samedi 30 juillet 2011

241. Juliette: "Maudite clochette" (2005)

Le Mans, chef-lieu de la Sarthe, se distingue en 1933 par deux activités principales: les mutuelles et l'organisation d'une course automobile, "les 24 heures" dont on fête alors la dixième édition. Le 2 février, en fin d'après-midi, Monsieur Lancelin, ancien avoué et administrateur des Mutuelles du Mans, rentre chez lui au 6 de la rue des Bruyères, après avoir passé l'après-midi au cercle. Le notable vient chercher sa femme et sa fille avec lesquelles il doit aller dîner comme toutes les semaines chez son beau-frère l'avocat maître Albert Rinjard. Or, il a beau sonner, appeler, la porte reste close bien qu'il aperçoive une lueur provenant de la chambre des bonnes.
Inquiet, Lancelin se rend alors au commissariat. Accompagné de policiers, il parvient à pénétrer chez lui. Le silence règne dans une maison plongée dans l'obscurité. Deux gardiens de la paix (messieurs Ragot et Vérité. ça ne s'invente pas!) entreprennent de monter à l'étage. A la lumière d'une lampe torche, ils découvrent en haut de l'escalier un oeil humain, puis sur le palier les cadavres massacrés de Mme Léonie Lancelin et de sa fille Geneviève. Les deux victimes, défigurées, mutilées baignent dans leur sang. Leurs yeux ont été arrachés.
L'effroi quelque peu retombé, les agents poursuivent leurs investigations, redoutant de découvrir les cadavres des deux bonnes de la maison dont la chambre semble fermée de l'intérieur. Or, une fois la porte ouverte, ils découvrent Christine et Léa Papin allongées dans le même lit, en peignoir.
Léa et Christine Papin sur une photographie faite au Mans quelques années avant le "drame de la rue Bruyère".
* Qui sont celles que les journaux qualifient de "brebis enragées"?
Les deux soeurs, âgées respectivement de 28 et 21 ans en 1933, ont connu une enfance difficile. Le père est alcoolique. La mère, indifférente, ne s'occupe guère de ses filles. Le couple divorce en 1913. Les deux aînées, Emilia et Christine sont placées dans le strict couvent du Bon Pasteur, connu pour la rigueur de son règlement et les châtiments subis par ses pensionnaires. En 1918, à 16 ans, Emilia rentre dans les ordres, tandis qu'à partir de 1920 Christine est placée dans plusieurs maisons en tant que bonne à tout faire. La benjamine Léa quant à elle, obtient sa première place de bonne en 1924. A l'époque, la mère régente le placement de ses filles dont elle s'accapare les gages.
Christine entre en 1926 au service des Lancelin et parvient l'année suivante à y placer sa jeune soeur pour laquelle elle garde une très grande affection. Admirative, Léa semble totalement soumise à son aînée. Une affection exclusive lie bientôt les 2 jeunes femmes qui rompent avec leur mère et s'isolent. Vivant en vase clos, elles ne sortent plus guère que pour la messe dominicale.
Les rapports entretenues avec leur patronne ne semblent pas mauvais. Ainsi, Madame Lancelin encourage ses domestiques à s'affranchir de leur étouffante génitrice. Les soeurs reconnaîtront d'ailleurs après l'assassinat avoir été "assez bien traitées" et n'avoir "aucun grief contre ces dames."
Il n'empêche. Mme ne supporte aucune imperfection et vérifie scrupuleusement toutes les tâches. Elle enfile par exemple un gant pour s'assurer que la poussière a bien été faite. Monsieur, lui, ne s'adresse jamais directement aux deux bonnes. Madame prend l'habitude de communiquer avec ses employés par petits papiers ce qui participe à une raréfaction de la parole au sein de la maison.
A l'automne 1929, les Lancelin notent un changement de comportement des domestiques. Sombres, taciturnes, elles semblent se replier davantage encore sur elles-même.
A la fin août 1931, les deux soeurs reprochent au maire du Mans de ne pas les protéger des persécutions de leurs employeurs. Constatant l'état d'excitation des visiteuses et l'incohérence de leur langage, le secrétaire général conclut devant l'édile: "vous voyez bien qu'elles sont piquées."
Autant d'éléments qui attestent de tensions au sein de la maison Lancelin, mais rien qui laisse augurer pour autant le double crime.
* Le double assassinat du 2 février 1933 rencontre un écho considérable dans la France entière.
Les chroniqueurs y vont de leurs commentaires et s'opposent sur l'interprétation des faits. D'emblée, plusieurs thèses s'opposent.
S'agit-il d'un crime provoqué par un dérèglement mental ou est-ce le crime de la lutte des classes, lié à la haine sociale? Crime social ou crime de folles?
André Salmon pour Le Petit Parisien et les plumes anonymes de L'Humanité font des sœurs Papin les victimes de l'oppression sociale. Salmon écrit: "Les soeurs Papin? Deux orphelines tirées de l'orphelinat par une dame et sa fille faisant des deux orphelines des bonnes à tout faire. Les orphelines? Complètement abruties par leurs longues années d'orphelinat. Les patronnes, mère et fille, deux garces autoritaires, exigeantes, méchantes. Aucun jour de sortie pour les deux orphelines accablées de tâches sordides. Un soir, comme ces dames revenaient de la promenade, les deux orphelines leur sautèrent sur le poil et leur firent la peau."
D'autres au contraire prennent fait et cause pour les Lancelin. Il faut dire que l'assassinat suscite une peur panique dans de nombreuses familles bourgeoises employant des domestiques. D'aucuns redoutent que les Papin ne fassent des émules. * La sauvagerie du double assassinat déconcerte particulièrement.
"Christine a arraché les yeux de sa patronne de la même manière qu'elle le faisait aux lapins qu'elle préparait pour le repas", commente un journaliste.
A partir des déclarations des Papin et des constatations faites sur les lieux, on peut se faire une idée du déroulement du massacre qui aurait duré une vingtaine de minutes.
L'élément déclencheur de la tuerie reste obscure. Les sœurs avancent dans un premier temps qu'elles ont été menacées par les patronnes. Mme Lancelin se serait montrée très agressive envers Christine venue lui faire part d'un dysfonctionnement du fer à repasser électrique, à l'origine d'une coupure d'électricité. Agressées, les deux bonnes n'auraient donc fait que se défendre. Or, le rapport médical révèle que les victimes ont été attaquées par surprise.
Finalement, le 12 juillet, les soeurs passent aux aveux: "Ma soeur était énervée par le détraquement du fer et c'est ainsi qu'elle est entrée en fureur. Je ne l'avais jamais vue dans cet état-là et j'ai cru tout d'abord qu'elle avait été attaquée. Elle m'a expliqué ensuite que c'était parce qu'elle était en colère qu'elle s'était jetée sur Mme Lancelin", révèle Léa.
Tout semble en tout cas s'être déroulé très vite puisque le cadavre de Mme Lancelin arbore encore gants et manteau.
Le pot d'étain, les couteaux, le marteau utilisés par les soeurs réduisent les crânes des victimes en bouillies rendant leurs visages méconnaissables. Les Papin déchirent les sous-vêtements de ces dames, mettent leurs sexes à nu et tailladent les fesses de Mlle. Le légiste en charge des constatations évoque "un raffinement de cruauté". Pour autant, les Papin affirment ne pas avoir prémédité leur crime. "(...) je n'avais pas de haine envers elles, mais j'admets pas le geste qu'a eu ce soir Mme Lancelin à mon égard, clame Christine."
Les accusées dans le box lors de leurs procès au Mans en septembre 1933. Les soeurs se conduisent comme de simples figurantes. Christine gardent les yeux fermés tandis que Léa murmure des mots presque inaudibles.
* La question de la responsabilité. La culpabilité des sœurs ne fait aucun doute dans ce "drame [où] tout ensemble si simple et si ténébreux" (cf: les frères Tharaud). La question de leur responsabilité se trouve en revanche au coeur des débats et déclenche la "bataille des aliénistes".
Trois experts psychiatres commis par le juge d'instruction observent les deux soeurs afin de déterminer si elles n'ont pas été victimes d'une crise de folie hystérique ou de folie épileptique. Tous concluent à la responsabilité des soeurs, jugées saines d'esprit, qui auraient agi sous l'emprise d'une "colère noire".
Le procès s'ouvre donc au Mans en septembre 1934. Les audiences d'une rare banalité, laissent les observateurs sur leur faim.
Alors que les experts psychiatriques maintiennent leurs conclusions, le docteur Logre, médecin de la Préfecture de Police de Paris et expert psychiatre renommé, réclame au contraire un nouvel examen mental, plus approfondi, des prévenues. En vain. Il soutient la théorie du "troisième personnage" formé par l'entité des deux sœurs Papin, le véritable meurtrier d'après lui. Le journaliste Martin-Chauffier explique: "On imagine combien, chacun ressentant plus vivement encore que les siennes les humiliations de sa sœur, devaient se multiplier en se réfléchissant les rancunes de ce couple qui, en quelque sorte, constituait un troisième et monstrueux personnage. "
Logre réfute ainsi l'affirmation de ses confrères qui martèlent l'impossibilité que les deux soeurs aient sombré au même moment dans la folie. Pour ces derniers, les Papin entrent dans une colère noire et se vengent de leur patronne dont elles estiment qu'elle les persécute. La violence extrême du crime (l'énucléation, les blessures de nature sexuelle) démontre au contraire selon Logre qu'il y a bien maladie mentale, "délire partagé" des deux bonnes. Dans ce cas l’article 64 du Code pénal de 1810 pourraient jouer, car “il n’y a ni crime ni délit lorsque l’accusé était en état de démence au moment des faits”.
A la fin de l'année 1933, le jeune psychanalyste Jacques Lacan publie un article dans la revue surréaliste Le Minotaure. L'affaire confirme selon lui sa thèse sur la psychose paranoïaque. Lacan évoque l' "homosexualité inconsciente" des soeurs et le sentiment de faute qui lui serait lié. Les Papin se considèrent persécutées et dirigent leurs pulsions agressives contre le supposé persécuteur.
Le psychanalyste insiste sur l'isolement de soeurs vivant en vase clos une relation fusionnelle. "Vraies âmes siamoises, elles forment un monde à jamais clos [...]. Avec les seuls moyens de leur îlot, elles doivent résoudre leur énigme, l’énigme humaine du sexe." » La question de la sexualité s'avère donc centrale d'après Lacan dans ce double homicide.
Le 9 février 1933 Détective titre sur les soeurs Papin: "Deux anges? Non, deux monstres qui, au Mans, arrachèrent les yeux de leurs patronnes. Orbites vides, crânes défoncés, mais vivantes encore, les victimes moururent après une atroce agonie."
* Un procès bâclé.
Or, le caractère sadique et sexuel des blessures infligées aux victimes n'est pas abordé lors du procès. Les experts psychiatres n'en disent mot. Certes, le président interroge les deux soeurs sur leur relation. S'agit-il d'une amitié fraternelle poussée ou de rapports incestueux? Christine repousse cette dernière hypothèse et la cour se contente de sa réponse laconique.
De leur côté, Pierre Chautemps et Germaine Brière, les deux défenseurs des Papin, insistent sur les défaillances de l'expertise. Ils réclament à leur tour un examen approfondi de l'état mental des accusées, revenant en particulier sur la violente crise de nerf de Christine en juillet 1934 dans la prison du Mans. Sa conduite nécessite alors son placement en camisole. Mais pour l'accusation, il ne s'agit que de simulation.
Aussi, en dépit de l'atrocité du crime, de l'absence de mobile apparent, et alors même que les audiences mettent en évidence l'amateurisme de la police et les insuffisances de l'instruction, le procès est bâclé en deux jours.
* Le verdict. Le 30 septembre, après quarante minutes de délibérations, le "jury de campagne" ("les douze potirons" pour leurs détracteurs) condamne Christine à la peine de mort, Léa à la peine de dix ans de travaux forcés et vingt ans d'interdiction de séjour dans la ville du Mans. Leur pourvoi en cassation est rejeté. Le 22 janvier 1934, le Président Lebrun commue la peine de mort prononcée en travaux forcés à perpétuité.
Aussitôt, L'oeuvre ou L'Humanité s'insurgent contre ce verdict et prennent position en faveur de la condition ancillaire. Sous le titre "Sept années d'esclavage", le quotidien communiste note: "Ce procès ne devrait pas être celui des soeurs Papin toutes seules, mais aussi celui de la sacro-sainte famille bourgeoise au sein de laquelle se développent et fleurissent, quand ce n'est pas les pires turpitudes, la méchanceté et le mépris pour ceux qui gagnent leur vie à la servir."
De la même manière, en 1960, dans la Force de l'âge, Simone de Beauvoir remet en cause le jugement prononcé en 1933: "[...] Il fallait en rendre responsable l'orphelinat de leur enfance, leur sevrage, tout cet affreux système à fabriquer des fous, des assassins, des monstres qu'ont agencés les gens de bien. L'horreur de cette machine broyeuse ne pouvait être équitablement dénoncée que par une horreur exemplaire: les deux soeurs s'étaient faites les instruments et les martyrs d'une sombre justice."
En prison, l'état de santé mental de Christine se dégrade très vite. La détenue reste prostrée, refuse de s'alimenter et se mure dans un silence absolu. Diagnostiquée schizophrénique, elle est admise à l'asile saint-Méen de Rennes où elle décède le 18 mai 1937.
Léa reste durant dix ans à la maison centrale de Rennes dont elles est libérée en 1943. Elle rejoint alors sa mère à Nantes et devient couturière. Elle s'éteint dans une maison de retraite en 2001.
* Le geste des deux soeurs n'a cessé de hanter l'imaginaire de la société. Littérature, cinéma, psychanalyse se saisissent du drame. Les surréalistes encensent la "beauté du crime".
L'affaire inspire en outre (même si il s'en défend) les Bonnes à Jean Genet. Jouée pour la première fois à l'Athénée en 1947, la pièce est adaptée au cinéma par Niko Papatakis en 1962 sous le titre Les Abysses. Le réalisateur fait des bonnes de véritables monstres, méchantes, sales, vicieuses, stupides et ne supportant aucun ordre. Jean-Pierre Denis retrace l'affaire dans Les blessures assassines, adaptation au cinéma du diable dans la peau de Paulette Houdyer, une enquête consacrée aux servantes mancelles. Claude Chabrol, quant à lui, reprend la trame dramatique d'A judgement in Stone (L'Analphabète) de Ruth Rendell pour l'adapter à son film La Cérémonie en 1995. A n'en pas douter, il trouve aussi son inspiration dans le destin des soeurs Papin.
 
La chanson n'est pas en reste comme le prouvent les deux" petites tragédies" ci-dessus, fortement inspirées du drame de la rue Bruyère.:
- Marianne Oswald interprète sublimement Anna la Bonne, "chanson parlée" que lui écrit en 1934 Jean Cocteau. Une bonne d'hôtel, Annabel Lee, éprouve des sentiments ambigus à l'égard de sa victime, une demi-mondaine qu'elle admire autant qu'elle l'a déteste.
- Plus récemment, maudite clochette de Juliette narre les conditions aliénantes de travail d'une bonne dont l'emploi du temps est dicté par l'insupportable tintement de la sonnette actionnée par la patronne. Aucune tâche n'est épargnée à cette soubrette placée sous le contrôle tatillon de l'employeuse. Fatalement, le morceau se clôt sur un carnage non sans rappeler celui des dames Lancelin ou encore les pulsions de la Célestine du Journal d'une femme de chambre d'Octave Mirbeau paru en 1900 dont voici un extrait savoureux:
"Ah! qu’une pauvre domestique est à plaindre, et comme elle est seule!… Elle peut habiter des maisons nombreuses, joyeuses, bruyantes, comme elle est seule, toujours!… La solitude, ce n’est pas de vivre seule, c’est de vivre chez les autres, chez des gens qui ne s’intéressent pas à vous, pour qui vous comptez moins qu’un chien, gavé de pâtée, ou qu’une fleur, soignée comme un enfant de riche… des gens dont vous n’avez que les défroques inutiles ou les restes gâtés :
— Vous pouvez manger cette poire, elle est pourrie… Finissez ce poulet à la cuisine, il sent mauvais…
Chaque mot vous méprise, chaque geste vous ravale plus bas qu’une bête… Et il ne faut rien dire; il faut sourire et remercier, sous peine de passer pour une ingrate ou un mauvais coeur…
Quelquefois, en coiffant mes maîtresses, j’ai eu l’envie folle de leur déchirer la nuque, de leur fouiller les seins avec mes ongles…
Heureusement qu’on n’a pas toujours de ces idées noires…"
 

 
"Maudite clochette" Juliette Album: Mutatis mutandis Du matin au soir, il faut courir dans l'escalier Et le monter, et le descendre, et le monter Au ding ding oppressant de la clochette qui sonne Et qui resonne et qui résonne et qui ordonne, Pas une minute de répit, il faut croire que la patronne Ne peut rien faire sans sa bonne Un coup pour aller l'habiller, deux pour le petit-déjeuner, C'est parti pour toute la journée, Pour les affaires à repasser, pour les chaussettes de Monsieur, Pour les chapeaux ou les cheveux, Pour finir un sourire pincé en guise de vague merci Madame pense que ça suffit Maudite clochette Et maudit métier Je fais la soubrette Dans les beaux quartiers Quand j'entends sonner Je suis toujours prête Modeste et discrète Serviable et zélée En un mot ... parfaite Maudite clochette On peut dire que Madame sait faire marcher une maison Au doigt, à l'œil, à la baguette, Ici, maintenant, pour un oui, pour un non À tort ou à raison, elle fait sonner sa sonnette Alors surtout, il faut se presser, ne pas traîner, ni rêvasser Ne pas penser, ne pas penser Ding ding, viens ici, va là-bas, ding ding, fais ceci, fais cela Ding ding, préparez-nous le repas Ding ding, servez le thé au salon Ding ding, il nous faut du charbon Ding ding, faites les cuivres à fond Ding ding, de la cave au grenier, du haut en bas de l'escalier Des chambres au cuisine Ding ding ding Ding ding ding Maudite clochette Et maudit métier Je fais la soubrette Dans les beaux quartiers Quand j'entends sonner Je suis toujours prête Mon corps et ma tête Jamais fatigués Et rien ne m'arrête Maudite clochette Madame s'arrange bien souvent pour sucrer Mon jour de congé, oublie de me le redonner Quand je fais une course au marché Elle recompte la monnaie, avant, après, on n'sait jamais Et s'il manque une petite cuiller, on ne dit rien et l'on s'étonne Mais c'est la bonne qu'on soupçonne Comme elle a la fâcheuse manie de contrôler mes faits et gestes Qu'elle veut savoir tout et le reste Cette garce surveille mes lectures, épluche mon maigre courrier, Fouille ma chambre et mon passé, Mais je ne dis rien, je serre les dents L'âme humiliée, je ne suis personne Qu'une domestique que l'on sonne Maudite clochette Et maudit métier Je fais la soubrette Dans les beaux quartiers Quand j'entends sonner Je suis toujours prête Pauvre marionnette Tellement dévouée Patiente et honnête Maudite clochette Mais je sais bien qu'une nuit viendra, Nuit de colère, nuit de cendres Ding ding, il me faudra descendre Madame a tellement peur de l'orage Et comme Monsieur est parti Faut que je lui tienne compagnie Que je redresse ses oreillers Que je lui porte un verre de lait Et plus vite que ça, s'il vous plaît ! Tu ne devrais pas parler comme ça, pauvre Madame, Seule dans ton lit, si vulnérable à ma folie Tu viens de sonner une fois de trop Il faut que cesse cette torture À coups de ciseaux de couture Et je vois dans ton regard perdu Qu'il n'y a que ça que tu comprennes, Ton sang qui coule sur ma haine Maudite clochette Sais-tu que je souhaite Quand j'entends sonner ? Te couper la tête Et la faire rouler Du haut de l'escalier Les mâchoires serrées Sur ta chère clochette À jamais muette Ça va, ça va, on vient, on arrive ... Maudite clochette
Sources:
- Frédéric Chauvaud: "Le crime des bonnes", in L'histoire n°342, mai 2009.
- L'article de Jacques Lacan paru dans Le Minotaure, n° 3/4 – 1933-34.
- Frédéric Chauvaud: "L'effroyable crime des soeurs Papin", Larousse, 2010.
- La marche de l'histoire du 1er avril 2011 consacrée aux Soeurs Papin.
- Sophie Darblade-Mamouni: "L'affaire Papin", 2000, De Vecchi.
Pour approfondir:
- Une Bande dessinée par Christopher sur un scénario de Julien Moca.
- Octave Mirbeau: "Le journal d'une femme de chambre" au format PDF.