6 : Voir le site
7 : En mars 1966, les déclarations de Lennon sur la célébrité des Beatles comparée à celle de Jésus font scandale. Il s'ensuit une tournée aux Philippines absolument apocalyptique qui doit se poursuivre ensuite aux Etats-Unis. Les déclarations sur Jésus de Lennon ont attisé les rancoeurs dans la Bible Belt et la tournée s'achève au Candlestick Park de san Francisco sous les interventions permanentes de la police. Suite à ces évènements les Beatles se séparent momentanément pour se remettre. Ils décident aussi de stopper les concerts et de se concentrer sur es disques.
8 : Les 2 titres ne seront finalement pas intégré à l'abum sorcier "Sgt Pepper" dont la durée d'enregistrement n'eut d'égale qe son inventivité technique, favorisé en cela par le fait qu'EMI ait mis le studio 2 d'Abbey Road à disposition du groupe en permanence. Ils seront ultérieurement intégrés au "Magical Mystery Tour".
9 : Le coquelicot ou poppy est la fleur que chaque anglais porte à la boutonnière pour le Remembrance Day, en hommage aux morts de la Grande Guerre.
10 : "In the class system, it was about half a class higher than Paul, George and Ringo, who lived in government-subsidized housing. We owned our house and had a garden. They didn't have anything like that. Near that home was Strawberry Fields, a house near a boys' reformatory where I used to go to garden parties as a kid with my friends Nigel and Pete. We would go there and hang out and sell lemonade bottles for a penny. We always had fun at Strawberry Fields. So that's where I got the name. But I used it as an image." Interview de John Lennon donnée au Magazine Playboy en aout 1980 et publiée en janvier 1981, donc après son assassinat. Elle se lit en intégralité ici.


Bibliographie :
Les Inrocks 2, The Beatles, le groupe du siècle, N° spécial.
Rolling Stones, The Beatles, Hors série collector, avril 2010.
Rock and Folk, Imagine The Beatles 2009, octobre 2009.
Steve Turner, Les Beatles - les secrets de toutes leurs chansons volume 2, années 1967-1970, Hors collection, 2010.
Jacques Colin, The Beatles, Gilles Verlant presse, Hors Collection, 2005.
G. Emerick, H. Massey, En studio avec les Beatles, Le mot et le reste, novembre 2009.


PS : Un merci appuyé à Virginie qui a corrigé mes traductions laborieuses depuis la Roumanie.