dimanche 22 novembre 2009

192. "Cinq mai", une chanson autour de la légende de Napoléon

Jean-Louis Murat, le très provocateur chanteur auvergnat a commis (il y a quelque temps déjà) un merveilleux album intitulé 1829 dans lequel il reprend des chansons de Pierre-Jean Béranger. Ce dernier est l'auteur de chansons qui a rencontré un énorme succès au XIXe siècle, sorte de Brassens du 19è siècle (oui, j'ose une comparaison aussi incongrue qu'improbable !)


Un autre article dans histgeobox avait déjà évoqué cet album pour la chanson intitulée : les souvenirs du peuple

Le Cinq mai est une chanson encore très politique de Pierre-Jean Béranger. Je ne vais pas refaire la biographie du Monsieur.... Retenons qu'il est né en 1780 et qu'il devient dès son plus jeune âge typographe. Très tôt républicain, il trouve dans Lucien Bonaparte un protecteur de très haut rang sous l'Empire. Après 1815, Béranger devient l'un des opposants les plus zélés de la Restauration. Son premier recueil de textes lui vaut d'être emprisonné ce qui l'amène de ce fait vers une certaine popularité. Aux procès succèdent d'autres pamphlets et d'autres succès. En 1848, il est élu député mais refuse de siéger préférant garder ses distances avec la réalité du pouvoir.



Ses nombreux textes traitent souvent de la liberté, de la République et de la grandeur passée de l'Empire. Dans le Cinq mai, Béranger
évoque la date de la mort de l'Empereur : le 5 mai 1821, à Ste-Hélène (il n'est pas le seul, il existe aussi un poème de Nerval avec le même titre). Le narrateur du texte est un ancien soldat de la Grande Armée qui a fuit la France pour l'Amérique au moment du retour de la monarchie. Résigné il souhaite revenir en France pour mourir (La main d'un fils me fermera les yeux) sur un navire espagnol qui fait escale à Ste-Hélène.
Les Espagnols (qui ont pourtant tant souffert de l'invasion napoléonienne) semblent regretter l'Empereur et détester davantage encore les Anglais qui le tiennent éloigné aussi loin de l'Europe.


L'ensemble du texte exprime cette admiration sans nuance que Béranger porte pour l'empereur défunt : ce "boulet invincible qui fracassa vingt trônes" "fatigua la Victoire" qui avait du mal à le suivre. Napoléon dialogue avec les dieux, le narrateur comprend qu'il ne pourra refaire le coup des Cent jours (armons soudain deux millions de soldats).l Mais le narrateur aperçois un pavillon noir et comprend que l'Empereur est mort. Tout le monde pleure Napoléon, même ses anciens ennemis.

Le soulagement est du côté des Anglais qui tenaient prisonnier l'Empereur depuis 7 ans sur cette île perdue dans l'Atlantique sud, Ste-Hélène. Sa mort laisse enfin planer le doute sur son éventuel empoisonnement (les dernières analyses de ses cheveux infirmeraient cette thèse)....la légende grossit et en décembre 1840, Louis-Philippe décide de faire rentrer les cendres de l'Empereur aux Invalides à Paris. Louis-Philippe a bien compris que le retour de l'Empereur serait l'occasion de fédérer une grande partie de la population autour du grand homme et du nouveau régime qui le célèbre. Sur ce sujet, il faudrait lire le très motivant ouvrage de Natalie Petiteau Lendemains d'Empire. Les soldats de Napoléon dans la France du XIXe siècle, La Boutique de l'Histoire, 2003. Elle raconte justement la persistance du mythe napoléonien dans la société française. Lire le compte-rendu dans la Revue 19e siècle.

Le personnage de roman (Les Misérables de Hugo) qui incarne très justement cette nostalgie est bien sûr Thénardier, ancien soldat de la Grande Armée ayant participé à la bataille de Waterloo. Devenu aubergiste, il a accueilli contre rémunération la petite Cosette....


Bourvil (à gauche) incarne Thénardier au cinéma

POur écouter la chanson, cliquez sur le lien
http://www.deezer.com/listen-3504926



LE CINQ MAI 1821.

Des espagnols m' ont pris sur leur navire,
aux bords lointains où tristement j' errais.
Humble débris d' un héroïque empire,
j' avais dans l' Inde exilé mes regrets.
Mais loin du cap, après cinq ans d' absence
sous le soleil, je vogue plus joyeux.
Pauvre soldat, je reverrai la France :
la main d' un fils me fermera les yeux.
Dieux ! Le pilote a crié : Sainte-Hélène !
Et voilà donc où languit le héros !
Bons espagnols, là s' éteint votre haine ;
nous maudissons ses fers et ses bourreaux.
Je ne puis rien, rien pour sa délivrance :
le temps n' est plus des trépas glorieux !
La main d' un fils me fermera les yeux.

Peut-être il dort ce boulet invincible
qui fracassa vingt trônes à-la-fois.
Ne peut-il pas, se relevant terrible,
aller mourir sur la tête des rois ?
Ah ! Ce rocher repousse l' espérance :
l' aigle n' est plus dans le secret des dieux.
La main d' un fils me fermera les yeux.
Il fatiguait la victoire à le suivre :
elle était lasse ; il ne l' attendit pas.
Trahi deux fois, ce grand homme a su vivre.
Mais quels serpents enveloppent ses pas !
De tout laurier un poison est l' essence ;
la mort couronne un front victorieux.
La main d' un fils me fermera les yeux.
Dès qu' on signale une nef vagabonde,
" serait-ce lui ? Disent les potentats :
vient-il encor redemander le monde ?
Armons soudain deux millions de soldats. "
et lui, peut-être accablé de souffrance,
à la patrie adresse ses adieux.
La main d' un fils me fermera les yeux.
Grand de génie et grand de caractère,
pourquoi du sceptre arma-t-il son orgueil ?
Bien au-dessus des trônes de la terre
il apparaît brillant sur cet écueil.
Sa gloire est là comme le phare immense
d' un nouveau monde et d' un monde trop vieux.
La main d' un fils me fermera les yeux.
Bons espagnols, que voit-on au rivage ?
Un drapeau noir ! Ah, grands dieux, je frémis !
Quoi ! Lui mourir ! ô gloire ! Quel veuvage !
Autour de moi pleurent ses ennemis.
Loin de ce roc nous fuyons en silence ;
l' astre du jour abandonne les cieux.
La main d' un fils me fermera les yeux.



Le film d'Antoine de Caunes, Monsieur N s'inspire des légendes autour de la mort de Napoléon, empoisonnement ou fuite de Ste-Hélène. Tout cela entretient encore actuellement la légende......même si la légende noire tend à l'emporter aujourd'hui même en France.

"L'histoire est un mensonge que personne ne conteste " nous dit à ce propos Napoléon Bonaparte !



JC Diedrich

1 commentaire:

blottière a dit…

Cet album de Murat est magnifique. Il y interprète Béranger avec brio. Ce morceau est particulièrement réussi.

Merci pour ce bel article.

Julien