jeudi 13 octobre 2022

Stigmatisation en chansons : le racisme anti-asiatique.

L'histgeobox dispose désormais d'un podcast diffusé sur différentes plateformes. Ce billet fait l'objet d'une émission à écouter ci-dessous:

  

Le rejet des populations asiatiques en Occident remonte au XIX° s. et s’inscrit dans le contexte d’une colonisation européenne qui se nourrit de la conviction de la supériorité de la « race blanche », comme on disait alors. Les Chinois apparaissent comme un peuple faible, en particulier au moment des guerres de l’opium, qui conduisent notamment à la mise à sac par les Européens du palais d’été de l’empereur à Pékin en 1860.

Dans la péninsule indochinoise, la conquête coloniale française se déroule dans la deuxième moitié du XIX° siècle. L’installation des premiers colons alimente très vite en France un exotisme de pacotille, dont la chanson « Opium », en 1931, est représentative.

La révolte des Boxers et la victoire des Japonais sur les Russes en 1905 changent la donne et offrent un contexte propice à l’apparition du « péril jaune ». [L’expression apparaît en France en 1895, après la publication dans la revue Le Monde illustré d’une allégorie représentant l’agression de l’Europe par des hordes asiatiques déchaînées.] Ce fantasme, dont la première occurrence remonte à 1895, traduit la peur d’une domination économique mondiale des Chinois et des Japonais. Dès lors, l’Europe craint de succomber à l’invasion de masses asiatiques cruels. 


Le péril jaune revêt d’abord une dimension économique. Les commerçants asiatiques installés en France à l’issue de la grande guerre font ainsi l’objet de vives critiques. Spécialisés dans la vente de ce qu’on appelle avec condescendance les « chinoiseries », ils subissent de nombreuses railleries. Celles-ci ont la vie dure comme le prouve l’écoute du Chinois de Trenet en 1966. La chanson décrit un commerçant à l’attitude sournoise. Le chanteur invite l’auditoire à s’en méfier. Voleur, assassin, fumeur et trafiquant d’opium, adorateur de Bouddha, dissimulateur, le Chinois représente ici un péril économique. Implanté en France, il concurrence les vendeurs hexagonaux. Trenet chante : « Ce marchand de chaussures n’est pas sûr, je t’assure avec sa jambe de verre, son œil de bois. Il n’a pas le teint du Rhône / Il a même le teint jaune cet homme-là / Méfie-toi, c’est un Chinois » Une seule solution, le renvoyer à Pékin ou le reléguer au fin fond du quartier chinois. La crainte du métissage est latente. « L’important c’est qu’il parte, car s’il reste (…) il est capable d’atteindre son but qui est de déteindre sur nous et, on sera quoi ? Tous des Chinois. »

Le péril jaune revêt également une dimension démographique. D’aucuns redoutent une submersion. Une sorte de grand remplacement avant l’heure. La stigmatisation est entretenue par les vagues migratoires. Les travailleurs asiatiques étant accusés d’accepter des salaires de misère et de pénaliser les ouvriers nationaux. Jacque Dutronc, et son parolier Claude Lanzman s’en amusent en 1966 dans « Et moi, et moi, et moi ». Le chanteur paraît bien seul face aux « 700 millions de Chinois ». 


La hantise du péril jaune s’estompe après la seconde guerre mondiale, car Chine et Japon sortent exsangues du conflit. Pour autant, les stéréotypes à l’encontre des populations d’origine asiatiques demeurent bien vivaces. La chanson populaire invite l’auditoire à rire aux dépens des Asiatiques en se moquant de la sonorité des langues orientales, forcément exotiques aux oreilles françaises. Cela donne Mao et moa chez Nino Ferrer, Ton thé t'a-t-il ôté ta toux? par Jean Constantin ou Ya kasiti chez Annie Cordy (1975). De nombreux titres insistent aussi sur la prétendue sournoiserie et duplicité asiatique. Dans Sur le Yang Tsé Kiang, le duo Charles Trenet et Johnny Hess raconte la trahison du jeune Sullipan qui séduit, puis tue sa gigolette. Ils glissent « Il lui dit tu s'ras ma gosse / Je s'rai ton petit chinois / Avec toi je s'rai pas rosse / Car j'adore ton p'tit minois / Minet, minois, chinois, sournois ». On ne saurait être plus clair.

On se gausse également de la prétendue lascivité des femmes asiatiques dans « Ma Tonkinoise ». Dans sa version pour homme, les paroles décrivent avec concupiscence une certaine Mélaoli, dont le nom constitue déjà tout un programme. Ici tout gratte, le son comme les mots…


L’ouverture de la Chine et la croissance économique fulgurante que connaît le pays au cours des années 1980-1990 réactivent la hantise du péril jaune. Par ses dimensions extraordinaires et sa population nombreuse, le pays inquiète autant qu’il attise les convoitises. D’aucuns redoutent une concurrence exacerbée, quand d’autres espèrent profiter d’une manne touristique inespérée. Toute honte bue, certains Européens accusent la Chine de mettre l’Afrique en coupe réglée, passant sous silence le pillage colonial passé.

Le racisme anti asiatique se prolonge tout au long su XX° siècle.  Les Asiatiques font l’objet de multiples railleries et sketchs prétendument humoristiques. Chez Michel Leeb, Kev Adams ou Gad Elmaleh. La stigmatisation physique (les yeux bridés, la petite taille) et les accents ridicules tiennent lieu de comique. Le cinéma n’est pas en reste.   Dans « Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ? », immense succès au box-office, le gendre d’origine asiatique incarne la figure du gendre idéal qui se distingue par sa soumission et son obséquiosité. Le film enchaîne les clichés qu’il prétend torpiller.

Les stéréotypes n’ont pas reculé et de nos jours, les individus d’origine asiatique sont souvent présentés comme appartenant à une communauté, forcément soudée, communauté modèle, polie, discrète, travailleuse, autant de clichés qui contribuent à essentialiser, à enfermer et à faire fi des origines très diverses des uns et des autres. Jusqu’à très récemment, on a continué à enseigner « Chang le petit Chinois » aux écoliers, alors même que la comptine est saturée de clichés. Extraits choisis : « Chang (…) mange du riz / Ses yeux yeux sont petits / riquiquis ». Sa tête fait pin-pong-ping ».

Les musiques urbaines actuelles, loin de se montrer plus tolérantes et au fait des spécificités culturelles des pays asiatiques, entretiennent stéréotypes et préjugés. Sur Chaos, Kaaris balance : « Je parle pas chinois, pas de Konnichiwa ». On confirme, il ne parle vraiment pas Chinois car Konnichiwa veut dire bonjour en japonais. 


Tout en finesse, sur Tchiki tchiki, Ademo de PNL interpelle une Japonaise dont la plastique semble davantage l’intéresser que la conversation. Il lance « Eh, j’parle pas tching tchong tchang tching tchang / Joue la folle dans ma chambre». Tous les clichés y passent. Lomepal « bosse comme un chinois » sur Majesté. Lorenzo « fourre à la chaîne comme un Chinois à l’usine » (Freestyle du sale). Rim’K  menace: « Prends exemple sur les Chinois. Ferme ta gueule et marche droit. » Soumis et toujours sournois. Dans « Les menottes », une garce manipule les hommes, ce qui fait dire à l’Algerino, l’auteur du titre, qu’elle les « tching tchang tchong ».

Le Covid-19 réactive les vieux réflexes racistes. Pour les abrutis, la maladie a une nationalité, forcément chinoise. La pandémie inspire ainsi à Renaud corona song. Nos oreilles et l’antiracisme ne lui disent pas merci. "T'as débarqué un jour de Chine, retournes-y, qu’on t’y confine. Dans ce pays, on bouffe du chien, des chauve-souris, des pangolins." La riposte sur les réseaux sociaux passe par le #jenesuispasunvirus.

Faut-il totalement désespérer ? Depuis une dizaine d’années, une prise de conscience s’opère et la lutte contre le racisme anti-asiatique s’affirme. « Ils m’appellent Chinois » de Lee Djane ou encore « Espèce de Chinois » par Korat dénoncent ce racisme banalisé et bien ancré dans notre société, racisme dont sont victimes des individus sans cesse ramenés à leurs origines, supposées ou réelles. Sur un ton offensif et sans victimisation, Thérèse s’emploie à compiler et détourner les stéréotypes qu’elle a subis en tant que jeune Française d’origine asiatique dans sa chanson Chinoise? « Chinoise, Chen Li / Massage / Polie / Soumise au lit / Katsuni ». 


Sources:

A. Racisme anti-Asiatiques. [réseau Canopé]

B. "Le racisme anti-asiatique en France des manifestations de 2010 au Covid 19" [France Culture]

C. "Le péril jaune, une angoisse dépassée?", Concordance des Temps du 23 mai 2015 avec l'historien François Pavé. 

D. Ces chansons qui font l'actu. "La chanson sait-elle toujours ne pas être raciste?" [France Info] 

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