jeudi 30 octobre 2014

288. Papa cloudy's restaurant: "Overfishing song"

La gestion des ressources océaniques représente un des enjeux majeurs des siècles à venir. En ce domaine, l'histoire récente nous offre de nombreux exemples de ce qu'il ne faut plus faire. Revenons ici sur l'a disparition progressive des eaux françaises du poisson aux œufs d'or: l'esturgeon.

 En 1762, le mot caviar entre dans le dictionnaire de l'Académie française. Ces "œufs d'esturgeons salés" constituent déjà un mets de choix, recherché par les gastronomes fortunés. La mer Caspienne s'impose alors comme la principale région de production. Le début des années 1920 voit néanmoins l'émergence du caviar français. Durant quelques décennies, les pêcheurs de la rive droite de la Gironde exploitent "l'or noir de l'estuaire". Cette prospérité soudaine s'avérera toutefois éphémère en raison d'une gestion catastrophique de la ressource halieutique. 



Carrelets le long de l'estuaire de la Gironde au niveau de Meschers (photo personnelle). L'estuaire constitue un véritable garde-manger pour les poissons qui y trouvent crustacés et autres petits mollusques. 


Les eaux mêlées de la Garonne et de la Dordogne donnent naissance à la Gironde. Grâce à des caractéristiques hydrologiques et morphologiques favorables, l'estuaire fut tôt fréquenté par de nombreuses espèces de poissons migrateurs telles que le saumon, l'alose, l'anguille ou l'esturgeon. Les populations tirèrent bien sûr profit de cette richesse, mais la pêche resta, au moins jusqu'au début du XXème siècle, une activité d'appoint, en complément de l'agriculture ou de l'artisanat.

* L'Acipenser sturio, quésaco?
La présence de l'esturgeon dans l'estuaire semble attestée de longue date. Déjà mentionné dans les écrits du Moyen Age, le poisson semble très commun au XVIIè et XVIIIè siècles. 

 Acipenser sturio, l'esturgeon européen, est un poisson cartilagineux à la longévité exceptionnelle (60-70 ans). Doté d'un corps fuselé composé de 5 rangées longitudinales de grosses écailles et d'un museau allongé, l'esturgeon dispose d'une bouche ventrale équipée de petits barbillons. L'espèce ouest-européen peut atteindre près de 3 mètres de longs et peser plus de 300 kilos .

Encore nombreux au début du siècle, les esturgeons étaient présents dans tous les estuaires du pays (Seine, Loire). Ils ont désormais disparu des fleuves français, à l'exception peut-être de la Gironde, qui accueillerait encore quelques rares spécimens. Des fermes aquacoles expérimentales installées le long de l'estuaire tentent de sauver l'espèce.

A l'âge adulte, les esturgeons vivent sur les fonds sableux de la zone côtière. A partir du printemps, les sujets ayant atteint leur maturité sexuelle s'engagent dans l'estuaire de la Gironde qu'ils remontent lentement jusqu'à la Dordogne ou la Garonne. En mai-juin, les femelles déposent leurs œufs (entre 300 000 et 2 millions) dans les frayères préparées par les mâles sur un fonds de graviers bien oxygénés. Les mâles recouvrent ensuite la ponte de leur semence. Les géniteurs regagnent alors la mer.

Les  juvéniles demeurent quelques mois en eau douce, puis rejoignent les eaux saumâtres (secteur Mortagne-Meschers) où ils élisent domicile pour plusieurs années. Aux alentours de leur quatrième année, les esturgeons - qui mesurent alors entre 50 et 60 cm - pénètrent les eaux marines dans lesquelles ils poursuivent leur développement. Ce n'est qu'à leur maturité sexuelle (10-12 ans pour les mâles, 13-16 ans pour les femelles) qu'ils retournent dans les eaux douces pour y frayer. Le cycle biologique long de l'espèce la rend d'autant plus sensible à la surexploitation.


Infographie empruntée au Cemagref.
La traque spécifique de l'esturgeon ne débute vraiment qu'à la toute fin du XIXème siècle suivant, mais il n'est encore consommé que pour sa chair fine et délicate. Les œufs font alors figure de sous-produits négligeables. Le caviar n'est alors pas connu et l'esturgeon constitue l'ordinaire du pêcheur au même titre que le mulet ou la sole. Les commandes passées par un marchand de Hambourg à la toute fin du XIXè siècle changent la donne et convainquent les pêcheurs locaux de s'intéresser de plus près aux œufs d'esturgeon. La grande guerre interrompt pour un temps ce commerce balbutiant, alors que la Révolution russe de 1917 anéantit la production russe de caviar. 
Afin de pouvoir se procurer des œufs d'esturgeon, la maison Prunier de Paris entreprend en 1921 d'organiser une production de caviar en France. Émile Prunier dépêche sur les rives de l'estuaire Alexandre Scott, un officier russe réfugié en France dont la mission consiste à initier les pêcheurs des environs à la confection du caviar. Ces derniers  se lancent donc dans cette activité lucrative tandis que des sites de production, généralement contrôlés par la maison Prunier (1), se développent. Tous les ports de la rive droite de l'estuaire, de Meschers à Blaye, s'adonnent à la pêche printanière de l'esturgeon. Dès lors, l'espèce concentre l'essentiel de l'effort de pêche en raison des prix atteints par ses œufs.


* La pêche.

L'esturgeon est pêché entre la mi-février et le mois de juillet.
Les marins ramènent le poisson au port en les faisant nager en pleine eau après avoir fait passé une corde dans l'ouïe et dans la bouche.
 Les hommes utilisent de petits bateaux à fond plat appelés filadières. Dans la Gironde, la Garonne et la Dordogne, la pêche se pratique avec des filets flottants (les créaquaires) jetés à l'eau à marée descendante. Alexandre Scott note: "Arrivés sur la place de pêche, les pêcheurs mettent leurs filets dans l'eau et les barques commencent à descendre la rivière à la dérive. À un bout du filet se trouve le pêcheur, et à l'autre une bouée. Dès que le pêcheur sent qu'un poisson est pris dans le filet, il le retire."
Les poissons sont ramenés vivants par le navire grâce à une corde passée par les ouïes du poisson. Une bonne pêche permet désormais aux Estuariens d'engranger des gains convenables et donc de sortir , au moins momentanément, de la pauvreté. (2) Pesés au retour de la pêche, les esturgeons sont délestés de leurs œufs et le caviar confectionné. Les femmes de pêcheurs transportent alors en brouettes les poissons vidés pour les vendre sur les marchés des environs.

L'esturgeon se pêche à l'aide d'un filet dérivant à 3 nasses. Des bouées permettent de faire flotter une des extrémités du filet. L'autre est tenue à la main bien en travers du courant. Chaque embarcation utilise 120 mètres de filets.


* L'industrie du caviar et ses conséquences.
 Un des préparateurs (une petite dizaine en tout) que compte la rive droite de l'estuaire effectue la confection du caviar dès le retour au port. Plusieurs étapes se succèdent. Le poisson est saigné et son ventre largement ouvert afin d'y prélever les ovaires (la "rabe" en patois) contenant les œufs de couleur grise ou noire. Un tamis, sur lequel on frotte doucement les morceaux de rabe permet ensuite de détacher les œufs de la membrane. Ceux-ci sont lavés, égouttés, pesés, puis mélangés avec quelques dizaines de grammes de sel suivant le niveau de maturité. Des bocaux ou des boîtes métalliques permettent la conservation du caviar en chambre froide avant leur expédition - le soir-même ou le lendemain de la capture du poisson - jusqu'à la gare de Saintes, avant leur transport en train jusqu'à Paris. Cette production locale permet en effet d'alimenter les firmes parisiennes telles que Prunier, Volga, Kaspia ou encore Sutra à Bordeaux. (3) 
Le caviar de Gironde, comme son homologue de la mer Caspienne, reste, en raison de son prix, réservé à une clientèle fortunée. Cette denrée très prisée assure le décollage économique des quelques villages de pêcheurs de l'estuaire au cours des années d'entre-deux-guerres. Le nombre de pêcheurs croît alors de manière sensible; l'esturgeon abonde et sa pêche s'avère parfois miraculeuses. Saint-Seurin d'Uzet se targue alors d'être la "capitale du caviar" français. Deux restaurants y ouvrent leurs portes (4) dans les années 1930, attirant une riche clientèle parisienne (5) en villégiature sur la côte de Beauté (6).


Les ports de la rive droite de la Gironde concentraient les captures d'esturgeons dans l'Estuaire. Ainsi les ports de Bourg, Blaye, les Callonges, Vitrezay, Maubert, Mortagne, St Seurin d'Uzet et Meschers assuraient 95% des prises. Ces ports se trouvaient en effet à proximité de l'axe de migration des poissons qui abritait en outre de nombreuses fosses.  
La pêche débutait le 15 février à Meschers et se poursuivait en mars à Talmont, en avril à Mortagne, en mai à Vitrezay, aux Callonges en juin, à Bourg en juillet.

L'essor du commerce du caviar améliore incontestablement l'ordinaire des pêcheurs, mais il induit de nouveaux travers. C'est pourquoi il convient de relativiser l'impact socio-économique de cette nouvelle manne sur la population halieutique locale. Les pêcheurs se trouvent désormais dans une situation de dépendance accrue vis-à-vis des négociants. La fièvre de "l'or noir" de l'estuaire incite certains à ne plus traquer que l'esturgeon, au risque de tomber dans une dangereuse mono-activité. En outre, les sommes versées aux pêcheurs restent sans commune mesure avec le prix de vente final du produit. (7)
 La capture du poisson s'avère alors très aléatoire et dépend largement des aléas climatiques. Ainsi, en retardant la "montaison" des géniteurs, des eaux trop froides au printemps contractent la saison de pêche dont le terme est fixé au 1er juillet à partir de 1952. Aussi Philippe Fournet (voir source) constate: "l'esturgeon demeurait pour les pêcheurs 'le poisson-roi' qui, parfois, procurait un joli pactole, mais qui, trop souvent, aliénait et prolétarisait par son pouvoir de fascination. Déjà endettés envers les maisons du caviar, de nombreux pêcheurs gâchaient fréquemment leur saison de pêche par leur acharnement à ne vouloir capturer que l'esturgeon, acharnement qui leur faisait négliger lamproies, aloses et autres maigres. Aussi l'irrégularité des revenus et leur médiocrité d'ensemble étaient la règle générale, à l'exclusion des auteurs de quelques beaux coups à la fois admirés et enviés par leurs collègues."


En 1921, Alfred Prunier, restaurateur parisien réputé, commercialise les premières boîtes de caviar français. Le succès est immense.


* Les raisons d'une disparition.

 Le prix du caviar ne cesse de grimper. Les pêcheurs voient leur niveau de vie progresser (3500 francs le kilo en 1953, puis 5 000 et 10 000 francs le kilos en 1957) , mais, à partir de la fin des années 1950, les captures d'esturgeons se réduisent considérablement, jusqu'à devenir dérisoire au cours de la décennie suivante. La production de caviar s'effondre. De 3 tonnes annuelles entre 1950 et 1955 - soit le tiers de la consommation nationale -, on passe à 250 kg en 1963, pour quelques kilos seulement après 1970. (8)
La ressource première n'est plus là. Comment expliquer une disparition si brutale?

Les causes de l'extinction de l'esturgeon d'Europe sont multiples, mais elles reposent avant tout sur la surexploitation de la ressource, ainsi que sur le saccage des lieux de ponte. 
L'extraction inconsidérée de graviers lors de la reconstruction des ports (au lendemain de la 2nde guerre mondiale) entraîne la dégradation, voire la destruction des frayères d'amont en Dordogne et Garonne. Les fonds vaseux qui remplacèrent ces gravières ne convenaient plus du tout aux esturgeons qui désertèrent ces lieux. Dans ces conditions, la reproduction de l'esturgeon devient impossible. 
L'autre facteur déterminant dans la disparition de l'espèce semble bien être la surpêche des immatures. D'une part, les chalutiers opérant sur les côtes saintongeaises prennent accidentellement,  parmi d'autres poissons de mer, les esturgeons dans leurs filets de fond. D'autre part, les pêcheurs du bas-estuaires opèrent de véritables razzias de jeunes esturgeons lors de leur "montaison". (9) Capturés par les pêcheurs, ils n'ont pas encore eu l'occasion de se reproduire. Ces poissons se revendaient à un prix d'or. Ceci a entraîné une destruction massive de jeunes sujets, tout en stoppant d'un coup le circuit de migration. La multiplication des barrages gêne également la remontée des poissons vers les zones de ponte. 
Enfin, la pollution, encore assez limitée à l'époque, ne semble pas à l'origine de la disparition du sturio. Pour preuve, saumons et truites de mer, deux espèces fragiles, continuent d'emprunter l'estuaire de la Gironde.
La quasi-extinction de l'esturgeon prive la région d'une ressource de pêche essentielle. Le sauvetage de l'espèce repose désormais sur la vigilance des autorités et l'expertise des scientifiques.





Pêche miraculeuse dans les années 1950 au niveau de Gauriac. Photo archives Josette Magot-Palacin.



* Tentatives de sauvetage de l'espèce. 

La raréfaction de l'esturgeon inquiète précocement les autorités. En 1923, un décret fixe une taille légale de capture tout en limitant la maille des filets. De même les dates d'ouverture de la pêche du migrateurs sont réduites en 1952. Cependant, et en dépit du précédent soviétique (10), les mesures de protection véritables s'avèrent cependant très tardives.  En 1975, le Centre national du machinisme agricole, du génie rural, des eaux et forêts (Cemagref) évalue l'état de la population girondine et confirme le risque d'extinction du sturio.
De fait, la population n'a cessé de régresser et au point de presque s'éteindre au cours des années 2000.
Un plan esturgeon est enfin mis en place en 1981 par le Cemagref. Sa pêche est bien sûr désormais strictement interdite. 
Les recherches engagées visent à réintroduire l'espèce d'esturgeon originelle dans le milieu naturel. Dans le centre de pisciculture expérimental du Cémagref (11), quelques spécimens encore vivants (moins d'une centaine) sont élevés avec patience dans l'espoir qu'ils donneront le jour à de nouvelles générations susceptibles d'être relâchées dans l'estuaire.
Dans le même temps, plusieurs élevages d'esturgeons ont vu le jour le long de l'estuaire ces dernières années.

: La raréfaction, puis la quasi-disparition de l'esturgeon européen portent un coup très dur à l'économie halieutique de l'estuaire. Les populations halieutiques doivent se rabattre sur d'autres espèces dont le prix de vente demeure très inférieur à celui du caviar. La plupart des pêcheurs se reconvertissent dans la pêche des civelles, quitte à reproduire les mêmes erreurs qu'au "temps du caviar". Comme au temps de l'esturgeon, après une phase de croissance, nous assistons désormais au déclin de cette activité en raison de la fragilité des stocks des migrateurs et de la difficulté à rationaliser leur gestion. 

La nécessité de "rationaliser" la gestion des ressources halieutiques constitue un enjeu crucial et passe forcément par une prise de conscience générale. Des campagnes de sensibilisation à destination des plus jeunes -comme ici la chanson "Overfishing song" de Papa cloudy's restaurant - dénoncent aujourd'hui la surpêche dont sont victimes de nombreuses espèces (l'anchois, le thon rouge, civelles). 




Notes:
1. Dès qu'il apprend la présence d'esturgeons dans la Gironde, Émile Prunier recrute une trentaine de pêcheurs et crée neufs manufactures pour la préparation du caviar le long de l'estuaire. 
2.  Les pêcheurs de l'estuaire de la Gironde menaient une existence rude, marquée sous le sceau de la frugalité. Les femmes vendaient le poisson ou le troquaient.
3. Deux exceptions toutefois à ce système: le pêcheur P. Magot de Blaye et Jude Milh détiennent une licence de fabrication et de commercialisation du caviar (vendu sous l'étiquette "à l'esturgeon" pour le premier et "Caviar de la Gironde, Parapluie de poche" pour le second).
4. En 1933, M. Belet ouvre une pension de famille, bientôt concurrencée par "l'auberge du commerce" 
5. Citons parmi d'autres Danièle Darrieux, Jean Gabin, Léon Blum, Edouard Daladier.
6. Royan s'impose dans ces années comme une station balnéaire cotée.
7. Dans les années 1930, le caviar est acheté 2 francs le kilo aux pêcheurs. L'abondance des prises permettait alors des gains considérables; Scott constate: "Il arrive quelquefois qu'un pêcheur attrape pendant une marée trois ou quatre femelles oeuvées. C'est une belle capture qui lui rapporte la somme coquette de 6 à 8 000 F". En 1955, le caviar est acheté aux pêcheurs 3500 francs le kilo, mais vendu 11 ou 12 000 francs au détail.
8. Dans les années 1930, près de 5000 esturgeons sont capturés chaque année (soit 150 tonnes). Entre 1957 et 1963, on ne pêche plus que 200 créas par an, 20 en 1975, trois en 1979!
9. Et ce en dépit d'une législation interdisant le prélèvement de spécimens inférieurs à une certaine taille.
10. la construction de barrages sur les fleuves tributaires de la mer Caspienne menace la survie du beluga au cours des années 1950. En 1962, les autorités interdisent strictement la pêche dans la zone soviétique de la mer Caspienne, sauvant de la sorte l'espèce.
11. Le Cemagref s'appelle désormais l'Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture (IRSTEA)  


Sources:

* Inventaire du patrimoine de la région Poitou-Charentes: 
- "La pêche à l'esturgeon et le caviar de l'estuaire de la Gironde."
- "La caviar de l'estuaire de la Gironde."
- "Grain de folie dans l'estuaire de la Gironde."
* DORIS: Fiche espèce.
* L'esturgeon, poisson roi.
* Philippe Fournet: "La pêche des migrateurs dans l'estuaire de la Gironde: les cycles de l'esturgeon et de la civelle 1920-1985)" in Norois, 1986, n°130.

Liens:

- Le caviar de Gironde et de Dordogne.
- Sud-Ouest:"Esturgeons sauvages: des raisons d'espérer."
- Caviar: les œufs d'or de l'esturgeon.
- Explication du problème de surpêche.
- C'est pas sorcier:"L'esturgeon: le poisson aux œufs d'or".
- L'esturgeon en pisciculture.
- Regards sur la pêche et l'aquaculture: Tentatives de repeuplement de l'esturgeon.
- IRSTEA:"Biodiversité aquatique : l'esturgeon européen face au changement climatique."
- alimentation.gouv.fr : "Oeufs de poissons, or de la mer."
- "Saint-Seurin d'Uzet capitale du caviar français!"
- "L'esturgeon et le caviar de la Gironde."

mercredi 8 octobre 2014

287. Olodum:"Revolta"


A la fin du XIXème siècle, le Brésil est en pleine ébullition.  Sur le plan politique, la monarchie constitutionnelle est renversée en 1889 (1). Une République oligarchique la remplace. La nouvelle constitution établit la séparation de l’Église et de l’État tout en accordant une large autonomie aux différents États de la fédération. Dans les faits, les propriétaires terriens accaparent le pouvoir au détriment des plus pauvres, toujours exploités économiquement et exclus du droit de vote. Sur le plan économique, la culture du café permet au pays de connaître un boom sans précédent.



Dans le nord-est du Brésil, le temps semble s'être figé depuis la période coloniale. Vaste territoire semi-désertique, le Sertaõ s'étend sur 7 États. A l'écart des principales voies de communication, il constitue un véritable isolat, conservatoire d'une culture populaire ancestrale.

Les conditions de vie s'y révèlent particulièrement éprouvantes en raison de la pauvreté des sols et de l'aridité du climat. Les fréquentes sécheresses qui affectent ce « polygone » y déciment le bétail et conduisent les sertanejo (voir lexique) à l'exil. Les élites de Rio de Janeiro méprisent ces populations « arriérées », confites dans un mode de vie considéré comme quasi-médiéval.

 Paysage de la Caatinga, une brousse dense caractéristique du Nordeste (ce mot indien signifie « forêt blanche »). "Le cautère des sécheresses s'appliquent sur les sertões; l'air ardent se stérilise; le sol s'empierre, crevassé, calciné; le vent du nord-est rugit dans les solitudes; et, comme un cilice qui dilacère, la caatinga étend sur la terre ses ramages d'épines." (cf: citation tirée d' Os Sertões d'Euclides da Cunha auquel nous emprunterons encore de nombreux passages.)

Ce territoire ingrat constitue un terreau favorable au développement des mouvements messianiques les plus divers."Dans cette région aride au climat étouffant, l'hostilité naturelle a constitué une sorte de bouclier pour tous ceux qui craignaient la menace du monde extérieur. Les Juifs portugais y ont trouvé refuge ainsi que les bandits, les voleurs de bétail et les jagunços, des hommes de main engagés par les éleveurs pour défendre leurs troupeaux. C'est encore dans ces marges que les adeptes des "messies" indiens et autres illuminés ont fui le zèle des évangélisateurs." (cf: Carmen Bernand)

Antônio Vicente Maciel, rejeton d'une famille d'éleveurs de bétail du Sertaõ, mène l'existence difficile, faites d'expédients, des petits paysans nordestins. En 1874, du jour au lendemain, il abandonne tout pour consacrer son existence aux plus démunis. De village en village, Antônio parcourt le Nordeste, soigne les malades, apporte une oreille attentive aux humbles, restaure les églises en ruine, entretient les cimetières à l'abandon, prêche. Celui que l'on nomme désormais "le Conseiller" sait subjuguer son auditoire, le convaincre de tout abandonner (c'est-à-dire souvent pas grand chose) pour l'accompagner en quête d'une « Terre promise ». Dans l'attente de la venue du seigneur. Dans ses sermons enflammés, Antônio fustige les puissants obsédés par le lucre, condamne l'esclavage (2), l'exploitation des petits. Le Conseiller prophétise le retour du roi don Sebastiao (3) et la disparition de la République qu'il considère comme l'invention de l'Antéchrist.



Euclides da Cunha porte un regard impitoyable sur Canudos, "la Troie de torchis des jagunços":" Après quelques semaines, le nouveau bourg semblait déjà en ruine. Il naissait vieux. Quand on le voyait de loin, déployé sur les sommets, resserré entre des vallées étroites, recouvrant une surface énorme - il ressemblait à une cité dont le sol aurait été secoué et brutalement plié par un tremblement de terre."




Bientôt, une foule bigarrée suit le « saint-homme » en quête d'une « Nouvelle Jérusalem ». L'armée de va-nu-pieds compte dans ses rangs prostituées, esclaves en fuite (mocambeiro), canganceiros en quête de rédemption, vaqueiros (bouviers), béats, madones, jagunços, d'une manière générale tous les miséreux frappés par la misère et les sécheresses (4)... Après des années d'errance, les pèlerins et leur prophète s'établissent dans une fazenda en ruine. Au lieu-dit Canudos, dans un vallon reculé de l’État de Bahia, une communauté pastorale et théocratique se constitue, attirant toujours plus de laissés pour compte. Hommes, femmes et enfants y partagent corps et biens dans un système autarcique. En quelques mois, c'est une « Jérusalem de terre battue » qui apparaît. Des maisons chancelantes s'agglutinent sur les pentes escarpées du vallon, à proximité des deux églises voulues par le Conseiller. En 1885, Canudos rassemble déjà près de 25 000 personnes, ce qui en fait la deuxième "agglomération" de l’État Bahia après Salvador. 

Pendant un quart de siècle, Antônio Conselheiro sillonne le sertão en tous sens. Dans les villages traversés, il bâtit des chapelles, restaure cimetières et églises, prêche contre le nouvel ordre politique. Ses adeptes, toujours plus nombreux, l'accompagnent  dans une marche lente qui les conduit jusqu'à la citadelle de Canudos.



Dans ses sermons enflammés,  le "béat" fustige l'esprit de lucre des possédants, la cruauté des propriétaires terriens, la rapacité fiscale de la jeune République dont il accuse la caste dirigeante de tous les maux: famine, sécheresse, misère... Il refuse les nouvelles institutions d'un régime central et lointain, coupable à ses yeux d'avoir instaurer le mariage civil et une loi de séparation de l’Église et de l'Etat. 

De son côté, l'oligarchie en place considère désormais Canudos comme une véritable géhenne, bastion de fanatiques religieux, repaire de crypto-monarchistes et foyer de subversion sociale à éradiquer. Car ce sont bien deux mondes qui s'affrontent. L'élite terrienne et urbaine - obsédée par l'image de l'Europe et l'idée de progrès portée par le positivisme comtien (5) - n'a que mépris pour les petits paysans misérables et très religieux de Canudos. Pour Carmen Bernand, "la guerre contre le Conselheiro et ses partisans a mis brutalement en lumière le décalage entre le monde rural et la cité, entre l'arriération et la civilisation, opposition qui était déjà à l’œuvre au siècle des Lumières." (6) Bref, les tenants de la République perçoivent le refuge comme un obstacle à la modernisation en cours du pays, un réduit d'arriérés à supprimer.

Pour les notables de Bahia, le régime a besoin d'ordre pour s'imposer et il faut agir vite:"L'ambiance morale des sertões était favorable à la contagion et à l'extension de la névrose. Le désordre, encore ponctuel, pouvait devenir le centre d'une déflagration dans tout l'intérieur du Nord." (cf: "Os Sertões").  Il convient donc  de mater au plus vite le désordre fomenté par les gueux du Conselheiro. Mais contre toute attente, les deux expéditions montées pour écraser les hallucinés de l'arrière-monde, échouent. Les autorités de l’État se résignent alors à réclamer l'aide du gouvernement fédéral. Rio lance donc une expédition à l'assaut de Canudos. Équipés d'escopettes hors-d'âge, les "fous de Dieu" prennent de nouveau l’ascendant sur les soldats armés de mitrailleuses et de canons.



Pour laver l'affront, le régime lance une véritable armée (8000 hommes équipés de canons) à l'assaut de Canudos en juin 1897.  En dépit du déséquilibre des forces, les assiégés opposent une résistance acharnée aux assaillants et il ne faut pas moins de trois mois aux soldats de la République pour s'emparer de Canudos. La conquête se fait maison par maison. Finalement la ville est rasée, ses habitants massacrés. Euclides da Cunha insiste sur la cruaut des combats: "Ce n'était pas une campagne, c'était un abattoir. Ce n'était pas l'action sévère des lois, c'était la vengeance. Dent pour dent. [...] Canudos ne se rendit pas. (...) Il résista jusqu'à l'épuisement complet. Conquis pas à pas, dans le sens littéral de l'expression, il tomba le 5 [octobre 1897], en fin d'après-midi, quand tombèrent ses ultimes défenseurs, qui moururent tous. Ils n'étaient plus que quatre: un vieillard, deux adultes et un enfant, devant lesquels rugissaient rageusement 5000 soldats." Or, en raison de l'isolement des lieux, ces derniers purent agir en toute impunité:" il n'y avait pas à craindre le terrible jugement de la postérité. L'Histoire ne parviendrait jamais à Canudos."
La République pouvait souffler, l'abcès de fixation que représentait Canudos n'était plus. Le souvenir de la tragédie allait en revanche profondément s'ancrer dans les mémoires.

Quelques jours avant la reddition finale, quelques femmes et enfants, en fâcheux état, se rendirent aux assaillants. Cliché réalisé par Flavio de Barros, qui a suivi l'assaut final de l'armée.


La tuerie provoque le revirement d'une opinion publique au départ hostile. 
Dans cette terre de légende qu'est le Nordeste, les paysans en lutte obtiennent rapidement une place de choix dans la culture populaire nordestine. Carmen Bernand constate: "C'est ainsi que, par leur sacrifice, ces rebelles d'un autre âge deviennent des héros, et leurs prouesses sont racontées dans toute la région sous forme de romances, de gravures et d'histoires sommaires colportées sur des feuillets de papier ordinaire suspendus par le milieu à une ficelle - d'où le nom de littérature de cordel qui leur a été donné." Les sertanejos assiégés et leur guide viennent grossir le riche panthéon nordestin et prennent place aux côtés des preux de Charlemagne,  du légendaire Zumbi ou encore des bandits d'honneur. La chanson, la littérature et la poésie populaire au Brésil n'ont cessé depuis ce jour de conter les faits et gestes de ces paysans révoltés. 


Dans la littérature de cordel, la guerre de Canudos devient un épisode de légende et Conselheiro un mythe.  

Cette lutte inexpiable suscite également la fascination des observateurs du littoral, en particulier celle d'un jeune journaliste épris de positivisme et hostile au départ aux « insurgés »: Euclides da Cunha.
Ebranlé par le courage farouche des combattants dont beaucoup sont des enfants et des femmes. En homme nourri de positivisme, l'écrivain s'étonne de la renommée dont jouissent ces "criminels". Il envisage d'abord le soulèvement de Canudos comme une "révolte de retardataires", une Vendée sertaneja à écraser, une irruption du passé dans le présent. Le village incarne à ses yeux le mystère de l'intérieur, ce territoire hors du temps inconnu des villes et du littoral. "Cette zone s'était peuplée et développée, autonome et forte, bien qu'obscure et haïe par les chroniqueurs de l'époque, complètement oubliée non seulement par la métropole lointaine, mais aussi par les gouverneurs et les vice-rois eux-mêmes." (7) 
 

La couverture de l'évènement transforme cependant de manière radicale le regard porté sur les forces en présence. Toutefois, son regard ne tarde pas à se modifier, ses certitudes se lézardent peu à peu comme en atteste Os sertões, le récit baroque qu'il consacre à la guerre de Canudos. Lui qui vomit les "sous-races sertaneja" (8) ne peut s'empêcher de louer la bravoure et l'ingéniosité des combattants assiégés. Au contraire, les fourriers de la République, censés incarner la civilisations, font preuve d'une cruauté gratuite. Au bout du compte, il renvoie dos à dos le fanatisme des soldats de la République au messianisme des insurgés. "(...) Insistons sur cette seule proposition: attribuer à quelque conjuration politique la crise sertaneja exprimait une ignorance manifeste des conditions naturelles de notre race. (...) Et cette ignorance fut la cause de désastres plus grand que ceux  des expéditions mis en déroute. Elle montra que nous n'étions guère avancés par rapport à nos rudes compatriotes retardataires. Ceux-ci, au moins, étaient logiques. Isolés dans l'espace et dans le temps, le jagunço [ici le partisan de Conselheiro] (...) ne pouvait faire que ce qu'il fit: frapper, frapper terriblement la nation qui, après l'avoir délaissé pendant près de trois siècles, cherchait à le traîner vers les merveilles de notre époque à la force des baïonnettes, et en lui montrant l'éclat de la civilisation à travers la lueur des décharges."





L'extrait musical retenu ici s'intitule "Revolta". Il est interprété par Olodum, un célèbre bloc carnavalesque de Salvador. Les paroles convoquent les grandes figures du panthéon nordestin. Mis à part le Conselheiro, les musiciens évoquent Zumbi, Lampião et Corisco.
Le premier est le chef guerrier de Palmares, une communauté d'esclaves en fuite (quilombo). A la tête d'esclaves marrons, Zumbi offrit une résistance acharnée aux troupes coloniales portugaises. La date de sa mort le 20 novembre (en 1695) incarne la journée de la Conscience noire. 
 Lampião et Corisco sont deux des plus illustres bandits d'honneurs du Nordeste. Les fameux  cangaceiros dont nous vous avons déjà parlé ici. Olodum mentionne encore les retirantes, ces paysans misérables du Nordeste, contraints de «se retirer» des terres affectées par la sécheresse et d'émigrer temporaire­ment vers le Sud. 
Un sinistre point commun relie Zumbi, Lampião et Conselheiro. Tous trois furent décapités et leurs têtes exhibées. Pour les deux premiers, il s'agissait avant tout de convaincre leurs "adeptes" de leur disparition effective. Quant au "Conseiller", "on le déterra soigneusement. (...) On le photographia ensuite. (...) On le rendit à la fosse. Mais on pensa par la suite que l'on devait garder sa tête tant de fois maudite (...). On rapporta ensuite ce crâne vers le littoral, où déliraient des foules en liesse. Que la science prononce son dernier mot. Il y avait là, dans le relief des circonvolutions expressives, les lignes essentielles du crime et de la folie.

En 1970, la junte militaire au pouvoir décide de noyer les ruines de Canudos sous les eaux d'un barrage.



Notes:
1. En 1889, les militaires marqués par les idéaux positivistes se soulèvent avec l'appui des barons du café et proclament la République.
2. En 1888, l'empereur fait voter la Loi d'or qui abolit l'esclavage.
3. Le Sèbastianisme est un mouvement messianique  fondé sur la résurrection du roi Dom Sebastiào du Portugal qui, au XVI° siècle, disparut avec son armée. Le mouvement reste vivace dans le Brésil à la fin du XIX° siècle.
4. La grande sécheresse de 1877-1879 provoque la mort d'environ 300 000 personnes dans la région.
5. La devise "Ordre et Progrès", empruntée à Auguste Comte, orne d'ailleurs le drapeau de la jeune République du Brésil.
6. "Soudain, nous nous élevâmes, entraînés par le torrent des idéaux modernes, et laissant dans la pénombre séculaire où ils gisent au centre du pays, un tiers de nos gens. (...) Car ce n'est pas la mer qui les sépare de nous, ce sont trois siècles."("Os sertões")
7. Carmen Bernand note: "Avec le démantèlement des institutions traditionnelles dont le maillage assurait des relais et des contrôles, de vastes régions restent coupées de la capitale. Les énormes distances et les mauvais chemins ne datent pas de la fin du XIX ème siècle, mais ce qui est nouveau, c'est l'attitude des citadins à l'égard de l'arrière-pays ressenti comme un "désert" ou un "vide", malgré l'existence de populations autochtones. Ce sont des espaces non rentabilisées, soustraits au progrès, sauvages et hostiles. Dans ces étendues américaines faites de forêts et de sierras, le moindre déplacement le long des chemins de terre -pratiquement tous - relève de l'expédition. Ce sont des pistes qui s'embourbent, des rivières qui débordent, des pans entiers de routes qui s'effondrent, rebelles aux véhicules modernes (...)."
8. Gagné aux théories racialistes alors en vogue, l'auteur considère les noirs, les indiens et surtout les métis comme des dégénérés appelés à disparaître: "Le mélange de races très diverses est, dans la majorité des cas, préjudiciable. (...) Le métissage extrême est une régression." 








N'étant pas lusophone, la traduction ci-dessous s'en ressent forcément. Or si toi, sympathique lecteur, tu parles portugais et souhaite proposer une autre traduction, ne te prive pas. Laisse une proposition en commentaire. Tu en seras infiniment remercié.


Olodum:"Revolta"
Retirante ruralista, lavrador
Nordestino, Lampião, salvador
Patria sertaneja independente
Antônio Conselheiro
Em Canudos presidente
Zumbi em Alagoas comandou
Exercito de ideal liberator
Sou mandiga, Balaiada sou male
Sou busios, sou revolta
Arerê
Eh! 

O Corisco, Maria Bonita mandhou lhe chamar (2X)
E o vingador de Lampião (2X)
Eta, cabra da peste

Pelourinho, Olodum, somos do Nordeste
Eta, cabra da peste (4X)
Eta, eta 
Eta ta ra ta ta...

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Patrie sertaneja indépendante,
Antônio Conselheiro à Canudos président
Zumbi en Alagoas, a commandé, l'armée de l'idéal libérateur


Maria Bonita a demandé qu'on appelle Corisco
le vengeur de Lampião
? fléau de la peste [[pour le chorégraphe Bouba Landrille Tchouda que cabra da peste est une "expression très populaire employée dans le Nordeste du Brésil, Récife, Fortaleza, Joao Pessoa… et plus particulièrement dans les régions les plus éloignées des centres urbains.
Le mot « cabra » utilisé par les portugais dans le Nordeste du Brésil, du temps de la colonisation, était un terme employé pour signifier quelque chose de mal, de dangereux ou porteur de douleur, en résumé quelque chose de négatif. Par extension, l’expression « cabra da peste » désignait l’individu mauvais, effrayant, froid et cruel.
Puis au fil du temps, le sens de « cabra da peste » évolue et se renverse pour aujourd’hui qualifier un individu fort, admiré pour sa valeur, son courage, sa vertu et sa générosité.
Ainsi, lorsqu’une personne ou un groupe de gens arrivent à unir leurs forces pour accomplir une belle action ou un exploit, on dira de cette personne ou de ce groupe qu’il est « cabra da peste ». Cette formule recouvre donc une notion de courage et qualifie une certaine conception du « bien être ensemble ». Comme pour rappeler, tel un leitmotiv, qu’ensemble nous serons plus solides et plus forts."]

Nous, Olodum, nous sommes du Nordeste, de Pelhourinho...


Lexique:

Béat: 1) homme religieux, saint. 2) qui manifeste une dévotion excessive; fanatique, bigot.
Caatinga: végétation caractéristique du Nordeste, formée d'arbrisseaux épineux.
Cangaceiro : bandit légendaire du Nordeste.
Fazenda : grande exploitation rurale du Brésil. 
Jagunço: à l'origine, des hommes armés à la solde des fermiers. Ici, des habitants de Canudos, rebelles repentis et désormais prosternés devant Conselheiro.
Retirante: Habitant du Nordestequi émigre, le plus souvent vers le sud du Brésil, afin de fuir la sécheresse. 
Sertanejo : habitant du sertaõ, indigène qui parcourt le sertaõ.


Sources:
- Carmen Bernand:"Genèse des musiques d'Amérique latine", Fayard, 2013.
- Armelle Enders: Histoire du Brésil, Complexe, 1997.

- Mario Vargas Llosa: La Guerre de la fin du monde, Traduit depuis l'espagnol La Guerra del Fin del Mundo. Folio Gallimard, 1981.  
La guerre de la fin du monde est un prodigieux roman, offrant une description saisissante de la société nordestine.  Après avoir dressé les portraits savoureux des disciples de Conselheiro (vaqueiros anonymes, orphelins, cangaceiros repentis, prostituées...), il relate avec méticulosité la genèse, l'ascension et la destruction de Canudos. L'auteur alterne les récits parallèles adoptant tour à tour des points de vue antinomiques (les insurgés, les militaires, un journaliste chargé de couvrir l'évènement). Ce dernier ressemble à s'y méprendre à Euclides da Cunha, principale source d'inspiration de Vargas Llosa.
- Cinq ans après la tragédie, Euclides da Cunha, jeune reporter à O Estado de Sao Paulo, publie Os sertões, le récit halluciné de la tuerie.

Euclides Da Cunha se fait tour à tour géographe, botaniste, anthropologue, reporter et historien. Le livre nous tombe des mains lorsque l'auteur développe les thèses racialistes de son temps. En revanche, les descriptions des paysages du sertaõ sont prodigieuses, le style puissant, les images terribles. 

Liens:
- Wikipédia: guerre de Canudos.
* Plusieurs titres de l'histgeobox permettent de revenir sur l'histoire du Brésil:
- Chico Buarque: "Funeral de um labrador": Funérailles d'un laboureur, une mélopée lente, tragique. Le poète y décrit l'enterrement d'un pauvre hère qui n’a pour tout bien que la fosse dans laquelle il repose sur les terres du grand propriétaire terrien.
- Chico Buarque: "Construçao". Grâce à une très belle chanson de Chico Buarque, nous nous intéressons aux candangos, qui construisirent Brasilia, promue capitale du pays en 1960.
- Luis Gonzagua: "Asa Branca". Le roi du baião décrit une de ces terribles sécheresses qui s'abattent à intervalle irrégulier sur le sertão, le "polygone des sécheresses", à l'intérieur du Nordeste (ci-dessous).

- "Mulher rendeira": Chanson consacrée aux cangaceiros et notamment le plus célèbre: Lampião.
- Chico Buarque: "Calice". Quand la junte militaire sévissait au Brésil...