mardi 23 février 2010

202. Hal Block with the Tony Borrello Orchestra: "The Senator McCarthy Blues". [1954]



Avec l'installation du monde de l'après-guerre dans la guerre froide, les Etats-Unis sont pris d'une véritable peur des "rouges", confinant souvent à la paranoïa. En 1947, au début de la guerre froide, Truman lance une enquête sur les fonctionnaires américains afin de vérifier s’ils cautionnent ou non les idées communistes.
Les craintes s’amplifient avec le blocus de Berlin et la guerre de Corée. Le sénateur républicain du Wisconsin, Mac Carthy mène ces campagnes contre l'infiltration communiste dans l'administration américaine. Il lance une « chasse aux sorcières » (en référence aux sorcières de Salem: en 1692, des femmes furent accusées de sorcelleries et brûlées vives dans une atmosphère de paranoïa puritaine) contre toutes les personnes suspectées de sympathies communistes, voire seulement progressistes. En 1950, il affirme détenir une liste de hauts fonctionnaires américains membres du parti communiste. L'emballement médiatique provoque alors une véritable "red scare", peur du rouge, propice à toutes les erreurs.Les accusations du sénateur reposaient en réalité sur des dossiers à peu près vides ou des extrapolations. Une simple déclaration de sympathie pour le mouvement syndical pouvait être exhumée et faire de vous un dangereux révolutionnaire en puissance.

Dans les faits, le parti communiste restait particulièrement marginal aux Etats-Unis, avec 20 000 membre tout au plus. Certes, il bénéficiait de nombreuses sympathies auprès des intellectuels et artistes. De là à penser qu'il pouvait représenter un véritable danger pour la démocratie américaine, il y a un pas, franchi avec la découverte de réseaux d'espionnage soviétiques implantés aux Etats-Unis, notamment dans le domaine ultra-sensible de la recherche nucléaire (voir l'affaire Rosenberg).


Pour traquer les communistes, les autorités réactivent la commission sur les "activités anti-américaines" (House Committee on Un-American Activities), qui avait pour mission de débusquer les citoyens aux sympathies nazies, au cours des années trente. Elle s'intéresse tout particulièrement aux milieux traditionnellement à gauche, ou en tout cas progessistes (les mouvements pour les droits civiques, les syndicats bien sûr, l'industrie du cinéma, les écrivains ou encore les étudiants). Au coeur du système de renseignement, on retrouve J.Edgar Hoover, patron et créateur du FBI, connu pour son anticommunisme viscéral et son goût très prononcé pour les procédures troubles (écoutes téléphoniques, chantages...). L'HCUA sait pouvoir compter sur de nombreux réseaux de surveillance qui incitent à la délation. Le financement de cette chasse aux sorcières est aussi rendu possible par de nombreux dons émanant de généreux donateurs (Walt Disney, Howard Hugues).Très vite, des listes de suspects sont dressées. Ces listes noires ratissent très larges et ne se fondent, la plupart du temps, que sur des racontars.


Tous les secteurs d’activité sont touchés, des vies et des carrières brisées, pour longtemps. De grands cinéastes doivent s'exiler (Losey, Chaplin). Des milliers de fonctionnaires sont révoqués (un peu plus de 7000). On assiste enfin à des parodies de procès, comme celui des époux Rosenberg, en 1953. Certes, l'ouverture des archives établit leur culpabilité, pour autant l'instruction fut entachée de nombreuses irrégularités et rien ne put empêcher leur exécution. Lors des nombreuses commissions d'enquête que McCarthy préside, il se révèle particulièrement agressif et brutal.


Joseph McCarthy en mai 1954. 

Mais bientôt, les méthodes et exagérations de Mac Carthy en font un élément gênant, y compris pour les Républicains. En effet, à partir de 1952, il se lance dans une surenchère totalement irrationnelle, s'en prenant à des personnalités au dessus de tout soupçon comme le secrétaire d'Etat George Marshall (jugé trop mou) ou encore à des institutions pourtant peu suspectes de gauchisme, comme l'armée et ses membres les plus éminents (Eisenhower!).
Joseph Welch (avocat de l'armée) vs Joseph McCarthy.
Surtout, les méthodes du sénateur, fondées sur l'insinuation, l'intimidation, voire le mensonge, lui aliènent une grande partie de l'opinion publique.
Cela apparaît au grand jour au cours des audiences du sénat américain sur le conflit entre l'armée et le sénateur McCarthy (du 22 avril 1954 au 17 juin 1954). Le retentissement de ces auditions s'avère considérable puisqu'elles sont retransmises à la télévision (en tout 187 heures de programme et des millions de téléspectateurs).
Une passe d'arme mémorable entre McCarthy et Joseph Welch, qui était l’avocat de l’armée, contribue à retourner l'opinion. Welch dénonce le sénateur comme un colporteur de ragots et s'insurge contre les attaques de McCarthy contre un de ses assistants :
« . . . C’en est assez des attaques assassines contre ce jeune, Sénateur. Vous en avez assez dit. N’avez-vous plus aucun sens de la décence? Ne vous reste‑t‑il donc aucun sens de la décence? »

Les violations caractérisées des libertés fondamentales finissent par isoler totalement McCarty qui meurt à 57 ans, oublié de tous. De 1950 à 1953, le maccarthysme mit à mal les libertés fondamentales aux Etats-Unis et crée une atmosphère propice au retour des républicains au pouvoir avec la victoire d'Eisenhower en 1952. 

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Ci-dessous, deux chansons évoquent la chasse aux sorcières ou la traque des rouges.

1. Le "blues du sénateur McCarthy", interprété par Hal Block et l'orchestre de Tony Borello (1954) brocarde notamment le cirque médiatique qui accompagne la chasse aux sorcières. Les chaînes de TV passent en boucle les auditions menées par le sénateur du Wisconsin. Ici la maîtresse de maison délaisse son foyer, absorbée qu'elle est par l'étrange lucarne qui s'impose alors pour la première fois comme un média de masse. Ce titre est issu d'une compilation (fabuleuse) de vieux morceaux de musique "du temps de la guerre froide".

Hal Block with the Tony Borrello Orchestra: "The Senator McCarthy Blues". [1954]

"j'ai le blues du sénateur McCarthy (...)

Because my gal won't leave her TV set,
I think that she's about to blow her fuse
I've got those open session, closing session,
End the session (...)

Parce que ma nana ne quitte plus son écran de télé,
Je pense qu’elle est train de faire fondre son tube cathodique
Je me tape les procès public, les huis clos,
Les fins de session

(...)

And she's got the dishes in the sink,
And her floor ain't mopped, too
She's got the washin' in the washer
She don't care what DUZ will do (...)

Et elle laisse le repas dans le four,
Le sol n’est pas fait non plus
Elle laisse le linge dans la machine
Elle se moque de ce que DUZ (le nom d’un détergent dont le slogan était «DUZ fait tout ») va faire (...)

Oh, here's the moral of the story
And this you ought to know
A good man of your own
Is better than a daytime TV show
Now if you got your man
McCarthy sure won't mind

Oh il y a une moral à cette histoire
Et vous devez la connaître
Un brave gars de votre espèce
Est meilleur qu’un show TV de la journée
Maintenant si tu te soucies de ton home
McCarthy ne s’en offusquera pas"


2. La chanson de Richard Farina évoque l’HUAC, institution chargée de traquer tous ceux qui seraient susceptibles de menacer les Etats-Unis. Pendant la chasse aux sorcières, elle s’est distinguée par des procès bâclés visant tous ceux ayant des idées progressistes.

Richard Farina et Mimi Baez.

Né d'un père cubain et d'une mère irlandaise, Richard Fariña grandit à Brooklyn et fréquente la jeune scène folk new yorkaise, notamment Bob Dylan. Figure de la contre-culture, il multiplie les titres engagés. En 1963, il épouse Mimi Baez, la sœur de Joan avec laquelle il collabore sur plusieurs titres folk. Trois ans plus tard, il meurt dans un accident de moto, le jour de la fête organisée pour ses 29 ans...



Artiste: Mimi & Richard Fariña
Chanson: House Un-American Blues Activity Dream

"Well I was lying there unconscious feeling kind of exempt.
When the judge said that silence was a sign of contempt.
He took out his gavel, banged me hard on the head.
He fined me ten years in prison, and a whole lot of bread.
It was the red, white and blue making war on the poor.
Blind mother justice, on a pile of manure.
Say your prayers and the Pledge of Allegiance every night.
And tomorrow, you'll be feeling all right.

Eh bien j’étais étendu inconscient, peu concerné.
Quand le juge déclara que le silence était une preuve de culpabilité.
Il prit son marteau, me frappant fort sur la tête.
Il me condamna à dix ans en prison, au pain et à l’eau.
C’était le rouge, le blanc et le bleu déclarant la guerre aux malheureux.
Justice aveugle, sur un tas de fumier.
Fais tes prières et prête serment tous les soirs.
Et demain, tu te sentiras bien."




* Liens:
- Pour les anglophones, le fameux duel entre McCarthy et Welch en 1954.
- une mise au point claire sur le maccarthysme.
- une synthèse (PDF) complète sur le site d'Olivier Andurand.
- un bon dossier consacré au sujet par Arte: le maccarthysme, une biographie de McCarthy, une chronologie détaillée.
- Une très bonne mise au point sur le blog de Richard Tribouilloy.

dimanche 21 février 2010

201. Nitin Sawhney: "Days of fire".

London Undersound est le nom du huitième album de Nitin Sawhney. Un fil conducteur sinistre relie les différents morceaux de cet album d'un grand éclectisme musical: les attentats de Londres en 2005 et leurs multiples conséquences.


L’album s’ouvre sur Days of Fire interprété par le rappeur Natty qui y rapporte sa propre expérience. Il reste en effet très marqué par la mort du Brésilien Charles de Menezes, pris par erreur par la police pour un poseur de bombe à la sortie de la station de métro Stockwell. Nitin Sawhney explique: " Natty était présent lors des attentats du 7 Juillet, puis par une étrange coïncidence, il était tout proche de la scène de fusillade de Jean-Charles de Menezes deux semaines après. En deux semaines seulement, la conception que l’on avait de Londres a été totalement bouleversée."
Ce morceau poignant nous invite à nous intéresser à la recrudescence des attentats perpétrés par des mouvements islamistes depuis maintenant deux décennies.

http://img.dailymail.co.uk/i/pix/2007/07_03/JCDMenezes_468x318.jpg
Le corps de J.C. De Menezes abattu, le 22 juillet 2005, par des agents de Scotland Yard, alors à la recherche de terroristes.

Depuis la fin des années 1990, un nouveau courant islamiste s’affirme dans le cadre d’un «néo-fondamentalisme » terroriste. Il se développe dans les communautés musulmanes émigrées et déracinées, en Europe notamment. Cette tendance diffuse (via les madrasa, les sites Internet, la TV saoudienne) une même vision de l’islam, celle exportée par l’Arabie Saoudite dans les années 1970 : le wahhabisme. Ce néo fondamentalisme donne la priorité à une lecture littérale et puritaine du Coran, récusant toute l’histoire musulmane postérieure aux temps du Prophète.

Pour cette tendance, la charia constitue la norme de tous les comportements humains et sociaux. Il rejette donc toute forme de culture qui ne serait pas strictement religieuse (musique, littérature…). Pour cet islam radical, il est essentiel de définir la vraie Religion, et a contrario l’impiété, d’établir ce qui est licite et ce qui ne l’est pas. A cette fin, les ulémas multiplient les fatwas. Particulièrement hostile au judaïsme, ce néo fondamentalisme prône la lutte contre les Etats-Unis et leurs alliés (Israël, les pays d’Europe de l’ouest).

Carte tirée de l'émission le "Dessous des Cartes" de J.C. Victor.

Pour Olivier Roy, il est possible de distinguer une première génération de militants d’Al-Qaida (dont Ben Laden) composée de gens originaires du Moyen Orient, partis en Afghanistan combattre l’URSS. Dès l'invasion du pays par les troupes soviétiques en 1979, une résistance afghane se met en place, soutenue progressivement par les Etats-Unis, l’Arabie Saoudite et renforcée par des combattants venus des pays du Golfe et d’Egypte. Les combattants trouvent en Afghanistan l’occasion de mener un combat au nom de la défense de l’islam : c’est le jihad.
Le Saoudien Oussama ben Laden est l’un des organisateurs de cette lutte, depuis son «bureau des services » crée à Peshawar, au Pakistan, véritable base arrière des moudjahiddins afghans. Il y organise son réseau de jihadistes étrangers et fonde l’organisation Al Qaida (la base, en arabe). Le retrait des troupes soviétiques d'Afghanistan en 1989 s'accompagne du retour de nombreux combattants dans leurs pays d'origine pour continuer le combat contre de nouveaux adversaires. Al Qaida se trouve ainsi à l’origine de l’internationalisation du mouvement islamiste au début des années 1980.

Carte tirée de l'émission le "Dessous des Cartes" de J.C. Victor.

A partir de 1992, apparaît un nouveau type de militants, souvent très occidentalisés, qui utilisent l’anglais, les nouveaux média et se déplacent constamment dans leur lutte qui a pour terrain principal l’Occident ou les régions à majorité musulmanes à la périphérie du Moyen-Orient: en Bosnie, dans le Caucase, ou encore au Cachemire. Autant de fronts où ils convient d’importer le jihad, avec des résultats d'ailleurs mitigés.

Carte tirée de l'émission le "Dessous des Cartes" de J.C. Victor.

Pour Roy, « ces militants sont l’expression d’un monde global. » Le mouvement se désintéresse en effet du cadre de l'Etat-nation et agit à l'échelle mondiale. La plupart des attentats revendiqués dans le monde par Al Qaïda sont commis au nom de l'islam, sans qu’il y ait de réels « projets » politique précis derrière ces violences. Les Etats-Unis constituent une des cibles principales des attentats perpétrés par Al Qaïda. Ben Laden reproche avant tout aux Américains d’avoir foulé le "sol sacré" de l’Arabie Saoudite lors de la guerre du Golfe. Le réseau utilise les moyens de communication les plus modernes (internet; envois fréquents de vidéos aux grandes chaînes de télévisions, Al Jazeera notamment), afin d’assurer une médiatisation maximale à ses actions. A cet égard, les attentats du 11 septembre 2001, avec les tours en feu sur toutes les chaînes de télévision, sont un vrai "succès" pour l'organisation. Le nom de Ben Laden et de son mouvement, jusque là largement méconnus, ne sont plus ignorés de personne.

http://www.recitus.qc.ca/images/main.php?g2_view=core.DownloadItem&g2_itemId=6876&g2_serialNumber=3
Le 11 septembre 2001 à New York, les tours jumelles s'effondrent.

Des cibles choisies.

Depuis une quinzaine d'années, un grand nombre d'attentats ont été commis partout dans le monde par des mouvements se réclamant de l'islamisme, Al Qaida ou autres. Les cibles choisies ne le sont jamais par hasard:
* attentats contre des symboles :
- la puissance économique des EU avec la destruction des tours du Wall Trade Center le 11 septembre 2001.
- l’attaque contre le Pentagone visait la puissance militaire.
- le quatrième avion avait pour cible initiale la Maison Blanche, donc le cœur de la puissance politique.
- L'attentat contre une synagogue à Djerba visait un lieu fréquenté par les touristes mais surtout un édifice religieux.

* Des personnalités sont assassinées en raison de leur poids politique, de leurs conceptions, incompatibles avec celles du radicalisme musulman : assassinat du commandant Massoud en Afghanistan ; du président tchétchène pro-russe, Akhmad Kadirov au printemps 2004; de journalistes; Rafiq Hariri, l'ancien premier ministre libanais.

* Les terroristes prennent pour cibles les intérêts d’un pays : l'ambassade américaine au Kenya en 1998, le pétrolier français Limburg en 2002 au large des côtes du Yémen.
* Enfin, les attentats aveugles visent des civils afin de créer un climat de peur susceptible d’exercer une pression sur les dirigeants du pays visé : attentats contre les touristes occidentaux à Bali en 2002 (200 morts); attentats de Casablanca en 2003; Madrid en mars 2004 (190 morts), Londres (juillet 2005).

Les Conséquences immédiates de ces attaques.

Les attentats du 11 septembre 2001 ont de lourdes conséquences internationales. L'administration Bush, alors à la tête des Etats-Unis, considère en effet cette attaque comme une déclaration de guerre. Les Européens, quant à eux, y voient davantage le paroxysme du terrorisme international (il faut dire qu'ils sont touchés depuis 20 ans par des actes terroristes). Les attentats sont suivis par les interventions américaines en Afghanistan (automne 2001) et en Irak au printemps 2003. Lors de cette seconde opération, les Etats-Unis privilégient l'unilatéralisme, en intervenant hors du cadre de l'OTAN et sans l'aval de l'ONU. Les artisans de cette stratégie périlleuse sont les néoconservateurs, omniprésents dans l'entourage de George W. Bush.

Les attaques terroristes provoquent ainsi indirectement une crise au sein de l'Alliance atlantique. Le cavalier seul américain marginalise considérablement ses membres et ses structures. Plus grave sans doute, en intervenant en Irak sans l'aval de l'ONU, les Etats-Unis fragilisent un peu plus l'institution. L'invasion irakienne met aussi à jour les divisions qui minent l'Union européenne et son incapacité à parler d'une seule voix sur la scène internationale. D'un côté, on retrouve la Grande Bretagne, l'Espagne, l'Italie, mais aussi les pays d'Europe centrale et orientale qui soutiennent et participent à l'intervention américaine. De l'autre, la France et l'Allemagne s'opposent à cette décision unilatérale, ce qui fera dire à Donald Rumsfeld, le secrétaire à la défense de George W. Bush (de 2001 à 2006), qu'il s'agissait là de la “vieille Europe“.

Carte tirée de l'émission le "Dessous des Cartes" de J.C. Victor.

Les résultats de l'intervention en Irak.

Les Etats-Unis inscrivent leur offensive contre l'Irak dans le cadre de la lutte contre le terrorisme international, sans qu'il y ait d'ailleurs de liens avérés entre le régime irakien et Al Qaida. Le second objectif avancé de l'administration américaine était de renverser le régime dictatorial de Saddam Hussein pour instaurer la démocratie en Irak. Aujourd'hui, le pays reste plongé dans le chaos. En outre, loin de mettre un terme au terrorisme, comme l'affirmait les faucons de Washington, l'attaque contre l'Irak semble avoir au contraire entraîné une recrudescence des attaques. Le nombre de victimes d’attentats à travers le monde a été pour 2006 de 20 000 morts au total, dont 13 000 rien qu'en Irak. Dans l'immédiat après-guerre, le pays devient un nouveau théâtre d’opération pour des jihadistes venus d’Arabie Saoudite, de Syrie, de Libye, du Maghreb notamment.

Al-Qaïda, appelation d'origine incontrôlée.


Cliquez sur l'aperçu pour agrandir l'infographie (sources: le figaro.fr).

Aujourd'hui Al Qaïda semble affaiblie et n’est certainement pas le commandement central, l'organisateur de toutes les opérations terroristes. Au fond, Al Qaïda fonctionne comme une sorte de franchise pour de nombreux groupes terroristes. Elle possède des émanations régionales, voire individuelles aussi dangereuses qu'insaisissables. Il existe par exemple, la branche « Al Qaida pour le Maghreb islamique », créée en 2006, mais qui est en fait le nouveau nom du GSPC, un groupe islamiste déjà existant.
La plasticité de l'organisation d'Oussama Ben Laden explique ainsi qu'on attribue à Al Qaida bien plus d’attentats qu’elle n’en prépare réellement. Les attentats de Londres en juillet 2005 ont été commis non pas par des étrangers, mais par des jeunes Britanniques bien intégrés, et sans lien direct avec Al Qaida.

Cliquez sur l'aperçu pour agrandir l'infographie (sources: le Monde.fr).

* "Since the days of fire".

C'est le 7 juillet 2005 que Londres est touchée. Trois bombes explosent dans des rames de métro, la quatrième à l'étage supérieur d'un autobus à impériale.

Les attentats du 7 juillet 2005 ont tué 56 personnes (dont les 4 terroristes) et faits 700 blessés.

Deux semaines plus tard, le 21 juillet, quatre autres bombes explosent à Londres sans tuer.
Ce drame entraîne un changement d'attitude des autorités britannique à l'égard des mouvements islamistes.
- Jusque là plutôt passives, les autorités s'intéressent désormais de très près aux prêches enflammés de nombreux imams opérant dans le pays, notamment depuis Londonistan (les quartiers londoniens où les réseaux islamistes, souvent proches d'Al Qaida, avaient pignon sur rue, notamment la mosquée de Finsbury Park).
- Le Royaume Uni accède enfin à la demande de la France d'extrader Rachid Ramda, l'organisateur des attentats de Paris, en 1995 (en 2007, Ramda est condamné à la perpétuité). Jusque là, et malgré leurs engagements pour lutter contre le terrorisme, les Britanniques refusaient de coopérer avec la justice française.

* Quelles réponses face à ces attaques?

L'image “http://www.bendib.com/newones/2003/june/small/6-10-Patriot-Act-Two.jpg” ne peut être affichée car elle contient des erreurs.
Caricature dénonçant le Patriot Act.

Les attentats servent aussi d'arguments à plusieurs gouvernements occidentaux pour mettre en place une législation sécuritaire souvent incompatible avec le respect des libertés fondamentales (l'exercice est une vraie gageure). Jouant sur la peur et l'amalgame, l'administration Bush impose le Patriot Act, qui entraîne un recul net des libertés publiques. Cette loi adoptée en octobre 2001 permet ainsi les écoutes téléphoniques, les fouilles secrètes d'appartements, la consultation des fichiers d'entreprises ou d'universités. Enfin, elle autorise l'administration américaine à garder en détention pour une durée indéterminée les étrangers. Le droit international est ainsi malmené comme le prouvent par exemple les conditions de détention des prisonniers enfermés à Guantanamo, une base américaine située sur l'île de Cuba ou encore la mise en place de prisons secrètes de la CIA dans de nombreuses régions de la planète.

* Le djihadisme international aujourd'hui.

Harcelé en Afghanistan et dans les régions tribales frontalières du Pakistan, le noyau dur d’Al-Qaïda a subi de lourdes pertes, pour autant une série d’attaques récentes prouve que la menace djihadiste ne saurait être négligée.
- Le 25 décembre 2009, un étudiant nigérian, Omar Farouk Abudlmutallab tente de faire exploser en vol un avion de la Northwest Airlines.
- Le 30 décembre, Khalil Abou Moulal al-Balawi, un informateur de la CIA lié à Al-Qaïda, tue 7 employés de l’agence dans un attentat suicide perpétré à Khost.
- Le 1er janvier 2010, un Somalien tente d’assassiner le caricaturiste danois Kurt Westergaard, auteur d’une des caricatures du prophète Mohammed en 2005.


http://www.brothersdiary.com/wp-content/uploads/getimage_aspx.jpg
Omar Farouk Abudlmutallab.

Al Qaïda s’est morcelée au fil des années en une multitude de mouvements régionaux déconnectés les uns des autres, mais conserve néanmoins un grand impact idéologique sur les musulmans extrémistes.
L’agence de renseignements internationale, Statfor, estime que le djihadisme international se décompose en trois cercles distincts :
- Le noyau dur d’Al-Qaïda installé au Nord-Est du Pakistan (au Waziristan).
- Second vecteur du djihadisme : les groupes régionaux qui opèrent dans un certain nombre de pays, notamment au Yémen, en Somalie (où l’absence de tout contrôle étatique permet au mouvement de prospérer), en Algérie et au Maroc, notamment dans de vastes territoires désertiques échappant à tout contrôle étatique.
- Le troisième cercle, plus difficile à cerner, serait composé de milliers d'islamistes à travers le monde qu’Al Qaïda et ses franchises inspirent, mais qui n’ont que peu de liens directs avec elles. Les services de renseignements américains sont ainsi particulièrement préoccupés par l'essor de l’activisme parmi les Américains musulmans (la forte capacité d’intégration du pays avait jusque là laissé supposer que la menace terroriste intérieure était bien plus faible qu’en Europe).

La nature asymétrique du combat entre les gouvernements et le djihadisme rend de toute façon très improbable l’éradication définitive prochaine du terrorisme islamiste




Un grand merci à Marie pour son aide.


"Days of fire" Nitin Sawhney.

There's no more trains going that way
There's no more trains coming this way
You better make your way home, son
There's something going down in London

il n'y a plus de trains pour cette direction
il n'y a plus de train dans l'autre direction
tu ferais mieux de rentrer chez toi, fils,
il y a quelque chose qui s'effondre à Londres

Well That ain't gonna stop me
So I step out the station and what do I see?
Traffic for days
Let me walk a bit and I'll see where it get me

eh bien, cela ne va pas m'arrêter
je sors de la station et qu'est-ce que je vois?
de la circulation
Je vais marcher un peu et je verrai où cela me mène

Then it all went slow motion, everything slow motion
First came the flash of lights then the sound of explosion
And we're still in slow motion, we're still in slow motion

Et puis tout est passé au ralenti, tout au ralenti
d'abord l' éclat des lumières, puis le son de l'explosion
et nous sommes toujours au ralenti, au ralenti

On these streets where I played
And these trains that I take, I saw fire
But now I've seen the city change in
Oh so many ways, since the days of fire
Since the days of fire

dans ses rues où je jouais
et ces trains que je prends, j'ai vu le feu
maintenant j'ai vu la ville se transformer
de tant de manières, depuis les jours de feu,
depuis les jours de feu

Now I'm on the train going that way
There were too many people coming this way
Delayed trains, delayed trains
Didn't plan for death on the subway

Je suis maintenant dans le train allant dans cette direction,
il y avait trop de personnes allant dans l'autre direction
trains retardés, trains retardés,
pas prévu de mourir dans le métro

So I step out the station, brazilian name all over TV
Realization - I was on the next train - could 've been me

alors je sors de la station, un nom brésilien sur tous les écrans
je réalise - j'étais dans le train suivant- que cela aurait pu être moi

Then it all went slow motion, everything slow motion
First the flash of light then the rise of emotion
And I'm still in slow motion, I'm still in slow motion

Puis tout est passé au ralenti, au ralenti
d'abord le flash lumineux ensuite la vague d'émotion
je reste au ralenti, toujours au ralenti

On these streets where I played
And these trains that I take, I saw fire
But now I've seen the city change in
Oh so many ways, since the days of fire
Since the days of fire

dans ces rues où je jouais
et ces trains que je prends, j'ai vu le feu
mais maintenant j'ai vu la ville se transformer
de tant de manières, depuis les jours de feu,
depuis les jours de feu

One day going that way, one day going this way
Those summer days, that crazy phase
Like a jack-knifed car on the highway

un jour allant dans ce sens, un jour allant dans l'autre
ces jours d'été, cette folle période
comme une voiture qui se retourne sur l'autoroute

Just two mad situations, fire on the news, fire on TV
A bus, a train station, the crossfire sights of destiny

juste deux situations folles, le feu aux infos, le feu à la télé
un bus, une gare, les feux de croisement de la destinée

Now it's all gone slow motion, everything slow motion
The lights gone out - I feel no more emotion
I'm all out of emotion, I'm out of emotion

maintenant que tout est passé au ralenti, tout au ralenti
les lumières sont éteintes - je ne ressens plus rien
je suis privé de toute émotion

On these streets where I played
And these trains that I take, I saw fire
But now I've seen the city change in
Oh so many ways, since the days of fire
Since the days of fire

dans ses rues où je jouais
et ces trains que je prends, j'ai vu le feu
mais maintenant j'ai vu la ville se transformer
de tant de manières, depuis les jours de feu,
depuis les jours de feu

Sources:
- Le dessus des cartes de J.C. Victor: "terrorisme, local ou global?".
- "Les trois âges de la révolution islamique" par Olivier Roy, les collections de l'Histoire n°30.
- E. Melmoux et D. Mitzinmacker: "dictionnaire d'histoire contemporaine", Larousse, 2008.
- Jeune Afrique du 2 février 2010.



mercredi 17 février 2010

Sur la platine: février 2010.



1. Java: "Mona". Les titis parigots de Java nous donnent un aperçu un brin désespérée de l'univers banlieusard. Leur dernier album, passé plutôt inaperçu, est réussi et leurs textes toujours aussi inspirés.

http://www2.lemessager.net/wp-content/uploads/2009/10/lapiro.png

2. Lapiro de Mbanga: "Constitution constipée".
Nous vous avions parlé de ce chanteur camerounais il y a peu de temps. Il croupit toujours dans les geôles du Cameroun de Biya. Les musiciens se mobilisent par l'intermédiaire d'une compilation: « Free Lapiro » ("Libérez Lapiro") regroupant 11 titres interprétés par plusieurs artistes africains et européens. Les concepteurs du projets expliquent: "Cette compilation n'est pas une compilation ordinaire. Elle est le fruit du travail d'artistes qui veulent vous sensibiliser au sort de Lapiro de Mbanga, un chanteur emprisonné pour des raisons politiques. Télécharger cette compilation gratuite revient à signer une pétition pour la libération de Lapiro." Beaucoup plus d'infos ici.

3. Massilia Sound System: "Dimanche aux Goudes". Titre extrait du dernier album du Massilia (déjà vieux, vivement le prochain!).

http://www.massilia-soundsystem.com/accueil/img_bio/couv_album.jpg

4. Paavoharju: "Musta Katu".
Titre trouvé au hasard d'errances sur la toile et dont j'ignore absolument tout.
Si vous connaissez...

5. Wayne Wade: "Beware".
Wayne Wade est au chant sur cette production du regretté Yabby You.

6. O.V. Wright: "Whitout you".
Un morceau peu connu d'O.V. Wright, immense chanteur de deep soul.



7. OK Jazz: "Liwa ya wech". Chanson tirée d'un des plus beaux albums du maître Franco: "Authenticité 1". Une vraie merveille.

8. Nathalie Natiembé & Bumcello: "Hkdododansing".
L'auteur de l'excellent blog Facile la musique a eu un gros coup de cœur pour cet album et en parle très bien ici. Son dernier article pose également une question de fond: "doit-on acheter des mauvais disques pour la bonne cause?"

samedi 13 février 2010

200. Rocé: "Des problèmes de mémoire" (2006)

Pour fêter les deux ans de l'histgeobox et la 200ème chanson étudiée, nous vous proposons une réflexion collective sur l'histoire.

En effet, à l'heure où l'on débat beaucoup de la place de l'histoire et de son enseignement, il nous est revenu ce petit air lancinant rappé par Rocé en 2006 : "Des problèmes de mémoire" (Identité en crescendo). Nous ne sommes pas toujours d'accord avec Rocé, mais dans sa rage, il touche souvent juste, comme dans ce titre où il évoque les problèmes de mémoire en France.

Le parcours de Rocé est singulier. Singulier par ses origines : il est né José Kaminsky dans le quartier de Bab El-Oued à Alger, d'un père argentin d'origine russe et d'une mère algérienne. Il hérite à la fois de racines juives et musulmanes. Il se revendique donc comme être "multiple". Il grandit à Thiais dans le Val-de-Marne (94). Il a déjà sorti deux albums. Top départ en 2001 et le bien nommé Identité en crescendo en 2006. Dans ce dernier album, il "rassemblait des musiciens de free jazz, du légendaire saxophoniste Archie Shepp au trompettiste et linguiste Jacques Coursil, en passant par Gonzales le pianiste fou, Antoine Paganotti, chanteur et batteur de Magma, ou samplait Tony Hymas, le claviériste de jazz rock qui adore Erik Satie." (Philippe Barbot) La musique de la chanson a été composée par le guitariste Potzi (du Paris Combo). L'album, coécrit avec l'artiste Djohar Sidhoum-Rahal alias Raqal le Requin, est tout entier est traversé par les questions d'identités assignées par les autres et d'identités choisies. Un nouvel album est prévu en mars 2010 (L'être humain et le réverbère).


"Des problèmes de mémoire" nous plonge en pleine "guerre des mémoires". Commençons par écouter Rocé puis revenons sur cette notion et les relations complexes qu'entretiennent mémoire et histoire.





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  • Histoire et mémoire
« Chaque pays a ses victoires, même s'il a eu des défaites
Mais pour cacher les défaites, on nous raconte des histoires »

Chaque époque choisit de se souvenir ou d’oublier des parties de son passé. Les individus, les communautés, les sociétés ont tous une mémoire sélective. Cela est normal et sans doute légitime. Encore faut-il que ces mémoires coïncident. Et c’est là que ça frotte…

[Magritte, La mémoire, 1948]

« l'histoire appartient à la plus grosse gâchette »

Qui doit choisir ce dont il faut se souvenir ? Les acteurs et les témoins qui veillent, parfois jalousement, sur ce passé qu’ils sont les seuls à avoir vécu mais dont ils ne connaissent qu’une partie? Est-ce le pouvoir politique qui ne cesse d’instrumentaliser le passé en y piochant à sa guise ? Est-ce le rôle des historiens qui regardent souvent les autres avec suspicion ? Et d’ailleurs, faut-il absolument se souvenir ?
L’expression « devoir de mémoire » est souvent utilisée de manière abusive, en particulier par les autorités politiques. Les historiens lui préfèrent l’expression « devoir d’histoire ». Il faut bien entendu se souvenir pour construire une société harmonieuse, mais surtout connaître le passé pour ne pas lui faire dire n’importe quoi.

L’historien n’est pas infaillible nous direz-vous. Il travaille toujours « au bord de la falaise » (Roger Chartier), mais on ne peut se passer de lui.
La mémoire qu’un individu a d’un évènement ne suffit pas. Dans le même temps, l’historien ne peut restituer l’évènement sans faire appel aux témoignages. Travailler ensemble pour faire resurgir le passé est donc indispensable.
Et les politiques ? L’histoire a besoin des politiques pour déboucher, au besoin, sur une juste reconnaissance des erreurs du passé, même si les buts de l’histoire ne se résument pas qu’à cet objectif. Ils représentent en effet une certaine légitimité démocratique.

Ainsi, il ne faut pas perdre de vue que mémoire et histoire entretiennent des liaisons dangereuses. Il s'agit de deux notions bien distinctes que les programmes en classe de Terminale ES et L nous invitent à aborder depuis 2004. La mémoire est de l’ordre du souvenir, du témoignage, du vécu, du point de vue, du ressenti — elle présuppose l’oubli. L’histoire, au contraire, se définit par la mise à distance, la reconstruction problématisée du passé.
Dans le langage des médias et des hommes politiques, les termes de mémoire et d’histoire semblent interchangeables. Pourtant, la mémoire renvoie d’abord au souvenir individuel ou à celui construit par des groupes. Mais elle désigne aussi couramment – par exemple, quand on parle de la « mémoire nationale » – l’histoire qu’un pouvoir décide de présenter, commémorer et enseigner en lien avec ses projets politiques. Ainsi, la discipline scolaire d’«Histoire de France » a servi davantage à construire un avenir qu’à enseigner le passé, et relevait d’un des sens du mot « mémoire ». L’histoire, au sens strict, est autre chose. Elle implique le recul et le raisonnement, exclut l’émotion et toute volonté de mobiliser l’opinion. Et pour compliquer encore ce rapport, les historiens se sont emparés de la mémoire comme objet d’histoire : c'est le cas des Les lieux de mémoire publiés entre 1984 et 1992 et dirigés par Pierre Nora.
Depuis une dizaine d’années la vague mémorielle et patrimoniale devient obsessionnelle en Europe, notamment en France comme le souligne l’historien et philosophe Tzvetan Todorov dans son essai, Les abus de la mémoire, paru en 2004. . Associations et élus se livrent à une véritable surenchère mémorielle. Certes, ce phénomène ne constitue pas une nouveauté, mais ce qui paraît changer en revanche c'est la rivalité entre mémoires concurrentes. [Photo : Le "Lavisse" pour Cours moyen, édition de 1917]

  • A chaque époque son histoire

« L'histoire ne nous raconte pas l'histoire, elle nous raconte la moitié des faits L'autre moitié s'est faite coupée la langue, son silence est criard
Dans l'antre du savoir, il manque des pièces
Des vérités, des versions, une comparaison, une mémoire »

Des périodes de refoulement ou d’occultation volontaire pour les besoins de la reconstruction d’un pays finissent toujours par accoucher d’un retour de ce refoulé. Ainsi l’Espagne, si prompt à tirer un trait sur le passé en 1975, débat trente ans plus tard des héritages douloureux de sa Guerre civile (1936-1939). C’est seulement au début du XXIème siècle que des corps sont exhumés, que des statues de Franco sont déboulonnées [Photo ci-contre : la statue de Franco enlevée à Santander en 2008 (Reuters/Nacho Cubero).


« Des questions qui me reviennent, laissées longtemps au placard »

De même, la Seconde Guerre mondiale en France a connu des politiques mémorielles très variées propres à favoriser les objectifs du moment. Au départ, la figure du déporté renvoyait systématiquement à la Résistance, en parallèle avec le « mythe résistancialiste », voulu à la fois par De Gaulle et les communistes (« Tous résistants », pour faire vite). La reconstruction de la France et de ses institutions ont dicté cet impératif. Puis, après quelques décennies, les travaux des historiens (Paxton rappelant le rôle de Vichy), des cinéastes (Ophüls évoquant Clermont-Ferrand sous l’Occupation) ont permis de se débarrasser de certains mythes. Dans le même temps, la meilleure connaissance de la particularité de la Shoah a redonné au déporté juif une place centrale dans la mémoire de la Seconde Guerre.
Ces jeux et rejeux de la mémoires constituent d'ailleurs un sujet d'étude en soit comme le prouve un des chapitres du programme d'histoire en terminale qui porte sur les mémoires de la seconde guerre mondiale. Comme l'a démontré Henry Rousso dans son ouvrage Le Syndrome de Vichy (1997), la perception du conflit n'a cessé d'évoluer depuis la fin de celui-ci. Pour l'auteur, le syndrome se décompose donc en quatre grandes étapes:
  • Le deuil inachevé dans l'immédiat après-guerre (de 1944 à 1954) : la France doit affronter les séquelles de la guerre civile française.
  • Refoulements et rejeux (de 1954 à 1971) : le souvenir de Vichy se fait moins conflictuel (mesures d'aministie) et laisse la place au mythe résistancialiste.
  • Le miroir brisé (de 1971 à 1974). Plusieurs événements (sortie du film Le Chagrin et la pitié, grâce accordée à Paul Touvier par Pompidou) mettent à mal ce mythe résistancialiste.
  • L'obsession (depuis le milieu des années 1970).
La mémoire de la Seconde Guerre mondiale diffère en outre considérablement suivant les individus ou les groupes auxquels ils appartiennent. Ainsi, il apparaît possible de distinguer des mémoires gaulliste, communiste, très différentes de celles des prisonniers de guerre et des déportés. La redécouverte de l'ampleur et de la spécificité de la Shoah s'est faite également très progressivement. On constate donc que la perception et la mémoire d'un événement varient considérablement selon le point de vue. Si les faits historiques sont là, incontestables, leur perception varie, en revanche, considérablement.

« On débat pas mais on fête, et la fête cache les épaves »

Les revendications mémorielles mettent aujourd’hui en avant le statut de victime. L’aspiration des individus et des communautés à voir leur souffrance reconnue à sa juste valeur peut parfois conduire à la négation des souffrances des autres. Il est difficile pour une population d’assumer le fait d’être à la fois victime et coupable de certains crimes. La mémoire devient alors très sélective et l’histoire officielle ne retient que les aspects positifs. Je pense à la difficulté qu’a longtemps eue la Pologne à reconnaître les crimes antisémites commis par des Polonais pendant et après la Seconde Guerre mondiale, (pogrom de Kielce en 1946) en partie du fait de la chape de plomb communiste. Les conflits entre les mémoires viennent donc souvent d’un déni d’histoire.
"Même les défaites ont leur gloire, même la gloire est une défaite
Ça dépend de l'interprète, du pays, du regard"

Le point de vue du pouvoir ou des vainqueurs s'impose souvent, rangeant au placard celui des vaincus ou des minorités. De fait, l'enseignement de l'histoire offrit avant tout une vision européocentrée qui contribua à plonger dans l'oubli, en tout cas l'indifférence, de nombreuses civilisations extra-européennes. Les choses changent, comme le prouvent les nouveaux programmes d'histoire du collège qui font la part belle aux civilisations africaines en cinquième (l'empire mandingue de Soundiata Keita). On ne peut que s'en réjouir. De la même manière de nombreux ouvrages rompent avec les tendances anciennes. Il est ainsi très réjouissant de lire Une histoire populaire des Etats-Unis (édité également sous forme d'une BD) d'Howard Zinn (récemment disparu) puisque ce dernier adopte justement le point de vue des opprimés ou des "oubliés de l'histoire" (indiens, noirs américains, ouvriers...).
Plus récemment, L’histoire du monde au XVème siècle publiée en novembre 2009 et dirigée par Patrick Boucheron est un projet ambitieux réunissant des historiens de tous les continents pour saisir une histoire mondiale en tentant de s’extirper de la vision européocentrée.

Depuis plusieurs décennies, de nouveaux de courants de recherche historiographique ont remis en cause la situation de monopole de sujets considérés comme nobles. Le point de vue adopté ne peut plus être réduit à celui des puissants ou des dirigeants.

- La microstoria en Italie délaisse l'étude des masses pour se consacrer aux individus. Elle prend ainsi le contrepied de l’Ecole des Annales tant par la méthode que par son contexte idéologique. L’étude à partir d’individus permet de restituer la cohérence d’un univers restreint, en faisant varier les angles de vue et les échelles pour saisir une réalité et une logique bien différente de celle des masses si chère aux historiens marxistes.
- En 2005-2006, colloques et livres ont fait découvrir au grand public les post-colonial studies, une approche théorique plutôt développée à partir des cultural studies dans les départements anglo-saxons de littérature comparée depuis une génération. Le post-colonial a annexé les subaltern studies, connues surtout depuis le succès d'une revue lancée en 1983. Ce courant propose une double rupture:
  1. La rupture avec une histoire faite en fonction des Européens colonisateurs et de leurs seules archives,
  2. le refus de l'illusion d'un soutien unanime de ceux qui ont combattu pour l'indépendance.

Au fond, cette démarche vise à déconstruire le discours des dominants. Ces auteurs considèrent que l'empreinte du fait colonial est encore perceptible dans les rapports sociaux d'aujourd'hui (au risque de l'ethnicisation de la lecture des rapports sociaux).


  • Des tabous et silences de l'Histoire.
"L'histoire ne nous raconte pas l'histoire, elle nous raconte la moitié des faits
L'autre moitié s'est faite coupée la langue, son silence est criard
Dans l'antre du savoir, il manque des pièces
Des vérités, des versions, une comparaison, une mémoire"

Au fond, pour Rocé, l'histoire ne proposerait qu'une version aseptisée ou édulcorée du passé, tout en passant sous silence les aspects les plus sombres de notre histoire.

"La France a des problèmes de mémoire
Elle connaît Malcom X,
Mais pas Frantz Fanon, pas le FLN
Connaît les blacks mais pas les noirs
Diffuse les story cow-boys et indiennes
Mais de la tragédie cow-boys et algérienne, faut rien savoir
Il y a des choses indicibles, c'est pas de l'histoire ancienne Les Kanaks, personne l'enseigne, massacres Vendée Bretagne"

Au coeur de ses querelles de mémoires, entre amnésie et surenchère, la guerre d’Algérie tient une place importante.Longtemps, massacres et tortures perpétrés par l’armée française sur les Algériens ont en effet été gommés des discours officiels.
Historien spécialiste de la guerre de l'Algérie contemporaine, Benjamin Stora explique : "Existe-t-il encore des zones d'ombres, des tabous à propos de l'histoire de la guerre d'Algérie? Oui, bien sûr. Si l'on se tient sur le plan de la violence, l'historien doit travailler sur l'utilisation du napalm par l'armée française, les expériences nucléaires au Sahara et les radiations dont ont été victimes les populations civiles, les "disparus" de la bataille d'Alger en 1957 (..)". Pour autant, plus aucun historien sérieux ne conteste aujourd'hui l'utilisation de la torture par l'armée française en Algérie. Désormais, on parle bien de guerre et plus des "événements d'Algérie".
Il s'agit en tout cas d'un sujet "chaud". En parallèle avec le débat sur la torture, relancé notamment par les aveux d'Aussaresses en 2001, des avancées historiographiques majeures ont permis de véritablement renouveler les approches du conflit telles que les thèses de Sylvie Thénaut sur la justice pendant la guerre et celle de Raphaëlle Branche sur la torture. Tout cela est à mettre en relation avec l'ouverture des archives (depuis 1992, même si certaines ont depuis été refermées...) et la volonté aussi pour beaucoup d'acteurs des événements, arrivés au soir de leur vie, de se livrer dans des récits autobiographiques ou des mémoires. Bref, tout cela nous démontre que l'histoire d'un événement ou d'une période n'est jamais figée. De fait, on assiste souvent à des "réveils de mémoire" qui focalisent l'attention sur des faits historiques parfois lointains. Rocé fait référence à Frantz Fanon, (photo ci-contre) un psychiatre originaire de Martinique, à l'origine d'un courant critique et fondateur de la pensée tiersmondiste. Son livre le plus connu est Peaux noires, masques blancs. Pendant la Guerre d'Algérie, il choisit d'aider le FLN.

Finalement, la chanson de Rocé atteint son but puisqu'elle secoue et irrite parfois. On pourra lui reprocher tout de même sa présentation parfois simpliste et caricaturale de la pratique de l'histoire en France. Une histoire qui ne serait qu'apologétique avec des historiens qui se feraient volontiers les relais des pouvoirs politiques pour n'enseigner que les pages glorieuses du passé, restant sourds à la diversité de la société française.
Pour Olivier Pétré-Grenouilleau, "plus de commémoration ne veut pas forcément dire plus d'histoire. Chacun recherche ce qui l'intéresse, et rejette le reste: l'histoire n'est plus conçue que de manière instrumentale, en fonctions des besoins du présent."
En revanche, Stora dénonce le trop plein mémoriel qui pousse certains groupes à ressasser l’histoire sans jamais parvenir à la métaboliser : « On peut étouffer sous le poids de l’histoire, dit-il. La posture victimaire devient un danger quand elle conduit à la passivité et à l’enfermement identitaire ».

"Les humains sont comme des arbres, ils ont des racines aux semelles
Pour certains elles sont lointaines, et ceux-là ont en marre
Que de leur lointaine histoire, plusieurs versions se démêlent
Pour atteindre les deux bouts, ils font tout seul leur grand écart

Système assimilatoire, qui crée des êtres à problèmes
Identité en gruyère, orphelins de leur mémoire
Vu qu'on passe à la passoire, les causes de tous nos mystères
Nos causes partent, restent les problèmes, et tout ça crée des ignares

Intégration à l'entonnoir, qui prône un modèle unique
Et pour ceux qui ont cette saleté de chance d'être multiple, au revoir
Système assimilatoire, amputation des tuniques
Amputation à l'identique, et mise du voile à l'histoire"

Rocé remet ici en cause le système assimilatoire français qui aboutirait à la négation des spécificités culturelles et identitaires des populations issues de l'immigration notamment. Ce débat a rebondi avec les émeutes urbaines de l'automne 2005. Or, dans cette optique, la transmission de la mémoire et de l'histoire nationale constitue un enjeu essentiel.

Tout au long de son morceau, Rocé remet en cause la transmission du savoir historique telle qu'elle se fait traditionnellement.

[Dessin de Yacine]

Certaines périodes et épisodes cristallisent particulièrement les tensions: la guerre d'Algérie, l'histoire de la colonisation, la traite négrière...
Prenons l'exemple de la guerre d'Algérie. Comme le rappelle Bernard Droz, "c'est au seuil des années 1980 que s'est opéré un retour de mémoire, ou plutôt des mémoires catégorielles dont la juxtaposition reproduit assez bien les déchirements qui avaient traversé l'opinion [au cours du conflit]" :
  • De nombreux rapatriés d'Algérie sombrent dans la "nostalgérie", qui "procède d'une reconstruction fantasmatique valorisant à l'excès l'harmonieuse cohabitation franco-musulmane et gommant toutes les aspérités sociales ou racistes de l'Algérie française."
  • Côté algérien, le pouvoir, contrôlé par le FLN depuis l'indépendance s'appuie sur le mythe d'un soulèvement national unanime face au colonisateur. Dans les faits, une guerre civile entre le FLN et le mouvement national algérien (M.N.A. de Messali Hadj) s'est joués au cours de la guerre d'Algérie.
  • Benjamin Stora note en outre que "pour les Algériens , une question reste essentielle, celle du ralliement d'une partie du "monde indigène" à l'Algérie française: pourquoi des milliers de paysans musulmans ont-il choisis de devenir harkis?" Leurs descendants se rappellent à leur tour au souvenir de la nation.
Le débat sur les questions de politique mémorielle n’a cessé de courir, sous différentes formes, depuis la réaction à la loi du 23 février 2005 qui enjoignait aux enseignants de présenter les «aspects positifs » de la colonisation. Au moment où la contestation de cette loi était à son comble, un appel signé de dix-neuf personnalités et intitulé "Liberté pour l’histoire" a cherché à mettre sur le même plan cette loi et trois autres lois récentes : la loi Gayssot (1990) réprimant le négationnisme des crimes nazis, celle reconnaissant le génocide des Arméniens, (2001) et la loi Taubira qualifiant la traite négrière et l’esclavage de crimes contre l’humanité. L’annonce par Jacques Chirac d’une journée de commémoration des « Mémoires de la traite négrière, de l’esclavage et de leurs abolitions » contribue aussi à remettre à l’ordre du jour les débats sur le passé colonial et les politiques mémorielles. La tenue d’une telle journée vient alors renforcer les discussions publiques sur la mémoire de l’esclavage en France, premier pays à reconnaître l’esclavage et la traite négrière comme crime contre l’humanité par la loi du 10 mai 2001, dont l'article 2 stipule que les programmes scolaires et les programmes de recherche en histoire et en sciences humaines accorderont à la traite négrière et à l’esclavage la place conséquente qu’ils méritent".

Comme l’a souligné Madeleine Rebérioux, « la loi ne saurait dire le vrai. Non seulement rien n’est plus difficile à constituer en délit qu’un mensonge historique, mais le concept même de vérité historique récuse l’autorité étatique. L’expérience de l’Union soviétique devrait suffire en ce domaine » (L’Histoire, novembre 1990).
Signalons qu'en 2010, de nombreux députés algériens, comme pour montrer qu'ils sont également capables de "dire" l'histoire, ont déposé un projet de loi visant à criminaliser la colonisation et à juger les coupables de ses crimes.

L’émergence de la mémoire du passé colonial et de l’esclavage s'est accompagnée de demandes de réparations matérielles et symboliques. Ces réparations peuvent prendre la forme de demandes de restitutions d’objets d’art ou d’indemnisations financières (l'Italie s'est engagée à dédommager la Libye pour la période coloniale, en contrepartie de juteux contrats), mais principalement par les demandes de reconnaissance des torts du passé et de redressement de la situation présente des descendants des victimes de la traite des esclaves et de la colonisation.

  • Les usages politiques du passé : Quand l'émotion prend le dessus.
"Des questions qui me reviennent, laissées longtemps au placard
Même les défaites ont leur gloire, même la gloire est une défaite

Ça dépend de l'interprète, du pays, du regard
, du pouvoir
L'histoire appartient à la plus grosse gâchette

Et pour celui qui objecte, la sienne est comme un bobard".


Ceci nous conduit aussi à évoquer l'existence d'une histoire officielle. Cette critique reste malheureusement encore parfois d'actualité. La récente proposition de loi du 23 février 2005 portant sur le "rôle positif de la colonisation" le prouve assez. Les historiens dans leur immense majorité se sont néanmoins insurgés contre cette volonté des pouvoirs publics de "faire l'histoire". Les historiens ne sont plus aujourd'hui les serviteurs zélés et consentants du pouvoir politique. Si le reproche vaut pour ceux qui oublient les fondements de leur ancienne formation pour se mettre au service du pouvoir, à l'instar de Max Gallo, il ne tient plus pour la grande majorité des historiens.

[Dali, La persistance de la mémoire, 1931]

Le texte de Rocé a le mérite de soulever les nombreux liens qui unissent la discipline et le pouvoir politique. De fait, l'histoire s'est d'abord développée à l'ombre du pouvoir. Elle fut largement placée au service des régimes en place et ce jusqu'à la période contemporaine. Les historiens des rois de France avaient pour mission d'exalter la puissance de leurs mécènes. Or, sous la troisième République encore, Lavisse ("l'instuteur national") met tout son talent au service d'un régime politique encore menacé. Les instituteurs, véritables "hussards noirs de la République", avaient pour premier objectif de "faire aimer et de faire comprendre la patrie". La dimension politico-civique de la discipline reste encore aujourd'hui importante. Rocé regrette que cette dimension tendent à exclure tout ce qui ne rentre pas dans la vulgate du modèle républicain français ou qui s'en écarte.

"Mais l'histoire n'est pas unique, sacrée pour un pays qui s'dit laïque
Parfaite ! Sainte ! Extrémiste ! Un dieu auquel faut croire
Le pays a du mal, à regarder ses chapitres comme lui-même, pluriels, multiples
Nous laisse frêle et limite, avec des problèmes de mémoire"

Nous touchons là un phénomène assez récent, celui de la pression sociale et culturelle qui joue un rôle très important dans l'appropriation de l'histoire par de nombreux individus et groupes divers. Aujourd'hui, un lien est fait par exemple par les jeunes issus de l'immigration entre un présent vécu avec difficulté (racisme, exclusion sociale...) et l'histoire vécue par les générations précédentes (grand-père) lors de la période coloniale. Une volonté de comprendre les difficultés actuelles (discrimination) en établissant un lien avec la situation de domination du passé dans l'espace colonial, ce qui contribue à faire de ces questions d'histoire des sujets très vivants. De fait, la dernière décennie constitue une période de basculement dans la perception de l'histoire de la question coloniale en France. A la fin des années 1970, il s'agissait encore d'une question tout à fait périphérique. Assez peu de chercheurs se consacraient à ces sujets. Or, à partir de la fin des années 1990, on constate une explosion des publications, recherches, colloques sur la colonisation qui envahit alors le champ politique, culturel et médiatique français.

Que propose Nicolas Sarkozy ?

Déjà la campagne avait donné le ton par de nombreuses références historiques, par des allusions à différents hommes politiques de gauche (Jaurès, Blum), par des critiques portées à Mai 68 conçue comme "évènement bouc-émissaire" (J.-F. Sirinelli), par des appels à la fin de la "repentance" notamment sur le passé colonial. Depuis 2007, les initiatives du Président de la République consacrent le règne de l'émotion, sans rapport direct avec le contexte historique. La lettre de Guy Moquet ou le projet (finalement abandonné) de parrainage des petits disparus de la Shoah vont dans ce sens. Le débat sur l'identité nationale, alors même que l'enseignement de l'histoire est supprimé en teminale scientifique montre que l'histoire n'est là que pour servir des objectifs politiques, non pour développer l'esprit critique et citoyen. L'historien Nicolas Offenstadt analyse cette démarche dans son livre au titre très parlant : L'histoire bling bling. Le retour du roman national (paru chez Stock).


Entre les souvenirs partiels du témoin ou de l’acteur, la volonté politique d’instrumentaliser l’histoire et le souci des historiens de progresser dans la connaissance du passé, l’équilibre est donc toujours difficile à établir. Soyons optimistes et gageons que cela est possible en démocratie.

L'équipe de l'histgeobox : Julien Blottière, Jean-Christophe Diedrich et Etienne Augris



"Des Problèmes de Mémoire"

Je suis aigri par l'histoire, apprendre me fait mal a la tête

J'y arrive pas, ça m'embête, je suis aigri par l'histoire
Chaque pays a ses victoires, même s'il a eu des défaites Mais pour cacher les défaites, on nous raconte des histoires

Je n'ai pas de terroir, j'ai des tiroirs dans ma tête Accrochés comme une casquette, avec des problèmes de mémoire
J'ai des problèmes de mémoire, du coup je me répète
1, 2, 1, 2, microphone check, 1, 2, 1, 2, je pars !

J'ai des problèmes de mémoire, l'école a fait des siennes
Pour que j'apprenne et j'apprenne, mais il ne reste qu'un trou noir
Pourtant j'ai espoir, qu'un jour toutes les choses me reviennent
Et que je puisse être en bon terme, avec ma saleté d'histoire

Mais j'ai des problèmes de mémoire, des problèmes qui font des graines
Des questions qui me reviennent, laissées longtemps au placard
Même les défaites ont leur gloire, même la gloire est une défaite
Ça dépend de l'interprète, du pays, du regard
, du pouvoir

L'histoire appartient à la plus grosse gâchette

Et pour celui qui objecte, la sienne est comme un bobard Un bobard, car dans ce monde qui brade qu'une seule facette
Même l'histoire se veut exclusive, fluette et avare

L'histoire ne nous raconte pas l'histoire, elle nous raconte la moitié des faits
L'autre moitié s'est faite coupée la langue, son silence est criard
Dans l'antre du savoir, il manque des pièces Des vérités, des versions, une comparaison, une mémoire Y a les tortures et les rafles, elles sont ni morales ni saines Mais quand elles se mutent, se taisent, l'histoire a comme une balafre
Je navigue sur cette balafre, hissez haut matelot pêche
Matelot qui de sa pêche, obtient des fossiles sans trace La France a des problèmes de mémoire
Elle connaît Malcom X,
Mais pas Frantz Fanon, pas le FLN
Connaît les blacks mais pas les noirs
Diffuse les story cow-boys et indiennes
Mais de la tragédie cow-boys et algérienne, faut rien savoir Il y a des choses indicibles, c'est pas de l'histoire ancienne
Les Kanaks, personne l'enseigne, massacres Vendée Bretagne Il y a des choses qui datent, sur l'esclavage et son règne
On débat pas mais on fête, et la fête cache les épaves
Tout le monde dit plus jamais ça, mais c'est de la com' malsaine

Les processus restent les mêmes, à l'heure où tout le monde en parle
Tout le monde en parle comme d'un cas, une exception inhumaine
Ça rend les choses comme lointaines, et la mémoire devient fable Les droits de l'homme étaient là, la République était la même

Même si son numéro d'enseigne, change comme on change de façade
Elle n'ose pas gratter en elle, elle refoule et elle s'enchaîne
Et tout ce qu'on nous enseigne, c'est qu'l'époque était malade C'est que l'époque était malade, mais tu parles, quand bien même
La maladie viendrait d'un système, qui encore monte en grade Plus jamais ça, devoir de mémoire, hein ! Et puis quoi ?
Quand on garde intacts les liens, que la gangrène escalade Les humains sont comme des arbres, ils ont des racines aux semelles Pour certains elles sont lointaines, et ceux-là ont en marre
Que de leur lointaine histoire, plusieurs versions se démêlent
Pour atteindre les deux bouts, ils font tout seul leur grand écart

Système assimilatoire, qui crée des êtres à problèmes Identité en gruyère, orphelins de leur mémoire Vu qu'on passe à la passoire, les causes de tous nos mystères Nos causes partent, restent les problèmes, et tout ça crée des ignares

Intégration à l'entonnoir, qui prône un modèle unique
Et pour ceux qui ont cette saleté de chance d'être multiple, au revoir
Système assimilatoire, amputation des tuniques
Amputation à l'identique, et mise du voile à l'histoire

Mais l'histoire n'est pas unique, sacrée pour un pays qui s'dit laïque Parfaite ! Sainte ! Extrémiste ! Un dieu auquel faut croire
Le pays a du mal, à regarder ses chapitres comme lui-même, pluriels, multiples
Nous laisse frêle et limite, avec des problèmes de mémoire



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