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dimanche 10 octobre 2010

Loca virosque cano (4), "Where the streets have no name" U2 redessine Belfast (1987).



Couverture de l'album
"The Joshua Tree"




Un titre dédié à l'Irlande en ouverture d'un album consacré à l'Amérique.

Formé en 1976 à Dublin, le groupe U2 s'est s'imposé progressivement sur la scène irlandaise durant ses 4 premières années d'existence. C'est avec "War" sorti en 1983 et particulièrement avec deux titres "New Year's day" et "Sunday Bloody Sunday", extraits de cet album, que le groupe assoit sa notoriété. Les célèbres producteurs D. Lanois, et Brian Eno se mettent aux manettes de leur album suivant "The Unforgettable fire" d'où sortiront encore des singles aux textes engagés comme "Pride"ou "Bad".



"The Joshua Tree" dont "Where the streets have no name" sera le 3ème single, est l'album de la consécration. Produit par le même duo, il confirme aussi bien la stature mondiale de la bande à Bono, qui s'est affirmée sur toutes les télés du monde lors du Live Aid de l'été 1985 (1) , et la nouvelle inspiration américaine du groupe.

L'album est encore une fois parsemé de titres très engagés qui suffiraient à faire vivre.... l'histgeobox durant plusieurs mois : "Bullet in the blue sky" dénonce l'impérialisme américain en Amérique centrale, "Red hill mining town" parle des mineurs, "Mothers of the disappeared" évoque les folles de mai en Argentine.

Livré dans un habillage noir et blanc accompagné de magnifiques photos signées Anton Corbjin (2), "The Joshua Tree" est un objet musical et artistique de très belle facture.


Couverture du single
"Where the streets have no name"
L’Irlande et son histoire politique, marquée par la partition du pays en 1921 (3), a inspiré au groupe irlandais la chanson qui les a rendus maîtres du monde du rock, des stades et les a affublés de l'image de groupe engagé. C'est en effet, avec l'évocation du Bloody Sunday de Derry qui eut lieu en 1972 dans un titre éponyme sorti en 1983 que la notoriété du groupe explosa. Avec "Where the streets have no name", U2 reprend l'étendard qui porte son identité irlandaise, en ouverture d'un album pourtant placé sous influence américaine. Techniquement, le morceau est un acte de bravoure qui le singularise au milieu des autres titres puisqu'il fallut lui consacrer 40% du temps d'enregistrement de "The Joshua Tree".(4)


Belfast : lecture d'un conflit en territoire urbain.


"I want to tear down the walls that hold me inside" : peacelines et développement séparé.

Certains diront qu'elle parle du paradis, de New York, des rues de l'Ethiopie, où Bono se rendit quelques temps avant d'écrire le texte (semble-t-il sur un sac vomitif d'Air India (5)), mais, en fait, c'est l'auteur lui même qui identifiera le territoire qui lui a inspiré la chanson d'ouverture de l'album "The Joshua Tree" : Belfast.

Dans une interview donnée au magazine "Propaganda" (le magazine du groupe (6)) la même année, le chanteur-auteur de U2, Paul Hewson, plus connu sous le nom de Bono, raconte la naissance de sa chanson. L'idée maitresse lui en est venue du sentiment de claustrophbie que l'on peut éprouver en milieu urbain, en particulier lorsque les villes vous enferment dans une image dont vous ne pouvez vous défaire, que cette dernière s'adosse à une identité socio-économique ou religieuse.


Justement à Belfast, il semble très facile de savoir si vous êtes (riche/pauvre, catholique/protestant, républicain/unioniste) en fonction de la rue dans laquelle vous vivez. C'est pourquoi Bono imagine une ville sans marquage socio-spatial dans laquelle les rues n'ont pas de noms de façon à libérer leurs habitants des carcans, des clichés et des préjugés qui entretiennent les tensions. On constate que sa réflexion n'est pas totalement dénuée de pertinence avec ces cartes de la capitale nord-irlandaise.


En rouge les quartiers à majorité protestante et vert ceux à majorité catholique.
Les unités territoriales de découpage sont des wards, des quartiers.

Certains sont séparés par des peacelines visibles en légende.

Le taux de chômage affectant les Wards. Il est souvent plus élevé en zone
catholique. On note toutefois que le bastion protestant de Shankill fait
exception.


Lorsque Bono écrit "Where the streets have no name", l'Irlande du Nord est un pays en proie à la guerre civile, bien que Londres n'ait jamais réellement qualifié les évènements qui secouent cette partie du Royaume-Uni ainsi, se limitant au terme générique de "troubles". L'opposition entre les loyalistes protestants (aussi qualifiés d'unionistes puisque fidèles à la couronne britannique), et les nationalistes catholiques (qu'on dénomme aussi républicains puisqu'ils souhaitent rejoindre la partie indépendante de l'Ile : la république d'Irlande) s'est radicalisée depuis la fin des années 60.


Les villes, Belfast, Derry, Portadown aussi bien que les bourgades sont non seulement des zones de contact entre les deux communautés mais aussi des territoires de discriminations. Le mouvement pour les droits civiques lancé à la fin des années 60 qui sera durement réprimé à Derry lors du Bloody Sunday, tirait sa légitimité et sa popularité de la revendication de l'égal accès aux emplois, logements, et droits politiques pour les catholiques.

Le bogside catholique de Derry
"vu"de la vieille ville protestante.
(Photo vservat)
Dans les territoires urbains d'Irlande du Nord, les quartiers forment des villages communautaires. Le Bogside est le quartier catholique de Derry, Sandy Row est un des quartiers protestants de Belfast. La mixité n'est pas de mise, la zone de contact entre les communautés est le territoire de tous les dangers : c'est le cas par exemple, à Belfast, entre Falls (catholique) et Shankill (protestant). Les deux "villages" sont fortement touchés par le chômage (+ de 20% de la population en 2001). Adossées l'une à l'autre, il a fallu séparer physiquement les deux entités pour limiter les violences quotidiennes et circonvenir les affrontements entre les communautés qui connaissent annuellement un pic lors des marches orangistes du mois de juillet. Edifiés pour être temporaires, d'abord simplement matérialisés par des barbelés et des chevaux de frise, d'immenses murs désignés sous le nom de "peacelines" s'élèvent à partir des années 80 à Belfast, entre autres. Ils sont souvent entourés d'un no man's land. Toujours présentes aujourd'hui, les "peacelines" consacrent l'ère du développement séparé. Certaines ont même fait l'objet d'investissements importants pour être rénovées en 2002 (7). Les murs que Bono veut abattre et qui le retiennent prisonnier (8) n'ont pas que la force des images portées par les paroles d'une chanson, ils balafrent le paysage de la ville.

La peaceline à Belfast.
(photo vservat)
Belfast : les dispositifs de
sécurité de la peaceline
(photo vservat)
Belfast : peacegate entre
Skankhill et Falls.
(photo vservat)
Belfast : Le no man's land
avant la peaceline à Shankill.
(photo vservat)

"Where the streets have no name" : L'appropriation des territoires par les communautés.


En 1987, quand sort le single "Where the streets have no name", les irlandais du nord ont encore fraîchement en mémoire les grands mouvements protestataires des prisonniers irlandais du pénitencier de Maze en 1981. Margaret Thatcher, la dame de fer, leur refuse le statut de prisonniers politiques : il se lancent alors dans un mouvement de protestation, restant nus dans leur cellule enroulés dans une couverture et faisant la grève de l'hygiène (Blanket and no wash protest). Ce mouvement se durcit en une grève de la faim dont le meneur sera le député Bobby Sands (hunger strike). Lui même et 5 de ses compatriotes y perdront la vie.


Dans l'appropriation du territoire urbain par les deux communautés, les mémoriaux, les figures des martyrs reproduites sur les murals (grandes fresques murales) transforment le paysage des rues et en constituent un marquage récurrent. On en trouve à foison dans les différents villages communautaires de Belfast, saturant parfois des pans entiers du paysage. Dans les lieux de sociabilité également, l'appartenance à une communauté s'affiche très largement et on ne les fréquente qu'en fonction de son identité politico-religieuse. Certains de ces lieux, les pubs, par exemple, furent choisis pour cible par les mouvements paramilitaires des deux camps. Il est alors évident que briser l'ensemble de ces dispositifs d'identification qui enserrent les gens dans une identité immuable et sans cesse présente au quotidien devient quasi impossible.


L'ensemble de ces dispositifs de marquage crée de véritables frontières intérieures qui entérinent et renforcent les antagonismes. La rénovation du centre ville de Belfast et sa population plus mixte irrigue finalement peu le reste de la ville. Même l'accord de paix de 1998 s'appelle de façon différente d'un côté ou de l'autre (accord de Belfast pour les unionistes, accord du vendredi saint- good Friday- pour les républicains).
Les enquêtes montrent que les contacts entre les communautés sont de plus en plus réduits (9). Aujourd'hui, la municipalité en est même réduite à proposer de plus en plus de services en doublons (postes par exemple) à la population, ultime signe que l'enfermement communautaire est resté d'actualité.






I want to run Je veux m'enfuir
I want to hide Je veux me cacher
I want to tear down the walls Je veux abattre les murs
That hold me inside Qui me retiennent prisonnier
I want to reach out Je veux tendre la main
And touch the flame Et toucher la flamme
Where the streets have no name Là où les rues n'ont pas de nom

I want to feel, sunlight on my face Je veux sentir le soleil sur mon visage

See that dust cloud disappear without a trace Voir ce nuage de poussière disparaître sans laisser de trace
I want to take shelter from the poison rain Je veux m'abriter de la pluie empoisonnée
Where the streets have no name Là où les rues n'ont pas de nom
Where the streets have no name Là où les rues n'ont pas de nom



Where the streets have no name Là où les rues n'ont pas de nom
We're still building Nous continuons à construire
Then burning down love, burning down love Puis à réduire l'amour en cendres, réduire l'amour en cendre
And when i go there Et quand j'irai là bas,
I go there with you... J’irai avec toi
(It's all i can do) (c'est tout ce que je peux faire)

The cities a flood Les villes sont submergées

And our love turns to rust Et notre amour s’oxyde
We're beaten and blown by the wind Nous sommes battus par le vent qui nous emporte
Trampled in dust Changés en poussière
I'll show you a place Je te montrerais un endroit
High on a desert plain Sur une plaine déserte
Where the streets have no name Là où les rues n'ont pas de nom
Where the streets have no name Là où les rues n'ont pas de nom



Where the streets have no name Là où les rues n'ont pas de nom
Still building Nous continuons à construire
Then burning down love Puis à réduire l'amour en cendres
Burning down love Réduire l'amour en cendres
And when i go there Et quand j'irai là bas,
I go there with you J’irai avec toi
(It's all i can do).(c'est tout ce que je peux faire)





Bibliographie / sitographie :


Sur le groupe :
http://www.u2.com
http://www.u2.com/discography/index/album/albumId/4031/tagName/Singles
http://www.u2france.com/actu/
http://www.u2achtung.com/
N° spécial du magazine "Vibrations" octobre 2010


Sur le maintien du communautarisme en Irlande :
http://www.ceri-sciencespo.com/publica/critique/article/ci16p24-30.pdf
http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMEve?codeEve=197
un article du monde diplomatique de juillet 2006


Sur les peacelines :
http://www.lab-urba.fr/articles/ballif_cultures_et_conflits.pdf


Notes :

(1) Organisé en juillet 1985, le Live Aid est un double concert à Londres et Philadelphie retransmis dans le monde entier. On est alors en pleine explosion du "charity businees" : des artistes parmi les plus connus ont déjà enregistré un disque intitulé "Do they know it's christmas?" dont les ventes sont destinées à lutter contre la famine en Afrique. Le Live Aid procède de la même logique puisque pendant la retransmission des concerts les spectateurs sont appelés à envoyer des dons. 150 millions de livres auraient été ainsi collectées suite au spectacle (le pays le plus généreux par habitant fut ... la république d'Irlande).

(2) Anton Corbjin est un des photographes les plus prisés des stars du rock. De Joy Division, à U2 en passant par Depeche Mode, de nombreux groupes ont fait appel à ses services. Sa notoriété a pris une nouvelle ampleur depuis qu'il a réalisé "Control", son biopic sur Ian Curtis, chanteur de Joy Division distingué par une caméra d'or à cannes en 2007.

(3) Le 6 décembre 1921, les principaux responsables du mouvement pour l'indépendance de l’Irlande Eamon de Valera, Michael Collins, Arthur Griffith signent le traité de Londres. Ce accord fait de l'Irlande du Sud (26 comtés catholiques) un état libre qui a la statut de dominion britannique. Au Nord, 6 comtés d'Irlande à majorité protestants restent dans le Royaume-Uni.

(4)-(5)-(6) source : wikipedia article sur la chanson (en anglais) et http://www.u2.com/discography/index/album/albumId/4031/tagName/Singles article qui met à disposition l'interview de Bono sur "Propaganda" dans laquelle il fait de Belfast la ville "où les rues n'ont pas de nom"


(8) Se référer à la 3° phrase du texte de la chanson.

(9) voir l'article du monde diplomatique juillet 2006.





jeudi 17 décembre 2009

195. Lila Downs: "El bracero fracasado".

"Les frontières délimitent les territoires des Etats et séparent les hommes. Elles constituent des discontinuités majeures dans l'organisation de l'espace et sont avant tout le produit de l'histoire. Il n'existe pas de frontières "naturelles" même si certaines suivent des limites physiques (un fleuve par exemple)"
Manuel de géographie de 2nde, Magnard, 2006


La mondialisation tend néanmoins à changer la donne. Elle renforce en effet la place des espaces transfrontaliers. Ainsi la frontière Etats-Unis/Mexique constitue une interface, c'est-à-dire une zone de contact entre deux espaces différenciés, en l'occurrence des territoires d'inégal développement
. Les écarts de richesses engendrent des dynamiques spécifiques. La Mexamérique égrène le long de la frontière les twins cities, lieu privilégié d'implantation des maquiladoras, les usines d'assemblages à capitaux nord-américains et à main d'oeuvre mexicaine installées côté mexicain sur la frontière Etats-Unis/Mexique.


Schéma sur l'espace frontalier Etats-Unis/Mexique. Réalisation d'Yves Guiet dont le site est particulièrement précieux. Cliquez sur l'image pour l'agrandir.


Cette frontière est longue de 3140 km. Aujourd'hui, elle se matérialise par une clôture surmontée de barbelés. Les points de passage demeurent peu nombreux, principalement situés dans les villes jumelles à cheval sur la frontière, telles que El Paso / Ciudad Juarez ou San Diego / Tijuana. C'est pourtant entre ces deux villes que fut
ériger le premier mur en 1994, année de l'entrée en vigueur de l'Alena, l'accord de libre échange Mexique - Etats-Unis - Canada.
Outre la proximité géographique, la mise en place de l'Alena, un autre phénomène explique l'importance et la croissance des échanges de part et d'autre de la frontière. En effet, une nouvelle communauté hispanique s’est implantée aux Etst-Unis, principalement dans le sud-ouest du pays. Elle attire chaque année d'autres migrants attirés par l'espoir d'une vie meilleure.
Ce rêve américain s'avère de plus en plus difficile à atteindre compte tenu du renforcement de la sécurité sur la frontière américaine, et des lois adoptées par les Etats-Unis, de plus en plus sévères envers les étrangers qui entrent et travaillent de façon illégale dans le pays. L'afflux de migrants illégaux ne faiblit pourtant pas et l'immigration illégale est en train de supplanter l'immigration légale. 11 millions d’immigrés illégaux vivent aujourd’hui aux Etats-Unis, dont 80% sont des Latino-américains, avant tout mexicains.

Le Mexique, membre de l’OCDE, de l’OMC, a pourtant le plus fort revenu par habitant de toute l’Amérique latine. Il s'agit d'un pays émergent non dépourvu de ressources. Par ses liens avec les Etats-Unis , c’est presque un pays « du nord ». Les deux Etats font partie de l'ALENA, l'Association de Libre échange des Etats d'Amérique du Nord, par exemple. Elle a permis d'accroître les échanges économiques entre les deux pays (échanges libres de droit, encouragement aux investissements). Pour autant, les termes de ces échanges sont inégaux et le Mexique souffre d'un rapport de domination, en tout cas de dépendance, à l'égard des Etats-Unis. Par exemple, les Etats-Unis absorbent 85 % des exportations mexicaines, alors que le Mexique ne fournit qu'un cinquième des achats américains.
Le niveau de développement plutôt moyen du pays permet de classer incontestablement le Mexique dans les pays du Sud. Les écarts de revenus qui le séparent du grand voisin du Nord restent très importants et expliquent que les flux de clandestins ne risquent pas de se tarir.

Ainsi des milliers de migrants poussés par la pauvreté quittent leurs pays dans l'espoir de trouver du travail et un avenir meilleur chez le grand voisin du Nord. Ce voyage est dangereux et semé d'embuches.
La chanson ci-dessous interprétée par Lila Downs dépeint avec humour les pérégrinations mouvementées d'un migrant confronté à toutes sortes de dangers. Sans le sou, affamé, esseulé, désorienté, il ne parvient pas à échapper aux gardes frontières.
Malheureusement, dans la réalité, l'issue de ces migrations se termine souvent bien plus mal.
Les clandestins s’exposent à de nombreux dangers au cours de ces véritables odyssées. Parfois pris en main par des passeurs sans scrupules ("les coyotes"), prêts à les abandonner au moindre danger, ils doivent aussi compter avec les gangs qui sévissent dans la région. De fait, ils constituent des proies faciles, victimes de nombreux vols à mains armées, viols, voire meurtres.
La nécessité de se cacher et de se débrouiller pour se déplacer accroît aussi les risques d'accidents. Ainsi, une des hantises des migrants est de tomber sous les roues des trains qu'ils empruntent de manière clandestine.

Une fois la frontière franchie, les difficultés ne font que commencer et il faut échapper aux nombreuses patrouilles de gardes-frontières qui sillonnent le long de la "linea". En 2006, la police des frontières américaine comptait près de 18 000 hommes. Ces derniers disposent de moyens modernes tels que des hélicoptères, des quads, des caméras de surveillance pour traquer des individus à pieds. Il sont épaulés par certains citoyens américains zélés qui se regroupent en milices afin de traquer les clandestins. La police parvient à arrêter chaque année environ 1,5 million d’illégaux, pour 500 000 passages illégaux réussis.

Dans ces conditions, on comprend mieux qu'entre 1994 et 2004, plus de 3000 clandestins soient morts au cours de leurs tentatives. La plupart meurent de déshydratation, d’insolation ou d’épuisement en tentant de passer cette frontière, presque entièrement située en plein désert.
Or, ces dernières années, le passage est devenu encore plus difficile et risqué avec l'adoption d'une loi très restrictive sur l'immigration et l'érection de murs en certains points de la frontière américano-mexicaine. Qui mieux que W. Bush pour concrétiser cette brillante idée? Le 26 octobre 2006, ce dernier promulgue la loi du Secure Fence Act destinée à renforcer la surveillance de la frontière avec le Mexique et qui permet la construction de murs sur environs un tiers de la longueur de la "linea" (soit 1125 km). Hauts de 4,5 mètres et constitués de plaques d'aciers, ils sont surmontés de miradors et surveillés par des systèmes de video-surveillance.

Mais de quoi les Etats-Unis veulent-ils au juste se protéger en construisant un tel ouvrage? Cela reste très difficile à comprendre, puisque cette immigration clandestine constitue une main d'œuvre bon marché qui a représenté jusqu'à récemment une véritable soupape de sécurité pour l'économie américaine.
Le mur a été achevé l'année dernière, ce qui avouons le fait un brin désordre au moment où nous commémorons les 20 ans de la chute du mur de Berlin (les Etats-Unis furent d'ailleurs très discrets lors des cérémonies). Ce type d'ouvrage n'atteindra assurément pas son but. Des populations pauvres et désespérées continueront à tenter leurs chances, quitte à prendre tous les risques. En revanche, depuis que le mur existe, beaucoup de migrants saisonniers cessent de se rendre sur les grandes exploitations agricoles californiennes, au grand dam des fermiers américains, qui perdent du coup des sommes énormes.
Surtout, une politique migratoire digne de ce nom ne peut se résumer à la construction d'un mur. Les Etats-Unis refusent officiellement de régulariser massivement ces immigrants, mais semblent s'en accommoder une fois qu'ils semblent s'insérer dans le pays.

Au fond, l’immigration clandestine n’est envisagée que comme une menace, créatrice d'instabilité à cause des activités criminelles, notamment le trafic de drogue, qui existent dans cette zone frontière. Pourtant, elle pourrait être envisagée comme un avantage économique et démographique considérable pour les Etats américains riverains de la frontière.


Un immense merci à G. Aguer qui nous a signalé cette chanson (à voir sur son blog). Nous lui empruntons d'ailleurs sa traduction.



Lila Downs: "El bracero fracasado".
Cuando yo salí del rancho
No llevaba ni calzones
Pero si llegué a Tijuana
De puritos aventones

Quand j’ai quitté le ranch
Je n’emmenais pas même une culotte
Mais je suis bien arrivé à Tijuana
À force de faire du stop

Como no traía dinero
Me paraba en las esquinas
Para ver a quien gorreaba
Los pescuezos de gallina

Comme je n’avais pas d’argent sur moi
J’ai fais des arrêts à droite à gauche
Pour trouver à qui demander gratuitement
Des cous de poulet

Yo quería cruzar la línea
De la Unión americana
Yo quería ganar dinero
Porque ésa era mi tirada

Je voulais traverser la frontière
De l’Union américaine
Je voulais gagner de l’argent
Parce que c’était ça, mon plan

Como no traía papeles
Mucho menos pasaporte
Me aventé cruzando cerros
Yo solito y sin coyote

Comme je n’avais pas de papiers
Encore moins de passeport
Je me suis aventuré à travers les collines
Tout seul et sans passeur

Después verán cómo me fue
Llegué a Santana
Con las patas bien peladas
los huaraches que llevaba
Se acabaron de volada

Après, vous allez voir ce qui m’est arrivé
Je suis arrivé à Santana
Avec les pieds tout écorchés
Les sandales que je portais
Se sont usées rapidement

El sombrero y la camisa
los perdí en la correteada
Que me dieron unos güeros
que ya mero me alcanzaban

Mon chapeau et ma chemise
Je les ai perdus au cours de la course
poursuite
Que m’ont infligé quelques gringos
qui m’ont attrapé en deux tours trois
mouvements.

Me salí a la carretera
Muerto de hambre y desvelado
Me subí en un tren carguero
Que venía de Colorado
Y con rumbo a San Francisco

J’ai atteint la route
Mort de faim et à découvert
Je suis monté dans un train de
marchandises
Qui venait du Colorado
Et allait en direction de San Francisco

De un vagón me fui colado
Pero con tan mala suerte
Que en Salinas me agarraron

Je me suis glissé hors d’un wagon
Mais avec une telle malchance
Qu’à Salinas ils m’ont attrapé

Después verán cómo me fue
Llegó la Migra
De la mano me agarraron
Me decían no sé qué cosas
En inglés me regañaron

Après, vous allez voir ce qui m’est arrivé
[Les officiers de] l’immigration sont arrivés
Ils m’ont attrapé par la main
Ils m’ont dit je ne sais pas trop quoi
Ils m’ont crié dessus en anglais

Me dijeron los gabachos
« Te regresas pa' tu rancho! »
Pero yo sentí muy gacho
Regresar pa' mi terruño
De bracero fracasado
Sin dinero y sin hilacho

Ces gringos, ils m’ont dit
« Retourne dans ton ranch! »
Mais je me suis senti très mal
De retourner dans mon pays natal
Pauvre journalier raté
Sans vêtement et sans le sou

Ernesto Pesquera
Chanté par Lila Downs
Album “The Border” (la línea)

Sources:
* Les émissions du
dessous des cartes du:
- 8 mars 2007 consacrée aux "nouveaux murs";
- 28 février 2007: "le Mexique à la charnière du Nord et du Sud".
- 14 février 2007: "les hispaniques aux Etats-Unis".

Liens:
- En complément de cet article, un riche dossier sur la frontière Mexique/Etats-Unis concocté par Etienne Augris. Sur Samarra, il consacre un article aux Marras, il y revient aussi sur l'immigration hispanique aux Etats-Unis.
- Sur le blog de J.C. Diedrich: "la frontière américano-mexicaine au cinéma".
- Sur le blog de M. Raingeard: "frontières: lieux d'échanges ou de conflits".
- La passerelle d'Emmanuel Grange propose un article intéressant: "la crise: la fin de l'eldorado américain?".