mardi 5 novembre 2024

Traces musicales de la Seconde Guerre mondiale

La seconde guerre mondiale est une guerre totale, au cours de laquelle la musique et ses acteurs sont mis à contributions. Dans cette guerre d'anéantissement, la violence atteint des sommets, en particulier lors du génocide des Juifs d'Europe, perpétré par les nazis. Or, là encore, la musique est présente.  

[Ce billet en version podcast avec les extraits de chansons est disponible en cliquant sur le lecteur ci-dessous]

Les visées expansionnistes des nazis et du Japon impérial, la violation systématique des traités de paix, les provocations à répétition de Hitler précipitent le monde dans un second conflit mondial, une guerre idéologique. Les puissances de l'Axe, l’Allemagne nazie, l’Italie fasciste et le Japon, sont des dictatures fondées sur le racisme. Côté alliés, le Royaume-Uni, puis les États-Unis à partir de 1941, combattent au nom de la démocratie, quant à l’URSS, elle lutte au nom du communisme. De septembre 1939 à novembre 1942, les victoires de l'Axe s'enchaînent. Le IIIème Reich contrôle alors presque toute l'Europe continentale, tandis que le Japon triomphe dans le Pacifique après son attaque surprise sur Pearl Harbor. Pour F.D. Roosevelt, le président américain, il s'agit d'un "jour d'infamie". Le traumatisme ressentit au sein de la population américaine alimente un fort sentiment de rejet des populations d'origine nippones présentes sur le territoire national. Le "Pearl Harbor blues" du Doctor Clayton témoigne de la xénophobie ambiante, qui conduira à l'enfermement des nippo-américains dans des camps de concentration. "Certains disent que les Japonais savent se battre / Mais n'importe quel imbécile devrait savoir / que même un serpent à sonnette ne mordra pas par derrière, / Il avertira avant de frapper".

U.S. National Archives and Records Administration, public domain.

A partir de 1942, l'expansion de l'Axe est arrêtée. Dans le Pacifique, les États-Unis tiennent bon lors de la bataille de Midway. Sur le front russe, l'armée allemande subit sa première grande défaite à Stalingrad en février 1943. Cette même année, le Golden Gate Quartet enregistre "Stalin was not Stalin". Les paroles rendent hommage au dirigeant soviétique, un allié de circonstance pour les Anglo-américains. Surtout, elles font de Hitler, une créature façonnée par le Diable. A propos de l'origine du führer, les paroles disent : "aussi fit-il deux valises / pleines de douleur et de misère / et il prit le train de minuit / qui descendait vers l'Allemagne, / puis il mélangea ses mensonges et mit le feu aux poudres / Ensuite le diable s'assit dessus / et c'est ainsi qu'Adolf est né."

Une guerre totale et mondiale.

L’ensemble des populations des pays en guerre est mobilisée, y compris les habitants des colonies. 87 millions de soldats s'affrontent sur les champs de bataille d’Europe, d’Afrique, d’Asie. Comme la grande guerre, il s'agit d'une guerre totale, impliquant l'ensemble des populations, ainsi que les activités économiques, technologiques, culturelles des pays en guerre. A l’arrière, dans les usines reconverties dans la fabrication d'armes, les femmes s'activent à la tâche. La figure de Rosie la Riveteuse symbolise l'implication des Américaines dans l'effort de guerre national, le fameux Victory Program censé produire toujours plus de matériel de guerre. En 1942, The Four vagabonds enregistrent "Rosie the riveter". Pendant que les soldats combattent au front, "toute la journée, qu'il pleuve ou fasse beau temps, / elle est présente sur la chaîne de montage."

J. Howard Miller's "We Can Do It!", also called "Rosie the Riveter" after the iconic figure of a strong female war production worker. Public domain.

Les scientifiques s'emploient à concevoir les armes toujours plus sophistiquées et létales destinées à anéantir l'adversaire, comme l'arme nucléaire.  

Pour financer la guerre et fabriquer des armes, il faut trouver des ressources. Les Alliés font des appels à l’emprunt. Les forces de l’Axe pillent les richesses des pays conquis et obligent les populations vaincues à participer à l’effort de guerre nazi ou japonais par la contrainte et le travail forcé.

Le conflit se caractérise par l'utilisation massive de la propagande via le cinéma, la radio, les journaux ou la musique. Celle-ci est mobilisée dans l'effort de guerre des belligérants. L'armée américaine crée ainsi son propre label : V Discs (V pour Victory). Le chef d'orchestre Sammy Kaye compose Remember Pearl Harbor.

Le swing débarque en 78 tours avec l'armée américaine. Les sonorités gaies et chaudes des cuivres du big band dirigé par Glen Miller résonnent alors que l'Europe est enfin libérée du joug nazi. A l'occasion de l'entrée en guerre de son pays, The Glen Miller Army Air Force Band enregistre l'instrumental American PatrolLe tromboniste ne profitera guère de son immense popularité. Le 15 décembre 1944, son avion s'abîme en mer.

La chanson est également mobilisée pour maintenir le moral des troupes et valoriser le modèle idéologique défendu. Au cours de la guerre, les harmonies des Andrew Sisters deviennent le symbole musical de l'Amérique libératrice. Les frangines entreprennent de grandes tournées et se produisent fréquemment en uniformes de l'armée. A l'été 1944, leur "Boogie Woogie Bugle Boy" s'impose comme la bande sonore de l'espoir retrouvé. "C'était un trompettiste célèbre des rues de Chicago / Il avait un style boogie que personne d'autre ne pouvait imiter / Ce gars était au sommet de son art /  Mais son numéro est sorti et il est parti sans attendre / Il est maintenant dans l'armée / il sonne le réveil".

Les Andrew Sisters et Bing Cosby en 1943. Public domain, via Wikimedia Commons

La propagande vise à valoriser son camp, mais aussi à dénigrer l'adversaire. Durant la guerre, les soldats britanniques changent les paroles de la célèbre Colonel Bogey March pour se moquer du führer. "Hitler n'a toujours eu qu'une couille / Göring en a des toutes petites / Pareil pour Himmler / Et ce cher Goebbels n'en a pas du tout". ("Hitler has only got one ball")

Le titre "Der Führer's face" composé en 1936 par Oliver Wallace est un gros succès. Sa notoriété convainc les studios Disney de l'insérer dans un court métrage d'animation sorti en pleine guerre.  Dans cette charge frontale contre le régime hitlérien, des officiers allemands défilent et chantent une ode au Führer. En réalité l'idéologie nazie  est tournée en dérision. La race "supérieure" devient la "race des super menteurs", tandis que les percussions de la fanfare résonnent comme des pets. 

"Lily Marleen" est une des chansons les plus populaires du conflit. A l'origine du morceau, un poème triste rédigé par un soldat allemand sur le point de se rendre sur le front russe, en 1915. Plutôt que de rentrer auprès de sa bien aimée, il est de corvée de sentinelle. Redécouvert à la veille de la seconde guerre mondiale, les vers sont adaptés en chanson. Le succès du morceau, initialement passé totalement inaperçu, est lancé en 1941 lorsque le directeur de la radio militaire allemande de Belgrade programme le disque. Les soldats de la Wehmacht s'identifient aux paroles, au point que la nostalgie qui s'en dégage fait redouter à Goebbels ses capacités à amollir les combattants. La puissance évocatrice de la chanson la fait adopter bientôt par les troupes de la Grande Alliance. C'est ainsi que Lily Marleen devient l'hymne de la SGM adapté et chanté dans de nombreuses langues par les belligérants et civils des deux camps.

Une guerre d'anéantissement.

Partout les combats sont acharnés, mais avec l'invasion de l'URSS par l'Allemagne nazie en 1941, l'affrontement atteint une violence inouïe comme en atteste la dureté des combats lors de la bataille de Stalingrad (1942-1943). Les prisonniers sont exécutés ou réduits en esclavage. Il ne s’agit plus de vaincre l’adversaire mais de l’anéantir.

En 1938, les paroles de "Katiouchka" évoquent l'amour entre une jeune fille et un soldat parti au front  etqui lui écrit. Elle fut interprétée par Lidia Rouslanova. Katiouchka est d'abord le diminutif du prénom Ekaterina avant de désigner le redoutable lance-roquette des Soviétiques, que les Allemands surnomment "orgue de Staline". 

Les civils sont également très durement touchés, victimes de massacres et de déplacements forcés. En URSS, la ville de Leningrad est assiégée par les nazis, ce qui provoque une famine dévastatrice. A la fin du mois de juillet 1941, Dimitri Chostakovtich entame sa 7è symphonie ("Leningrad") qu'il dédie “à notre combat contre le fascisme [...] et à ma ville Leningrad“. Le compositeur ne se risque bien sûr pas au front, mais obtient néanmoins l'autorisation d'intégrer le corps des pompiers de la ville. La 7ème symphonie est exécutée dans la ville assiégée le 9 août 1942. Jouer l'œuvre dans les conditions apocalyptiques du siège constitue une véritable gageure.

Habitants de Leningrad sur la perspective Nevsky pendant le siège, en 1942. RIA Novosti archive, image #324 / Boris Kudoyarov / CC-BY-SA 3.0, CC BY-SA 3.0 , via Wikimedia Commons

Des villes sont bombardées comme les villes anglaises lors du Blitz en 1940, puis les villes allemandes en 1943-44. En août 1945, l’utilisation de la bombe atomique par les Américains détruit les villes japonaises de Hiroshima et Nagasaki. Les bombardements sur les villes nipponnes inspirent les musiciens américains. Karl et Harty, un duo country, qui enregistrent "When the atom bomb fell". "Oh, c'est monté si fort que ça a divisé les nuages / Les maisons ont disparu / Et une grande boule de lumière remplit les Japonais d'effroi / Ils ont dû penser que le jour de leur jugement avait sonné."

Le poème "Barbara" de Jacques Prévert, publié en 1946, a pour cadre la ville de Brest, ravagée par les bombardements massifs. La guerre sème la mort, fauche des innocents, annihile les amours naissantes. Mis en musique par Joseph Kosma, les vers seront interprétés par Yves Montand, Mouloudji ou les Frères Jacques. "Oh Barbara / Quelle connerie la guerre. / Qu'es-tu devenue maintenant? / Sous cette pluie de fer. / De feu d'acier de sang. / Et celui qui te serrait dans ses bras amoureusement / Est-il mort disparu ou bien encore vivant"?

Univers concentrationnaire nazi et génocide des Juifs d'Europe.

L'Europe sous le joug nazi se couvre d'un chapelet de camp de concentration dans lesquels sont enfermés les opposants.

La musique est présente, quotidienne, dans les camps de concentration. Dès 1933, les autorités des camps constituent des orchestres de détenus. Les airs joués ont alors avant tout un rôle disciplinaire, militaire. Sous la contrainte, les orchestres rythment les temps forts du camp : le départ et le retour du travail, l'appel des détenus ou encore les visites officielles. Même les exécutions ont parfois lieu en musique. A Mauthausen, lors de celle de Hans Bonarewitz, en juillet 1942,  l'orchestre joue "Komm zurück". "Reviens, tu es tout pour moi / j'attendrai ton retour avec impatience." Des paroles, d'un abject cynisme, quand on sait que le détenu, qui s'était échappé du camp, avait été pendu une fois rattrapé.

Bundesarchiv, Bild 192-249 / CC-BY-SA 3.0, CC BY-SA 3.0 DE, via Wikimedia Commons

De la porte du camp jusqu'au lieu de travail, les détenus doivent chanter pour imprimer une synchronisation des pas et empêcher toute autre communication. Lorsqu'elle est diffusée par les haut-parleurs, la musique devient intrusive. Les détenus se voient contraints de l'écouter. A Auschwitz, l'orchestre des camps doit parfois jouer dans le cadre de soirées privées ou lors de la venue d'invités de marque du commandant du camp. Dans tous ces cas de figure, elle s'inscrit alors dans le processus d'annihilation à l'œuvre. 

Un second usage de la musique participe des stratégies de résistance artistique et spirituelle au système concentrationnaire. En ce cas, elle est plutôt jouée dans les espaces intérieurs du camp. Les activités musicales sont souvent autorisées. Encadrées, elles permettent, aux yeux des chefs de bloc ou de l'administration des camps, de limiter les risques de soulèvements, tout en assurant la distraction des SS. Dès l’été 1933, des détenus politiques du camp de Börgermoor, en Basse-Saxe, composent et interprètent lMoorsoldatenlied. Ce Chant des marais, sur une mélodie très fédératrice, rend compte de la triste réalité de la vie des camps, en particulier le travail forcé consistant à assécher les marais environnants. Les paroles de Johann Esser, mineur, et de l’acteur et metteur en scène Wolfgang Langhoff, sont mises en musique par Rudi Goguel. Le chant est interprété en public lors d'une représentation autorisée. Les SS, qui assistent au spectacle, s'identifient à leur tour aux paroles. Si bien que, à la faveur des transferts de prisonniers, le chant se répand au sein des autres camps nazisEn 1937, il fit l’objet d’une adaptation de Hanns Eisler et Bertolt Brecht pour le chanteur Ernst Busch. Il devient le modèle de tous les hymnes de camp avec un premier couplet mélancolique qui rappelle la dureté des conditions de vie, avant que ne se développe l'espoir d'une libération à venir.

La musique peut parfois être clandestine. Elle est alors chantée à voix basse ou simplement griffonnée sur un papier. Elle n'a pas nécessairement pour vocation d'être jouée sur le moment, mais plutôt d'être diffusée de la main à la main. Déportée à Ravensbrück, Germaine Tillon écrit, sur des airs connus, une opérette clandestine, intitulée "Verfügbar aux enfers". Elle rédige un texte extrêmement cynique, comme pour rire de l'horreur pour mieux s'en éloigner.  

Les nazis cherchent à éliminer les populations qu’ils considèrent comme inférieures : malades mentaux, tziganes et juifs. Après l’invasion de la Pologne en 1939, les nazis enferment ces derniers dans des ghettos. Privés de tout, les habitants meurent de faim ou de maladies en très grand nombre. A partir de 1941, dans le cadre de l’invasion de l’URSS, dans le sillage de la Wehrmacht, des commandos spéciaux sont chargés d’assassiner par fusillade les Juifs. Les Einsatzgruppen font plus d’un million de morts. Lors de la conférence de Wannsee, en janvier 1942, les nazis planifient l’extermination des populations juives, ce qu’ils appellent la « Solution finale » du problème juif. Ils construisent des centres de mise à mort (Treblinka, Chelmno, Auschwitz...), dans lesquels sont déportées et gazées des populations raflées de toute l’Europe.

Déporté à Sachsenhausen pour des écrits antifascistes, Aleksander Kulisiewicz, étudiant en droit polonais, compose des chansons de résistance. Doté d'une mémoire prodigieuse, il enregistre les morceaux que lui transmettent ses codétenus. C'est ainsi qu'il nous a transmis une "Berceuse du crématoire", composée par Aron Liebeskind, évadé de Treblinka, où périrent sa femme et son fils, avant d'être lui même assassiné à Auschwitz. "Crématoire porte noire / Qui à l'enfer mènera / On y traînera des corps noirs / Que la flamme brûlera / On y traîne mon garçon / Aux cheveux d'or fin / Avec en bouche tes mains / Comment ferai-je, mon fils?" 

La ville garnison de Terezin, à une heure de Prague, est transformée en 1941 en un camp-ghetto pour les Juifs. Le camp de transit prend le nom de Theresienstadt. Artistes et intellectuels y sont dirigés en priorité. Une intense vie culturelle s'y développe, d'abord clandestine, puis organisée sous l'égide de l'administration nazie, qui s'en sert comme outil de propagande, comme d'un leurre pour mieux dissimuler l'extermination à l'œuvre. A partir de 1942, les concerts sont quotidiens et publics. Des chœurs, des orchestres, des groupes se constituent à l'instar des Ghetto Swingers. Le 20 août 1944, une délégation du Comité international de la Croix rouge inspecte le camp et assiste à à l'opéra pour enfant Brundibar de Hans Krasa, compositeur incarcéré au camp. Un film de propagande immortalise l'événement. Dans les jours qui suivent le tournage, les membres du casting sont déportés à Auschwitz. 

Gideon Klein arrive à Theresienstdat en décembre 1941. Il a alors 21 ans. Pianiste virtuose formé au Conservatoire de Prague, il s'impose comme un des piliers de l'activité musicale du camp où il compose Fantaisie et fugue pour quatuor à cordesA partir de septembre 1944, la fin imminente du Reich suspend les activités culturelles de Theresienstdat, dont les derniers détenus sont déportés. Les compositeurs Viktor Ullman, Pavel Haas, Hans Krasa, Gideon Klein périssent à Auschwitz. 

Les artistes regroupés dans le camp de transit de Westerbork aux Pays-Bas échappent un temps aux convois de la mort. Johnny and Jones, de célèbres musiciens de jazz néerlandais, participent aux activités musicales du camp. En août 1944, ils sont autorisés à enregistrer dans un studio d'Amsterdam 6 chansons composées dans le camps. Reconduits à Westerbork à l'issue de l'enregistrement, ils seront ensuite déportés dans plusieurs camps et mourront d'épuisement à Bergen-Belsen au printemps 1945. L'un de leurs morceaux se nommait "Westerbork Serenade". 

Anonymous Unknown author, Public domain, via Wikimedia Commons


Conclusion : Sur le front de l'est, l'Armée rouge (URSS) libère l'Europe orientale et centrale. Prise en tenaille, l'Allemagne nazie capitule le 8 mai 1945. Dans le Pacifique, les Japonais résistent avec acharnement et la reconquête américaine est lente. Finalement, les bombardements atomiques des villes japonaises d'Hiroshima et Nagasaki, les 6 et 9 août 1945, précipitent la capitulation du Japon le 2 septembre 1945. C'est la fin d'une guerre qui a aura fait entre 50 et 60 millions de morts, majoritairement civils.  
La musique est donc omniprésente tout au long du second conflit mondial. Au delà des chansons d'actualités dépeignant les épisodes les plus marquants de la guerre, la musique est mobilisée par la propagande des Etats dans le cadre de la guerre totale. Dans le monde concentrationnaire nazie, elle est même parfois utilisée pour terroriser ou humilier. 

Sources :

A. Suzana Kubik : "Terezín, la musique face à la mort"

B. "Terezin 1942-1944", 5 épisodes de l'émission Musicopolis sur France Musique

C. «Conférence inaugurale de l'exposition "la musique dans les camps nazis"...», avec Elise Petit, commissaire de l'exposition, maîtresse de conférence en musicologie et Michaela Dostálová , responsable des collections au Musée Mémorial de Terezin.  

D. Le site consacré à l'exposition du Mémorial de la Shoah : "La Musique dans les camps nazis" (avec un pdf très bien fait). 

mardi 15 octobre 2024

Gwoka, le pouls de la Guadeloupe.

Au cœur de l'archipel des Antilles, la Guadeloupe, est composée de 9 îles, dont 6 habitées. Le climat, tropical, se caractérise par des températures élevées, des précipitations importantes et une grande fréquence des cyclones. Les deux plus grandes îles, Basse-Terre à l'ouest, Grande-Terre à l'est, forment une sorte de papillon. La première, d'origine volcanique, a pour point culminant La Soufrière. Montagneuse, recouverte d'une forêt tropicale dense, elle représente une biodiversité exceptionnelle. (1) La seconde, plate et aride, est la plus peuplée. On peut encore citer Marie-Galante, les Saintes et La Désirade. Avant que Christophe Colomb ne débarque en 1493, l'île était peuplée par les Arawaks, puis par les Indiens Caraïbe qui l'appelait "Karukéra", "l'île aux belles eaux". Le conquérant espagnol la renomme Guadeloupe, en référence au monastère espagnol Santa Maria de Guadalupe. L'archipel change de mains à plusieurs reprises, tour à tour colonisée par les Espagnols, les Anglais, puis les Français en 1635.  

Ce territoire est aujourd'hui un vestiges de l'empire colonial. La conquête a provoqué l'extermination des populations autochtones (Arawaks, indiens Caraïbes), l'appropriation des terres et de leurs ressources par les colons (puis leurs descendants békés) dont l'exploitation reposait sur le travail des esclaves. Déportés d'Afrique, ces derniers trimaient dans des conditions effroyables, dans le cadre d'une économie de plantation (tabac, le coton et la canne à sucre). L'intense métissage de la population trouve son origine dans les très importants transferts de populations : colons d'origine européenne, esclaves africains, travailleurs engagés originaires du sous-continent indien après 1848... Ce creuset migratoire a permis la créolisation, donnant naissance à des syncrétismes culturels foisonnants, dont la littérature, la danse, la musique portent témoignage.

Filo gèn', CC BY-SA 4.0, via Wikimedia Commons


Le gwoka est un genre musical (mais aussi une danse, un mode de vie et de pensées)
naît de l'expérience traumatisante de l'esclavage. Au cours de rassemblements autorisés, la pratique du tambour est attestée dans les quartiers d'esclaves au XVIII° siècle. "Cependant, les pratiques sociales et culturelles qui sont le creuset du gwoka de la Guadeloupe (...) ne sont pas possibles avant 1848. La progressive codification de genres musicaux n’est possible que si l’expression et la circulation des individus est libre", rappelle Bertrand Dicale. (source F) Les plus anciens témoignages notent la présence d'un tambour volumineux, pratiqué par un musicien qui enjambe l'instrument. Ce tambour est appelé "gros-ka", puis "gwo-ka", car il est initialement fabriqué à partir d'un gros-quart de salaison et d'une membrane animale.

Il était joué lors des récoltes ou au moment de la paie, une fois l'esclavage aboli. De son apparition aux années 1960, la pratique du gwo-ka est confinée loin des villes, dans les milieux défavorisés. Paysans et petits travailleurs ruraux s'y adonnent dans le cadre de soirées, les lewoz (initialement organisées lors de la paie des coupeurs de cannes), dans le cadre des veillées funéraires, puis du carnaval. Les éléments constitutifs du gwoka se fixent progressivement. Les rythmes sont joués avec plusieurs types de percussions, les tambours ka déjà mentionnés, avec le makè, le tambour soliste à la sonorité aigue, les deux boula, au son plus grave. On ajoute aussi un hochet fait d'une calebasse évidé nommé chacha et un bâton de rythme, le tibwa. Les percussions accompagnent un chant de forme responsoriale en créole guadeloupéen, associant un chœur (répondè) et un soliste (chantè ou un conteur). (2) Un dialogue s'établit entre l'assistance, le danseur, les percussionnistes et particulièrement le tambour soliste makè, dont on apprécie les capacités d'improvisation et la faculté à entrer en interaction avec la danseuse ou le danseur. La musique doit prolonger le mouvement de ces derniers, et non l'inverse. Les tambouyés (joueurs de tambours) exécutent des rythmes codifiés structurés autour de 7 rythmes de base (toumblak, graj, kaladja, padjanbèl, woulé, menndè, léwòz).

Les chants sont consacrés à la vie quotidienne, aux conditions de travail, oscillant entre un moralisme sentencieux et une dénonciation directe de l'exploitation des plus pauvres. Ces critiques ouvertes suscitent son ostracisme de la part de l'Eglise, des autorités et d'une bonne société exécrant cette expression créolophone, rurale, prolétaire. La pratique du gwo-ka se transmet et se diffuse par l'intermédiaire des chanteurs et maîtres percussionnistes dont les plus fameux se nomment Carnot, Arthème Boisbant et surtout Marcel Lollia, dit "Vélo". Tambourinaire virtuose, ce dernier improvise des performances sur la voie publique et transmet son savoir aux jeunes générations. Avec ses comparses Anzala et Dolor, il enregistre "Ti fi la ou Té Madam'

Menacé un temps de disparition, cantonné aux régions rurales, le gwo-ka s'enrichit d'une puissante dimension contestataire à partir de la fin des années 1960, au moment où l'industrie sucrière traverse une crise profonde et que s'affirme la lutte indépendantiste. C'est aussi à cette époque qu'ont lieu les premiers enregistrements  de gwo-ka en 45-tours. Ils sont le fait de tambouyés chevronnés (Vélo et Boisbant), ainsi que du chanteur Robert Loyson. Dans "Gwadloup tranglé", ce dernier dénonce les fermetures d'usines, qui précipite les ouvriers dans la misère. "La Guadeloupe s’étouffe ! Messieurs la Guadeloupe s’étouffe, elle ne s’en sortira pas (…) Nous vivons de la canne, nous la vendons à l’usine, vous avez fermé l’usine de Sainte-Marthe, j’ai vu la Guadeloupe s’étouffer, maintenant ils ferment l’usine de Blanchet, celle de Darboussier, ou va la Guadeloupe ? " Il enregistre également "Ji canne à la Richesse pt.2", une mise en accusation du changement de mode de paiement des travailleurs de la canne, encore et toujours spoliés. 

Par la "loi d'assimilation juridique" de 1946, le territoire de l'ancien empire colonial devient un département d'outre-mer (puis région en 1982). Les préfets remplacent les gouverneurs. Ce changement de statut doit permettre aux Guadeloupéens "de bénéficier des protections offertes par les principes républicains" (source G p 47), mais aussi d'améliorer les conditions de vie matérielles du territoire. Si le niveau de vie moyen augmente, les aspirations à la justice sociale peinent à se concrétiser. La persistance d'une exploitation économique de type colonial entrave l'avènement de la société de consommation. En parallèle, l'économie guadeloupéenne se tertiarise (fonction publique, tourisme), tandis que l'agriculture se réoriente dans la monoculture de la banane d'exportation. A la fin septembre 1966, les dévastations liées au passage du cyclone Ines plongent des milliers de familles dans un dénuement complet. La crise de l'économie sucrière nourrit également l'exaspération et suscite de puissants conflits sociaux, qui se déroulent désormais au son des tambours gwoka.

C'est dans ce contexte social tendu qu'intervient la campagne des élections législatives du début 1967, marquée par la répression politique à l'encontre des mouvements autonomistes ou des candidats du Parti Communiste. Le 20 mars 1967, la provocation raciste d'un commerçant qui lance son chien sur un cordonnier infirme, déchaîne une colère appelée à durer. L'épisode inspire le titre "Bel chien en moin" au chanteur Raphaël Zachille.

La fermeture de plusieurs usines dans les campagnes entraîne un exode vers la périphérie de Pointre-à-Pitre. La ville, qui a fait l'objet d'une vaste campagne de rénovation urbaine, connaît un boom du secteur du bâtiment, dont ne profite guère les travailleurs. Lassés d'être exploités et espérant une augmentation de salaire de 2%, ces derniers déclenchent une grève générale le 23 mai 1967. (3) Ti Malo:"Man blow" de Ti Malo revient sur ce contexte explosif.

De rudes négociations s'ouvrent avec le patronat, dont un délégué lance aux grévistes : « Quand les nègres auront faim, ils reprendront leur travail ». Une manifestation s'organise devant la chambre de commerce. Face aux CRS rassemblés, les protestataires lancent des cornes de lambi et des bouteilles. La police ouvre le feu et tue. Parmi les victimes se trouve Jack NESTOR, un militant du GONG (Groupe d'Organisation Nationale de la Guadeloupe), ce qui n'est certainement pas un hasard. La population, révoltée, afflue le lendemain vers le centre de Pointe-à-Pitre. Des véhicules sont brûlés, des boutiques pillées. Les CRS se livrent à une chasse à l'homme, dont certains sont exécutés au sein même des locaux de la gendarmerie de Morne Niquel. Le bilan du massacre colonial s'élève à plusieurs dizaine de morts, des centaines de blessés et d’arrestations arbitraires. Le gouvernement utilise cet événement pour se débarrasser du mouvement nationaliste en pleine effervescence en intentant des procès à l'encontre de militants du GONG ou de l'Association Générale des Etudiants Guadeloupéens, dont les membres interprètent en 1979 un titre commémorant le massacre de «Mé 67». (citons aussi "Mai 67" par Dominik Coco)

Au sein des milieux nationalistes et indépendantistes, la départementalisation et la demande d'assimilation juridique apparaissent comme une perpétuation de la colonisation. Les partisans de l'autonomie réclament le respect d'un droit à la différence, afin de mieux tenir compte des spécificités locales, ainsi qu'une accélération de la déconcentration et de la décentralisation du pouvoir.

La répression féroce se poursuit à l'encontre de toutes celles et ceux qui se rebellent contre l'exploitation, "la pwofitasyon", et militent pour une autre société en Guadeloupe. Le nationalisme grandit, associé à un discours nettement anticolonial, porté par un mouvement comme le GONG. Le gwoka raisonne souvent lors des luttes indépendantistes ou syndicalistes. Ainsi, Guy Konkèt, chanteur militant et tambouyé, n'hésite pas à jouer sur les piquets de grève, ce qui lui vaut d'être arrêté et emprisonné en 1971. L'année suivante, il enregistre "Gwadloup malad", chronique de la crise économique dans laquelle s'enfonce l'île. "wi mé frè la Gwadloup malad oh! fô nou touvé on rimèd mésié / pou nou sové péyi-la mézanmi oh". [autre marquant : "Faya faya" ]

Dans un optique franchement nationaliste, le guitariste Gérard Lockel se veut le promoteur d'un "gwo-ka modèen", débarrassé des influences européennes. Membre de l'Union Populaire pour la Libération de la Guadeloupe depuis sa création en 1978, il compose son hymne : "chant lendependance". "Guadeloupéens, guadeloupéennes / La Guadeloupe est en danger / Nous ne pouvons pas rester comme ça / Il faut nous mettions toutes nos forces / Dans un seul combat / Pour résister ! / De jour en jour / L’ennemi nous envahit ! / Nous devons faire attention / Le temps passe ! / Guadeloupéens, guadeloupéennes / Nous sommes tous debout / Tous ensemble, pour que nous puissions / Sauver le pays et gagner notre liberté ! / Sauver le pays et gagner notre liberté !"

En parallèle, le gouvernement français organise et sponsorise une vaste politique migratoire pour répondre aux besoins de main d'œuvre en métropole et afin de contrer les effets de la "surpopulation" insulaire. Les autorités françaises  mettent donc en place le BUMIDOM, un organisme qui draine vers l'hexagone une main d'œuvre bon marché, destinée à occuper les emplois mal payés de la fonction publique (PTT, SNCF, hôpitaux), délaissés par les métropolitains. "Mi bel bitin à Paris" par Ti Celeste raconte la mésaventure des Antillais lorsqu'ils se perdent dans le métro dont ils confondent l'organisation avec ceux des transports publics en vigueur en Guadeloupe.

En 2009, la dénonciation des prix exorbitants atteints par les produits de consommation courante dans une économie insulaire contrôlée par une poignée de grands groupes, débouche sur une grève générale massive, qui paralyse tous les secteurs économiques. Les participants au mouvement s'organisent au sein d'un  collectif d'associations et de syndicats appelé LKP (Liyannaj Kont Pwofitasyon) - Union contre les abus outranciers, dont les membres revendiquent une « propriété culturelle et identitaire » de la Guadeloupe contre la "Pwofitasyon", l'exploitation outrancière opérée par les monopoles économiques et financiers qui contrôlent l'archipel. Les manifestants scandent "La Gwadloup sé tan nou, la Gwadloup a pa ta yo, yo péké fè sa yo vlé an péyi an nou « La Guadeloupe est à nous , la Guadeloupe n'est pas à eux : ils ne feront pas ce qu’ils veulent dans notre pays ». Yo" désigne les profiteurs (descendants de békés, affairistes métros). Tout au long du conflit social, les musiciens se relaient pour apporter leur soutien aux manifestants. Les groupes porteurs de revendications identitaires tels qu'Akiyo ou Voukoum, mobilisés pour la sauvegarde et le renouveau du patrimoine culturel de la Guadeloupe, s'impliquent tout particulièrement.  [Akiyo & Voukoum : "la Gwadloup sé tan nou"]

Longtemps considérée comme une musique pour soulards ("neg a ronm") ou culs terreux mal dégrossis ("misik a vié nèg"), le gwoka cesse d'être frappé de stigmatisation et fait l'objet d'un travail de revalorisationDe 1970 à 1980, animés par l’affirmation de leur antillanité, des batteurs et chanteurs de Gwo-ka commencent, un vrai travail de recherche, de valorisation, d’éducation et de création. 

Le gwo-ka revêt différentes fonctions : une fonction éducative par la transmission orale d'une histoire, de valeurs communes, une fonction de contestation par le biais de commentaires sur les réalités de la société guadeloupéenne, une fonction récréative avec les rassemblements festifs unissant danseurs et chanteurs autour des tambouyés lors des léwoz, une fonction unificatrice et cathartique. En 2014, il est inscrit sur la liste du patrimoine immatériel de l'humanité de l'Unesco. Lionel Davidas rappelle que « […] pour les Africains-Américains, la quête constante d’identité constitue une véritable stratégie de survie face à l’aliénation toujours possible, face au danger de standardisation par l’assimilation aux valeurs culturelles du courant dominant euro-américain […] ».

C° : Si beaucoup de Guadeloupéens se réjouissent de cette reconnaissance internationale, d'autres redoutent qu'elle ne précipite le gwoka dans le piège de la commercialisation, contribuant à faire perdre son âme au genre. Force est de constater en tout cas que cette valorisation culturelle n'a suscité qu'un intérêt très limité au sein de l'industrie musicale hexagonale, qui n'envisage trop souvent les musiques antillaises que sous l'angle de la futilité.

Notes : 

1. En 1989 est créé un parc national d'Outre-Mer, complété par la réserve naturelle marine du Grand-Cul-de-Sac Marin. 

2. Le bouladjel est une technique de chant, un jeu polyrythmique de bruits de gorges et d'onomatopées, accompagné de battements de main, pratiqué notamment lors des veillées mortuaires.

3. Les ouvriers du bâtiment manifestent pour obtenir une augmentation de salaire de 2,5%. Le patronat, inflexible, balaye les revendications syndicales. Les manifestations tournent bientôt à l'affrontement avec la police. La police tire à vue. Jacques Nestor, leader indépendantiste, est abattu par les CRS. Les manifestants, armés de coquillages (les conques de lambi) ne peuvent rien face aux balles. Le bilan officiel, vraisemblablement sous-évalué, fait état de huit morts. 

Fred Deshayes : "La vi fofilé" ("la vie effiloché")

Sources:

A. "Recueil des mémoires de 1967" par la Médiathèque Caraïbe Bettino Lara.

B. Lionel Besnard : "Musiques ultramarines. Trésors discographiques des Caraïbes, océans indiens et Pacifique", Le mot et le reste, 2022.

C. "Gwo Ka et chants d'esclaves". Cette page propose de précieuses ressources (documentaires, discographie)

D. Bruno Blum : "Les musiques des Caraïbes. Du vaudou au calypso", Le Castor Astral, 2021.

E. Freddy Marcin, Le gwoka à l'heure de l'Unesco: entre reconnaissance et interpénétration culturelle (pp. 253-276) dans J. Kroubo Dagnini (dir.), Musiques noires. L'Histoire d'une résistance sonore, Camion blanc, 2016, 518 pages

F. "Traces musicales de l'esclavage. Richesses et silence de la France", exposition en ligne de la Sacem conçue par Bertrand Dicale.  

G. Audrey Célestine : "La départementalisation sans l'émancipation", in "Colonisations, notre histoire" (dir.) Singaravélou, Seuil, 2023.

H. "Gwoka I podcast I sons d'hiver", série documentaire de Jeanne Lacaille.

I. "Le territoire français : bien au-delà de l'hexagone", émission Géographie à la carte (France Culture) du jeudi 21 octobre 2021.

J. "Pwofitasyon, 70 ans de lutte contre l'exploitation", émission La Marche du monde du 13 juin 2019.

jeudi 19 septembre 2024

Un voyage en absurdie, au Sardounistan.

Le 15 août 2023, au cours d'un entretien, la chanteuse Juliette Armanet attaque frontalement Les Lacs du Connemara, moquant son "côté scout, sectaire" et taxant la musique de Jacques Revaux "d'immonde". "C'est de droite, rien ne vas", conclut-elle, lapidaire. Les propos, savamment relayés par des médias en manque de scoop, font polémiques. Le titre, saturé de clichés, décrit un mariage irlandais traditionnel et n'a rien de spécialement "de droite". À défaut d'être très intelligents, les propos de la chanteuse nous permettront de nous interroger sur la vision de la France, de son histoire et de sa société, véhiculée dans les enregistrements de Michel Sardou. 

* Contre l'anti-américanisme.

Fils du comédien Fernand Sardou et de la danseuse Jacky Rollin, Michel s'initie au théâtre, fait du cabaret, puis se lance dans la chanson en 1966. Les débuts sont timides. Dans un premier temps, la conception des chansons est généralement assurée par Jacques Revaux pour la musique, et Pierre Delanoë pour les paroles. En 1967, alors que sur les campus, les étudiants protestent contre l'engagement au Vietnam et brûlent la bannière étoilée, Sardou enregistre "Les Ricains", sur fond de musique western. L’année précédente, Charles de Gaulle a condamné l’intervention de Washington et claqué la porte du commandement intégré de l’OTAN. À rebours, le chanteur salue le sacrifice des GI's qui débarquèrent sur les plages normandes en 1944. "Si les Ricains n'étaient pas là / Vous seriez tous en Germanie / A parler de je ne sais quoi / A saluer je ne sais qui", chante-t-il. Pour renforcer le propos, il insère dans un des enregistrements les échos d'un meeting nazi. Sans être interdite, la chanson est "déconseillée" aux programmateurs de la radio nationale. Le titre, remarqué, contribue à imposer Sardou comme un chanteur à contre-courant.  

Avec "Monsieur le président de France", Sardou enfonce le clou. Alors que la guerre du Vietnam suscite l'hostilité de la jeunesse du monde entier, le chanteur, pour mieux pourfendre l'anti-américanisme à l'œuvre, se place dans la peau d'un jeune homme dont le père est mort lors du débarquement allié en Normandie. De la sorte, il se met l'auditeur dans la poche et conclut : "Dites à ceux qui ont oublié, / A ceux qui brûlent mon drapeau, / En souvenir de ces années, / Qu'ce sont les derniers des salauds". Enfin, la plage musicale se clôt par la mélodie d'A long way to Tipperary, si populaire au moment de la Libération. En résumé, la mort de soldats américains en 1944 justifierait l'impérialisme américain au Vietnam.  

* Le Franchouillard.

En 1969, Barclay résilie son contrat, estimant qu'il n'est pas fait pour ce métier, mais Sardou persévère et obtient ses premiers succès en titillant la fibre patriotique de l'auditoire. En 1970, Les bals populaires lancent sa carrière. L'ascension est irrésistible et le succès s'installe dans la durée. Dans la foulée de cette première réussite, il enregistre "J'habite en France", forge sa réputation de chanteur populaire, attaché aux valeurs traditionnelles, volontiers cocardier et chantre de la "majorité silencieuse". En cherchant à tordre le cou aux clichés, Sardou en alimente d'autres que l'on pourrait résumer ainsi : le Français ne picole pas, n'est pas plus con qu'un autre, baise bien sa femme et fait de la bonne musique. L'arrangement met ici à l'honneur les cuivres agressifs, une rythmique lourde, un accordéon, histoire de faire couleur locale.

* Les pages du livre d'histoire.

L'histoire constitue une des thématiques récurrentes de l'œuvre de Sardou. Puisons dans ce riche répertoire.

En 1983, "L'an mil" accumule clichés et approximations historiques, offrant une vision caricaturale d'un sombre Moyen Âge. Inspiré très librement d'un livre de Georges Duby, « L'An Mil » est un titre-fleuve avec des changements de rythme, des montées dramatiques et des pauses inquiétantes. ["Des crucifix brisés rouillent en haut des montagnes / Des abbayes se changent en maison de campagne / Des peuples enfants gaspillent la dernière fontaine / Des peuples fous répandent la fureur et la haine".]

Son "Danton" (1972), co-écrit avec Maurice Vidalin, fait du révolutionnaire un patriote raisonnable, mettant en garde ses juges contre le fanatisme et les excès à venir du Comité de Salut Public. Danton peut être compris comme une dénonciation des révolutionnaires qui se réclament de Robespierre et des Jacobins. Sardou prophétise la venue d'un tyran, qui pourrait être Napoléon ou de Gaulle. L’interprétation, qui oppose la voix de l’interprète à celle d’une foule sur un fond de musique martiale, fait de l’homme sensé la victime du groupe. ["Les pauvres ont besoin de l'église / C'est un peu là qu'ils sont humains / Brûler leur Dieu est la bêtise / Qu'ont déjà commis les Romains / Ils ont toujours, dans leur malheur / La certitude d'un sauveur / Laissez les croire à leur vision / Chassez de nous ce Robespierre / Rongé de haine et de colère, / Cet impuissant fou d'ambition"]

En plein bicentenaire de la Révolution, Sardou enregistre "Un jour la liberté" (1989). Il y fustige la Terreur, redit son amour de la Liberté en insistant sur la trahison des idéaux des Lumières, dévoyés selon lui par les événements. L'introduction fait un emprunt au Chant des partisans, tandis que les paroles annoncent l'Apocalypse. "Elle avait de bonnes intentions / La Révolution". « Pour proclamer les droits de l'homme / Je m'inscrirai aux Jacobins / Mais comme je crois au droit des hommes / Je passerai aux Girondins » « Si la France était menacée / Comme eux j'irai mourir à pied / […] Mais qu'on brûle un bout de mon champ / Alors je me ferai Chouan » 

Opérons un nouveau bond chronologique avec "Le bon temps des colonies" (1975). "Autrefois à Colomb-Béchar, j'avais plein de serviteurs noirs / Et quatre filles dans mon lit, au temps béni des colonies". Le chanteur incarne un colon dans la bouche duquel sous-entendus racistes, clichés, nostalgie déplacée, s'enchaînent. Face à ceux qui l'accusent de faire l'apologie du colonialisme, le chanteur clame que les paroles sont à prendre au second degré. L'argument peine à convaincre. Le fait colonial y est au contraire assumé dans sa vérité crue: la soumission de populations considérées comme inférieures, l'exploitations de territoires envisagés comme des réserves à matière premières ("On pense encore à toi, oh Bwana / Dis nous ce que t'as pas, on en a"). Or, une fois l'indépendance acquise, l'ancienne métropole n'a plus un accès direct à ces ressources, ce que semble regretter notre chanteur dans "Ils ont le pétrole" (1979). La richesse matérielle ne fait pas tout. Si les puissances du Golfe ont le pétrole, des dollars, des barils, ils leur manquent ce qui fait, d'après Sardou, les petits plaisirs simples de la vie: "le bon pain", "le bon vin". Le texte se réfère à la campagne lancée par le gouvernement Barre contre la gabegie, résumée par le slogan: "On n'a pas de pétrole, mais on a des idées". Les paroles, très agressives à l'encontre des  Arabes (jamais désignés) ne font pas dans la dentelle et osent  même un douteux « Martel à Poitiers »… 

Sardou aime à brouiller les pistes. Dans "Zombi Dupont" (1973), il raconte l'histoire d'un aborigène vivant au fin fond de l'Australie et que des « âmes bien pensantes », au nom de ce qu'elles considèrent être la civilisation, veulent instruire. Nom de baptême, scolarité, souliers, confort matériel, service national, Zombi Dupont refusera finalement tout et retournera vivre en « sauvage » au milieu de sa forêt.    

A notre avis, une des plus grandes réussites du chanteur reste sans doute "Verdun" (1979), lieu de bravoure et d'héroïsme, certes mais aussi le théâtre d'une grande boucherie. Sardou insiste sur le décalage dans la représentation de la bataille entre ceux qui y ont participé et ceux qui n'en ont entendu parler que dans les livres. Pour ces derniers, Verdun n'est qu'un "champ perdu dans le nord-est, entre Epinal et Bucarest", "c'est une statue sur la Grand Place / finalement la terreur ce n'est qu'un vieux qui passe". 

En 1983, Sardou, aidé du très anticommuniste Pierre Delanoë, se sert de la figure de "Vladimir Ilitch" (1983) pour dresser un réquisitoire contre l'Union soviétique. Les idéaux socialistes ont été trahis par la tyrannie stalinienne, puis par des apparatchiks corrompus, qui n'ont pas hésité à écraser les peuples, de Prague à Varsovie. (« Lénine, relève-toi : ils sont devenus fous », «Toi qui avais rêvé l'égalité des hommes».)

* Géographie de l'à peu près.

De nombreux titres témoignent du goût du chanteur pour le voyage et l'exotisme. L'omniprésence de termes étrangers aux sonorités étonnantes, le lyrisme, teinté d'une certaine nostalgie transportent l'auditeur dans un ailleurs fantasmé. Il est vrai que Sardou, pour y parvenir, ne lésine ni sur les clichés ni sur les approximations géographiques. Exemple avec l'introduction d'Afrique A dieu.

En 1986, Sardou dresse le portrait de "Musulmanes" qui semblent directement sorties de tableaux d'un peintre orientaliste. Les stéréotypes abondent. Ainsi ces femmes, dépeintes comme sensuelles, sont présentées comme des prisonnières, victimes de la violence atavique des hommes. Dans le clip réalisé pour l'occasion, Sardou incarne un pilote de l'Aéropostale échappant à des Touaregs pillards, avec la complicité de femmes voilées.

* Le chanteur donne aussi son avis sur les transformations de la société, l'évolution des mœurs, tant au niveau individuel que dans un cadre familial.

En 1976, J'accuse  débute d'abord comme un plaidoyer écologiste, avant que les paroles de Pierre Delanöe ne verse dans l'homophobie. "J'accuse les hommes de croire des hypocrites moitié pédés, moitié hermaphrodite", instrumentalisant au passage la mémoire du malheureux Zola (qui a dû faire un triple salto dans son cercueil). Dans Le rire du sergent, un jeune conscrit se moque de l'officier homosexuel dont il obtient des passe-droits ("la folle du régiment, la préférée du capitaine des dragons"). Dans les "filles d'aujourd'hui", il déplore que ces dernières n'aiment que les "garçons au teint pâle et femelle". Dans Chanteur de jazz (1985), il se gausse des "nuées de pédales" sortant de Carnegie Hall. Les critiques fusent face à cette homophobie décomplexée. L'évolution des mentalités aidant, en 1990, Sardou demande à Didier Barbelivien de lui écrire Le privilège. Il s'y met dans la peau d'un jeune interne homosexuel, hésitant à faire son coming out. Le texte du refrain reste imprégné de préjugés qui font de l'homosexualité une maladie mentale. «Est-ce une maladie ordinaire / un garçon qui aime un garçon» Rappelons que jusqu'en 1992, l'homosexualité reste considérée comme une pathologie psychiatrique.

* Dans plusieurs de ses chanson les femmes correspondent à des archétypes, tour à tour épouse, mère, objet sexuel passif ou putain. Avec "Les vieux mariés" (1973), le chanteur réduit l'épouse à sa fonction procréatrice. "Tu m'as donné de beaux enfants. / Tu as le droit de te reposer maintenant."  "Vive la mariée" enfonce le clou : "C'est elle qui me fera bien sûr tous les enfants qu'il me fallait. / Je sais qu'elle en fera des premiers de leur classe, / Des gamins bien polis, des garçons sans copains / Je sais qu'ils apprendront à s'éloigner de moi / A dormir dans son lit, à pleurer dans ses bras"

Quand elles ne sont pas génitrices, les femmes sont là pour assurer la satisfaction sexuelle masculine. “ J’aime bien les moutons / Quand je suis le berger / C'est gentil c'est mignon, / L'été à Saint-Tropez, / Les moutons en jupon ” ( Les Moutons). Lors des ébats, l'homme a toujours le rôle actif, lui seul est capable de procurer la jouissance à sa partenaire, comme en témoignent les paroles de "Je vais t'aimer". C'est encore le cas de « Je veux l'épouser pour un soir, mettre le feu à sa mémoire ». Paroles vantardes et musique emphatique : on est dans la veine du Sardou donjuanesque qui ambitionne « d'épuiser » d'amour les femmes avant de s'éclipser, heureux et repu. Les paroles témoignent d'une certaine idée de la masculinité dans les années 1970.

Dans "Villes de solitude" (1973), Sardou fait chanter par le personnage qu'il incarne : "J'ai envie de violer des femmes. De les forcer à m'admirer. Envie de boire toutes leurs larmes. Et de disparaître en fumée". Le chanteur se défend de faire l'apologie du viol. Le personnage est un loser, frustré, dont les bas instincts et pulsions refoulées sont libérés par l'ivresse. A la fin du titre, dégrisé, il semble reprendre sa place au sein d'"une multitude qui défile au pas cadencé". "Je ne suis pas ce que je chante", répond Sardou à ses accusateurs. L'atmosphère du morceau entretient en tout cas la culture du viol. 

En 1981, avec "Etre une femme", Sardou raille l'évolution de la condition féminine. Il se moque de l'effacement des attributs traditionnellement attachés à la féminité (« enceinte jusqu'au fond des yeux, qu'on a envie d'appeler monsieur ; en robe du soir, à talons plats, Qu'on voudrait bien appeler papa »), tout en enchaînant les commentaires concupiscents (« femme des années 1980, mais femme jusqu'au bout des seins (...) Qu'on a envie d'appeler Georges, mais qu'on aime bien sans soutien-gorge »)

* Une France malade et sur le déclin (désindustrialisation, école, dénatalité).

La hantise du déclin traverse l'ensemble de l'œuvre. Sardou paraît obsédé par l'éclipse de l'influence de la France dans le monde. En 1975, "Le France" compte la triste destinée du paquebot du même nom, ce fleuron de l'ingénierie française désormais amarré au « quai de l'oubli » au port du Havre. La chanson, qui reste l'un des plus grands tubes de Sardou, est saluée à sa sortie par les syndicats et les communistes, en même temps qu'elle contribue à donner de lui l'image d'un chanteur patriote. Il y joue le rôle du bateau (« J'étais un bateau gigantesque »), pour mieux dénoncer l'injustice que représente, d'après lui, la fin de son exploitation (« J'étais la France qu'est-ce qu'il en reste, un corps mort pour des cormorans »). La musique, grandiloquente, aurait pu être jouée par l'orchestre du Titanic.

"6 milliards, 900 millions, 980 mille" (1978) évoque la baisse de la natalité française provoquée, entre autres, par la chute de la fécondité et par le vieillissement de la population. Le spectre de la dénatalité se profile, suscitant l'angoisse de notre chanteur qui redoute que le Français ne soit un peuple en voie d' extinction. "Mais j ' aimerais que quelqu'un vienne m' expliquer pourquoi, / Nous, les champions de l' amour, / Nous en resterons toujours / A n' avoir seulement que
50 millions de Gaulois.
"  

En 1976, alors que la perpétuation de la peine de mort se pose, Sardou enregistre "Je suis pour", un plaidoyer en faveur de la guillotine. Adoptant une méthode que Sarkozy fera sienne ensuite, le chanteur incarne un père dont l'enfant a été assassiné. Rongé par la colère, ce dernier clame son désir de vengeance. Le titre sort en plein affaire Patrick Henry. Sardou se défend de toute apologie de la peine de mort, affirmant avoir fait une chanson sur la loi du talion et les instincts paternels. Il n'empêche, la construction du morceau dit tout l'inverse, car Sardou pose d'abord le réquisitoire : "Tu as volé mon enfant / Versé le sang de mon sang", avant d'énoncer un verdict sans appel : "Tu n'as plus besoin d'avocat / J'aurais ta peau tu périras [...] / Je veux ta mort [...] / J'aurais ta mort [...] / J'aurais ta tête en haut d'un mât" Démagogue, le chanteur crie avec les loups car, à l'époque, si l'on en croit les sondages, une majorité de Français se prononce pour le maintien de la peine de mort. La sortie du morceau suscite une vive polémique. Les concerts s'accompagnent de manifestations hostiles. Des comités anti-Sardou se forment, obligeant le chanteur à interrompre son tour de chant en 1977.

Le système éducatif en prend également pour son grade. Le titre "Les deux écolesrenvoie dos à dos école publique et privée. Il sort en 1984, alors que la majorité socialiste tente de constituer un "grand service public unifié de l'éducation". Pour le ministre Alain Savary, il s'agit d'assujettir aux règles communes les établissements privés bénéficiant de fonds publics. Les paroles du morceau semblent ménager la chèvre et le chou, reconnaissant au privé et au public des qualités et, surtout, des défauts. Reste qu'en établissant une équivalence entre les deux systèmes, le chanteur entérine le fait que le privé reste au-dessus des lois, recrutant ses élèves avec ses propres règles, ce qui aboutit, in fine, à la création d'une ségrégation sociale en matière scolaire. Le 24 juin 1984, Michel Sardou se trouve parmi les deux millions de manifestants qui réclament, et obtiennent, le retrait du projet gouvernemental. En 1992, "le Bac G" lui permet de dénigrer l'enseignement de la filière technologique dispensée dans le secondaire. Dans "100 000 universités", il dépeint un avenir anxiogène et terne, opposant les petits métiers artisanaux, pratiques, à la vacuité des études universitaires, théoriques et inutiles. 

La même année, "La débandade" (1984) est une violente charge contre le pouvoir "socialo-communiste" au pouvoir depuis trois ans. "Il y a dans l'air que l'on respire / Comme une odeur, comme un malaise / Tous les rats s'apprêtent à partir / Ne vois-tu rien de ta falaise?" Comme à son habitude, Sardou joue les Cassandre. En phase avec le tournant de la rigueur.

2006, "Allons danser" Sarkozy est sur le point de se lancer à l'assaut de l'Elysée, Sardou semble enregistrer la bande son du quinquennat à venir. "La France, tu l'aimes ou tu la quittes" lançait l'homme aux talonnettes. Pour sa part, Michel chante: "D'où que tu viennes, bienvenue chez moi / En sachant qu'il faut respecter / Ceux qui sont venus longtemps avant toi", ou encore "Parlons enfin des droits acquis / Alors que tout, tout passe ici bas / Il faudra bien qu'on en oublie / Sous peine de ne jamais avoir de droits." Une bonne rengaine de droite en somme. 

Conclusion : A bien y regarder, la plupart des morceaux sont ambigus, comme si leur interprète voulait, tout en chérissant la provocation, toujours se ménager une porte de sortie. Sardou se justifie en avançant que lorsqu'il chante, il incarne des personnages fictifs dont les paroles reflètent les opinions, pas les siennes. L'exceptionnelle carrière du chanteur qui court sur bientôt 60 ans, la popularité de ses chansons témoignent, en creux, de la prégnance, au sein d'une grande partie de l'opinion publique française, d'une certaine forme de déclinisme, mais aussi des regrets face à la remise en cause des valeurs traditionnelles. Si le chœur des adeptes du "c'était mieux avant" compte de nombreux membres, Sardou en est indubitablement le coryphée. En même temps, ses morceaux dressent le portrait d'un individu farouchement individualiste et rétif à l'autorité, qu'elle soit incarnée par l'armée ou l'école. Il reste donc difficile de ranger l'artiste dans une case.

Bref, Sardou, "c'est un cri, c'est un chant", une voix, capable de transporter l'auditoire en concert, c'est aussi le poil à gratter d'une chanson française qui a parfois tendance à se regarder le nombril. Alors profitons de ses chansons, car comme chacun sait ( Thomas Croisière plus que quiconque), "la vie c'est plus marrant / c'est moins désespérant / en chantant".

Sources :

A. Jean Viau, « Michel Sardou : une vedette authentiquement marginale », in La Chanson politique en Europe, éditions des P. U. de Bordeaux, 2008. 

B. Louis-Jean Calvet et Jean-Claude Klein : "Faut-il brûler Sardou?", éditions Savelli, 1978

C. "De la pire à la meilleure, nous avons classé les 323 chansons de Michel Sardou", Le Point

D. Poscast Stockholm Sardou.

E. L'indispensable chronique de Thomas Croisière sur France Inter.