mercredi 25 juin 2008

57. La Tordue: "Paris, oct 61".

Après 7 ans de guerre d'Algérie, des négociations sont enfin ouvertes entre le gouvernement français et le Gouvernement Provisoire Algérien fin 1961. Dès lors, l’instauration d’un Etat algérien indépendant ne fait plus guère de doute.

Dans le contexte des Trente glorieuses, de nombreux  Algériens (alors Français) tentent leur chance en métropole. En effet, le manque de main d’œuvre incite les entreprises françaises à recruter des hommes en Algérie et au Maroc. La France compte alors 400 000 immigrés algériens dont 150 000 en région parisienne.
Ces populations vivent dans un climat d’insécurité permanente depuis le début de la guerre d’Algérie (1954). Ils subissent des contrôles de police constants et sont victimes du racisme ordinaire : les insultes fusent, les violences sont légions. Surtout, les autorités imposent un couvre-feu à ces « Français musulmans d’Algérie ». Or, pour exercer les contrôles, les policiers se fondent sur l’apparence physique. Le couvre-feu légalise en quelque sorte le délit de faciès.
Les journalistes de France-Oservateur affirme dans l’édition du 26 octobre 1961 : « La chasse à l’homme qui s’est instaurée dans la région parisienne, ce n’est même pas la chasse au FLN. C’est la chasse à l’Arabe- qu’il soit tunisien, marocain ou algérien[…] »
Depuis 1958, avec la radicalisation du conflit et l’arrivée au pouvoir de de Gaulle, le ministère de l’intérieur se lance dans une stratégie répressive, faisant des immigrés algériens les responsables de la défaite de l’Algérie française. Le préfet de police de Paris couvre les violences policières (bavures, arrestations abusives, actes racistes) qui se multiplient dans la capitale.

En 1961, les tensions s’accroissent encore avec une radicalisation des positions des principaux protagonistes du conflit. L’exaspération atteint son comble dans les rangs d’une police travaillée par l’extrême droite.
Le soutien à l'OAS et le racisme assumé de nombreux policiers incitent beaucoup d'entre eux à se faire justice eux-même. Dans le même temps, le FLN prend pour cible les policiers et multiplie les assassinats. A partir de la fin août, ces attaques deviennent quotidiennes et constituent une menace permanente pour la police. Les policiers réclament la plus grande fermeté de la part du préfet de police Maurice Papon. De nombreux policiers considèrent que les pouvoirs publics ne punissent pas assez vite ni assez durement les meurtriers de policiers. Dans le but d'empêcher les attaques menées par le FLN qui ont lieu principalement le soir et la nuit, Papon impose alors le couvre-feu aux « Français musulmans d’Algérie » à partir de 20 heures.
Le FLN invite aussitôt à transgresser cette mesure et pousse les Algériens à converger vers le centre de Paris, dans le but de défiler sur les Champs-Élysées, à l’Opéra et au quartier latin. Le soir du 17 octobre 1961, plus de 20 000 Algériens manifestent à Paris et dans sa banlieue.
Plaque commémorative.

Défié, le préfet de police ordonne de briser les cortèges et de multiplier les arrestations. Sur le terrain, une répression d’une rare violence sévit. Les policiers chargent les manifestants, usant et abusant du « bidule », la longue matraque blanche des forces de l’ordre. Les coups pleuvent sur des individus désarmés. Cette répression entraîne des dizaines de morts (de 50 à 200 selon les spécialistes) dont les corps seront repêchés dans la Seine les jours suivants.

En réprimant la manifestation, Papon se fait l'exécutant des ordres du gouvernement, mais sa responsabilité dans cette répression ne saurait être minimisée pour autant. Les propos qu'il tient lors des obsèques de policiers abattus début octobre 1961 semblent couvrir par avance les violences policières possibles: Pour un coup reçu, nous en porterons dix, “vous serez couverts.

Les arrestations sont massives : 11 538, près de la moitié des manifestants ! Entassés dans des bus bondés, ils sont acheminés vers des centres de détentions installés au Palais des sports de la Porte de Versailles, au centre de Vincennes, au stade Pierre de Coubertin. Les violences totalement gratuites se poursuivent alors dans ces centres de détention. Ces longues files d’attentes d’individus encadrés par une police omniprésente, parqués dans des lieux imposés, ne sont pas sans rappeler les rafles de juifs sous le régime de Vichy. 



La Tordue s'inscrit dans la mouvance du courant néo-réaliste qui gagne la chanson française au cours des années 1990 (Têtes Raides, Casse Pipe...). De 1989 à 2003 (date de leur séparation, ils insufflent une énergie poétique salvatrice dans leurs compositions. Avec ce "Paris, oct.61", le groupe revient sur les ratonnades policières d'octobre 1961.

Après un premier couplet assez classique dans lequel, les grenouilles de bénitier en prennent pour leur grade, la chanson dérive ensuite vers l'évocation du massacre des manifestants algériens:"Que la Seine est jolie / Ne s’raient ces moribonds / Qui déshonorent son lit / Mais qu’elle traîne par le fond / Inhumant dans l’oubli / Une saine tuerie / C’est paraît-il légal". Le groupe évoque "ces rats d’souche pas franche" en référence au terme injurieux servant à désigner les Algériens, les "ratons" (qui donnera le terme de ratonnade, c'est-à-dire leur passage à tabac). Un peu plus loin, ils évoquent l'oubli (organisé) dans lequel est tombé l'événement:"Et on leur fit la peau / Avant d’perdre la mémoire.....".

 

Sources :
- Raphaëlle Branche et Sylvie Thénault : « la guerre d’Algérie », La documentation photographique, n°8022, août 2001.

- Le dossier pédagogique de Zéro de conduite consacré au film « Nuit noire ».

- J.P Brunet: “Enquête sur la nuit du 17 octobre 1961″, in Les collections de l'Histoire n°15. 

 

La Tordue: "Paris, oct.61".
Paris sous Paris
Paris sous la pluie
Trempé comm’un’soupe
Saoul comm’un’barrique

Notre-Dame est vierge
Mêm’si elle est à tout l’monde
Et malgré son penchant
Pour les cierges

A l’heure où les gargouilles baillent
Le bossu du parvis
S’en va pisser sa nuit
Dans les gogues du diable
Alors bavent les gargouilles
Sur les premières grenouilles
S’entend de bénitier
Bien plus bêtes que leur pied
Qui ne fut jamais pris
O pas de mauvais plis
Dans leur lit refroidi
Tombeau des vieilles filles
Cachot de la vertu
Pourtant pas d’ciel en vue
Surtout pas de septième
Pour ces corps en carême
Au coeur empaillé
Au cul embastillé
A l’abri des bascules
Et à leur grand dam
Qui est tou’minuscule
Ne connaîtront jam-Ais
ni la grâce ni les
Grasses matinées

C’pendant que Paris
Paris sous Paris
Paris Paris saoul
En dessous de tout
Dessaoule par d’ssus les ponts
Que la Seine est jolie
Ne s’raient ces moribonds
Qui déshonorent son lit
Mais qu’elle traîne par le fond
Inhumant dans l’oubli
Une saine tuerie
C’est paraît-il légal


Les ordres sont les ordres
c’est Paris qui régale
Braves policières hordes
De coups et de sang ivres
Qui eurent carte et nuit blanches
Pour leur apprendre à vivre
A ces rats d’souche pas franche
Qu’un sang impur et noir
Abreuve nos caniveaux
Et on leur fit la peau
Avant d’perdre la mémoire.....

Des pandores enragés
Aux fenêtres consentantes
et en passant soit dit
Qui ne dit mot acquiesce
Durent pourtant résonner
De la chaussée sanglante
Jusque dans les Aurès
Leurs cris ensevelis
Sous la froide chaux-vive
D’une pire indifférence
Accompagnée de “vivent
les boules Quiès et la France!”

Croissez chères grenouilles
Que l’histoire ne chatouille
Pas t’jours au bon endroit
O bon peuple françois
Dort sur tes deux oreilles
Mais je n’jurerai pas
Loin s’en faut aujourd’hui
Que l’histoire ne s’enraye
Sous le ciel de Paris.


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