samedi 23 août 2008

78. Les Charlots :"Merci patron."

Ne nous le cachons pas, l’histgeobox s’est donné pour vocation de vous proposer un vaste panorama des chansons les plus ouvertement engagées du XXème siècle. Des chants de rage et de combat. Des brulots incandescents prêts à mettre le feu à la société. Nous ne pouvions donc décemment pas passer sous silence l’un des plus purs joyaux de la lutte sociale né de la fièvre de mai 68 : « Merci patron » des Charlots.

Bon je sais, j’exagère un peu, mais derrière cette chanson rigolarde et bon enfant se cache une intéressante vision de la vie ouvrière de la fin des trente glorieuses comme de la lutte des classes telle qu’on la voit au début des années 70.

Les Charlots sont un groupe comique qui va connaître à cette époque un immense succès sur scène et au cinéma. Gérard Rinaldi, Jean Sarrus, Gérard Filipelli, Luis Rego et Jean Guy Fechner. Ils ont commencé sous le nom des Problèmes comme musiciens d’accompagnement, notamment d’Antoine, avant de percer à la fin des années 60 comme un groupe de rock comique aux chansons légères et nonsensiques, parodiant les succès à la mode.

Très dans l’air du temps, inspirés par le mouvement hippie et la libération des mœurs de l’époque, ils vont devenir une sorte de version rigolote et politiquement inoffensive des jeunes anticonformistes aux cheveux longs qui se rebellent contre la société traditionnelle héritée du gaullisme.

Repérés par des producteurs, ils se lancent dans le cinéma et apparaissent dans des comédies loufoques assez premier degré reposant à peu près toutes sur le même canevas : les Charlots déboulent contraints et forcés au beau milieu d'une institution ou d'un lieu de pouvoir et y mettent le désordre le plus total en se comportant comme de grands gamins faisant tourner en bourrique les autorités. Il ridiculisent ainsi une élection municipale ("la grande java"), l’armée et le service militaire ("les bidasses en folie"), les Jeux Olympiques ("les fous du stade"), un supermarché qui menace les petits commerçants d’un village ("le grand bazar"…)...

Il ne faut pas essayer d’y chercher un engagement politique fort, mais plutôt le reflet du grand mouvement libertaire qui va souffler au début des années 70. Hélas avec le temps, leurs films s’enfonceront dans une médiocrité de plus en plus marquée et groupe, se réduisant de 5 à 3 sombrera peu à peu d’autant qu’avec l’âge il devient difficile de jouer les ados attardés.
Pour en savoir un peu plus sur ce groupe de joyeux drilles.

Mais les Charlots, ce sont d’abord des musiciens et en 1971, Rinaldi et Rego composent une chanson encore une fois bien innocente en apparence. "Merci patron" qui décrit de façon goguenarde la vie de l’ouvrier à l’usine et les relations hiérarchiques de l’entreprise, entre soumission, crainte respectueuse et sentiment de révolte bouillonnant doucement sous l'apparente docilité.


Quand on arrive à l'usine
La gaîté nous illumine
L'idée de faire nos huit heures
Nous remplit tous de bonheur
D'humeur égale et joyeuse
Nous courons vers la pointeuse
Le temps d'enfiler nos bleus
Et nous voilà tous heureux

La ï ti la la la ï ti la la ï hé

(Refrain)

Merci patron merci patron
Quel plaisir de travailler pour vous
On est heureux comme des fous
Merci patron merci patron
Ce que vous faites ici-bas
Un jour Dieu vous le rendra

Quand on pense à tout l'argent
Qu'aux fins de mois on vous prend
Nous avons tous un peu honte
D'être aussi près de nos comptes.
Tout le monde à la maison
Vous adore avec passion
Vous êtes notre bon ange
Et nos chantons vos louanges

La ï ti la la la ï ti la la ï hé

(Refrain)

Mais en attendant ce jour
Pour vous prouver notre amour
Nous voulons tous vous offrir
Un peu de notre plaisir
Nous allons changer de rôle
Vous irez limer la tôle
Et nous nous occuperons
De vos ennuis de patron

La ï ti la la la ï ti la la ï hé


Nous serons patrons nous serons patrons
À vous le plaisir de travailler pour nous
Vous serez heureux comme un fou
Nous serons patrons nous serons patrons
Ce que vous avez fait pour nous
Nous le referons pour vous

La ï ti la la la ï ti la la ï hé
 

Dans la chanson comme dans son scopitone, son clip d’époque que l’on pouvait voir sur les jukebox des bars de quartiers, on redécouvre l’atmosphère du monde ouvrier des années Pompidou. On y retrouve la pointeuse qui permet de compter les heures de présence à la chaîne, les fins de mois difficiles, le bleu de travail, véritable uniforme de l’ouvrier face au caricatural patron avec costume, belle voiture et bien sûr le cigare, symbole de pouvoir et de richesse.

Mais aussi derrière l’ironie et la légèreté feinte de ces louanges au bon patron paternaliste, la révolte qui couve sous l’ordre établi. La chanson va d’ailleurs connaître un véritable succès dans les milieux syndicaux et ouvriers qui la reprendront lors de grèves ou de manifs comme autant de moyen de contester l’ordre social.

Pour preuve cette publicité de 2003 pour le journal communiste l’Humanité qui reprend cette innocente chansonnette pour illustrer ses préoccupations anticapitalistes.




Alors bon, d’accord, ce n’est pas la chanson révolutionnaire du siècle, mais parfois un peu d’humour et d’innocence feinte peuvent aussi faire mouche.

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