mardi 23 février 2010

202. Hal Block with the Tony Borrello Orchestra: "The Senator McCarthy Blues". [1954]



Avec l'installation du monde de l'après-guerre dans la guerre froide, les Etats-Unis sont pris d'une véritable peur des "rouges", confinant souvent à la paranoïa. En 1947, au début de la guerre froide, Truman lance une enquête sur les fonctionnaires américains afin de vérifier s’ils cautionnent ou non les idées communistes.
Les craintes s’amplifient avec le blocus de Berlin et la guerre de Corée. Le sénateur républicain du Wisconsin, Mac Carthy mène ces campagnes contre l'infiltration communiste dans l'administration américaine. Il lance une « chasse aux sorcières » (en référence aux sorcières de Salem: en 1692, des femmes furent accusées de sorcelleries et brûlées vives dans une atmosphère de paranoïa puritaine) contre toutes les personnes suspectées de sympathies communistes, voire seulement progressistes. En 1950, il affirme détenir une liste de hauts fonctionnaires américains membres du parti communiste. L'emballement médiatique provoque alors une véritable "red scare", peur du rouge, propice à toutes les erreurs.Les accusations du sénateur reposaient en réalité sur des dossiers à peu près vides ou des extrapolations. Une simple déclaration de sympathie pour le mouvement syndical pouvait être exhumée et faire de vous un dangereux révolutionnaire en puissance.

Dans les faits, le parti communiste restait particulièrement marginal aux Etats-Unis, avec 20 000 membre tout au plus. Certes, il bénéficiait de nombreuses sympathies auprès des intellectuels et artistes. De là à penser qu'il pouvait représenter un véritable danger pour la démocratie américaine, il y a un pas, franchi avec la découverte de réseaux d'espionnage soviétiques implantés aux Etats-Unis, notamment dans le domaine ultra-sensible de la recherche nucléaire (voir l'affaire Rosenberg).


Pour traquer les communistes, les autorités réactivent la commission sur les "activités anti-américaines" (House Committee on Un-American Activities), qui avait pour mission de débusquer les citoyens aux sympathies nazies, au cours des années trente. Elle s'intéresse tout particulièrement aux milieux traditionnellement à gauche, ou en tout cas progessistes (les mouvements pour les droits civiques, les syndicats bien sûr, l'industrie du cinéma, les écrivains ou encore les étudiants). Au coeur du système de renseignement, on retrouve J.Edgar Hoover, patron et créateur du FBI, connu pour son anticommunisme viscéral et son goût très prononcé pour les procédures troubles (écoutes téléphoniques, chantages...). L'HCUA sait pouvoir compter sur de nombreux réseaux de surveillance qui incitent à la délation. Le financement de cette chasse aux sorcières est aussi rendu possible par de nombreux dons émanant de généreux donateurs (Walt Disney, Howard Hugues).Très vite, des listes de suspects sont dressées. Ces listes noires ratissent très larges et ne se fondent, la plupart du temps, que sur des racontars.


Tous les secteurs d’activité sont touchés, des vies et des carrières brisées, pour longtemps. De grands cinéastes doivent s'exiler (Losey, Chaplin). Des milliers de fonctionnaires sont révoqués (un peu plus de 7000). On assiste enfin à des parodies de procès, comme celui des époux Rosenberg, en 1953. Certes, l'ouverture des archives établit leur culpabilité, pour autant l'instruction fut entachée de nombreuses irrégularités et rien ne put empêcher leur exécution. Lors des nombreuses commissions d'enquête que McCarthy préside, il se révèle particulièrement agressif et brutal.


Joseph McCarthy en mai 1954. 

Mais bientôt, les méthodes et exagérations de Mac Carthy en font un élément gênant, y compris pour les Républicains. En effet, à partir de 1952, il se lance dans une surenchère totalement irrationnelle, s'en prenant à des personnalités au dessus de tout soupçon comme le secrétaire d'Etat George Marshall (jugé trop mou) ou encore à des institutions pourtant peu suspectes de gauchisme, comme l'armée et ses membres les plus éminents (Eisenhower!).
Joseph Welch (avocat de l'armée) vs Joseph McCarthy.
Surtout, les méthodes du sénateur, fondées sur l'insinuation, l'intimidation, voire le mensonge, lui aliènent une grande partie de l'opinion publique.
Cela apparaît au grand jour au cours des audiences du sénat américain sur le conflit entre l'armée et le sénateur McCarthy (du 22 avril 1954 au 17 juin 1954). Le retentissement de ces auditions s'avère considérable puisqu'elles sont retransmises à la télévision (en tout 187 heures de programme et des millions de téléspectateurs).
Une passe d'arme mémorable entre McCarthy et Joseph Welch, qui était l’avocat de l’armée, contribue à retourner l'opinion. Welch dénonce le sénateur comme un colporteur de ragots et s'insurge contre les attaques de McCarthy contre un de ses assistants :
« . . . C’en est assez des attaques assassines contre ce jeune, Sénateur. Vous en avez assez dit. N’avez-vous plus aucun sens de la décence? Ne vous reste‑t‑il donc aucun sens de la décence? »

Les violations caractérisées des libertés fondamentales finissent par isoler totalement McCarty qui meurt à 57 ans, oublié de tous. De 1950 à 1953, le maccarthysme mit à mal les libertés fondamentales aux Etats-Unis et crée une atmosphère propice au retour des républicains au pouvoir avec la victoire d'Eisenhower en 1952. 

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Ci-dessous, deux chansons évoquent la chasse aux sorcières ou la traque des rouges.

1. Le "blues du sénateur McCarthy", interprété par Hal Block et l'orchestre de Tony Borello (1954) brocarde notamment le cirque médiatique qui accompagne la chasse aux sorcières. Les chaînes de TV passent en boucle les auditions menées par le sénateur du Wisconsin. Ici la maîtresse de maison délaisse son foyer, absorbée qu'elle est par l'étrange lucarne qui s'impose alors pour la première fois comme un média de masse. Ce titre est issu d'une compilation (fabuleuse) de vieux morceaux de musique "du temps de la guerre froide".

Hal Block with the Tony Borrello Orchestra: "The Senator McCarthy Blues". [1954]

"j'ai le blues du sénateur McCarthy (...)

Because my gal won't leave her TV set,
I think that she's about to blow her fuse
I've got those open session, closing session,
End the session (...)

Parce que ma nana ne quitte plus son écran de télé,
Je pense qu’elle est train de faire fondre son tube cathodique
Je me tape les procès public, les huis clos,
Les fins de session

(...)

And she's got the dishes in the sink,
And her floor ain't mopped, too
She's got the washin' in the washer
She don't care what DUZ will do (...)

Et elle laisse le repas dans le four,
Le sol n’est pas fait non plus
Elle laisse le linge dans la machine
Elle se moque de ce que DUZ (le nom d’un détergent dont le slogan était «DUZ fait tout ») va faire (...)

Oh, here's the moral of the story
And this you ought to know
A good man of your own
Is better than a daytime TV show
Now if you got your man
McCarthy sure won't mind

Oh il y a une moral à cette histoire
Et vous devez la connaître
Un brave gars de votre espèce
Est meilleur qu’un show TV de la journée
Maintenant si tu te soucies de ton home
McCarthy ne s’en offusquera pas"


2. La chanson de Richard Farina évoque l’HUAC, institution chargée de traquer tous ceux qui seraient susceptibles de menacer les Etats-Unis. Pendant la chasse aux sorcières, elle s’est distinguée par des procès bâclés visant tous ceux ayant des idées progressistes.

Richard Farina et Mimi Baez.

Né d'un père cubain et d'une mère irlandaise, Richard Fariña grandit à Brooklyn et fréquente la jeune scène folk new yorkaise, notamment Bob Dylan. Figure de la contre-culture, il multiplie les titres engagés. En 1963, il épouse Mimi Baez, la sœur de Joan avec laquelle il collabore sur plusieurs titres folk. Trois ans plus tard, il meurt dans un accident de moto, le jour de la fête organisée pour ses 29 ans...



Artiste: Mimi & Richard Fariña
Chanson: House Un-American Blues Activity Dream

"Well I was lying there unconscious feeling kind of exempt.
When the judge said that silence was a sign of contempt.
He took out his gavel, banged me hard on the head.
He fined me ten years in prison, and a whole lot of bread.
It was the red, white and blue making war on the poor.
Blind mother justice, on a pile of manure.
Say your prayers and the Pledge of Allegiance every night.
And tomorrow, you'll be feeling all right.

Eh bien j’étais étendu inconscient, peu concerné.
Quand le juge déclara que le silence était une preuve de culpabilité.
Il prit son marteau, me frappant fort sur la tête.
Il me condamna à dix ans en prison, au pain et à l’eau.
C’était le rouge, le blanc et le bleu déclarant la guerre aux malheureux.
Justice aveugle, sur un tas de fumier.
Fais tes prières et prête serment tous les soirs.
Et demain, tu te sentiras bien."




* Liens:
- Pour les anglophones, le fameux duel entre McCarthy et Welch en 1954.
- une mise au point claire sur le maccarthysme.
- une synthèse (PDF) complète sur le site d'Olivier Andurand.
- un bon dossier consacré au sujet par Arte: le maccarthysme, une biographie de McCarthy, une chronologie détaillée.
- Une très bonne mise au point sur le blog de Richard Tribouilloy.

3 commentaires:

Unknown a dit…

Merci pour cet article. Je regrette toutefois que soit ici répété le lieu commun de la propagande neo-maccathyste suivant lequel il serait désormais établi que les épour Rosenberg étaient coupables... Ce qui a été établi est que Julius Rosenberg (mais non Ethel !) était membre d'un réseau de renseignement (pendant la guerre, donc à une époque où les Etats-Unis et l'URSS étaient alliés...) Mais le chef d'accusation qui l'a conduit, avec son épouse, à la chaise électrique n'était pas la simple appartenance à un réseau de renseignements, mais le fait d'avoir livré aux soviétiques le secret de la Bombe Atomique. Et cela, on le sait, était faux. L'exécution des époux Rosenberg a donc eu lieu non seulement sur la base d'un dossier vide bien que trafiqué, mais pour un crime qu'ils n'avaient pas commis.

Le Sot a dit…

Compliments, instructif.

Anonyme a dit…

J'écris un mémoire sur le maccarthysme, et je peux vous assurer que malheureusement les époux Rosenberg sont coupables, non pas d'avoir livré à l'URSS les plans de la bombe atomique, mais d'autres plan concernant des missiles ultra performants.
Lorsqu'après la Guerre Froide, les archives de la Russie et de la Chine ont été ouvertes, on découvre, par le biais d'un système appelé "Venona" (qui déchiffre les codes, etc) que le nom de Julius et d'Ethel sont mentionnés... Ainsi que leurs actions, etc. Certes, ils ont été des martyrs, mais ce sont sacrifié par amour pour le communisme. Ils ne méritaient en aucun cas la mort, même s'ils était des espions soviétiques. Voilà !

A lire : -Des espions Rosenberg, d'André Kaspi-