mercredi 27 avril 2016

309. "Imported from Detroit". Vivre dans une ville rétrécissante (shrinking city).

Dans un chapitre consacré à l'urbanisation du monde, le nouveau programme de géographie de 4ème invite à s'intéresser aux villes "confrontées à des phénomènes de « rétrécissement » (Shrinking Cities, comme Detroit)." (1)
Le choix de la métropole du Michigan peut sembler curieux au premier abord. Est-ce le plus pertinent? En tous les cas, l'opportunité offerte de s'intéresser un peu plus à Detroit constitue une aubaine à ne pas rater tant cette cité charrie d'images contradictoires. 
Au début des années 1950, Detroit était la quatrième ville la plus peuplée des États-Unis (1,8 millions d'habitants) et incarnait la réussite industrielle du pays. 

En 1950, Detroit compte plus de 1,8 million d'habitants contre à peine 700 000 en 2012!


Mais la ville connaît depuis plus de cinquante ans un lent et long déclin dont les origines sont multiples. L'hyper-spécialisation industrielle de Motor City autour de l'automobile s'apparenta presque à une mono activité ce qui accrut considérablement sa vulnérabilité lors du renversement de la conjoncture économique au cours des années 1970. Aussi, l'effondrement des Big Three (General Motors, Ford, Chrysler) précipita le déclin économique de la ville, sa rétraction démographique (700 000 habitants en 2012) et géographique.
Enfin, la corruption et l'impéritie du personnel politique de la ville ont longtemps rendu inopérantes toutes les politiques publiques mises en place. A cet égard, la destitution du "maire hip-hop" en 2008 serait risible si elle n'était pas l'illustration de la nullité des individus en charge de Detroit.

Speramus meliora, cineribus resurget - « nous espérons des jours meilleurs et qu'elle resurgisse de ses cendres » - telle est la devise de Detroit. Cette référence au phénix est-elle prémonitoire? La ville peut-elle vraiment renaître de ses cendres ou est-elle vouée à une inexorable déliquescence? 


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Ci-dessus: Évolution des densités de populations dans les différents secteurs de Detroit entre 1930 et 2010.

* Les shrinking cities.
Telle une peau de chagrin, la ville-centre de Detroit est en voie de rétrécissement ou de rétractation. Géographes et sociologues parlent volontiers de shrinking cities. Or ce phénomène s'étend et ne concerne plus seulement des villes affectées par la décroissance industrielle et l'érosion de leurs populations. Et si les shrinking cities restent encore majoritairement concentrées dans la partie nord du globe (le Middle West des Etats-Unis, les villes japonaises ou d'Europe de l'est), on en compte désormais aussi dans les pays "émergents" (Brésil, Chine).
Une ville se "rétracte" à l'issue d'un processus multidimensionnel. Certes, le facteur économique semble déterminant, mais il ne saurait pas éluder la composante démographique du phénomène. Ainsi au Japon, la baisse de la natalité et le vieillissement de la population jouent un rôle essentiel. En fait, les difficultés économiques  et le facteur démographique se combinent et contribuent  puissamment au phénomène de déclin. Le départ des jeunes les plus mobiles et les plus qualifiés s'accompagne d'une diminution des ressources fiscales pour les villes.
Une dimension politique entre parfois aussi en jeu. Ainsi, une stratégie consistant à "regrouper les forces" et donc à concentrer la richesse et les investissements dans les seuls centres des grandes métropoles, apparaît au Japon
Les shrinking cities sont confrontées au cercle vicieux du déclin lorsque les services urbains de base ne sont plus assurés ou très difficiles d'accès (fermeture des lignes des transports en commun, raréfaction du ramassage des ordures, délitement des équipements sanitaires et scolaires). Ces éléments engendrent un effondrement de l'attractivité pour les investisseurs potentiels et, au bout du compte, des départs croissants de population. Il s'agit donc bien d'un phénomène qui s'auto-alimente et devient de plus en plus difficile à juguler.


Des quartiers entiers de la ville sont à l'abandon. La municipalité n'assure plus la réfection de la voirie. Les chaussées défoncées, couvertes de nids de poules, sont progressivement conquises par les mauvaises herbes. Faute de moyens, de très nombreux feux de signalisation et lampadaires ne fonctionnent plus dans la ville. 
 

* Négocier la dette. 
A Detroit, dès les années soixante, de très nombreux bâtiments et monuments étaient déjà abandonnés et le taux de vacance résidentiel s'élevait à près de 20%. En 2015, la ville  compte encore 78 000 logements à l'abandon. Quant à ceux qui restent occupés, ils ne sont souvent plus entretenus par leurs trop pauvres habitants (36 % des citadins vivraient sous le seuil de pauvreté). Désormais les rues de l'ancienne Motor City offrent un aspect d'autant plus fantomatique qu'elles sont obscures en l'absence d'éclairage public. 40% des lampadaires sont en panne, sans que la municipalité n'ait les moyens de les réparer.
Perdu dans son costume trop grand, Detroit ne peut plus assumer le fonctionnement des services urbains de base. Sa dette abyssale (18 milliards de dollars) contraignit les autorités municipales à déclarer la ville en faillite le 18 juillet 2013. Après seize mois de négociations avec des organismes financiers, un grand plan de sortie de crise conduisit à une renégociation de la dette dont une partie assez importante (7 milliards) doit être effacée.
Ainsi en échange de contreparties immobilières, certains créanciers acceptèrent d'être moins remboursés (les banques UPS et Bank of America, les compagnies d'assurance FGIC et Syncora). 
En se déclarant en faillite, Detroit se place sous la protection de la loi. Les poursuites judiciaires de ses créanciers sont suspendues. L'administrateur d'urgence, chargé de sortir la ville de la spirale, dispose désormais de la marge de manœuvre qu'il réclamait pour imposer des annulations de dettes, mais aussi des baisses de salaires ou de retraites aux fonctionnaires. Une des solutions retenues pour sortir de la crise (et mettre au pas le bastion ouvrier que fut Detroit) consiste à adopter une politique d'austérité. Concrètement, cela signifie des coupes dans les dépenses publiques, moins de policiers, moins de pompiers, d'enseignants...
Pris à la gorge par le renversement démographique (2), les retraités des services municipaux de la ville doivent, pour leur part, concéder une baisse de leurs pensions et des remboursements de frais de santé... Au fond, la situation semble inextricable dans la mesure où la chute démographique et la disparition des usines entraînent un rétrécissement de la base fiscale et donc l'impossibilité pour la municipalité d'assurer le fonctionnement courant de la ville.


L'état de décrépitude avancée de nombreux bâtiments de la ville attire les scavengers, des pilleurs à la recherche d'objets abandonnés ou de matériaux susceptibles d'être réutilisés.


* Planifier la destruction. 
Les signes du déclin sautent aux yeux. Comme fossilisée, la ville donne à voir une succession de friches industrielles, de maisons abandonnées, de rues désertes dans lesquelles subrepticement la végétation a gagné du terrain. La municipalité, qui ne dispose plus des moyens pour aménager son territoire, laisse la cité "s'ensauvager". 

Des centaines de pâtés de maisons sont aujourd'hui vidés de la très grande majorité de leurs habitants. Faute d'entretien, les rues et le mobilier urbain se dégradent rapidement. Alors que la pression immobilière est très forte sur les centre-villes de la plupart des grandes métropoles mondiales dont les prix au mètre carré s'envolent, c'est la vacance immobilière et la persistance des terrains vagues qui caractérisent celui de Detroit! Des milliers de bâtiments offrent des façades aux fenêtres béantes ou condamnées.
 Face à l'ampleur des bâtiments abandonnés, une coalition de pouvoirs publics et privés, la Detroit blight  removal task force ambitionne de débarrasser la ville de ses milliers de structures en ruines dans les années à venir. Mais cette tâche constitue une vraie gageure car la destruction d'une maison coûte bien plus cher que de la construire (8500 dollars pour construire une maison / 500 dollars pour l'acheter).
Désireux de se débarrasser des habitations insalubres, des volontaires, souvent encadrés par des associations caritatives ou des organisations telles que le Warm Training Center ou les Blightbusters, se rassemblent pour raser les maisons désaffectées bloc par bloc, lotissement par lotissement, avant d'y planter des arbres.
Des fondations philanthropiques telles que la Ford foundation financent également une partie de ces démolitions. L'éradication des ruines répond parfois au principe de la déconstruction, c'est-à-dire le démantèlement organisé du bâtiment abandonné. Plutôt que d'utiliser le bulldozer, on enlève pièce par pièce, pour pouvoir les revendre (poutres, tuiles, briques, lames de parquet...). Cette technique permet en outre de recycler les matériaux et de donner une activité légale aux scrappers .
Les destructions de maisons abandonnées, ou dont on souhaite se débarrasser, prennent parfois un tour violent, brutal et non planifié. Une sinistre coutume locale consiste ainsi à brûler les maisons abandonnées la veille d'Halloween: la devil's night. De même, pour toucher le montant de l'assurance, généralement bien supérieur à la valeur du bien assuré, les propriétaires incendient leurs maisons. Ainsi Detroit est la capitale américaine des incendies volontaires... 
 
"Ceux qui n'ont pas de boulots et cherchent à survivre se transforment en pilleurs de cuivre, et les rues s'éteignent. Ceux qui sont contraints d'abandonner une maison dont ils ne peuvent plus payer les traites, mais qui ne vaut plus rien, y mettent le feu dans l'espoir de toucher l'assurance. Il suffit de poser la lampe de chevet sur la couette en synthétique, de partir en laissant la lumière allumée. Le chef du département des pompiers a fini par suggérer de laisser brûler, parce que les interventions coûtent trop cher, et qu'il y en a trop. Une blague circule en ville : que la dernière personne à quitter Detroit éteigne la lumière. On dirait que c'est arrivé."
Thomas B. Reverdy: "Il était une ville", Flammarion, 2015.


Le marché immobilier et foncier en berne offre des opportunités exceptionnelles pour quelques investisseurs ambitieux. Des exemples d'achats en masse existent: une entreprise a racheté 1500 terrains dans un quartier de l'east side pour en faire un projet d'agriculture urbaine, de même Dan Gilbert, pdg de Quicken Loans, a réhabilité 40 immeubles dans le centre-ville avec pour ambition de le sécuriser et d'y attirer de nouveau les entreprises (principe de relocalisation).   
La restructuration de la ville répond à des logiques spécifiques qui s'inscrivent dans le plan urbain mis en place par Mike Duggan, nouveau maire de la ville (3). Ce plan, le Detroit future city (2012) établit un certain nombre de cartes (en particulier des densités urbaines) permettant de repérer les quartiers où la densité d'occupation est inférieure à 20%. L'idée serait la restructuration de ces îlots en fonction de leurs densités. Les zoneselles restent fortes permettraient le maintien des services urbains (éclairage, ramassage des ordures, transports en commun), tandis que les secteurs désertés seraient consacrés à de nouveaux usages. 
La ville est donc en passe de se redessiner.
Cette restructuration suscite cependant de vives résistances de la part des habitants des quartiers en voie d'abandon ou de reconversion

"A ce stade, la végétation était en train de terminer le travail. Elle n'était pas pressée non plus, pas plus que la rouille ou le gel. Les graines, apportées par le vent, colonisaient chaque interstice, chaque fissure, poussaient en grandes touffes d'herbe de la prairie dont les racines en rhizomes créaient de nouvelles galeries de sapeurs. Elles ressurgissaient plus loin et la fissure filait comme une faille. Les arbustes étaient plus brutaux, ils se contentaient de forer, de grossir, d'écarter les brèches." 
[Thomas B. Reverdy:"Il était une ville", Flammarion, 2015, p104]



* Attirer la "classe créative".
Soucieux de restaurer l'attractivité résidentielle et économique de la ville, les autorités et les investisseurs potentiels cherchent des solutions anti-crise dans différentes directions.
En vertu du processus de relocalisation, d'aucuns essaient d'attirer dans le centre-ville la "classe créative" dont les capacités d'innovation sont censées redonner jeunesse et attractivité à Detroit. Dans cette optique, les aménagements culturels (musées, cinémas, bibliothèques) apparaissent des facteurs déterminants pour attirer et conserver cette "classe créative". Aussi la culture constitue-t-elle un pôle d'investissement majeur à Detroit ces dernières années.  
Reste que cette stratégie classique anti-déclin - qui a connu de franches réussites comme à Bilbao - nécessite d'importants investissements publics et ne paraît pas reproductible à l'infini. Au cours des cinq dernières années, on constate en tout cas dans la ville une croissance importante d'une population jeune et très qualifiée; le phénomène reste toutefois circonscrit au centre-ville sans créer d'entraînement à l'échelle de l'ensemble de Detroit

A la tête de Quicken Loans, Bruce Schwartz (le fondateur) et Dan Gilbert (fils d'un ouvrier de Detroit qui a fait fortune dans la finance) rachètent 40 immeubles downtown pour y rapatrier les filiales de la compagnie, jusque là installées dans l'ensemble du pays. Désormais, les 12 000 employés travaillent à Detroit. 

 
 * Faire de la crise un moteur de croissance.
Detroit, à son apogée ou déliquescente, inspira et continue d'inspirer les artistes. Ainsi, Jeff Mills, le pionnier de la techno, grandit dans un univers d'usines, de produits standardisés, de machines répétant sans cesse les mêmes tâches dans le but de fabriquer des produits standardisés. Cette expérience constitua une source d'inspiration majeure qui nourrira sa créativité et donnera à sa musique sa dimension répétitive si caractéristique. 
Cité post-apocalyptique, Detroit inspire également les réalisateurs à l'instar de Paul Verhoeven qui choisit la ville comme terrain de jeu pour Robocop ou encore de Clint Eastwood qui y tournera intégralement Gran Torino. 
Le faible prix du foncier et les grandes surfaces disponibles, la présence de matériaux propices aux créations artistiques,  ont attiré de nombreux artistes soucieux de faire de la ville une sorte d'atelier à ciel ouvert. Ainsi, depuis 1986 le Heidelberg project s'insère dans le déclin et les manifestations esthétiques du déclin. A l'origine du projet, Tyree Guyton a décidé de transformer les maisons abandonnées en œuvres d'art urbaines. Ce vaste chantier artistique en plein air  attire des touristes au cœur de l'East-Side tout en permettant le recyclage d'objets inutilisés et l'implication des enfants des écoles alentours. 

Detroit est un support à mythes, sa décadence actuelle fascine bien au-delà des frontières américaines. Aussi, certains considèrent qu'il est possible de tirer parti de cet intérêt.
Les ruines sont photogéniques et attirent des photographes du monde entier. Les clichés obtenus s'inscrivent dans ce que l'on a appelle désormais le ruin porn. Des guides improvisés proposent la visite touristique des ruines de Detroit.
Ce type d'activités suscite bien évidemment de vives critiques de la part de nombreux habitants qui considèrent qu'il s'agit d'une exploitation de la pauvreté. Ici, la question de génération joue à plein. Les populations les plus âgées, celles qui ont connu l'âge d'or de Detroit  dans les années 1950, lorsque la ville incarnait encore le dynamisme et la modernité n'acceptent pas de faire de la crise et du déclin un moteur de la créativité et se souviennent que derrière les friches résidentielles se trouvent des familles ruinées, derrière les usines abandonnées des milliers d'emplois détruits.


 


* Importé de Detroit.
Dans son roman "il était une ville", Thomas B. Reverdy décrit le rapport ambivalent des habitants de Detroit avec leur ville. Eugene [le personnage principal] y découvre "des gens qui étaient parfois les seuls , de leur pâté de maison vidé de ses commerces ou de leur rue, à être restés et qui n'en éprouvaient aucune nostalgie, il y avait chez eux une forme de fierté qui n'était pas sans rappeler le caractère des pionniers."
En effet, bien que confrontés à une infinité de difficultés quotidiennes, les habitants n'en restent pas moins très attachés à leur ville. De nombreux citadins considèrent d'ailleurs Detroit comme une terre d'opportunité, d'expérimentation sociale et cherchent à y développer un esprit d'entraide centré autour de petites communautés assises sur le bloc ou le quartier

Dans une ville étalée comme Detroit, les faibles densités et les distances importantes à parcourir rendent difficile l'organisation à l'échelle du territoire, d'autant qu'une majorité de ses habitants disposent de peu de ressources. La fermeture progressive des commerces, l'absence de moyens de locomotion et les difficultés financières rendent problématique l'accès à des aliments frais, transformant certains quartiers en véritables déserts alimentaires. Dans ces conditions, certains envisagent de réutiliser les terrains vagues pour y installer des jardins communautaires, potagers bio et autres fermes urbaines.  L'idée est de faire pousser la nourriture en ville. Ce phénomène a pris de l'ampleur ces dernières années et suscité une forte médiatisation. Cependant, ce type d'activité semble davantage relever du système D que d'une véritable entreprise viable, d'autant que les sols restent très pollués et la législation contraignante 
Certaines manifestations permettent aux habitants de se réapproprier leur ville à l'instar du slow roll (qui consiste à parcourir  Detroit à vélo chaque lundi pour tous ceux qui le souhaitent).

Riches ou pauvres, jeunes ou vieux, les habitants cherchent tous à se débarrasser de l'image désastreuse de la ville. Les investisseurs ont le même objectif comme l'a prouvé la diffusion d'une campagne publicitaire pour Chrysler lors de la mi-temps du Super Bowl 2011. 
Étant l'événement sportif le plus regardé à la télévision américaine, les spots publicitaires diffusés au cours de la rencontre représentent un enjeu crucial pour les grandes firmes. Aussi pour vanter les mérites de sa C200, Chrysler ne lésine pas. La publicité met en scène Detroit et un de ses artistes emblématiques en la personne du rappeur Eminem. Tout y est: le patriotisme économique, le sacrifice, la victoire sur l'adversité, la rédemption et la résurrection, autant de thèmes universels, mais traités ici à la sauce hollywoodienne.
Le slogan "Imported from Detroit" entend réactiver le souvenir des grandes années de Detroit, lorsque la métropole du Michigan était sans conteste la capitale mondiale de l'industrie automobile et le lieu d'implantation des Big Three.
Chrysler joue ici sur la corde sensible des nostalgiques de la Motor City. Une voix off décrit la bataille livrée tous les jours par les habitants de Detroit pour contrer la désindustrialisation. "Ce sont les feux les plus chauds qui font l'acier le plus dur. Ajoutez-y le dur travail, la conviction et le savoir-faire qui habitent chacun d'entre nous depuis des générations. C'est ce que nous sommes. C'est notre histoire." La publicité s'achève sur le slogan "importé de Detroit". Pendant tout le spot, on voit la berline - conduite par Eminem - sillonner la ville. 
Le succès considérable remporté par la publicité a permis la réalisation d'un clip au cours duquel le groupe de gospel (Selected of God choir) reprend Lose yourself d'Eminem.
Les détracteurs du constructeur automobile ont beau jeu de rappeler que la C200 est en fait importée du Canada et du Mexique. Quant à Chrysler, elle fut sauvée de la faillite en 2009 par les prêts gouvernementaux, au prix d'une restructuration drastique de ses dettes et d'une alliance avec l'italien Fiat.

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Hier centre de commandement, Detroit est aujourd'hui un espace de relégation qui subit la mondialisation bien plus qu'il ne l'anime. 
Là encore citons un passage très éclairant d'"il était une ville":
"Ce que l'Entreprise capitalisait d'un côté, elle le redéployait ailleurs, sans plus de gains en emplois ni en impôts. Pire, elle avait presque intérêt à ce que ça na marche plus dans les pays où les systèmes d'éducation, de santé, les salaires minimums, les caisses de retraite lui ponctionneraient ses éventuels bénéfices. Même en Amérique, les États asséchés comme la Caroline du Sud en venaient à négocier des salaires horaires à huit dollars, deux fois moins qu'à Detroit. L'UAW, le syndicat des travailleurs de l'automobile, autrefois tout-puissant, était à genoux. On savait tout cela, on vivait avec. Il y avait déjà des Ford avec des moteurs japonais, des Renault avec des châssis coréens [...]. Ce n'était pas joli-joli. Ce n'était même pas gagnant-gagnant." [Thomas B. Reverdy: "Il était une ville", Flammarion, 2015, p 235]
 
Au bout du compte, le salut de Detroit ne viendra sans doute pas de l'échelle locale, de la débrouille, de solutions internes. Il pourrait venir d'un véritable partage des richesses à l'échelle de l'agglomération, mais la résistance des conservateurs républicains blancs des communes périphériques rend aujourd'hui inenvisageable toute intégration métropolitaine. L’État fédéral, pour sa part, semble moins soucieux de sauver la ville que les grandes entreprises de l'automobile...

Sous l'effet du white flight et des pratiques discriminatoires des agents immobiliers (redlining), une ségrégation raciale implacable sévit dans l'agglomération de Detroit. Au nord de Eight Miles, dans les banlieues pavillonnaires vivent majoritairement les blancs (en bleu sur la carte). Au sud se trouve la ville-centre, peuplée majoritairement de noirs (85%).  
 

 
  Notes:
1. On " insiste (...) sur la connexion des villes aux grands réseaux de la mondialisation et aux différences que cela crée entre les villes connectées et bien intégrées à une mondialisation qu’elles entrainent et des villes plus à l’écart, voire "confrontées à des phénomènes de « rétrécissement » (Shrinking Cities, comme Detroit)."
2. . En 2015, on compte 20 000 retraités pour 10 000 actifs...
3. Dans une ville à majorité noire, Mike Duggan est le premier maire blanc (un démocrate) depuis 1973. Dans un État, le Michigan, majoritairement républicain et dont beaucoup considèrent qu'il a abandonné Detroit, il est l'un des premiers hommes politiques de la ville à accepter l'état de déclin de Detroit. Auparavant, le discours politique s'inscrivait dans une logique de croissance.


Sources:
- Allan Popelard: "Détroit, catastrophe du rêve", in Hérodote n°132, 2009.
 - Pierre Evil:"Detroit Sampler", Ollendorff & Desseins, 2014.
- Les matins d'été de France Inter: "Détroit" avec Steve Faigenbaum, Flaminia Paddeu et Pierre Evil.  
- Culturesmonde: "Les villes meurent aussi. RIP Détroit. les villes en déclin."(France culture) 
 - Pas la peine de crier (France culture): "Detroit, Michigan, la ville en faillite" avec Allan Popelard et Florent Tillon
- "La gare centrale de Detroit: boîte vide ou pompe à fric?"
- Balises: "Detroit, portrait d'un phénix urbain.
- Portfolio / Detroit / In the D.
- Le zoom de la rédaction: "Detroit, Motor city ou ville fantôme".

L'agglomération de Detroit (ville-centre + banlieue) est à double vitesse. Un extrait du formidable roman de Thomas B. Reverdy en donne un aperçu saisissant.
"Elle roulait vers là-bas, Seven Miles Road, Eight Miles Road, vers la frontière, au-delà elle savait à peine ce qu'il y avait. Un autre territoire qu'elle connaissait mal, avec ses pâtés de maison soudain proprets [...] une sorte de banlieue étrangement pavillonnaire, habitée, une autre ville prise dans le tissu urbain continu de Detroit mais qui n'avait plus rien à voir avec elle, une autre ville loin de la Catastrophe. Avec des écoles, des casernes de pompiers, des rues éclairées la nuit. Trois voitures par maison, des stades de base-ball et des terrains de golf." [p113]
Alors que la ville-centre perd des habitants (en rouge sur la carte), les suburbs en gagnent beaucoup (en vert). 
> « Si la ville continue de se vider, elle va bientôt ressembler à un donut. »
[Thomas B. Reverdy: "Il était une ville", Flammarion, 2015, p177]

 

Pour aller plus loin. 
Preuve que Detroit continue de fasciner plusieurs romans/récits récents furent consacrés à la ville:
- Alexandre Friederich: "Fordetroit", Allia.
- Thomas B. Reverdy: "Il était une ville", Flammarion.
- Jeffrey Eugenides: "Middlesex".
- Only lovers left alive de Jim Jarmush.  
 




Liens:
- Géo confluences: "shrinking cities",  "la crise urbaine dans les villes d'Amérique du Nord". 
- Deux cartes de Philippe Rekacewicz sur l'aire urbaine de Detroit.
 - Les raisons du déclin d'une grande ville.
- GooBing Detroit. "An archaeology of Detroit through Google Street View."Grâce à Google street view, un internaute met en évidence les transformations de sa ville.
- Detroit, une ville qui rétrécit
- L'Humanité:"Les trois raisons de la faillite de Detroit."
- Le Monde diplomatique: "Detroit, la ville américaine qui rétrécit."
- Infographie: "le déclin inexorable de Detroit..."
- Terrains de lutte:"Detroit, le trompe-l’œil de la mise en faillite."
- Infographie: Detroit, une ville à genoux"
- Etats-Unis: Detroit se relève de la faillite.  
- Télérama: "Detroit, la ville qui rétrécit."
- "Detroit, archétype des skrinking cities." 
- Francetvinfo.fr: "La ville américaine de Detroit renaît après la faillite.
- Libération next: "le bel avenir des ruines".