vendredi 21 octobre 2022

Une plongée dans l'univers musical de Fela Kuti.

Fela Kuti est la figure fondatrice de l'Afrobeat, un genre musical né de la fusion d'éléments puisés dans la culture yoruba, le highlife ghanéen, le funk et la soul américaine. Le très riche répertoire de l'artiste permet une plongée musicale dans l'histoire du Nigéria, ce géant démographique africain dont les riches ressources ont été captées par la puissance coloniale britannique, puis par une oligarchie financière et militaire.

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Fela grandit au sein d'une famille bourgeoise influente, dont les membres sont de très fortes personnalités. Le grand-père paternel, J.J. Ransome Kuti, est pasteur. Au début du XXème siècle, il entreprend avec succès des campagnes d'évangélisation dans la province de l'Egbaland. Pour convaincre ses futurs ouailles, il accompagne ses prêches à la guitare et devient le "pasteur chantant". (1) Le père, Israël Oludotun Ransome Kuti, dit "Daodu", est un enseignant influent. A la tête de l'Abeokuta Grammar School, il impose des méthodes rigoureuses à ses étudiants auxquels il assène parfois des coups de chicotte. Sa mère, Funimulayo Ransome Kuti (FRK) est une personnalité exceptionnelle. Institutrice, elle développe très tôt une conscience civique aiguisée. A la tête d'un groupe de femmes issues de la bonne société d'Abeokuta, elle considère l'alphabétisation comme une priorité et l'arme indispensable à toute mobilisation. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, elle s'oppose aux taxes iniques imposées aux commerçantes par l'Akalé, le roi yoruba à la solde des colonisateurs britanniques. Les manifestations massives organisées par son groupe de femmes réussissent à faire abdiquer le satrape. Pour Fela, elle sera un modèle, une mère courageuse, indépendante, soucieuse de transmettre à sa progéniture des valeurs de résistance.

Portrait photographique de la famille Kuti, au début des années 1940. [Public domain]

Pas facile pour Fela de grandir dans l'ombre d'une famille si prestigieuse. Dans un premier temps, le jeune homme vit en dilettante, indifférent à la situation sociale et politique de son pays. Il suit ses cours en touriste et ne se passionne vraiment que pour la musique. En 1958, il se rend à Londres pour apprendre la trompette classique au Trinity College of Music. Avec son ami Jimo Kombi Braimah et des musiciens venus des Antilles anglophones, il forme un orchestre baptisé Koola Lobitos. La formation tente de créer une musique jazz mâtinée de highlife, un genre élaboré à Accra dans les années 1920. Lors de ce séjour anglais, Fela rencontre Remi Taylor, une jeune métisse qu'il épouse et avec laquelle il a rapidement deux enfants.

Indépendant depuis 1960, le Nigeria dispose d'atouts certains. Premier producteur d'huile de palme mondial, il est aussi un riche exportateur d'arachides et de cacao. La découverte de gisement de pétrole en 1956, laisse entrevoir de belles perspectives économiques dans le secteur des hydrocarbures. La constitution fait du pays un État fédéral, structuré autour de régions dominées par une ethnie majoritaire: Hausas et Fulanis au nord, igbos à l'est , Yorubas à l'ouest. De vives tensions intercommunautaires éclatent très vite, empêchant l'instauration d'un régime politique stable. En 1966, un groupe d'officier igbos, mécontents des résultats électoraux, renversent le gouvernement et placent l'un entre eux à la tête de l’État. Ce putsch n'est que le premier d'une longue série de coups de force perpétrés par les militaires. A peine arrivé au pouvoir, le général Johnson Aguiyi-Ironsi est assassiné et remplacé par le général Gowon. (2)

Revenons à Fela. En 1963, il rentre à Lagos et s'installe dans une maison que possède sa mère dans le quartier de Mushin. Le musicien se fait embaucher par la Nigeria Broadcasting Corporation, ce qui lui permet de bénéficier d'un accès illimité à la discothèque de la radio nationale. Le jeune homme parfait ainsi sa connaissance musicale, au détriment de son implication professionnelle. Le non renouvellement de son contrat, en 1965, contraint Fela à s'engager davantage dans la musique, dont il espère vivre. A cette fin, il reforme Koola Lobitos en y intégrant des musiciens aguerris comme Tony Allen à la batterie, Tunde Williams à la trompette, Christopher Awaifor au saxo ténor, Henry Coffi aux congas, Lekan Animashaun au saxo baryton... La formation se produit au club de Kakadu dans le quartier de Yaba. Le groupe peine encore à s'imposer et souffre de la comparaison avec les prestations explosives de Geraldo Pino au Stadium Hotel. Dépité, Fela se sent dans l'impasse. Pour prendre du recul, il se rend au Ghana et y trouve un nom pour la musique qu'il rêve de créer: l'Afrobeat, le tempo de l'Afrique. De retour au Nigeria, le musicien se voit confier la gestion du club du Kakadu Hotel, rebaptisé Afro Spot. Koola Lobitos y enregistre l'album Afro Beat on Stage... Recorded live at the Afro Spot. Sur deux titres (Waka Waka et Ako),  on y entend les prémisses du style Fela. 

En 1969, Fela s'envole avec quelques uns de ses musiciens pour New York. L'accueil est glacial et le groupe peine à trouver des engagements. La troupe tente alors sa chance en Californie. Fela y rencontre Sandra Smith. Membre du Black Panther Party, la jeune femme lui fait découvrir Malcolm X et Eldridge Cleaver. "Comme beaucoup d'Afro-américains à cette époque, Sandra Smith est fascinée par une Afrique mythique, magique, dont elle trouve l'écho à travers le personnage et la musique de Fela. Mais elle reste frustrée de le voir si peu conscient des ravages de la colonisation et de la nécessité pour toutes les jeunes nations africaines, nouvellement indépendantes, de reconquérir leur propre identité culturelle, enracinée dans la richesse ancestrale du vieux continent." (source A p 55-57) C'est donc paradoxalement à des milliers de kilomètres du Nigeria que Fela se découvre une conscience africaniste. Il perçoit avec plus d'acuité les maux qui ronge son pays. Dès lors, le musicien prône un retour à des valeurs africaines (la pratique animiste des orishas). Sur le plan musical, le séjour américain semble également bénéfique.

Lorsque Fela rentre au Nigeria début 1970, la guerre du Biafra vient de s'achever. (3) Un vent de changement souffle sur Lagos. La manne pétrolière entraîne la prolifération des chantiers de constructions. Les viaducs de béton enjambent désormais la lagune, dont les rives se hérissent de hauts immeubles. La ville reste néanmoins une anomalie brutale, une mégapole poussée de manière anarchique, sans planification urbanistique aucune; une cité portuaire tentaculaire, ville de violence et d'excès où se côtoient nababs de l'industrie pétrolière et migrants ruraux fraîchement installés dans d'immenses ghettos aux baraques et étals délabrées. 

Fela s'installe dans une maison située dans le quartier de Moshalasi Mushin. Il y dirige une sorte de communauté, au sein de laquelle il se comporte en gourou ou en monarque semi-éclairé. Toute une faune interlope composée de dealers de marijuana, de prostituées, se greffe bientôt autour de son quartier général. Le groupe investit le Club de l'Hôtel Empire qui prend le nom d'Africa Shrine, un "Temple" dont Fela devient le "Grand Prêtre".  Le public de Koola Lobitos rassemble non seulement les étudiants, mais aussi les populations nouvellement urbanisées. A cette époque, Fela abandonne le nom de Ransome - un patronyme britannique adopté par son grand père - et devient Anikulapo, "celui qui a la mort dans son carquois".

C'est dans ces années que Fela et ses musiciens donnent naissance à l'Afrobeat. Sur scène, l'orchestre rassemble de quinze à trente musiciens, tous placés sous la férule de l'omnipotent grand maître. D'opulentes sections de cuivres se mêlent aux guitares, aux orgues et percussions multiples (dont les maracas shekere). Les musiciens se relaient durant des concerts marathons, mais ne jouent jamais d'un seul bloc sur scène.  Les morceaux se développent sur des formats longs, correspondant à ce que peut contenir une face de 33 tours. Les titres prennent la forme de développements rythmiques lancinants, propices à la transe. Fela chante et psalmodie des textes incendiaires, traversés de solos d'orgue électrique ou de saxo alto. Par sa puissance de feu, le genre contamine immédiatement les pays voisins. 

En 1971, Koola Libitos devient Africa 70. La formation compte désormais 2 trompettes, 3 saxos, 3 guitares électriques, 4 percussionnistes, auxquels il convient d'ajouter Tony Allen à la batterie et la direction de l'orchestre, ainsi que six chanteuses assurant les chœurs. Cette année là sort l'album Shakara, fruit de l'association avec J.K. Braimah. Les textes de Fela, désormais rédigés en "pidgin english", (4) abordent les thèmes touchant l'ensemble de la société nigériane: les pratiques concussionnaires de l’État, la soldatesque nigériane ou la morgue de la bourgeoise africaine... "Go slow" dénonce par exemple les embouteillages monstres de Lagos, les comparant à la façon dont le pays est géré. "Gentleman" s'en prend aux Africains qui s'habillent à l'Occidentale. Dans "Je' nwi temi", le musicien affirme que personne ne pourra le faire taire. "Même si la vérité est parfois difficile à entendre, elle reste ce qu'elle est: la vérité." "Why black man dey suffer", toujours en 1971, dénonce les affres du colonialisme. Cette nouvelle liberté de ton agace les autorités. Le 30 avril 1974, une cinquantaine de policiers débarquent chez l'artiste en quête de produits stupéfiants dont la détention entraîne de longues peines de prison. De l'herbe est saisie et Fela emprisonné dans la cellule "Kalakuta" ("vaurien") de la prison  d'Alagbon Close. Pour mieux railler ses geôliers, le musicien rebaptise son fief "République de Kalakuta" et compose "Expensive shit", un morceau dans lequel il raconte comment il a avalé l'herbe apportée par les pandores pour le confondre. Demandant à observer la pièce à conviction, il l'ingère. Les policiers n'auront plus qu'à attendre la fin du transit pour tenter de retrouver la drogue dans l'étron fumant. Entre temps, Fela est parvenu à troquer sa crotte avec un codétenu. L'histoire aurait pu en rester là, mais le musicien en fait une chanson et elle est loin d'être merdique. (5


En novembre 1974, la police met à sac le fief de Fela, ce qui inspire à ce dernier l'album Kalakuta show. Plus la police frappe, plus il crée, plus la répression s'abat, plus elle l'inspire! Entre 1975 et 1977, Fela enregistre 23 albums remplis de chefs d’œuvre comme Yellow fever, Zombie, No agreement, Shuffering and Smiling, Sorrow Tears and Blood, Water get no enemy. Les paroles ciblent les déviances de la société nigériane postcoloniale (Colonial mentality), l'oppression insupportable qu'exerce le pouvoir militaire sur le peuple, la corruption des gouvernants (Monkey banana, Unnecessary Begging), la trahison des élites africaines soucieuses de vivre à l'occidentale en tournant le dos à leur identité africaine (J.D.D. = Johnny Just Drop).

En juillet 1975, deux généraux putschistes, Muhammad et Obasanjo, renversent le régime du général Gowon. La nouvelle junte met en œuvre des réformes populaires et promet de redonner le pouvoir aux civils à l'horizon 1979. Pour des questions de prestige, et pour restaurer l'image dégradée du pays après la guerre du Biafra, les gouvernants nigérians décident d'organiser un grand événement culturel international: le deuxième FESTAC (Festival mondial des Arts Noirs et Africains). Des stars internationales tels qu'Isaac Hayes, Stevie Wonder, Sun Ra, Gilberto Gil, Miriam Makeba se rendent à Lagos. Sollicité, Fela pose des exigences que les autorités ne peuvent accepter. L'artiste fustige ce qu'il considère comme une "pure escroquerie". Pour l'occasion, et afin d'impressionner les visiteurs étrangers, le gouvernement a mis en place une circulation alternée dans Lagos, ordonné le ramassage des ordures qui jonchent habituellement les rues, fait disperser les étals des commerçants ambulants. Fela, qui a décidé de se lancer en politique, annonce la tenue d'un "contre-festac" au Shrine. Dans la foulée, il publie le morceau "Zombie", une violente charge contre la brutalité de soldats assimilés à des morts-vivants. Habitué "à obéir sans réfléchir","Zombie ne pense pas, à moins que tu lui dises de penser." Obasanjo ne tolère plus ces provocations. Prétextant une rixe entre les soldats et des boys de Fela, le dictateur envoie l'armée détruire Kalakuta, le 18 février 1977. C'est à une mise à sac méthodique de la maison que procèdent les militaires. Non contents de détruire les véhicules et les instruments de musique, la troupe frappe, viole les femmes présentes, puis défenestre la mère de Fela. (6) Alors que le saxophoniste est emprisonné pendant un mois, le gouvernement décline toute responsabilité. Officiellement, l'attaque sanglante est attribuée à des "soldats inconnus". Le drame inspire aussitôt à Fela Sorrow, Tears and Blood et Unknown soldier. Dans la première, il dénonce la police et l'armée qui laissent derrière elles "la douleur, les larmes et le sang, leurs marques de fabrique." Sa maison brûlée, ses biens pillés, Fela est également contraint à l'exil au Ghana pour quelques mois. De retour à Lagos, le musicien réinstalle la Kalakuta Republik à Ikeja, reconstruit un nouveau Shrine et annonce la création du Movement of the People en vue des élections d'octobre 1979. Sa candidature sera finalement invalidée en mars. Cette même année, Tony Allen décide de quitter le groupe. 


En 1979, le second choc pétrolier provoque une nouvelle flambée des cours du brut. Pourtant, la manne pétrolière nigériane ne profite qu'à la petite caste au pouvoir. La corruption, qui tient lieu de mode de gouvernement, engraisse une poignée de richissimes potentats. La grande majorité des Nigérians ne bénéficieront jamais des retombées de l'exploitation de l'or noir, dont les cours s'effondrent à partir de 1981.

S.aderogba, CC BY-SA 4.0, via Wikimedia Commons

Fela et ses musiciens accèdent à la notoriété internationale au cours de la décennie 1980. L'orchestre tourne désormais très souvent en Europe (Allemagne, Italie, France, Belgique). Africa 70 a cédé la place à Egypt 80 qui se produit trois soirs par semaine au nouveau Shrine. Fela, le visage marqué de blanc, officie devant un autel consacré aux divinités africaines. Il ne jure plus que par le Professeur Hindu, un gourou magicien qui défend les thèses africanistes. Sous son influence, Fela s'enfonce toujours plus dans une paranoïa entretenue par le harcèlement policier. Le 11 décembre 1981, les forces spéciales opèrent une nouvelle descente dans le quartier général de Fela. Battu comme plâtre, blessé, il est incarcéré quinze jours sous l'accusation de vol à main armée. A sa sortie de prison, l'artiste compose Look and Laugh. "Obasanjo a passé la main au gouvernement de Shagari / Le gouvernement de Shagari a mené une politique sans queue ni tête pendant quatre ans / Pas plus d'eau que d'électricité avec Shagari / On dit que l'économie du pays s'effondre (...) / Que n'ai-je pas chanté sur ce pays / Chanté et rechanté / Jusqu'à ce qu'ils viennent / m'arrêter pour attaque à main armée / Je vois ça et je me marre, bien obligé (...) / Que n'ai-je pas chanté sur ce pays / Chanté et rechanté / Jusqu'à ce qu'ils viennent brûler ma maison / Toutes mes propriétés / En faire un grand feu / Me battre et me faire frapper / Tuer ma mère / Je vois ça et je me marre, bien obligé. (...)"

Les coups d'état succèdent aux coups d'état, mais quel que soit le nom du dictateur, la répression reste de mise. (7) Avec l'instauration d'un couvre-feu, les fêtes cessent, les clubs ferment, la musique se tait. Seul le Shrine continue ses activités. Le 4 septembre 1984 à l'aéroport de Lagos, alors qu'il s'apprête à embarquer pour la tournée américaine d'Egypt 80, Fela est pris en flagrant délit d'exportation de devises. Retour à la case prison pour une peine de 5 ans. L'annonce de la détention suscite un vaste mouvement de mobilisation. Amnesty International réclame la libération du "prisonnier d'opinion". En France, le groupe Jéricho, composé d'artistes réputés tels que Mory Kanté, Ray Lema, joue pour "faire tomber les murs qui enferment Fela." Finalement, le 24 avril 1986, après vingt mois de détention, l'artiste quitte sa geôle. Barclay publie alors un double 33-tours regroupant les morceaux Teacher don't teach me nonsense et Look and Laugh. Fela et sa troupe peuvent reprendre les tournées. Trois derniers albums sortiront encore (Beasts of no Nation en 1989, Overtake, don't overtake, overtake en 1990 et Underground system en 1992). Enfermé dans sa parano, Fela ne quitte plus sa maison. Son inspiration se tarit. Malade du sida, l'homme est emporté en quelques semaines. Il meurt le 2 août 1997. Ses obsèques suscitent une immense émotion.


* Un héritage immense. 

 Il faut attendre les années 2000, avec la réédition de ses disques, pour que l'héritage musical de Fela ne soit perçu à sa juste valeur hors d'Afrique. L’œuvre est fascinante, éminemment personnelle, chaque album liant le parcours du musicien avec la situation économique et sociale du Nigeria. Pléthorique, elle possède une incroyable cohérence stylistique, au point que la pulsation si particulière de sa musique est identifiable dès les premières secondes. Architecte des masses sonores, génie de l'arrangement pour vents, le saxophoniste apprécie la puissance de sections de  cuivres hyper compactes. Par sa musique, l'artiste cherche à provoquer l'effet de transe des rituels animistes. L'afrobeat ingère la culture occidentale pour mieux développer une culture autonome, un procédé qui n'est pas sans évoquer le cannibalisme culturel défendu par Oswaldo de Andrade dans son Manifeste anthropophage de 1928.

Le message politique et revendicatif des chansons de Fela - la dénonciation de l'exploitation des ressources nationales par de grandes firmes transnationales, du népotisme, des violences policières... - reste plus que jamais d'actualité au Nigeria ou pour les afro-descendants aux Etats-Unis. L'Afrobeat ne disparaît pas avec son créateur, loin s'en faut. Plusieurs générations d'instrumentistes prennent la relève de Fela. Deux de ses enfants, Femi et Seun, entretiennent l'héritage paternel. D'anciens musiciens de Fela continuent à entretenir la flamme à l'instar du batteur Tony Allen ou du guitariste Ogene Kologbo. La France, les Etats-Unis sont devenus des terres d'accueil du genre avec des formations telles que Ghetto Blaster, Fanga, SoulJazz Orchestra, Budos Band, Antibalas Afrobeat Orchestra...  Longtemps méprisée ou ignorée, l’œuvre de Fela est redécouverte et honorée comme le prouve la grande exposition que lui consacre la Cité de la musique à Paris.

Notes:

1. Au cours de sa croisade en faveur du retour aux valeurs culturelles et traditionnelles de l'Afrique ancestrale, Fela s'opposera violemment à l'héritage grand-paternel. 

 2. En 1975, après neuf ans au sommet de l'Etat, ce dernier est destitué. Son successeur, Murtala Ramat Mohammed, est tué six mois plus tard. En 1979, le chef d’état-major Olusegun Obasanjo finit par remettre le pouvoir à un civil après quatre ans de règne, mais le chef d'État élu, Shehu Shagari, est renversé en 1983 par le général Muhammadu Buhari. Deux ans plus tard, ce dernier est à son tour évincé...

3. Le colonel Ojukwu proclame la sécession de la région orientale du Biafra, ce qui déclenche une guerre civile particulièrement meurtrière, de 1967 à 1970.

4. la langue d'échange populaire commune à toutes les ethnies du Nigeria.

5. Ils utilisent ta merde pour te mettre en prison / Ils prennent ma merde parce qu'elle vaut cher / Ils montrent ma merde,  faut pas la perdre / C'était de la bonne dope / Wey Alagbon!

6. Le 13 avril 1977, à 77 ans, Funmilayo Kuti succombe aux blessures infligées par sa défenestration.

7. Lors du nouvel an 1984, le général Muhammadu Buhari organise un nouveau coup d'état et met en place un régime d'une violence extrême. La junte invente la "Guerre contre l'Indiscipline", s'arrogeant le droit de détenir en prison tout suspect, indéfiniment et sans procès. Le dictateur est renversé à son tour le 27 août 1987 par ses collègues du Conseil militaire suprême sous la direction du général Ibrahim Babangida. Ce dernier sera à son tour remplacé par le général Abacha, avant que ne revienne au sommet de l'Etat Obasanjo en 1999. 

Sources: 

A. François Besignor:"Fela Kuti, le génie de l'Afrobeat", Éditions Demi-Lune, collection Voix du monde, 2012. 

B. "Lagos et le Nigeria de Fela Kuti", dans l'émission Jukebox sur France Culture.

C. "Petit atlas des musiques urbaines", Editions de l'Oeuvre, 2010.

D. Lamoureux David, « Comprendre l’organisation spatiale de Lagos, 1955-2015 », Hérodote, 2015/4 (n° 159), p. 112-125.

E. "Fela Kuti (1938-1997), la musique est un sport de combat" (Une vie une œuvre sur France Culture)

F. Elodie Descamps: "Nigeria: Funmilayo Ransome-Kuti, la mère des droits des femmes", in Jeune Afrique, 7 mars 2018. 

G. François Bensignor: « Les origines de l’afrobeat »Hommes & migrations [En ligne], 1279 | 2009, mis en ligne le 29 mai 2013

H. "Histoires de Fela: Confusion Break bone" (Pan African Music)

I. «Fela Kuti: retour sur la vie et le combat du "Black president" en dix dates.» 

Liens:

"Flight010: Fela ci, Fela ça" (Radio Krimi) Merci Pierre Raingeard.

jeudi 20 octobre 2022

Les hommages musicaux à Malik Oussekine

 L'histgeobox dispose désormais d'un podcast diffusé sur différentes plateformes. Ce billet fait l'objet d'une émission à écouter ci-dessous:

 

Le 4 décembre 1986, 500 000 étudiants manifestent dans les rues de Paris contre le projet de loi Devaquet. Le ministre de l’enseignement supérieur a été chargé par Jacques Chirac, le premier ministre, de mettre en œuvre une loi de libéralisation de l’université et de sélection des étudiants. Le gouvernement cherche à passer en force. Depuis la mi-novembre, le climat est électrique. Le 4 décembre, en fin de journée, des heurts opposent étudiants et policiers sur l’esplanade des Invalides et au quartier latin. Pour assurer le maintien de l’ordre, le ministre de l’intérieur, Charles Pasqua, et son ministre délégué à la sécurité publique, Robert Pandraud, s’appuient sur les CRS et un peloton de voltigeurs moto portés, composé de policiers montés sur de petites Honda rouges. Le pilote conduit et son passager matraque grâce au bidule. 

Franck.schneider, CC BY-SA 3.0, via Wikimedia Commons

Dans la nuit du 5 au 6 décembre, la Sorbonne est évacuée. Vers minuit, trois voltigeurs chargés de ratisser le quartier latin en quête de prétendus casseurs, prennent en chasse un jeune homme qui court dans la nuit. Il s’appelle Malik Oussekine. Originaire de Meudon la Forêt, benjamin d’une famille de huit enfants marqués par le décès précoce du père, cet étudiant à l’École supérieur des professions immobilières a 22 ans. Malade des reins, il est sous dialyse, ce qui ne l’empêche pas de faire du sport. Pourquoi se trouve-t-il dans le quartier ? Peut-être vient-il d’assister à un concert de jazz, dont il est friand. En tous les cas, il n’est pas là pour manifester contre le projet Devaquet.

Oussekine est Français, mais ses origines algériennes font de lui un suspect tout désigné pour des policiers surexcités. Il est minuit lorsque son chemin croise celui des voltigeurs qui le prennent en chasse. Au numéro 20 de la rue Monsieur Le Prince, Paul Bayzelon, fonctionnaire au ministère des finances, lui ouvre la porte de son immeuble pour qu’il y trouve refuge, mais les policiers l’y poursuivent et le tabassent à mort. Le Samu ne pourra pas le sauver. L’annonce du décès de l’étudiant provoque la stupeur. 


 « Lorsqu’il essayèrent » du slamer Abd Al Malik dépeint le contexte dans lequel survient le drame. Il insiste sur la césure que marque l’événement. Avec beaucoup de finesse, il décrit un contexte marqué par le racisme. Rien ne semble alors pouvoir faire obstacle à la toute-puissance policière, et surtout pas Charles Pasqua, auquel les TitNassels empruntent un bout de discours dans Un homme est mort. En 1998, au milieu de la longue litanie des griefs formulés à l’encontre de la France dans son titre Hardcore, le groupe Ideal J de Kerry James lance : « Hardcore fut le décès de Malik Oussekine »

Au lendemain des faits, Alain Devaquet, profondément affecté par le drame, démissionne. Le reste du gouvernement, Pasqua et Pandraud en tête, réaffirme au contraire son soutien aux forces de l’ordre. Les policiers n’ont toujours pas pris le temps d’informer la famille de la victime qui apprend la nouvelle par les médias. L’un des frères de Malik venus voir sa dépouille à l’institut médico-légal, est placé sous le feu roulant des questions des inspecteurs de police. Loin de chercher à faire éclater la vérité, ces derniers s’emploient à disculper par tous les moyens leurs collègues. Apprenant l’insuffisance rénale de la victime, ils forgent alors un mensonge monstrueux : Malik Oussekine a été victime de sa maladie, non des coups portés par les voltigeurs. L’argument avancé, qui n’est qu’un gros bobard, fait pschittt...


Dans leurs compositions, les musiciens insistent au contraire sur les responsabilités de la police dans la mort de Malik Oussekine. … Un exemple avec la chanson "En pensant" du Bérurier noir. «N’oubliant pas Malik Oussekine / À Paris la police a ses crimes / En tirant sur la foule qui s’écroule / Mains levées, c’est l’armée, ils sont lâches / En frappant violemment l’étudiant / Les polices d’occident sont malades »

Les caméras de télévisions ont filmé le massage cardiaque de la victime en direct, donnant un écho médiatique considérable au drame. Sous la pression d’une opinion publique profondément choquée, Jacques Chirac est contraint de retirer le projet de loi Devaquet et de dissoudre le peloton des voltigeurs. En pleine cohabitation, l’événement devient politique. A l’assemblée nationale, Pierre Mauroy dénonce le racisme, tandis que le président Mitterrand se rend au domicile de la famille Oussekine.


Dans son tire "Paslimpseste" (2016), Dooz Kawa prévient « Dites aux barbouzes aux voltigeurs que les mensonges n’ont qu’un temps. J'entends jurer la République / Sur la tombe de Malik Oussekine / Dites aux barbouzes aux voltigeurs / Que les mensonges n'ont qu'un temps / Et qu'ils auront beau couper les fleurs / ça n'empêche pas le printemps. » De fait, le procès des policiers s’ouvre en mai 1990. A l’issue des débats, le brigadier-chef Schmitt et le gardien de la paix Garcia sont condamnés à des peines de cinq et deux ans de prison avec sursis par la cour d’assises de Paris, « pour coups et blessures ayant entraîné la mort sans intention de la donner ». Pour la justice, Oussekine est bien mort sous les coups des policiers, mais le verdict, particulièrement clément, heurte une partie de l’opinion. Le groupe La Rumeur s’en fait l’écho dans le morceau « On m’a demandé d’oublier » (1998) « On m'a demandé d'oublier les fracas de ces voltigeurs et ces balles policières en plein cœur / Puis l’sursis accordé à la volaille criminelle en habit / Ailleurs, mes frères écopent de peines alourdies, eh oui ! » Le groupe insiste sur la dimension raciste de ce crime, tout comme Akli D dans son titre Malik

 

Dans les années qui suivirent le drame, le fantôme de Malik Oussekine vient hanter politiques et forces de l’ordre à chaque nouveau mouvement social. Cette mort a conduit la police française à modifier sa doctrine du maintien de l’ordre. Il s’agit dès lors de faire preuve de retenue, de montrer sa force pour ne pas s’en servir, surtout de ne pas tuer. A leur façon, les chansons ont contribué à entretenir la mémoire. En 1988, avec la chanson  « Petite », Renaud rend hommage non seulement à Malik, mais aussi à Abdel Benyahia, assassiné par un policier le même jour qu’Oussekine et à William Normand, tué d’une balle dans le dos lors d’une opération de police, le 31 juillet 1986. 

LPLT, CC BY-SA 3.0, via Wikimedia Commons

Or, avec le temps qui passe, il y a un risque d’oublier le drame et les circonstances qui le rendirent possible. En 2006, une plaque est installée devant l’entrée du 20 rue Monsieur le Prince. On peut y lire : « « À la mémoire de Malik Oussekine / étudiant / âgé de 22 ans / frappé à mort / lors de la manifestation / du 6 décembre 1986 ». Nulle trace de l’implication policière, ce qui semble donner raison au groupe Assassin, qui chantait en 1995:  «Pas un mot sur les crimes quand l’État assassine / On t'opprime, si ça ne va pas ont te supprime / Po po po voilà comment la police s'exprime / Personne d'entre nous ne veut finir comme Malik Oussekine / / Bing, bang, la police est comme un gang ».

La multiplication de victimes récentes d’interventions policières mal maîtrisées (Rémi Fraisse, Adama Traoré, Zineb Rédouane, Steve Caniço, Cédric Chouviat, etc) devrait pourtant inciter le ministère de l’intérieur à réagir. Autant de morts qui replacent au centre des préoccupations la question des rapports entre les citoyens et leurs forces de l’ordre. Mais place Beauvau, on pense différemment. Ainsi, en pleine crise des gilets jaunes, le préfet de police de Paris, décide de créer la BRAV-M, une brigade de policiers à moto qui patrouille et va au contact des manifestants. Toute ressemblance avec la brigade des voltigeurs n’est bien sûr absolument pas fortuite...

Heureusement, en 2022, plus de trente-cinq ans après les faits, la mémoire de Malik Oussekine est célébrée par un film de Rachid Bouchareb : Nos frangins (qui sort en salle en décembre 2022) et par la mini-série Oussekine, diffusée sur Disney +. D’une rare justesse, la série d’Antoine Chevrollier redonne une identité, une épaisseur à Malik et sa famille, eux qui ont longtemps été uniquement réduits au seul statut de victimes. 

Sources:

A. Marjolaine Jarry:"Affaire Oussekine, trente-cinq ans après: Malik est encore si vivant", Télérama, publié le 15/5/2022.

B. "L'affaire Malik Oussekine en BD, série et film: la fiction au service du devoir de mémoire" [Affinités culturelles sur France Inter]

C. "Malik Oussekine, fauché dans la nuit", Affaires sensibles du 15 janvier 2020 sur France Inter.

jeudi 13 octobre 2022

Stigmatisation en chansons : le racisme anti-asiatique.

L'histgeobox dispose désormais d'un podcast diffusé sur différentes plateformes. Ce billet fait l'objet d'une émission à écouter ci-dessous:

  

Le rejet des populations asiatiques en Occident remonte au XIX° s. et s’inscrit dans le contexte d’une colonisation européenne qui se nourrit de la conviction de la supériorité de la « race blanche », comme on disait alors. Les Chinois apparaissent comme un peuple faible, en particulier au moment des guerres de l’opium, qui conduisent notamment à la mise à sac par les Européens du palais d’été de l’empereur à Pékin en 1860.

Dans la péninsule indochinoise, la conquête coloniale française se déroule dans la deuxième moitié du XIX° siècle. L’installation des premiers colons alimente très vite en France un exotisme de pacotille, dont la chanson « Opium », en 1931, est représentative.

La révolte des Boxers et la victoire des Japonais sur les Russes en 1905 changent la donne et offrent un contexte propice à l’apparition du « péril jaune ». [L’expression apparaît en France en 1895, après la publication dans la revue Le Monde illustré d’une allégorie représentant l’agression de l’Europe par des hordes asiatiques déchaînées.] Ce fantasme, dont la première occurrence remonte à 1895, traduit la peur d’une domination économique mondiale des Chinois et des Japonais. Dès lors, l’Europe craint de succomber à l’invasion de masses asiatiques cruels. 


Le péril jaune revêt d’abord une dimension économique. Les commerçants asiatiques installés en France à l’issue de la grande guerre font ainsi l’objet de vives critiques. Spécialisés dans la vente de ce qu’on appelle avec condescendance les « chinoiseries », ils subissent de nombreuses railleries. Celles-ci ont la vie dure comme le prouve l’écoute du Chinois de Trenet en 1966. La chanson décrit un commerçant à l’attitude sournoise. Le chanteur invite l’auditoire à s’en méfier. Voleur, assassin, fumeur et trafiquant d’opium, adorateur de Bouddha, dissimulateur, le Chinois représente ici un péril économique. Implanté en France, il concurrence les vendeurs hexagonaux. Trenet chante : « Ce marchand de chaussures n’est pas sûr, je t’assure avec sa jambe de verre, son œil de bois. Il n’a pas le teint du Rhône / Il a même le teint jaune cet homme-là / Méfie-toi, c’est un Chinois » Une seule solution, le renvoyer à Pékin ou le reléguer au fin fond du quartier chinois. La crainte du métissage est latente. « L’important c’est qu’il parte, car s’il reste (…) il est capable d’atteindre son but qui est de déteindre sur nous et, on sera quoi ? Tous des Chinois. »

Le péril jaune revêt également une dimension démographique. D’aucuns redoutent une submersion. Une sorte de grand remplacement avant l’heure. La stigmatisation est entretenue par les vagues migratoires. Les travailleurs asiatiques étant accusés d’accepter des salaires de misère et de pénaliser les ouvriers nationaux. Jacque Dutronc, et son parolier Claude Lanzman s’en amusent en 1966 dans « Et moi, et moi, et moi ». Le chanteur paraît bien seul face aux « 700 millions de Chinois ». 


La hantise du péril jaune s’estompe après la seconde guerre mondiale, car Chine et Japon sortent exsangues du conflit. Pour autant, les stéréotypes à l’encontre des populations d’origine asiatiques demeurent bien vivaces. La chanson populaire invite l’auditoire à rire aux dépens des Asiatiques en se moquant de la sonorité des langues orientales, forcément exotiques aux oreilles françaises. Cela donne Mao et moa chez Nino Ferrer, Ton thé t'a-t-il ôté ta toux? par Jean Constantin ou Ya kasiti chez Annie Cordy (1975). De nombreux titres insistent aussi sur la prétendue sournoiserie et duplicité asiatique. Dans Sur le Yang Tsé Kiang, le duo Charles Trenet et Johnny Hess raconte la trahison du jeune Sullipan qui séduit, puis tue sa gigolette. Ils glissent « Il lui dit tu s'ras ma gosse / Je s'rai ton petit chinois / Avec toi je s'rai pas rosse / Car j'adore ton p'tit minois / Minet, minois, chinois, sournois ». On ne saurait être plus clair.

On se gausse également de la prétendue lascivité des femmes asiatiques dans « Ma Tonkinoise ». Dans sa version pour homme, les paroles décrivent avec concupiscence une certaine Mélaoli, dont le nom constitue déjà tout un programme. Ici tout gratte, le son comme les mots…


L’ouverture de la Chine et la croissance économique fulgurante que connaît le pays au cours des années 1980-1990 réactivent la hantise du péril jaune. Par ses dimensions extraordinaires et sa population nombreuse, le pays inquiète autant qu’il attise les convoitises. D’aucuns redoutent une concurrence exacerbée, quand d’autres espèrent profiter d’une manne touristique inespérée. Toute honte bue, certains Européens accusent la Chine de mettre l’Afrique en coupe réglée, passant sous silence le pillage colonial passé.

Le racisme anti asiatique se prolonge tout au long su XX° siècle.  Les Asiatiques font l’objet de multiples railleries et sketchs prétendument humoristiques. Chez Michel Leeb, Kev Adams ou Gad Elmaleh. La stigmatisation physique (les yeux bridés, la petite taille) et les accents ridicules tiennent lieu de comique. Le cinéma n’est pas en reste.   Dans « Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ? », immense succès au box-office, le gendre d’origine asiatique incarne la figure du gendre idéal qui se distingue par sa soumission et son obséquiosité. Le film enchaîne les clichés qu’il prétend torpiller.

Les stéréotypes n’ont pas reculé et de nos jours, les individus d’origine asiatique sont souvent présentés comme appartenant à une communauté, forcément soudée, communauté modèle, polie, discrète, travailleuse, autant de clichés qui contribuent à essentialiser, à enfermer et à faire fi des origines très diverses des uns et des autres. Jusqu’à très récemment, on a continué à enseigner « Chang le petit Chinois » aux écoliers, alors même que la comptine est saturée de clichés. Extraits choisis : « Chang (…) mange du riz / Ses yeux yeux sont petits / riquiquis ». Sa tête fait pin-pong-ping ».

Les musiques urbaines actuelles, loin de se montrer plus tolérantes et au fait des spécificités culturelles des pays asiatiques, entretiennent stéréotypes et préjugés. Sur Chaos, Kaaris balance : « Je parle pas chinois, pas de Konnichiwa ». On confirme, il ne parle vraiment pas Chinois car Konnichiwa veut dire bonjour en japonais. 


Tout en finesse, sur Tchiki tchiki, Ademo de PNL interpelle une Japonaise dont la plastique semble davantage l’intéresser que la conversation. Il lance « Eh, j’parle pas tching tchong tchang tching tchang / Joue la folle dans ma chambre». Tous les clichés y passent. Lomepal « bosse comme un chinois » sur Majesté. Lorenzo « fourre à la chaîne comme un Chinois à l’usine » (Freestyle du sale). Rim’K  menace: « Prends exemple sur les Chinois. Ferme ta gueule et marche droit. » Soumis et toujours sournois. Dans « Les menottes », une garce manipule les hommes, ce qui fait dire à l’Algerino, l’auteur du titre, qu’elle les « tching tchang tchong ».

Le Covid-19 réactive les vieux réflexes racistes. Pour les abrutis, la maladie a une nationalité, forcément chinoise. La pandémie inspire ainsi à Renaud corona song. Nos oreilles et l’antiracisme ne lui disent pas merci. "T'as débarqué un jour de Chine, retournes-y, qu’on t’y confine. Dans ce pays, on bouffe du chien, des chauve-souris, des pangolins." La riposte sur les réseaux sociaux passe par le #jenesuispasunvirus.

Faut-il totalement désespérer ? Depuis une dizaine d’années, une prise de conscience s’opère et la lutte contre le racisme anti-asiatique s’affirme. « Ils m’appellent Chinois » de Lee Djane ou encore « Espèce de Chinois » par Korat dénoncent ce racisme banalisé et bien ancré dans notre société, racisme dont sont victimes des individus sans cesse ramenés à leurs origines, supposées ou réelles. Sur un ton offensif et sans victimisation, Thérèse s’emploie à compiler et détourner les stéréotypes qu’elle a subis en tant que jeune Française d’origine asiatique dans sa chanson Chinoise? « Chinoise, Chen Li / Massage / Polie / Soumise au lit / Katsuni ». 


Sources:

A. Racisme anti-Asiatiques. [réseau Canopé]

B. "Le racisme anti-asiatique en France des manifestations de 2010 au Covid 19" [France Culture]

C. "Le péril jaune, une angoisse dépassée?", Concordance des Temps du 23 mai 2015 avec l'historien François Pavé. 

D. Ces chansons qui font l'actu. "La chanson sait-elle toujours ne pas être raciste?" [France Info] 

lundi 3 octobre 2022

"En lutte! Carnet de chants"

Les excellentes Éditions du Détour viennent de publier "En lutte! Carnet de chants". Les auteurs de l'histgeobox y analysent 24 chants ayant marqué l’histoire des luttes. 

Des extraits et la table des matières sont consultables sur le site des éditions du Détour.

"Lutte des classes, révoltes féministes, demandes d’émancipation des peuples, toutes ces batailles sociales ont été accompagnées de chants scandés en cœur par la foule. Certains ont traversé les époques et les luttes, d’autres pas, mais ils ont tous joué un rôle important en leur temps.

Ces chants choisis, analysés et enrichis par les auteurs sont présentés dans leur contexte historique et dans leur résonance contemporaine, traduits en français. De « La Carmagnole » datant de la Révolution française jusqu’à « Balance ton quoi d’Angèle, en passant par la très célèbre « Bella Ciao » ou l’« Hymne des femmes », ce recueil regroupe des chants variés, portrait de la culture des luttes militantes à travers les époques.

Ce carnet de chants pas comme les autres est écrit sur un ton enjoué et direct, propice à découvrir l’histoire de nos luttes en chansons."

Le livre est disponible dans de nombreuses librairies et peut être commandé en ligne.