mercredi 16 janvier 2019

361. Margaret Thatcher et la grande grève des mineurs de 1984.

Troisième épisode de notre série sur les années Thatcher en chansons:
1. L'avènement.
2. La ville fantôme

Au mois de mars 1984 en Angleterre éclate un conflit social d'une ampleur inédite. Le syndicat des mineurs britanniques (NUM) s'oppose à la fermeture des mines de charbon décidée par le gouvernement conservateur. En quelques jours, à l'appel du NUM, 80 000 mineurs se dressent derrière les piquets de grève. Très vite, le ton se durcit, le mouvement s'amplifie, les négociations stagnent. 
Deux camps irréconciliables se font face. D'un côté, le dirigeant du tout puissant syndicat des mineurs, Arthur Scargill, semble prêt à tout pour faire plier le gouvernement conservateur. Face à lui se dresse l'intransigeante première ministre: Margaret Thatcher. Depuis son accession au pouvoir, "la dame de fer" entend briser les syndicats pour imposer le nouvel ordre social et économique qu'appellent de leurs vœux les partisans de l'idéologie libérale de l'école de Chicago.
Au fil des mois, la grève des mineurs engendre une situation quasi insurrectionnelle sur tout le territoire. Les affrontements entre grévistes et non grévistes se succèdent. La liste des altercations avec les policiers s'allonge car à Londres le mot d'ordre est clair: il faut éradiquer cette menace de l'intérieur. Les autorités cherchent à mobiliser contre les mineurs en utilisant toute la panoplie répressive de l’État: tentatives d'interdiction du mouvement, dissolution des syndicats, envoi de la police anti-émeutes dans les houillères...

                                                                       *********

Le pays est alors marqué par une conflictualité sociale très importante. Le nombre de jours de grèves en Grande Bretagne est alors quatre fois plus importants qu'en France. Partout dans l'île, dans tous les secteurs d'activités (1), les salariés entament des grèves pour dénoncer les coupes budgétaires, la vie chère, la stagnation voire la baisse des salaires. Les mineurs, dont le taux de syndicalisation atteint des records, représentent alors le maillon fort du mouvement syndical.
Principal bailleur de fonds du parti travailliste grâce aux cotisations versées, le National Union of Mineworkers (NUM) s'impose comme un redoutable adversaire pour les gouvernements hostiles au mouvement. A une époque où le charbon représente 80% de la production d'électricité, le NUM dispose d'un moyen de pression redoutable. En cas de succès, il peut plonger le pays dans le noir en quelques jours. Les gouvernements Wilson en 1968, Heath en 1972, Thatcher en 1981 l'ont appris à leur dépens. 

* Le "roi Arthur".
Au cours de l'hiver 1972, un grand mouvement de grève perturbe déjà les houillères, obligeant le premier ministre à ordonner la semaine de trois jours pour économiser l'électricité. Contraint et forcé, le gouvernement doit accepter toutes les revendications des mineurs qui remportent une victoire totale. Deux ans plus tard, la grève reprend. En quelques jours, plus une once de charbon n'est extraite du sous-sol britannique. Les coupures d'électricité se multiplient. Pris à la gorge, le premier ministre conservateur Edouard Heath cède aux revendications des mineurs avant d'être renversé lors des élections législatives anticipées.
Au cours de ces deux mouvements sociaux, un individu est à la manoeuvre, il s'appelle Arthur Scargill. L'homme est combattif, pugnace, son profil plaît et rassemble. A la pointe de tous les combats, il perfectionne la technique des piquets volants: de petits groupes de grévistes très mobiles se déplacent d'un puits de mine à l'autre afin de convaincre les travailleurs de voter la grève. Efficace, Scargill gravit les échelons si bien qu'à la fin des années 1970, les mineurs l'élisent à la tête de leur syndicat. L'organisation compte alors 180 000 membres. Plus que jamais, le "roi Arthur" paraît invincible. En 1983, il lance à la presse qu'il n'accepterait pas "d'être encombré de ce gouvernement pendant 4 ans" et que l'action extraparlementaire est "le seul chemin ouvert aux classes laborieuses". 


Arthur Scargill. National Portrait gallery. Tim Jokl [CC BY-NC 2.0]

* Maggie Thatcher entre en scène.
La crise économique pousse l’État britannique à nationaliser plusieurs grands secteurs d'activités à l'instar des industries aéronautique, sidérurgique ou automobile. Cette politique a un coût important, puisque les dépenses atteignent 50% du PNB du pays en 1979. En proie à des difficultés budgétaires majeures, le Royaume-Uni est contraint d'accepter un plan d'aide du FMI. C'est dans ce contexte bien particulier que Margaret Thatcher fait son entrée en scène, au printemps 1979. Anticommuniste farouche et néo-libérale convaincue, Thatcher s'installe au 10 Downing Street. Un vent économique aux inspirations atlantistes souffle désormais sur le Royaume Uni. Très vite, la première ministre affiche son intention d'en finir avec le contre pouvoir syndical. Pour imposer la "révolution libérale" qu'elle appelle de ses vœux, la cheffe du gouvernement doit affronter les mineurs dans une lutte à mort. En 1974, alors ministre de l'éducation du gouvernement Heath, elle avait assisté à la chute politique de son mentor. Elle entend désormais prendre sa revanche et mettre les syndicats britanniques à genoux, en particulier le NUM. Dès 1981, elle confie un comité secret à Sir Robert Wade dont la mission consiste à s'assurer que le gouvernement serait capable de supporter une longue grève des mineurs. Afin de faire face à une pénurie, des stocks de charbons sont constitués à proximité des grandes centrales électriques. Des négociations secrètes s'engagent avec les entreprises privées de transporteurs routiers pour pallier une éventuelle grève de solidarité des cheminots. En cas de besoin, il suffirait d'activer ce plan d'action anti syndicat ultra-secret. En parallèle, Thatcher cherche à mobiliser contre les mineurs en utilisant toute la panoplie répressive de l’État. La cheffe du gouvernement fait par exemple voter des lois limitant les libertés d'actions syndicales (3) et le droit de grève. Les piquets de grève secondaires sont désormais interdits et la responsabilité financière des syndicats engagée en cas de non respect de la nouvelle législation. Cet arsenal législatif est taillé sur mesure pour rogner les marges de manœuvre des trade unions et, à terme, les briser.
A l'aube de la grande grève de 1984, les forces en présence se vouent une haine inextinguible.  Dans cette logique de guerre à mort, l'issue des futurs conflits sociaux ne peut que se solder par la victoire totale d'un des deux camps sur l'autre.  Pour Thatcher, l'affrontement relève d'une véritable guerres et le NUM est assimilé à un ennemi de l'intérieur. Le 19 juillet 1984, elle déclare au Daily Express: "Comme nous avons vaincu aux Falkland l'ennemi de l'extérieur, nous avons à battre l'ennemi de l'intérieur qui est beaucoup plus difficile mais aussi beaucoup plus dangereux pour les libertés."

Par Rob Bogaerts / Anefo [CC0]

* Mars 1984.
 Thatcher a nommé Ian MacGregor à la tête de l'organisme d’État en charge des mines de charbon, le National Coal Board. L'ancien patron du British Steel envisage une politique de réduction drastique des effectifs des charbonnages, avec la fermeture des puits non rentables des vieilles régions minières de l’Écosse, du Yorkshire ou du pays de Galles. Ce plan "de redressement", présenté au cours de l'hiver 1983-84, prévoit une baisse de la production de l'ordre de 25 millions de tonnes de charbon et une réduction de près de 60 000 mineurs sur un total de 202 000. Le 6 mars 1984, le National Coal Board annonce déjà la suppression de 20 000 emplois. Dans la foulée, la décision des charbonnages britanniques de fermer la mine de Cortwood met le feu aux poudres. Dès le lendemain de cette annonce, des grèves démarrent dans les principaux bassins miniers de Grande Bretagne, en particulier dans le Yorkshire et en Écosse. Selon la volonté de Scargill, les débrayages se font au niveau local et les piquets de grèves "volants" se déplacent de puits en puits afin de convaincre les récalcitrants. Il faut montrer le soutien massif derrière chaque piquet de grève afin d'inciter les mineurs attentistes ou hésitants à rejoindre le mouvement.
Le mouvement social procède de la bataille médiatique. Pour contrecarrer l'image de bolchévique mégalomane véhiculée par la presse, Scargill s'efforce de populariser la grève auprès des populations en insistant sur le fait que les mineurs ne cherchent pas à obtenir des privilèges, mais bien à préserver leur emploi et, par ricochet, l'emploi industriel britannique.
Au début indécis, de nombreux mineurs viennent grossir les rangs des grévistes. Une décision difficile car entrer dans le mouvement signifie être prêt à l'affrontement avec les "bobbies" (les policiers britanniques) et les jaunes, endurer les privations, enfin se confronter à un avenir incertain.
Dans son bras de fer, Scargill choisit de passer outre la constitution des mineurs qui imposait dans son  article 43 la tenue d'un vote national avant de déclencher une grève générale. Cette décision se révèle être une grave erreur tactique. Les non-grévistes ont dès lors les coudées franches pour ne pas se mettre en grève. Le non respect de la constitution empêche également tout soutien tactique apporté au mouvement par le parti travailliste.


Simon Speed [CC0], from Wikimedia Commons

Dans un premier temps cependant, la grève prend de l'ampleur. A la fin du mois d'avril 1984, 131 puits sur 174 sont à l'arrêt. Après deux semaines de grève, la pression demeure très forte. Les forces policières doivent escorter les non-grévistes jusqu'à leur lieu de travail, parfois même en fourgons blindés. A proximité des puits de mines, les affrontements entre grévistes, non grévistes et policiers se multiplient, entraînant un grand nombre de blessés; des centaines de manifestants sont arrêtés, puis traduits en justice. 
Le 18 juin, les heurts entre les grévistes et la police se concentrent sur le dépôt d'Orgreave, dans le sud du Yorkshire. Si officiellement le gouvernement n'intervient pas dans le conflit, officieusement, il envoie les policiers pour assurer l'accès aux mines des non grévistes.  Pour les mineurs, Orgreave est un lieu symbolique qu'il faut conserver à tout prix. Scargill y envoie plusieurs piquets de grèves. Dans le même temps, les unités de la police anti-émeutes déployées entourent le site. Aux jets de pierres des manifestants répondent les canons à eau des policiers. Partout, la police montée charge les grévistes qui ripostent en tranchant les jarrets des chevaux.  La situation dégénère. Des centaines de manifestants tentent d'empêcher des convois de charbon de décharger dans des aciéries de Scunthorpe.
La répression policière est violente. Des unités héliportées bloquent les véhicules des militants syndicaux avant leur arrivée sur les carreaux de mines. Les interpellations se multiplient, dont celle de Scargill en personne pour obstruction sur la voie publique. Plusieurs centaines de blessés sont à déplorer.
Le gouvernement, inflexible s'emploie à attiser les divisions entre grévistes et non-grévistes. 
Il s'agit de démoraliser l'adversaire, d'utiliser les médias afin de brocarder l'attitude "irresponsable" des grévistes présentés comme des fauteurs de troubles. Le charbonnage des mines fait savoir que le mouvement ne fera qu'accélérer le licenciement prévu de 20 000 mineurs. De son côté, Thatcher prend à parti l'opinion: "Vous avez vu les scènes à la télévision hier soir. Je dois vous dire qu'il s'agit là d'une tentative de substituer le règne de la canaille à celui du droit et cela ne sera pas toléré (...). Je rends hommage au courage de ceux qui sont allés travailler en traversant des piquets de grèves. On les appelle des jaunes, ce sont des lions."

BY Chris FPage  (cc BY 2.0)
Le pays est en ébullition. Pendant ce temps, les négociations entre les mineurs et la société nationale des charbonnages patinent. En dépit du coût exorbitant du conflit - estimé entre 2 et 4 milliards de livres sterling - Westminster joue la montre et parie sur l'épuisement des mineurs à la rentrée de septembre. Le pourrissement du conflit attise les tensions au sein des manifestants dont la situation économique devient critique. Alors que les aides sociales sont suspendues pour les grévistes, il devient impératif  d'organiser des collectes pour recueillir des fonds. Ainsi, au cours de l'été 1984, les défilés des femmes de mineurs rassemblent plusieurs milliers de personnes à Londres. 
Malgré les apparences, la situation diffère très fortement de celle de 1974. Le gouvernement dispose de stocks de charbon pour au moins 6 mois. En outre, les organisations de mineurs paraissent divisées entre elles. Le NUM n'arrive pas à obtenir le soutien des syndicats des autres branches industrielles. Lorsque les dockers se mettent finalement à leur tour en grève, Thatcher accède rapidement à leur revendication afin d'empêcher la constitution d'un large front de contestation.

Au début de l'automne 1984, alors que le mouvement piétine, le Sunday Time affirme que Scargill aurait reçu 150 000 £ du colonel Kadhafi pour financer son mouvement. Or la Libye est placée depuis six mois sur la liste noire du Foreign Office. Une semaine plus tard, le syndicat de mineurs britanniques reconnaît être entré en contact avec l'URSS pour obtenir des fonds. Cette immixtion étrangère aliène une grande partie de l'opinion publique britannique aux mineurs. Scargill apparaît décrédibiliser; son impopularité grandissante joue désormais contre les mineurs.
Dans le Yorkshire, 50 000 gueules noires s'opposent toujours aux fermetures. Malgré les privations, les tensions, les frictions avec la police, ils veulent aller jusqu'au bout.
Les grands médias s'accordent en général à présenter la grève comme une insurrection contre la démocratie menée par un démagogue. Dans le même temps, ils font leur gorge chaude des tensions et violences qui ne tardent pas à apparaître parmi les mineurs. Les journaux insistent sur les violences ou les pressions dont sont l'objet les non-grévistes et leurs familles. Thatcher souffle sur les braises. "La police est là pour faire respecter la loi, non pour soutenir le gouvernement. Il ne s'agit pas d'un conflit entre les mineurs et le gouvernement. C'est un conflit entre les mineurs entre eux...", déclare-t-elle le 9 avril 1984.

La lutte se situe aussi sur le terrain financier. L'arsenal anti-syndicat adopté par les conservateurs à la veille du mouvement vise à l'étranglement financier du syndicat. En novembre 1984, la séquestration des fonds du NUM par décision de justice (3) empêche ce dernier d'apporter l'aide pécuniaire indispensable aux grévistes. Les conditions de vie des mineurs, dont certains ont cessé le travail depuis 9 mois, deviennent particulièrement difficiles à l'approche de l'hiver. 
En solidarité, la CGT française organise plusieurs grands convois à destination du Royaume Uni. Au départ de Montreuil, ils envoient vêtements, jouets, produits hygiéniques à destination de Calais, avant de rejoindre le Ferry pour rejoindre Douvres. 
"150 000 mineurs avec leurs familles! En grève depuis 8 mois, on a jamais vu ça en Europe et, je crois, dans le monde. Personne n'a fait autant que les mineurs britanniques. C'est émouvant, ça mérite le respect et surtout, ils ont besoin d'être aidés parce qu'ils crèvent de faim. Voilà la vérité. Il ne faut pas qu'ils soient battus pour manque de solidarité. Leur lutte à eux, c'est aussi la nôtre. C'est ce que je vais leur dire tout à l'heure à Douvres. Je vais leur dire que c'est à nous de les remercier parce que, en luttant pour leur charbon, ils nous aident à lutter pour le nôtre", déclare Henri Krasucki. Le dirigeant syndical français remet alors un chèque de 700 000 francs à Arthur Scargill. A Liévin, pour Noël, des mineurs du nord de la France accueillent également une quarantaine d'enfants britanniques dans le cadre de l'action christmas CGT.
Si le soutien des familles, de la communauté, des syndicats européens retarde l'échéance de la sortie de grève, elle ne permet pas de faire plier le gouvernement.

* La grève se brise. 
Dans certains puits, on trouve des accords sur les salaires et la protection de l'emploi. La compagnie nationale des charbonnages offre une prime de Noël à tous ceux qui reprendront le travail avant le 25 décembre. Dans ces conditions, le nombre de grévistes baisse de manière significative, d'autant qu'avec le froid, sans argent pour acheter du charbon, les familles grelottent et ont faim. Au fil des semaines, la mobilisation s'essouffle. Jour après jour, les mineurs sont de plus en plus nombreux à reprendre le travail, démoralisés ou convaincus que dans ce conflit, aucune issue acceptable n'est envisageable. Au début de l'année 1985, les syndicats de mineurs se disent prêts à revenir à la table des négociations. Inflexible, Thatcher impose des conditions très dures à la réouverture des négociations. Lâché par le parti travailliste, isolé des autres syndicats de mineurs, Scargill ne peut plus compter que sur une dizaine de milliers de mineurs sur un total de 80 000. La grève prend fin le 3 mars 1985 après 358 jours de grèves, ce qui en fait le plus long conflit social de l'histoire. Les mineurs reprennent le travail sans avoir rien obtenu. Le coup est dur dans les houillères tant pour les travailleurs que pour les syndicats.

* "De quel côté est-tu?"
Dès le début du mouvement, les musiciens se manifestent pour chroniquer la souffrance des mineurs et de leur famille ainsi que pour apporter un véritable soutien moral, matériel et financier. (4) La grande grève des mineurs inspire également plusieurs titres aux chanteurs pop-rock britanniques. Citons parmi d'autres: Dire Straits: "Iron hand", Sting:"We work the black seam", Style Council:"A stone's throw away", Pulp "Last day of the miners strike", Evan McCole:"Daddy what did you do in the strike", The Enemy within:"Strike!".

Pour de nombreux musiciens, la grève des mineurs constitue une prise de conscience. Des activistes musiciens s'engagent alors pour la cause des mineurs. C'est le cas de Billy Bragg qui apporte un soutien sans failles aux mineurs tout au long du mouvement. A plusieurs reprises, Bragg organise des concerts de soutien afin de rassembler des fonds pour les mineurs.
Dans une interview accordé à Emmanuel Tellier des Inrockuptibles, le chanteur revient sur sa prise de conscience: "La politique a toujours été ma principale source d'inspiration. (...) J'ai besoin d'un cadre social fort, j'ai besoin de raconter des histoires qui sont situées dans leur époque, dans notre société. Ce genre d'écriture s'est imposée à moi de manière évidente : la grande grève des mineurs en Grande-Bretagne a débuté en 84, soit un an après mon premier album. J'étais chez moi, bossant sur des idées de chansons et d'un seul coup, j'ai senti que mon destin était là. Je n'ai pas hésité un instant : il était évident que ma place était aux côtés des travailleurs. Ma musique n'était plus qu'un prétexte. Il fallait qu'elle se mette à disposition des idées que nous défendions. C'est sur cette idée de mise à disposition, de réquisition de la musique au nom des idées, que nous avons bâti le Red Wedge. Je me fichais complètement de mon statut d'artiste, de mon image. Au moment des grèves de mineurs, il y avait quelque chose d'historique dans l'air (...). C'est là qu'il fallait que je sois, en première ligne. Ce n'était pas une question de choix tactique, c'était une évidence."[Les Inrocks: "Billy Bragg: une couleur rouge", 23/04/2017]
En 1985, Billy Bragg reprend à son compte tout en l'adaptant "Wich side are you?"(5), une titre puissant composé par Florence Reece à l'occasion de la grève des mineurs du Kentucky en 1931. La chanson revient sur le nécessaire engagement du travailleur auprès du syndicat, sur la confrontation inévitable avec le patron et ses complices: la police, les jaunes, le pouvoir politique et son  arsenal législatif antisyndical.

Conclusion:
La grève aura coûté chère. On parle de 30 milliards de livre sterling au cours d'aujourd'hui, soit plus de 35 milliards d'euros de perte. Sur le plan humain, le bilan de cet épisode est tout aussi dramatique avec une dizaine de morts dont 6 mineurs et plus de 20 000 personnes blessées lors d'affrontements entre grévistes et non grévistes ou avec la police. 
 La stratégie jusqu’au-boutiste de Thatcher pour mettre un terme à la grève des mineurs et au poids des syndicats au Royaume Uni était osée: promulguer un arsenal de lois antisyndicales, déployer sur le terrain un large contingent de forces de l'ordre et de soldats, puis laisser jouer la montre jusqu'à ce que l'adversaire perde patience et commette des fautes. La conséquence directe du conflit social est la décapitation du mouvement minier de son cadre syndical, partout dans l'île.
De manière plus générale, la grande grève des mineurs s'inscrit dans une décennie au cours de laquelle les rapports de force s'inversent, avec la défaite du monde du travail face à l'émergence du système néo-libéral. Dès lors, on assiste au recul des conquêtes sociales acquises au cours des décennies antérieures par le mouvement ouvrier. 



       
Wich side are you on?
This government has an idea / and Parliament made it law / It seems like illegal / to fight for the union any more 
Wich side are you on ,boys? / Wich side are you on? (x2) / We set out / To join the picket line / For together we cannot fail
We got stopped by police / at the county line / They said: "Go home boys or you're going to jail"

It's hard to explain to a crying child / Why her daddy / Can't go by / So the family suffer / But it hurts me more / To hear a scab say: / "Sod you Jack"

I'm bound to follow my conscience / And do whatever I can / But it'll take much more / Than the union law / to knock to fight out / or working man

                                                                    ****
"De quel côté es-tu?"
Ce gouvernement a eu une idée / Et le Parlement en a fait une loi / Il semblerait qu'il soit illégal / De se battre pour un syndicat.

Refrain: De quel côté es-tu mon gars? / De quel côté es-tu? (x2) / On est partis rejoindre les grévistes / Parce qu'ensemble / rien ne peut nous arrêter /

 On s'est fait arrêter par les flics / qui nous ont dit: / "Rentrez chez vous ou c'est la taule."

Refrain 

Pas facile d'expliquer / à une gamine qui pleure / Pourquoi son père ne rentre pas / Alors les familles dégustent, / mais ça fait encore plus mal /  d'entendre un jaune dire: / "Faites chier les gars"
Refrain

Pas d'autre choix que / de suivre ma conscience /  et de faire ce que je peux / Il faudra plus qu'une / loi antisyndicale / pour empêcher les travailleurs de se rebeller
Notes:
1. notamment les électriciens, les dockers, les postiers.
2. une loi prévoit l'organisation du vote formel de tous les militants avant de lancer une grève nationale. Cette législation constitue indéniablement un frein à l'action des syndicats.
3. Sans doute encouragé en sous-main par les autorités, un groupe de non-grévistes entament une action contre la haute-cour du Yorkshire pour obtenir l'indemnisation de leur préjudice. Scargill est condamné à verser 1000 £ à titre personnel et le NUM 200 000£.
4Les concerts de soutien se multiplient à travers le pays, certains artistes n’hésitant pas à reverser les bénéfices de leurs disques aux grévistes. 
Les cinéastes suivent également le mouvement. La grève et les violences sociales induites inspireront de grands succès du cinéma populaire britannique: Which side are you on de Ken Loach, Les Virtusoses, Billy Elliot ou plus récemment Pride.
5. Lors d'une grève de mineurs, En 1931, Florence Reece (1900-1986) s'inspire d'une chanson traditionnelle anglaise intitulée "Jack Munro" pour composer "Wich side are you?". Sam Reece, son mari, mène alors la lutte aux côtés d'autres mineurs du Kentucky contre la police locale aux ordres des patrons. Cette guerre de Harlan County fait de nombreux morts.
 A propos de la naissance de cette chanson, Florence Reece se souvient: " Le Sheriff J.H. Blair et ses hommes sont venus à la maison à la recherche de Sam – c’est mon mari – qui était l’un des leaders du syndicat. J’étais seule à la maison avec nos sept enfants. Ils ont dévasté la maison, puis sont restés en regardant dehors, en attendant de descendre Sam quand il rentrerait. Mais il n’est pas rentré cette nuit. Ensuite, j’ai déchiré une feuille du calendrier du mur, et j’ai écrit les mots : « De quel côté êtes-vous ? » sur un vieil hymne baptiste [intitulé] « Couche doucement le lys ». Mes chansons s’adressent toujours aux déshérités, aux travailleurs. Je suis l’une d’entre eux, et je sens que je dois être avec eux. Il n’y a rien comme la neutralité. Tu dois être d’un côté ou de l’autre. Il y a des gens qui disent « je ne suis ni d’un côté ni de l’autre, je suis neutre », mais ça n’existe pas. Dans ta tête, tu es d’un côté ou de l’autre. Dans le comté de Harlan, il n’y avait pas de neutres. Si tu n’étais pas un nervi, tu étais un syndicaliste. Il le fallait. " [Source G]
En 1937, Alan Lomax enregistre la chanson pour le compte de la Bibliothèque du Congrès. Trois ans plus tard, Pete Seeger et les Almanac Singers enregistrent une version légèrement remaniée du titre.  

Sources:
Source A. Affaires sensibles: "La Dame de fer, le Roi Arthur et la grève des Mineurs". 
Source B. L'Atlas histoire du Monde diplomatique: "Et Margaret Thatcher brisa les syndicats". (pdf
Source C. Télérama: "Sur les traces de Margaret Thatcher (3): les mineurs du Yorkshire n'ont pas décoléré".
Source D. Le Monde diplomatique: "Wich side are you on?"
Source E. "Quand les mineurs sifflaient en travaillant (ou sans travailler)"
Source F. Les Inrocks: "Billy Bragg - une couleur rouge"
Source G. Pete Seeger: "Wich side are you on?"

Liens: 
- Courrier international, 1/6/2018: "Le chiffre du jour. Seulement 33 000 Britanniques ont fait grève en 2017."
 - Playlist d'Hugo Cassaveti: "rock anti-Thatcher".

Aucun commentaire: