mercredi 9 mars 2022

Antonio, Giorgio e Daniela : Lu trenu di lu suli (1971) Quand la vie d'un Italien valait quelques sacs de charbon.

Comme une grande partie du continent européen, la Belgique et l’Italie sortent dévastées de la seconde guerre mondiale. La première se relève cependant bien plus rapidement que la seconde. Pour une reconstruction rapide, les différents secteurs économiques dépendent totalement du charbon. Or, l'essor de la production des charbonnages belges est entravé par le manque de main d’œuvre. Les travailleurs belges rechignent de plus en plus à descendre dans les mines, en raison de la difficulté et de la dangerosité du labeur à abattre. L'entrée dans la guerre froide contribue en outre au tarissement de la main d’œuvre originaire d'Europe de l'est. La pénurie de bras devient donc particulièrement problématique, à l'heure où seule une victoire dans la "bataille du charbon" assurerait le relèvement du pays. 

Jmh2o, CC BY-SA 4.0 via Wikimedia Commons
 
 
* Italie année zéro. 

Au sortir de la guerre, l'Italie, défaite, n'est plus qu'un champ de ruine. L'appareil productif est à terre. Les niveaux de chômage atteignent des sommets, au moment où le rapatriement de milliers de colons et de soldats font peser une pression supplémentaire sur un marché du travail exsangue. La situation sociale et politique apparaît comme pré-révolutionnaire. Plus que jamais, le recours à l'émigration paraît crucial. En 1946, à ceux qui se plaignent du manque de travail, De Gasperi, le premier ministre, déclare d'ailleurs: "Apprenez les langues et partez à l'étranger." La faim, la misère, l'absence de perspectives poussent donc toute une génération de jeunes Italiens à quitter leur pays, en particulier ceux originaires des régions pauvres du Mezzogiorno (les Abruzzes, les Pouilles, la Sicile, la Calabre) et du Nord-Est (la Vénétie, le Frioul).

* Des bras contre du charbon.  

C'est dans ce contexte que le gouvernement belge d'Union nationale, présidé par le socialiste Achille Van Acker, signe un accord avec les autorités italiennes, afin de pouvoir disposer des mineurs nécessaires au fonctionnement des charbonnages. (1) L'accord planifie une immigration collective, organisée d’État à État. Le texte, ratifié le 23 juin 1946, prévoit l’envoi en Belgique de 2 000 ouvriers par semaine, en échange de la fourniture de 2 à 3 millions de tonnes de charbon annuelles à prix préférentiel à l'Italie. (2) Les deux pays s’engagent en vertu d'une arithmétique simple. La Belgique a besoin de mineurs, mais les ouvriers belges sont réticents à descendre. Les autorités italiennes, elles, ne savent que faire d'une partie de la jeunesse, dépourvue de perspective d'emplois dans la péninsule. Dans le climat pré-révolutionnaire que connaît alors le pays, Rome voit comme une aubaine cette possibilité de se débarrasser de la main d’œuvre surnuméraire. Non seulement, l'émigration permettrait à des villages de subsister, mais aussi aux populations d'améliorer leurs conditions matérielles, grâce aux transferts de devises effectués par les exilés. C'est ainsi que le secteur minier belge devient le principal pourvoyeur d'emplois de l'émigration italienne.

* De belles promesses.

La plupart des candidats à l'exil imaginent partir de façon temporaire. Ils conservent la ferme intention de regagner leur patrie après avoir amassé suffisamment d'argent par leur travail. Avec l'adoption de sévères restrictions à l'immigration, les États-Unis cessent d'être la terre d'adoption par excellence de l'émigration italienne. En raison de sa relative proximité géographique, le choix de la Belgique s'impose donc pour de nombreux candidats italiens au départ. 

Pour convaincre les candidats au départ, la fédération du charbon belge organise de vastes campagnes de promotion sous la forme d'affiches ou de brochures de propagande. La Belgique est présentée comme un pays de cocagne, promettant de bons salaires, des logements convenables et de nombreux avantages sociaux. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres, comme de la théorie à la pratique. Ainsi, plutôt que de réformer et de chercher à améliorer les conditions de travail dans les mines, le patronat belge impose aux étrangers ce que les nationaux ont la possibilité de ne plus accepter: un travail dangereux, des conditions de vie précaires et une exploitation de tous les instants. 

 Officiellement, le recrutement doit se faire via les offices de placement italiens, mais dans la pratique les charbonnages belges organisent leur recrutement sur place en privilégiant les candidats politiquement "inoffensifs". Les recruteurs en Italie tentent de privilégier l’embauche de travailleurs recommandés par l’Église catholique et donc chrétiens, « considérés comme plus soumis et moins exigeants », observe Anne Morelli.

* Terminus Belgique. 

Les candidats au départ, âgés de moins de trente cinq ans, doivent se présenter à la gare de Milan. Ils y sont hébergés sommairement, jusqu'à l'arrivée du train hebdomadaire vers la Belgique. Les départs ont lieu en convois organisés. Avant de pouvoir monter  à bord d'un wagon, le futur mineur doit se soumettre à une visite médicale. Les candidats, dont la constitution est jugée trop faible, sont écartés, tout comme ceux que l'on suspecte d'être politisés.  Les individus sélectionnés signent alors un contrat de travail dont l'article 2 stipule que "l'ouvrier déclare savoir qu'il est engagé exclusivement pour le travail du fond dans les mines et il prend l'engagement de rester au service du charbonnage pendant toute la durée du contrat." Dès la montée dans le train, les émigrés sont accompagnés de gendarmes, ainsi que d'hommes de la sûreté, habillés en civil. Les futurs mineurs, considérés comme des protestataires en puissance, font l'objet d'une stricte surveillance tout au long du voyage. Tout propos tendancieux vaut renvoi. Un interprète désigné par le gouvernement italien, mais payé par les patrons charbonniers belges, accompagne également les passagers. Au terme du voyage, dont la durée peut aller jusqu'à cinquante-deux heures, les Italiens sont déchargés dans les zones prévues pour les marchandises. Rangés par numéro de puits, ils sont alors conduits en camion vers leur futur lieu de travail, dans un des cinq bassins charbonniers belges.

* De rudes conditions de travail.  

Mis à part pour l'extraction du soufre en Sicile, il n’y a pas, en Italie, de mines de quelque importance. Les émigrants italiens n’ont donc, avant leur arrivée en Belgique, aucune idée de ce qu’est le travail du mineur, dont la propagande patronale se garde bien de parler. Pour mener une vie décente, le mineur trime 6 jours sur 7, souvent plus de 10 heures par jour. Après un passage par la Salle des Pendus - le vestiaire aérien - les mineurs chaussent leurs galoches, puis se voient remettre un jeton sur lequel a été gravé un numéro. En échange de ce jeton, le travailleur se voit remettre une lampe. Il entre alors dans la cage et c'est la première descente dans la fosse. La peur serre les cœurs. Dans les galeries, les conditions de travail sont très difficiles et les mesures de sécurité quasi inexistantes. Au fil des ans, la santé du mineur se détériore en raison de l'inhalation de particules de poussières  de silice. Les salaires ne sont pas calculés sur un nombre d'heures de travail, mais sur les quantités de charbons abattues. Le chef porion exige toujours plus des mineurs sous ses ordres. Celui qui n'atteint pas les quantités attendues se voit infliger des retenues de salaire. Sous pression, les hommes se tuent à la tâche, négligeant les règles de sécurité.

Ceux qui refusent de descendre sont considérés comme en rupture de contrat. Signalés à la police des étrangers, écroués à la prison de leur arrondissement, ils sont alors regroupés à la caserne du Petit-Château, à Bruxelles, avant d’être renvoyés en Italie. 

* Les conditions de logement.  

Une fois remonté à la surface, le mineur aspire à pouvoir se reposer d'une journée de labeur exténuante dans un lieu confortable. Il n'en est rien. Selon les contrats signés à Milan, les charbonnages s'engagent à procurer aux ouvriers un logement convenable, meublé et à prix modéré. Les autorités belges savent pourtant pertinemment qu'elles ne pourront satisfaire les attentes des mineurs italiens, compte tenu du manque cruel de logements. Pour pallier la pénurie, elles parquent les mineurs dans des camps, que les nazis avaient fait construire pour les prisonniers polonais ou soviétiques. Les nouveaux venus s'entassent dans des baraquements insalubres de bois, de cartons bitumés, ou de tôles ondulées. Sur un sol en terre battue, un simple lit plein de punaises tient lieu de mobilier. L'eau courante et les sanitaires sont absents. Présentées comme provisoires, ces conditions d'habitation désastreuses se maintiennent au moins jusqu'aux années 1950.  

Au delà des difficultés de logement, la vie est dure et les immigrés italiens en Belgique souffrent du racisme. On moque leur accent, on les traite de "macaronis". Un des principaux obstacles reste la maîtrise de la langue. Il faut dire que rien n'est prévu pour apprendre le français ou le flamand aux Italiens de la première génération.  Les conditions d'accueil en Belgique font que de nombreux immigrés italiens se considèrent comme des déportés économiques, vendus par leur pays "pour un sac de charbon". En dépit de ces rudes conditions d'existence, après un certain temps d'installation, et à condition de disposer d'un logement adapté, le mineur arrivé seul, peut faire venir le reste de sa famille, comme le prévoient les accords bilatéraux.

Camille Detraux, CC BY-SA 4.0 via Wikimedia Common
* 8 août 1956: une catastrophe minière. 

Les accidents mortels provoqués par les éboulements ou les coups de grisou sont légions. Le plus célèbre, car le plus meurtrier de ces drames, se déroule à proximité de Charleroi. Le 8 août 1956, à 8 heures du matin, au charbonnage du Bois du Cazier, à Marcinelle, à l'étage 975 m, un wagonnet, mal engagé dans sa remontée vers la surface, fracasse une poutrelle métallique, sectionnant des fils électriques, une conduite d'air comprimé et un tuyau d'huile. Immédiatement, un arc électrique se déploie et enflamme l'huile. L'incendie éclate et se répand à toute allure à cause de l'air comprimé du ventilateur utilisé dans des galeries composées de nombreuses boiseries. Ce banal incident technique provoque pourtant le décès de 262 victimes, dont 136 Italiens. Ce dernier chiffre est en tout point conforme à la proportion d'Italiens, de 50%, parmi les mineurs de la région de Charleroi. 44 000 Italiens travaillent alors dans les mines de Belgique sur un total de 142 000 mineurs. 

La mine du Bois du Cazier était connue pour sa dangerosité et sa vétusté. En 1956, les portes sont encore en bois et on a toujours recours à des chevaux. Le manque de sécurité y est flagrant. Bien qu'un accident similaire se soit produit quatre ans auparavant au même endroit, les ingénieurs n'ont pas cru nécessaire de modifier les installations. Seule prime la remontée du charbon, de toujours plus de charbon. Les chefs porions, particulièrement durs, harcèlent tous ceux qui se plaignent de leurs conditions de travail. (3) Dans ces conditions, le nombre de syndiqués est insignifiant.

* Chronique d'une catastrophe annoncée. 

L'industrie minière belge avait été relativement préservée durant la seconde guerre mondiale, ce qui permit aux patrons des charbonnages de faire l'économie d'une modernisation des outils d'exploitation. La CECA, l’État belge distribuèrent des milliards de francs belges aux charbonnages, sans que ces derniers ne modernisent les installations. Conscients que le coût d'exploitation du charbon belge condamnait à terme les fosses, ils n'utilisèrent pas davantage les milliards de francs belges versés par l’État et la CECA (Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier) pour améliorer la sécurité des mines, préférant les empocher ou les redistribuer aux actionnaires.

Au lendemain de la catastrophe du Bois du Cazier, Gastone Lodolo, un ancien mineur de Marcinelle expulsé de Belgique en raison de ses activités syndicales, constatait, amer dans le quotidien l'Unitá:  "La tragédie de Marcinelle qui a coûté la vie à tant de travailleurs (...) est la logique conséquence d'un système d'exploitation inhumaine. La catastrophe s'est produite en août de cette année, mais elle aurait pu arriver n'importe quel jour des années passées et elle pourrait de nouveau se produire dans n'importe quelle mine à ce jour".   

Les tentatives de sauvetage. Wim van Rossem / Anefo, CC BY-SA 3.0 NL via Wikimedia Commons

* Les conséquences immédiates et plus lointaines de la catastrophe.

La catastrophe permet enfin de faire prendre conscience de l'insuffisance des normes de sécurité et des conditions de travail scandaleuses des ouvriers mineurs. Par son bilan humain terrible, le drame choque profondément en Belgique comme en Italie. Le recrutement des mineurs par villages entiers fait que certaines bourgades perdent une part très importante de leurs enfants. Le seul village de Manoppello, dans les Abruzzes, déplore ainsi 22 victimes. L'immense traumatisme, conduit les autorités italiennes à dénoncer  l'accord de 1946. Dès lors, il n'y a plus officiellement d'immigration encadrée, même si les arrivées, à titre individuel, se poursuivront encore longtemps. (4)

Comme souvent en pareilles circonstances, l'incendie donne lieu à une immense vague de solidarité internationale. (5) Après deux procès intentés contre les responsables du Bois du Cazier, seul l'ingénieur des mines responsable des travaux écopera d'une légère peine  de six mois de prison avec sursis et 2 000 francs d'amende. Dans le même esprit, la commission d'enquête parlementaire réunie aux lendemains du drame s'attarda sur les causes techniques de l'accident, plutôt que de dénoncer la cruauté d'un système d'exploitation inhumain, dont les vrais responsables ne seront nullement inquiétés. Drapés dans leur cynisme, les patrons des charbonnages s'emploient en effet à trouver un nouveau vivier de main d’œuvre en se tournant vers l'Espagne, la Grèce ou le Maroc (6), plutôt que de prendre les mesures permettant d'empêcher une nouvelle catastrophe.

* Le train su soleil.

En 1963, la catastrophe de Marcinelle inspire Lu trenu di lu suli ("le train du soleil") au poète sicilien, Ignazio Buttitta. En 1971, le trio Antonio, Giorgio e Daniela en donne une sublime  interprétation. Les mots, chantés en dialecte sicilien, racontent le parcours de Turi Scordu, ouvrier des mines de soufre à Mazzarino, en Sicile. "Sa maison est une tanière, son épouse, un tas d'os, la faim et l'huissier le harcelaient." Chassé par la misère, il emprunte ce "train du soleil", qui conduit les populations déshéritées du Mezzogiorno vers des contrées plus prospères.

"En Belgique, il travaille jour et nuit" dans "les mines de charbon (...) noires, noires, comme le sang de dragon. " "Après un an de souffrance", Turi convainc sa femme et ses enfants de le rejoindre. Dans le train qui doit permettre les retrouvailles, un bulletin spécial radiodiffusé annonce à la famille la catastrophe de Marcinelle. Après avoir décrit l'accident, le journaliste énumère le nom des victimes, parmi lesquelles figure le malheureux "Salvatore Scordu de Mazzarino". 


Notes:

1. La première vague d'arrivée significative de mineurs d'origine italienne a lieu dans les années 1920. Aux raisons politiques s'ajoutent des motifs économiques avec l'émigration d'ouvriers agricoles chassés par le chômage. Le contrôle étatique sur les immigrés se renforce au cours des années 1930, dans un contexte de crise économique. Au cours de l'entre-deux-guerres, 30 000 Italiens sont installés dans le "plat pays".

2. La fourniture de charbon belge à meilleur prix constitue en outre un atout précieux pour accélérer le redémarrage industriel.  

3. En 1952, Jean Van Lierde dénonce dans plusieurs articles les conditions déplorables de travail des mineurs. Pour avoir refusé de faire son service militaire, ils se voit infliger quinze mois de prison et trois ans de travail dans le charbonnage du Bois du Cazier. Il publie alors une série d'articles dans lesquels il offre une description sans fard de l'atmosphère déshumanisante et brutale des mines belges. Au bout de six mois de mine, en 1952, il est mis à l'index de tous les charbonnages du pays en raison de ses activités syndicales et journalistiques.

4. De nombreux Siciliens  trouvent du travail dans les grandes usines (Michelin, Côte d'Or) ou le bâtiment de l'agglomération bruxelloise.

5. Les auditeurs de l'émission Vous êtes formidables de Pierre Bellemare versent 28 millions de francs français pour venir en aide aux familles des victimes (204 veuves et 417 orphelins).

6. Ce n'est qu'en 1974, après le premier choc pétrolier, que l’État belge met fin au recrutement de main d’œuvre étrangère. 

 Sources:

A. "L'enfer de Marcinelle", "8 août, 8 heures du matin, 1956, Bois du Cazier" sur Radio Panik. 

B. "Comme un Italien en France" [Jukebox]

C. "L'immigration italienne en Belgique" par Anne Morelli ["un jour dans l'Histoire" sur la RTBF]

D. Le labo sur la RTS.

E. Page Wikipédia consacrée à la catastrophe du Bois du Cazier.  

Liens: 

- "Les Italiens en France: jalons d'une migration" [Musée de l'histoire de l'immigration]

- Mémoires de mines: la catastrophe de Marcinelle. [fresques INA]

 - D'autres chansons sur l'émigration italienne.



LE TRAIN DU SOLEIL

Turi Scordu, ouvrier des mines de soufre, habitant à Mazzarino, prit le "Train du soleil" pour suivre son destin. / Que faire à Mazzarino sans travail ? Après une grève, on le mit en prison.  / Sa maison est une tanière, son épouse, un tas d'os, et la faim et l'huissier le harcelaient. / Sept enfants et l'épouse,  huit bouches et huit ventres et le cœur, chargé de plaintes. / En Belgique, il travaille jour et nuit; il lui écrivait: ne mangez pas de pain noir. / Avec ma paie, achète des draps et des chaussures aux enfants, pour aller à l'école. / A son épouse, il écrivait: «les mines de charbon sont noires, noires, comme le sang de dragon.» / Après un an de souffrance, il se décida: "Chère épouse, viens, le pain manque au pays." / Ainsi, mère et fils, le cœur endolori, déguenillés, ont laissé Mazzarino. / La couvée de bohémiens arriva à la gare, leurs balluchons à la main.

La couvée avec la mère poule, monte dans le train, était-elle au ciel ou les pieds sur terre? / Le village au loin, monte... descend, et le train s'envole sans ailes et sans plumes. / A chaque arrêt, des émigrants montaient, décharnés, le visage émacié, comme les saints. / La nuit vint, une radio soulage leurs peines. / Rosa Scordu écoute et pense: "Qui sait ce que je trouverai... autre vie, autres gens, autres larmes, plus amères." / Et elle serre, dans ses bras, le plus petit et fixe, angoissée, là tout près, ses autres fils. / 

Et la radio, comme avant, joue un air de danse, interrompu par un discours de ministre: "Dernières nouvelles. une explosion s'est produite, en Belgique, dans la province de Charleroi, dans la mine de Marcinelle. Le nombre des victimes est assez élevé. Les premiers cadavres ramenés par les sauveteurs sont des compatriotes de Sicile. Voici la première liste des victimes: Natale Fatta, de Riesi province de Caltanissetta, Francesco Tilotta, de Villarosa province de Enna, Alfio Calabrò, de Agrigento, Salvatore Scordu de Mazzarino...»

«Mon mari ! mon mari !» Rosa Scordu crie et pleure, elle crie et pleure, comme si elle avait 100 voix. / Parmi les enfants, il y a celui qui pleure et ne comprend pas / Et les enfants ? certains comprennent, d'autres non, noyé parmi les ondes de cette mer sans poissons. / Tout autour, les émigrés ne savent plus que faire, eux aussi entraînés par les ondes de cette mer.

L'aube pointa sans soleil, Turi Scordu restait là.  / Rosa Scordu l'étreignait entre ses bras et se brûlait..