Jacques Chirac naît à Paris, en 1932, d'une famille originaire de Corrèze. Son père est banquier, ses deux grands pères instituteurs. Le bac en poche, il fait science-po, l'ENA et devient haut-fonctionnaire (à la cour des comptes), avant d'intégrer le cabinet de Pompidou, alors premier ministre. Nommé secrétaire d'Etat, il occupera ensuite de nombreux postes ministériels (secrétaire d'Etat à l'emploi, à l'économie et aux finances, ministre de l'agriculture, de l'intérieur) et apprendra très vite à manier la langue de bois, l'art de dire sans dire.
En 1967, il parvient à arracher la troisième circonscription de Corrèze (Ussel, Meymac, Egletons) aux radicaux socialistes. Grand, avec un physique avantageux, peu avare en poignées de mains et en verres au comptoir, il arpente le terrain avec efficacité [ "Je disais c'est loin, mais c'est beau." ]et entretient une grande proximité avec ses électeurs. L'énarque parisien, fils de pdg, réussit par un tour de passe passe dont il a le secret, à changer sa présentation et à se faire passer pour un gars du cru, représentant type de la province et du monde agricole. Très convaincant en "serre la louche", il utilise son entregent et ses réseaux pour obtenir le financement d'infrastructures pour le département. Il conservera son poste de député jusqu'à son accession à l'Elysée en 1995.
En 1974, Chirac se rallie à Valéry Giscard d'Estaing, dont il devient le premier ministre. Mais les relations entre les deux hommes, très dissemblables, sont mauvaises. En août 1976, il claque la porte de Matignon. En 1977, il se présente aux élections municipales à Paris. Il y applique sa recette corrézienne, en quadrillant le terrain. Michel Paje compose pour l'occasion "Chirac pour Paris", "Pour que la Seine ne charrie plus de poissons morts. / Qu'on s'y promène, et puisse y rêver encore. Pour que Paris, des artisans, / Pour que Paris, des petits marchands / Dans chaque rue, continuent comme avant".
Le petit monde du rock alternatif dézingue la gestion de Chirac, un maire avant tout soucieux de mener la chasse aux punks et aux crottes de chien. En 1984, dans "Chirac'n'roll", les Singes hurlent : "Ta gueule partout tes flics partout / c'est vraiment trop pour nous / ton hypocrisie ta démagogie / y'en a carrément plein le cul / ta politique est une maladie qui empoisonne nos vies / pourquoi tu retournes pas en Corrèze? / cueillir tes vaches et traire les fraises."
La Mano Negra reproche à l'édile de placer la capitale sous l'éteignoir, la fête est finie, comme ils le chantent dans "Paris la nuit" : "L'baron qui règne à la mairie, veut que tout l'monde aille au lit sans bruit".
Chirac envisage la conquête de la capitale comme un marchepied, avec, en tête la présidence de la République en ligne de mire. Aussi se lance-t-il en 1981. Pour l'occasion, Pascal Stive compose "Chirac, maintenant" (1981). Lors de ce même scrutin, il se fend aussi d'un "Mitterrand président". Bref un bel exemple de bouffage à tous les râteliers. On notera au passage que les deux morceaux sont tout aussi nuls l'un que l'autre.
Au soir du premier tour, Chirac n'arrive qu'en troisième position. Il doit ronger son frein, jusqu'à ce la déroute socialiste de 1986 aux législatives ne le remette sous le feu des projecteurs. En tant que chef du Rassemblement pour la République, arrivé en tête dans les urnes, il est nommé premier ministre, inaugurant une première cohabitation sous la Vème République. En phase avec son époque, il opte pour un libéralisme de type reaganien, privatisant les entreprises nationalisées par son prédécesseur. En 1986, le projet de loi Devaquet prévoit une hausse des frais d'inscription à l'université, la mise en concurrence et la sélection des étudiants. D'importantes manifestations de protestation ont lieu dans les facs. Le 6 décembre, Malik Oussekine est tué par les voltigeurs motorisés, en marge de la mobilisation. [nous y avons consacré un billet]
En un temps où le cumul des mandats étaient la règle, il peut être à la fois maire de Paris, député de Corrèze, président du RPR et premier ministre entre 1986 et 1988.
Lors des présidentielles de cette année là, les deux chefs de l'exécutif s'affrontent au second tour, après un débat au cours duquel Chirac n'a pas fait le poids face à Mitterrand. Après ce deuxième échec, il cherche à élargir sa base électorale, quitte à draguer ouvertement les électeurs lepénistes, de plus en plus nombreux. A Orléans en 1991, devant les militants RPR, il tient des propos racistes. Cette sortie inspirera les musiciens, notamment des dizaines de morceaux de rap. Les Toulousains de Zebda samplent le discours de Chirac et empruntent ses mots pour désigner une de leurs compositions les plus fameuses : "Le bruit et l'odeur" (1995).
Jacques Chirac est enfin élu président de la République en 1995, avec 52,6 % des voix face au socialiste Lionel Jospin. Les débuts du mandat, chaotiques, démontrent que le nouveau président possède une faible armature idéologique. Le pragmatisme - le cynisme ? - semble présider à ses choix. Bien que tenant du libéralisme reaganien de 1986 à 1988, il vient de faire campagne sur le thème de la fracture sociale, promettant de lutter contre les inégalités et de rapprocher l'État des citoyens. Les Guignols de l'info le griment alors en Che Guevara. Une fois élu, Chirac remise sa rhétorique de gauche, laissant Juppé, premier ministre, s'attaquer aux retraites et à la Sécurité sociale. Sa marionnette prend désormais les traits de Super menteur. Dans la même veine, en 1999, "Le grand Jacques" des Mickey 3D dresse un portrait peu amène du nouveau président.
Au début de son mandat, dans un discours fameux prononcé en 1995, à l'occasion de la commémoration de la rafle du Vél' d'Hiv', Chirac reconnaît pour la première fois la contribution de la France à la "Solution finale", sa responsabilité dans la déportation et l'anéantissement de près des 76 000 Juifs vivaient alors dans l'hexagone. "La France, ce jour-là accomplissait l'irréparable."
En 1997, après deux ans de présidence, Chirac décide de dissoudre l'Assemblée nationale dans l'espoir d'obtenir une majorité favorable. Mais cette stratégie échoue, et les élections législatives aboutissent à une victoire de la gauche plurielle, conduisant à une longue cohabitation de cinq ans avec Lionel Jospin Premier ministre. Le président s'arc-boute sur ses prérogatives, tout en essayant de tirer partie des réformes adoptées par Jospin (loi sur la réduction du temps de travail à 35 heures par semaine, adoption du pacte civil de solidarité). En 2000, les Français opte pour une réduction du mandat présidentiel avec l'instauration du quinquennat et Debout sur le zinc chante "Sport 2000".
En 2002, Jacques Chirac se représente à l’élection présidentielle. Les résultats du premier provoque un choc avec l’élimination de Lionel Jospin, dépassé par le candidat du Front national, Jean-Marie Le Pen. Chirac remporte le second tour avec 82,2 % des voix, bénéficiant du large soutien des électeurs de gauche, dans ce que l'on appelle le "front républicain" contre l'extrême droite. Pourtant, le gouvernement nommé ne représente en rien une ouverture vers la gauche. Sur le site Belle campagne, le chanteur Malto transforme le président en chanteur de bossa nova. "Chirac. Je serai le président de tous les Français." (2002)
Le second mandat est marqué par un certain immobilisme. Il en reste néanmoins une décision courageuse et forte : le refus en 2003 d'engager la Franceen Irak et de s’aligner sur la position américaine et britannique qui débouche sur une guerre dévastatrice. Toujours dans le domaine des relations internationales, en 2005, les Français rejettent le projet de la réforme sur la constitution européenne, qui sera néanmoins mis en place deux ans plus tard, en vertu un déni de démocratie manifeste.
Faute de réformes ambitieuses, Chirac investit certains thèmes. Dans un discours prononcé en septembre 2002 à Johannesburg, dans le cadre du Sommet de la Terre, il lance "Notre maison brûle et nous regardons ailleurs. Nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas. Prenons garde que le XXI ème siècle ne devienne pas, pour les générations futures, celui d'un crime de l'humanité contre la vie." Le discours permet une prise de conscience, mais il reste un discours. Dans les faits, on serait bien en peine d'identifier une mesure écologique mise en œuvre au cours de la présidence chiraquienne.
Autre sujet de prédilection de Jacques Chirac, son intérêt pour les civilisations extra européennes, ce qui le conduira à fonder le musée du quai Branly. Reste que sur le terrain, la Françafrique se porte toujours aussi bien. Les présidents passent, mais le néo-colonialisme se perpétue. Un des membres de Tryo chante un des couplets de "Pompafric" avec la voix de Jacques Chirac.
Tout au long du second mandat, des soupçons de corruption et d'affairisme planent, venant ternir l'image d'un président protégé par son immunité. Svinkels insiste sur cette corruption dans "Anarchie en Chiraquie" (2002)"Ici toute affaire occulte se noie / Dans un bain de foule chez les cultos / La France un grand comice agricole / Qui pue le fric, la bouffe, le fisc et l'alcool / Anarchie En Chiraquie / Qui c'est en France le plus gros mafieux".
Les rappeurs présentent alors Chirac comme un parrain de la mafia, intouchable, ce qui leur permet de pointer du doigt l'hypocrisie d'un personnel politique pourtant prompt à dénoncer la délinquance juvénile. C'est le cas du "Jacko" du Saïan Supa Crew : "Monsieur Jacko, tout le monde veut lui faire la peau / Ce macko mériterait la taule, Jacko mène tout le monde en bateau ayayaiie".Le rappeur Veerus doute de la véracité des trous de mémoire que connaît le président à la fin de sa vie. Pour lui, cette amnésie tient de la ruse. "On prend cette monnaie à la Jacques Chirac / puis on oublie tout à la Jacques Chirac." ["Jacques Chirac"] Sinsemilia nous propose une exploration des terres présidentielles dans "Bienvenue en Chiraquie" (2004) "Soyez les bienvenus en Chiraquie... / Ici, c'est chez toi / Oui mais tu fermes ta gueule / Ici il y a un roi / Et des seigneurs qui font c'qu'ils veulent / Ici, il y a des lois / Mais seulement pour le peuple / L'immunité en suprême privilège".
En 2011, Chirac est condamné à deux ans de prison avec sursis dans l'affaire des emplois fictifs de la ville de Paris. Les vœux de Didier Wampas et son groupe sont enfin exaucés, puisque cinq ans plus tôt ils chantaient "Chirac en prison". "C'est une obsession, elle ne pense qu'à ça, elle n'en dort plus la nuit [...] / La seule chose qui lui ferait plaisir, ce serait de voir Chirac en prison." En enregistrant le titre, le chanteur veut tester la liberté d'expression en France. De fait, sans être officiellement censurée, la chanson est très peu diffusée à la radio, ce qui n'empêche pas le titre de trouver son public.
Chirac termine son mandat en 2007 avec une popularité en baisse. En octobre 2005, les banlieues s'embrasent. Pour Sarkozy, les rappeurs font rapidement figure de coupables idéaux. Ces derniers retournent néanmoins l'accusation contre le ministre de l'intérieur : Sniper enregistre "Brûle", Keny Arkana "Nettoyage au Kärcher".
Conclusion :
A l'issue des deux mandats chiraquiens, "Salut l'artiste" de No one is innocent dresse le bilan ironique d'une présidence placée sous le sceau de l'hypocrisie. Le groupe énumère les dossiers à charge : "le bruit et l'odeur", la reprise des essais nucléaires en Polynésie, le néocolonialisme, le thème de la fracture sociale utilisé lors la présidentielle 1997. "Un bel hommage à l'artiste à la carrière exemplaire (...) / Comme une histoire d'odeur et de bruit / Des essais transformés, mais pas vraiment Pacifique, Le meilleur ami du monde, et plein de grands potes en Afrique. / Sans une égratignure, juste une vilaine "fracture", / On le sait depuis longtemps, le Phoénix à la peau dure. / Alors salut l'artiste"
A l'issue du second mandat, l'image de Chirac est fortement dégradée dans l'opinion. D'aucuns lui reprochent son opportunisme, son immobilisme ou encore sa versatilité.
Mais plus le temps passe, plus le personnage apparaît à beaucoup comme sympathique, convivial, rassembleur, surtout quand on le compare à son successeur, Nicolas Sarkozy. Ainsi une nostalgie de la période Chirac se dessine.Sur la fin de sa vie, l'ancien président, malade, est affaibli et sa mémoire lui fait défaut.Du président, il reste ainsi une image, une geste, son coup de fourchette légendaire, des serrages de louches au kilomètre, des phrases cultes, des emportements, des saillies ou des trouvailles langagières abracadabrantesques, et qui ne font pas toujours pschittt.
Au cours des années 1960 et 1970, dans les pays du cône sud, Chili, Argentine, Uruguay, la musique porte une parole militante fondée sur la contestation d'un système politique et économique profondément inégalitaire. Au cours de ces années, les artistes de laNueva Cancion, souvent membres ou proches du parti communiste, se retrouvent autour de valeurs communes: la lutte contre l'impérialisme économique et culturel américain, la dénonciation des violences de l'Etat et des inégalités sociales profondes. La "nouvelle chanson" se veut donc sociale et engagée, soucieuse de puiser dans les racines folkloriques des pays.
Le courant des "folkloristes" sud-américains, voyageurs infatigables, exaltent l'identité et les cultures des populations amérindiennes, éternelles laissées pour compte depuis la conquête espagnole et premières victimes des régimes autoritaires. En ce domaine, citons le rôle pionner joué par Atahualpa Yupanqui et Violeta Parra. D'ascendance quechua par son père, basque par sa mère, le premier doit son nom à Altahualpa, le dernier chef inca, assassiné par les conquistadores de Pizarre. (1) En quête d'authenticité culturelle, il voyage et collecte une partie du patrimoine musical de son pays, comme la fameuse berceuse Duerme Negrito. Yupanqui entend, dans ses chansons, contribuer à la revalorisation des racines populaires de la musique argentine. Exemple avec "Camino del indio" (le chemin de l'indien). "Petit chemin de l'Indien qui unit les vallées aux étoiles / Petit chemin que parcourut du Sud jusqu'au Nord mon vieux peuple / Avant que dans la montagne / s'assombrisse la Pachamana". Sous la dictature de Juan Peron, interdit de scène, censuré, emprisonné pour son adhésion au parti communiste, Yupanqui est finalement contraint à l'exil en 1949.
Le billet est aussi écoutable, en version podcast:
Violeta Parra, quant à elle, naît en 1917 dans une modeste famille, vraisemblablement d'origine mapuche. A partir de 1952, elle parcourt le Chili avec un magnétophone et une guitare, dans le but de répertorier la richesse folklorique du pays. Elle compose et interprète également ses propres chansons. Tout comme Yupanqui, elle utilise dans ses enregistrements les instruments traditionnels indiens : quenas, zamponas, charango. La valorisation de ces instruments porte le témoignage de la singularité de cette musique dans un monde dominé par la culture nord américaine. Elle laisse de très belles chansons sublimées par sa voix très particulière. On se rappelle plus particulièrement sa chanson «Gracias a la vida», dont voici les derniers vers: «Merci à la vie qui m’a tant donné/Elle m’a donné le rire, elle m’a donné les pleurs/Ainsi, je distingue le bonheur du désespoir/Ces deux éléments qui forment mon chant,/Et votre chant qui est le même chant,/Et le chant de tous qui est encore mon chant".
Dans le sillage de ces deux pionniers, une nouvelle génération d'artistes émergent. Citons parmi d'autres Victor Jara, Quilapayun, Inti Illimani, Mercedes Sosa, Daniel Viglietti, Alfredo Zitarrossa... Une des thématiques importantes de leurs compositions est l'aspiration à une vraie justice sociale dans un continent qui se distingue par des écarts de richesses extraordinaires. Les artistes décrivent les dures conditions d'existence d'une masse de paysans devant se contenter de micro-exploitations, quand ils ne sont pas exploités par de très grands propriétaires à la tête de latifundia; une situation qui remonte à la période coloniale. Victor Jara, né en 1932 au sein d'une modeste famille de paysans du centre du Chili, connaît le dur travail agricole. (2) Beaucoup de ses compositions témoignent de son amour pour le Chili et son peuple. Ainsi, dans son album LaPoblación, il narre la vie des laissés-pour-compte, qu'ils soient paysans ("Plegaria a un labrador"), mineurs (Cancion del minero) (3) ou ouvriers. Yupanqui enregistre, de son côté, "Campesino". " Quand tu t'en iras aux champs / ne t'écarte pas du chemin / ne marche pas sur le sommeil / des ancêtres endormis / Paysan, paysan, je chante pour toi, paysan!"
Afin de contrer, l'appropriation des terres entre quelques mains; les musiciens appellent de leurs vœux une ample réforme agraire, à l'instar d'Inti Illimani (Canción de la reforma agraria). "A desalambrar" ("A bas les clôtures") de l'Uruguayen Viglietti dresse un réquisitoire contre la mainmise sur la terre d'une poignée de propriétaires terriens absentéistes. "Je demande à ceux qui sont présents / S'ils n'ont jamais pensé / Que cette terre est à nous / Et non à celui qui a déjà tout..."
Jara n'hésite pas à incorporer à ses morceaux des enregistrements réalisés sur le terrain (un babillage en ouverture de "Luchin", un coq qui chante dans "Marcha de los Pobladores"). Dans le sillage de Violeta Parra, il accorde également une grande attention au répertoire de la musique populaire rurale, en particulier autochtone. En 1969, il compose par exemple Angelita Huenumán, en hommage à une tisserande mapuche.A l'opposé de ce petit peuple souffrant, Jara décrit l'existence dorée des enfants des fils et filles de bonnes familles dans Las Casitas del barrio alto ("les petites maisons du quartier haut") une chanson ironique et mordante. "Les gens des hauts quartiers / Se sourient et se visitent / Vont ensemble au supermarché / Et possèdent tous une télévision."
En 1963 est signé en Argentine le manifeste de la Nueva Cancion qui cherche à revaloriser le legs culturel des racines musicales populaires, tout en les adaptant au contexte nouveau de l'époque. Parmi les signataires se trouve Mercedes Sosa, grande interprète à la voix exceptionnelle ("Cancion con todos").
Les artistes de la Nouvelle Chanson dénoncela mainmise des Etats-Unis sur l'Amérique latine, qui considèrent, depuis au moins le XIX° siècle et sa fameuse doctrine Monroe, que le sous-continent est sa chasse gardée. "Le Yankee vit dans un palace, / Je vis dans une baraque! Comment est-il possible que / Le Yankee vive mieux que moi? Assez! Assez! Assez que le Yankee commande!", chante l'Argentin Yupanqui (Basta Ya).
Au contraire, les artistes du mouvement célèbrent l'identité latino-américaine et l'unité des peuples opprimés. C'est le cas de "Somos Americanos" de Violeta Parra ("Quand viendra ce jour (...) où l'Amérique sera un seul et même pilier? / Un seul pilier, oh oui, et un drapeau, / que cessent les conflits aux frontières pour un lopin de terre, / je ne veux pas la guerre!") ou de "Si somos Americanos", un morceau du groupe Inti-Illimani. "Si nous sommes Américains, / nous sommes frères, messieurs / nous avons les mêmes fleurs, / nous avons les mêmes mains." C'est encore le cas de "Canción con todos" de Mercedes Sosa.
Les chanteurs dénoncent également la cruauté de régimes politiques qui, pour assurer la perpétuation au pouvoir d'une oligarchie, s'appuient sur l'armée et l'Eglise. En 1965, Violeta Parra enregistre "Que dirá en el Santo Padre", une violente charge contre le pape et l'Eglise. En contradiction avec le message évangélique, les ecclésiastiques négligent le petit peuple pour se placer toujours du côté des puissants et des oppresseurs.
Les chanteurs de la Nueva Cancion, communistes ou très engagés à gauche, subissent les foudres des régimes qui utilisent la violence pour faire taire toute voix dissidente. En dépit des risques encourus, les musicien dénoncent les exactions dans leurs compositions. Ainsi, en 1968, "Te recuerdo Amanda"de Victor Jara raconte l'histoire d'un couple, Amanda et Manuel, qui avaient pour habitude de se retrouver aux portes de l'usine. Parti rejoindre un mouvement révolutionnaire dans la sierra, l'homme est abattu: "Tu avais rendez-vous avec lui,/ qui partit dans les montagnesqui jamais ne fit de mal, / qui partit dans les montagnes, / et en cinq minutesfut mis en pièces. / Sonne la sirènede retour au travail, / beaucoup ne sont pas revenus, / Manuel non plus." Avec sa chanson "Preguntas por Puerto Montt", Jara s'en prend ouvertement au ministre de l'intérieur Pérez Zujovic, responsable du massacre de Puerto Montt. Le 9 mars 1969, 250 policiers font irruption dans un camp de fortune habité par 90 familles occupant illégalement des terres laissées à l'abandon par un grand propriétaire terrien de la région. "Il est mort sans savoir pourquoi (...) / Vous devez répondre / Senor Perez Zujovic".
L'engagement des artistes prend des formes parfois très concrètes, en particulier au Chili. A l'orée des années 1960, l'électorat est très polarisé, divisé en trois camps : la gauche, la droite et le centre démocrate-chrétien. En 1958, Jorge Alessandri, candidat de droite, l'emporte devant le sénateur Allende, à la tête du Front d'action populaire (FRAP). Ce dernier échoue de nouveau en 1964, face au démocrate-chrétien Eduardo Frei. Ce dernier, qui initie des réformes économiques et sociales d'importance, se distingue par un fort anticommunisme. Dans l'optique de la présidentielle 1970, Allende s'associe aux radicaux et communistes au sein de l'Unité populaire. Il se réclame désormais du marxisme-léninisme et gauchit ses positions. L'homme envisage une "voie chilienne d'accession au socialisme", respectueuse de la démocratie. Le candidat envisage la musique comme un vecteur puissant de mobilisation politique et de conscientisation sociale. De fait, les chansons jouent un rôle crucial au cours des rassemblements politiques, d'autant que les musiciens amis de la Nueva Cancion s'engagent à fond dans la campagne aux côtés de l'Unité populaire. Le morceau "Venceremos " ("Nous vaincrons"), composé par Sergio Ortega sur un texte de Claudio Iturra résonne dans les manifestations. "Voici venir tout le peuple du Chili / Voici venir l'Unité Populaire / Paysan, étudiant et ouvrier / Camarades de notre chant (...) / Nous vaincrons, nous vaincrons, / Avec Allende, nous vaincrons en septembre / Nous vaincrons, nous vaincrons, / L'Unité Populaire au pouvoir".
Victor Jara, membre du parti communiste, s'investit pleinement de la campagne. Il joue aux côtés de diverses formations, telles que Cucumen ou Quilapayún. La campagne est ponctuée de nombreux chants promis à un grand avenir. C'est le cas d'El pueblo unido jamás será vencido("le peuple uni ne sera jamais vaincu").
En 1970, Allende l'emporte, au grand dam de Washington, qui craint plus que toutune victoire du marxisme et une propagation de la révolution cubaine dans ce qu'il considère comme son pré-carré. Le nouveau président adopte tout un train de réformes : nationalisation des ressources naturelles du pays (cuivre, fer, salpêtre) et des secteurs économiques clefs (banques, sidérurgie, chimie, électricité...), hausse des salaires dans l'espoir de relancer la consommation et, par ricochet, la production. Ce choix se heurte au mur de l'inflation. Par ailleurs, le président chilien se rapproche de Cuba, de la Chine. Sur cette ligne, Victor Jara compose en 1969 "El derecho de vivir en paz", un titre dédié à Hô Chi Minh et aux Vietnamiens. Au-delà du message anti-impérialiste, les paroles revendiquent le droit à vivre en paix, décemment.
Minoritaire au congrès, Allende use de son veto. La tension grandit au sein d'une société chilienne de plus en plus déchirée. Aux Etats-Unis, cette situation ne laisse pas d'inquiéter. Par anticommunisme bien sûr, mais aussi parce que le régime d'Allende menace les intérêts économiques des grandes firmes américaines, Washington préférerait le remplacer par une régime autoritaire conciliant. Pour Henry Kissinger, le conseiller à la sécurité nationale, puis secrétaire d'Etat de Richard Nixon et de Gerald Ford, le communisme ne peut s'imposer que par la force. C'est pourquoi l'instauration du socialisme par les urnes, comme l'a réalisé Allende, constitue, à ses yeux, un très mauvais exemple pour l'Europe. Ainsi, dans l'ombre, la CIA multiplie les tentatives de déstabilisation, finançant des campagnes de dénigrement ou la grande grève des camionneurs qui paralyse le pays en octobre 1972. Des produits de première nécessité deviennent inaccessibles. Le Chili se trouve au bord de la guerre civile et semble ingouvernable. Si lors des législatives de 1973, l'Unité populaire limite la casse, cela ne met pas un terme à la violence latente. En juin, la tentative de putsch n'échoue que grâce à la loyauté du général Carlos Prats, ministre de l'intérieur. La persistance des manifestation hostiles contraignent Allende à le remplacer par le général Augusto Pinochet.
Dans "Manifiesto", Jara lançait :"Je ne chante pas pour chanter / ni parce que j'ai une belle voix / mais parce que ma guitare a des sentiments et une raison d'être". De fait, l'engagement de l'artiste ne pouvait que le conduire aux côtés d'Allende, dont il partage le projet de société de réduction des inégalités sociales. Au total, ses odes aux grandes figures révolutionnaires latino-américaines (Corrido De Pancho Villa, Camilo Torres, Zamba del Che), son attachement aux plus déshérités, sa dénonciation des ravages du capitalisme ne pouvaient que susciter l'ire des forces de la réaction. En devenant le compagnon de route du nouveau président, celui que l'on prend l'habitude de désigner comme "le poète de la révolution", devient un homme à abattre.
Dans la nuit du 10 au 11 septembre 1973, Augusto Pinochet trahit. Enclenché à Valparaiso, le coup d'état gagne l'ensemble du pays. Le palais présidentiel de la Moneda est assiégé, bombardé. Acculé, sans espoir, après une dernière allocution radiodiffusée adressée à la population, le président se suicide. Le putsch porte au pouvoir Pinochet. Une répression sanglante s'abat aussitôt sur les opposants, et sur tous ceux qui, sans être nécessairement des militants communistes, tentent de protester.Dans les heures qui suivent le coup d'état, Jara est raflé avec des milliers d'autres personnes, et conduit à l'Estadio National de Santiago. Il y est battu, torturé, les doigts écrasés. [4] Son corps, criblé de balles, est abandonné dans la rue. Le 18 septembre 1973, Jara est enterré en catimini . [5] L'assassinat confère au chanteur des pauvres l'aura du martyr, contribuant aussi à forger la légende des mains ou des doigts tranchées à la la hache par les bourreaux. [6]
Pendant 17 années, Pinochet règne d'une main de fer sur le Chili. Partis politiques et syndicats sont interdits, tandis que le Parlement, devenu inutile, est dissous. Les libertés fondamentales disparaissent. Pour échapper à la répression et pouvoir continuer à vivre, près d'un million de Chiliens sont contraints à l'exil, notamment les artistes. (7) Les enfants de Violeta, Angel, Isabel, continuateurs et fidèles gardiens de l'œuvre maternelle au sein de la Peña de los Parra, un lieu de rencontre pour tous les artistes du mouvement, doivent fuir. Quand survient le putsch, Quilapayun et Inti Illimani se trouvent en tournée en Europe; ils y restent. Loin de faire taire les voix de la dissidence, la répression contribue, bien involontairement, à la diffusion du répertoire engagé des artistes de la Nueva Cancion. C'est ainsi qu'"El pueblo unido jamás será vencido" devient un incontournable de toute manifestation de gauche qui se respecte.
En Argentine, la junte militaire, qui s'empare du pouvoir en 1976, dresse une liste noire des artistes. La censure s'abat sur toute l'œuvre de Mercedes Sosa. En 1979, lors d'un concert donné à La Plata, la chanteuse et le public sont arrêtés. Elle n'a d'autre choix que de se réfugier en Europe. En Uruguay, la dictature qui sévit de 1973 à 1984, condamne également au départ les chanteurs engagés à gauche, notamment Daniel Viglietti et Alfredo Zitarrossa. L'"Adagio en mi pais", que ce dernier compose en l'honneur de son pays, prend une toute nouvelle signification alors que l'artiste ne peut plus l'interpréter qu'à des milliers de kilomètres de chez lui.
C° : La démocratie est rétablie en Argentine en 1982, après 6 ans de dictature. En Uruguay, 12 années s'écoulent avant qu'elle ne soit rétablie. Au Chili, si la démocratie est rétablie en 1990, les fondements du modèle Pinochet n'ont pas été abolis, tant sur le plan économique et social, que politique. (8) Le pays, qui dépend toujours de la loi fondamentale adoptée par la dictature, n'a pas totalement tourné la page et connaît parfois des rejeux de mémoires.Aussi, en 2019, une partie de la société chilienne descendit dans la rue pour dénoncer l'illégimité d'un système hérité de la période Pinochet. Les manifestants réclament alors un nouveau texte pour assurer une société plus égalitaire, paritaire et la reconnaissance des peuples indigènes. En vain. Les deux projets constitutionnels soumis au référendum sont rejetés, en 2022 et 2023. Bien qu'héritée de la dictature, la loi fondamentale de 1980 reste donc en vigueur. Tout au long du conflit social, les protestataires expriment leur malaise en chantant des morceaux puisés dans le répertoire populaire. De nouveau, les échos de la période Pinochet se font entendre avec l'utilisation des chansons de Jara au coeur des mobilisations. (9)El derecho de vivir en pazs'impose même comme l'hymne de la résistance de tous ceux qui récusent les recettes néo-libérales de Piñera. Ainsi, les tenants de la dictature, puis du néolibéralisme, n'ont jamais pu se débarrasser de la voix et des mots de Jara. (10)
Notes:
1. Quant au nom Yupanqui, "le Grand Méritant", il était porté par le cacique suprême des indiens Quechuas.
2. Encore adolescent, il entre au séminaire, où il se dote d'une solide technique de chant. Bientôt, il intègre la chorale de l'université du Chili de Santiago. Jara n'a pas l'âme d'un curé. De plus en plus concentré sur la création musicale, il devient auteur-compositeur-interprète. Il y est encouragé par Violeta Parra. Dans son sillage, Jara se rend dans les campagnes pour parfaire sa connaissance des musiques traditionnelles. Il s'initie à cette occasion aux instruments des peuples autochtones : quenas, zamponas, charango.
3. Il chante: "J'ouvre / J’extrais / Je transpire / du sang / Tout pour le patron / Rien pour la douleur / Mineur je suis / À la mine je vais / À la mort je vais / Mineur je suis"
4. Jara parvient à griffonner un dernier texte intitulé "Estadio Chile". Le bout de papier sur lequel figure les mots, dissimulé dans la chaussure d'un codétenu, permet à Isabelle Parra, fille de Violeta, d'en faire une chanson, bientôt traduite en anglais et interprétée par Pete Seeger. "Quelle terreur produit le visage du fascisme! / Ils mènent à bien leurs plans avec une précision astucieuse / sans se préoccuper de rien. / Le sang pour eux, ce sont des médailles. / La tuerie est un acte d'héroïsme. / Est-ce là le monde que tu as créé, mon Dieu?"
5. Son corps est exhumé en 2009 afin de déterminer les circonstances exactes de sa mort. Enterré dans le cimetière général de Santiago, il peut alors bénéficier d'obsèques publiques, en présence de la présidente Michelle Bachelet, dont le père, un général légaliste, avait aussi été tué par la junte.
6. Le mythe est entretenu par des témoignages de seconde main (sans mauvais jeu de mot) ou encore par les chansons ("Lettre à Kissinger" de Julos Beaucarne, "Gwerz Victor C'hara" de Gilles Servat, "Le bruit des bottes" par Jean Ferrat, "Juan Sin Tierra"de Ska-P, "Victor Jara's hands" par Calexico, "Washington bullets" des Clash en 1980).
7. C'est le cas du morceau El baile de los que sobran ("La danse de ceux qui sont en trop"), du groupe Los Prisioneros.
8. Sur le plan économique, le dictateur fait sienne les théories néolibérales des Chicago boys, disciples de Milton Friedman et partisans de la fin du contrôle des prix, ainsi que de la privatisation de l'éducation, de la santé et du système de retraites. La croissance économique s'opère au prix d'une fracture sociale terrible. En 2011, un rapport a évalué à 40 000 les victimes de la dictature, dont 3065 morts.
9. La pandémie de Covid place un temps l'opposition sous l'éteignoir, mais, là encore, le pouvoir ne peut se débarrasser des mots du poète. En plein confinement, la soprano Ayleen Jovita Romerorompt le silence du couvre-feu en interprétant "Te recuerdo Amanda" et "El derecho de vivir en paz" depuis son logement.
10. Les assassins de Jara bénéficièrent d'une impunité totale pendant près de quarante ans, aucune recherche sérieuse ne tentant de les identifier. Les tortionnaires ne seront finalement condamnés qu'en 2023, soit un demi-siècle après la commission des faits.
Sources:
A. Baptiste Lavat : "Chanter les maux, chanter le beau : enjeux et avatars de la Nueva Canción latino-américaine", in "Chanter la lutte", Atelier de création libertaire, 2016.
C.Aurélie Prom, “La Nouvelle Chanson Chilienne : contre l’oubli de l’Histoire et des histoires ”, Les Cahiers de Framespa [Online], 26 | 2018
D. Révolution rock. Chili. La lutte au rythme du folklore. [Continent musiques d'été sur France Culture]
Le 10 mai 1981, François Mitterrand prend sa revanche sur Valéry Giscard d'Estaing en rassemblant 51,8% des suffrages. Avec la victoire du candidat du Parti socialiste vient le temps de l'alternance. Les artistes, qui appelaient de leurs vœux une victoire de la gauche, exultent et composent des titres à la gloire du vainqueur. C'est le cas de Lenny Escudero avec "Le poing et la rose".
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Mitterrand fit longtemps figure d'outsider. Il naît à Jarnac, Charente, en 1916, dans une famille bourgeoise catholique et conservatrice. Etudiant proche de l'extrême droite dans les années 1930, il est mobilisé sur la ligne Maginot en 1939. Fait prisonnier par les Allemands, le 18 juin 1940, il réussit à s'échapper de son stalag après 18 mois de captivité. Il rejoint alors la zone libre et y occupe un poste dans l'administration de Vichy. Admirateur de Pétain et favorable à sa Révolution nationale, il s'en éloigne progressivement. En 1943, il s'engage ainsi dans la Résistance, jouant double jeu. Morland, dans "l'armée des ombres", il redevient Mitterrand quand il reçoit la francisque des mains de Pétain, la plus haute décoration du régime; un modèle de vichysto-résistant en somme. En 1947, encarté à l'UDSR, un parti de centre-gauche, il devient ministre des Anciens combattants et Victimes de guerre. Dès lors, sous la IVème République, il occupe de nombreux postes ministériels, notamment celui de l'intérieur lorsqu'éclate la guerre d'Algérie.
Le retour au pouvoir de Gaulle et l'instauration la cinquième République, sont l'occasion pour Mitterrand de dénoncer la pratique personnelle et autoritaire du général. Après deux échecs, contre de Gaulle en 1965, puis Giscard en 1974, il l'emporte à la troisième tentative et devient président le 10 mai 1981. Pour y parvenir, il réussit en 1971 à prendre les rênes du parti socialiste au congrès d'Epinay. Il convainc les radicaux de gauche et les communistes de signer un programme commun, dont le PS sera le principal bénéficiaire. En 1977, le grand compositeur grec Mikis Theodorakiset Herbert Pagani s'associent pour composer l'hymne du PS. "Changer la vie" fait la part belle aux chœurs "soviétisants", une touche très seventies.
Alors que la présidentielle 1981 se profile, le candidat Mitterrand entend se doter d'un morceau de campagne entraînant. Ce sera "Mitterrand président". Boîtes à rythme clinquantes, voix de poissonnière de l'interprète, les ingrédients du parfait attentat politico-musical sont réunis.
Pour la première fois sous la Vème République, la gauche accède au pouvoir, ce que confirme les résultats des législatives de juin. Plusieurs chansons composées aux lendemains de la victoire électorale témoignent de l'espoir soulevé par cette victoire au sein des milieux artistiques. Marcel Amont chante "Une rose à ton poing". En juillet, Jean-Roger Caussimon publie un 45 tours intitulé "Un soir de mai". "La rose a fleuri sur sa branche / Donnant son pourpre et son parfum / Au soir du deuxième dimanche / Du mois de mai 81". A l'automne, Barbara monte sur scène à Pantin et interprète "Regarde".
Pierre Mauroy, nommé premier ministre, met en œuvre une série de réformes visant à promouvoir la justice sociale et à renforcer le rôle de l'Etat dans l'économie avec notamment une vague de nationalisation dans le secteur bancaire, les assurances, l'énergie. D'autres mesures phares marquent cette période réformiste : passage de la semaine de travail de 40 à 39 heures sans diminution de salaire, adoption de la retraite à 60 ans, de la cinquième de congés payés. Robert Badinter, ministre de la Justice, porte devant l'Assemblée une loi conduisant à l'abolition de la peine de mort.
Mitterrand se présente comme celui qui entend répondre aux attentes du monde de la culture. La libéralisation des ondes voit la prolifération des radios associatives. Jack Lang imagine une journée consacrée à la musique où professionnels comme amateurs pourraient descendre dans la rue pour jouer. A la fin de l'année 1983, en réaction aux violences et crimes racistes, les jeunes des Minguettes organisent une marche pour l'égalité et contre le racisme à travers toute la France. Au fil des étapes, l'événement prend de l'ampleur, au point de devenir incontournable. Dans les mois qui suivent, l'association SOS racisme, proche du PS, récupère le mouvement, en marginalisant les jeunes des Minguettes pourtant à l'initiative de la marche. Le 15 juin 1985, dans le cadre d'une grande fête organisée par SOS Racisme, des concerts se succèdent place de la Concorde. Pour l'occasion Carte de Séjour interprète "Douce France".
L'immense espoir soulevé par la victoire mitterrandienne est rapidement douché chez les électeurs de gauche. Le choc pétrolier la crise économique mondiale entretiennent les difficultés économiques et une persistance d'un chômage de masse. La politique de relance de la consommation ne porte pas ses fruits. L'impatience grandit comme en témoigne "Le changement" de François Béranger (1982). En 1982, "Ex Robin des bois" de Téléphone revient sur les désillusions et déceptions des militants socialistes.
Le pays connaît une forte inflation et une dégradation de la balance commerciale. Cette situation incite le président à adopter une politique de rigueur, fondée sur la réduction des déficits publics. Ce virage tient du reniement et de la trahison pour de nombreux électeurs de gauche. A droite, on se gausse. En 1984, dans une émission présentée par Michel Drucker, Thierry le Luron détourne "C'est la rose l'important", un tube de Bécaud qui devient "L'emmerdant, c'est la rose". En 1989, sur l'air du Bioman de Bernard Minet, Patrick Sebastien commet "Mitteran"... "Moitié momie, moitié robot / dans la galaxie socialo / Mitterran, Mitterran / Héros de l'univers".
En 1986, la droite triomphe lors des législatives, ce qui crée une situation inédite sous la Vème République. Mitterrand doit nommer un premier ministre issu de l'opposition, en l'occurrence Jacques Chirac. Dans le cadre de cette première cohabitation, le président se taille des domaines réservés. Garant des institutions, chef des armées, il conserve la haute main en matière de politique étrangère, alors que le premier ministre et son gouvernement contrôlent les affaires intérieures. En l'occurrence, Chirac privatise les entreprises nationalisées sous Mauroy et accentue la libéralisation de l'économie. La loi de Devaquet, qui vise à introduire une sélection à l'université, suscite de vives réactions. La répression policière conduit à l'assassinat de Malik Oussekine, le 6 décembre, et au retrait de la loi.
Lors des présidentielles 1988, les deux têtes de l'exécutif s'affrontent. Dans le cadre du débat d'entre-deux-tours, le président sortant prend l'avantage sur son premier ministre grâce à une petite phrase dont il a le secret. Mitterrand l'emporte finalement avec 54% des voix, mais ne dispose que d'une majorité relative à l'Assemblée, ce qui complique la vie de ses premiers ministres successifs : Michel Rocard, Edith Cresson et Pierre Bérégovoy. Sous le gouvernement du premier est créé le Revenu Minimum d'Insertion, une prestation sociale destinée à lutter contre la précarité. Quant au dernier, accusé de malversations peu après sa sortie de charge, il se suicide le 1er mai 1993. Des événements dont Alex Beaupain se fait l'écho dans son morceau "Au départ", en 2011. "Au départ, au départ, c'est toujours le mois de mai / Echarpe rouge et chapeau noir, la lettre à tous les français / Au départ au départ, des accords de Matignon / RMI, Michel Rocard, des affiches "Génération" (...) Et puis au bord du canal un premier mai sans raison / Nos amours se tirent une balle et de la cohabitation".
En politique étrangère, Mitterrand poursuit l'engagement en faveur de la construction européenne avec l'adoption de l'Acte unique européen qui jette les bases d'un marché unique et avec la signature, puis l'approbation du traité de Maastricht en 1992. La politique africaine de l'Elysée ne connaît pas de véritable inflexion. Les dirigeants corrompus et autoritaires sont soutenus tant qu'ils acceptent de rester dans l'orbite française ou de livrer leurs richesses économiques, ce que dénonce avec humour la chanson "Pompafric" de Tryo.
Les élections législatives de 1993 se soldent par une large victoire de la droite, ce qui impose une seconde cohabitation avec la nomination d'Edouard Balladur à Matignon. Les relations sont tendues avec un Mitterrand de plus en plus affaibli par la maladie. En 1991, Renaud enregistre "Tonton", en référence au surnom affectueux donné par les partisans du président. Il s'agit d'une ballade dépouillée, un portrait doux amer. Le chapeau, le long manteau, la chienne Baltique, le "vieux rhume qui dure", la "fragilité des roses", tout y est. Y compris la mort, qui plane tout au long du morceau.
A l'issue de deux septennats, Mitterrand meurt, le 8 janvier 1996. L'heure est au bilan ou à l'inventaire diront certains. Les souvenirs subjectifs de Pierre & Bastien dressent un portrait quelque peu sarcastique de "Mitterrand". "8 janvier 96, je rentre du collège / papa écoute la radio, je me mets à pleurer / Mitterrand est mort (2X) / Ils ont sali ta mémoire en te traitant de collabo". "On a tous quelque chose en nous de Mitterrand / comme si nous étions ses enfants / On a tous quelque chose en nous de Mazarine / Un peu de Vichy dans nos racines / Et un peu de prostate dans nos blue jeans / Mitterrand est mort"
"Le coup de Jarnac" de Jean-Louis Murat s'intéresse aux obsèques du président et à la mémoire de celui-ci. Dans son testament, ce dernier écrivait « Une messe est possible ». En fait cet agnostique, fasciné par la question spirituelle, aura même droit à deux messes. L’une, officielle, à Notre-Dame de Paris, présidée par le cardinal Lustiger rassemble les dirigeants politiques de la planète; l'autre à Jarnac, la terre de son enfance, où sont célébrées les obsèques privées et où apparaissent, pour la première fois en… public, les « deux » familles, l'officielle et l'officieuse.
Sources:
- Matthias Bernard : "Les années Mitterrand : du changement socialiste au tournant libéral", Belin, 2015.
Pour beaucoup, Giscard incarne le changement dans la continuité. Sur le plan institutionnel, il poursuit la politique de ses prédécesseurs, tout assouplissant le carcan gaulliste qui pesait sur une société en quête de libéralisation.
A la mort de Pompidou, le 2 avril 1974, Giscard a 48 ans. Ancien ministre des finances du président défunt, il décide de faire campagne au centre. A ses yeux, de nombreux Français paraissent lassé du gaullisme, sans pour autant envisager de voter à gauche. Le 8 avril, il annonce sa candidature depuis sa ville de Chamalières, Puy-de-Dôme. "Je voudrais regarder la France au fond des yeux, lui dire mon message et écouter le sien", lance le candidat. D'emblée, le prétendant à la plus haute magistrature fait le pari de la médiatisation. Soucieux de donner l'image d'un Kennedy à la française, il accepte d'être filmé par le reporter Raymond Depardon, qui lui consacre un documentaire.
Sigismond Michalowski, CC BY-SA 4.0, via Wikimedia Commons
Giscard a néanmoins un petit problème d'image. Sa manière semble aristocratique, raide, distante et sa façon de parler un brin ampoulée. Aussi, pour fendre l'armure, il use - les mauvaises langues diront abuse - de la musique. Ainsi, en fin de meeting, il entonne bien volontiers la Victoire en chantant, le Chant du départ, la Marseillaise. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, Giscard a découvert l'accordéon, dont il s'entiche aussitôt. Avec cette passion pour le "piano à bretelle", le président s'attire les satires. Ainsi, en 1974, Sophie Darel et Yves Lecoq imaginent Le Giscardéon (1974), un improbable duo entre VGE et Dalida.
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Chantre de l'antigaullisme, VGE a deux principaux adversaires. A sa droite, Jacques Chaban-Delmas, qui entend endosser l'héritage du général, tandis que François Mitterrand est le candidat unique de la gauche. Les deux hommes approchent de la soixantaine. Giscard mise donc sur sa relative jeunesse. Au soir du premier tour, Mitterrand obtient 43% des suffrages, loin devant Giscard, qui convainc 32% des votants. Chaban, qui rassemble 15% des voix, est éliminé.
Pour la première fois en France, pendant l'entre-deux-tours, le 10 mai, les deux candidats arrivés en tête à l'issue du premier s'affrontent dans le cadre d'un débat radiotélévisé. Près de la moitié des Français assistent au duel. Giscard lance à son adversaire, "vous êtes un homme qui êtes lié au passé par toutes vos fibres, et lorsqu'on parle de l'avenir, on ne peut pas vous intéresser." VGE marque également des points en répliquant à François Mitterrand: "Vous n'avez pas le monopole du cœur, monsieur Mitterrand, et ne parlez pas aux Français de cette façon si blessante pour les autres."
Le 19 mai, Giscard est élu avec 50,66% des voix. Pour rompre avec les adresses solennelles et compassées façon de Gaulle et proposer aux Français une communication moderne, plus intime, il se met volontiers en scène avec sa famille ou des stars. Histoire de briser son image aristocratique, VGE cherche à se montrer proche des Français. Ainsi, il invite quatre éboueurs du quartier de l’Élysée à partager son petit-déjeuner. Prolongeant l'expérience, il s'invite chez les Baschou, une famille orléanaise, le 31 décembre 1975. Ces rencontres pas très spontanées inspirent aux Charlots Ce soir, j'attends Valéry, puis "Alors... Raconte (le dîner du président)".
La France se décorsète un peu grâce à l'adoption de réformes contribuant à libéraliser la société, avec un président qui tient enfin compte des attentes qui s'étaient faites jour en mai 68. Six ans plus tard, l'abaissement de la majorité civile et électorale à 18 ans ouvre de nouveaux droits civiques aux jeunes Français. Puis, sous l'impulsion de Simone Veil, la ministre de la Santé, et grâce au soutien des députés de gauche, la loi sur l'Interruption Volontaire de Grossesse est adoptée en 1975. La même année, le divorce par consentement mutuel devient possible. Deux ans avant l'adoption de la loi, le titre Les divorcés interprété par Michel Delpech appelait de ses vœux un changement de la législation en décrivant la séparation "à l'amiable" d'un couple.
A l'égard des jeunes Etats africains ou des territoires ultramarins, les autorités entretiennent un rapport de type colonial comme en attestent les enregistrements réalisés à l'occasion de voyages présidentiels. Dans ces chansons de bienvenue, le président est appelé "papa" et l'accueil enthousiaste. "Tout le monde ici est content / Qu'on ait un jeune président", entend-on chanter Gérard La Viny dans sa biguine à Giscard, sortie en 1974, à l'occasion de la venue du président en Guadeloupe.
Plusieurs ségas sont également composés en l'honneur des visites présidentielles à la Réunion ou l'île Maurice : "Sega Destin" de Luc Donat, Sega Giscard par Michel Adélaïde. "Giscard à la barre / ça même lé gaillards / Avec Raymond Barre / Créole lé peinard". Tout en dissonance, Tétin et les Soulmen se fendent d'un "Papa Giscard". De ces enregistrements d'un autre temps se dégage un sentiment de malaise.
Conscient que la France n'est plus qu'une puissance moyenne, Giscard cherche à préserver l'influence de l'hexagone en son pré-carré africain, quitte à perpétuer des pratiques néocoloniales douteuses.Giscard Bongo de Tchibanga est un 45 tours édité à l'occasion du voyage officiel de VGE au Gabon en août 1976. Le titre est co-signé par Ali Bongo, fils d'Omar et futur chef de l'Etat du Gabon. « Le nouveau président de tous les Français / L'ami de Bongo et des Gabonais / L'ami de l'Afrique et des Africains / Ce président-là, c'est Giscard d'Estaing / Pour gouverner la France et les Français / La France a dit : Giscard à la barre / Pour gouverner le Gabon et les Gabonais / Nous disons "Bongo à l'avant du bateau"».
Le président français entretient des liens très forts avec l'Oubangui-Chari de Jean-Bedel Bokassa et s'y rend chaque année pour s'y adonner à son passe-temps favori : la chasse de l'éléphant. C'est sans doute lors d'une de ces visites, en 1973, que VGE se fait remettre des diamants d'une valeur de 100 000 euros par le dirigeant centrafricain. De plus en plus mégalomane, Bokassa se fait sacrer empereur, avant de se transformer en un dictateur sanguinaire. [ Ibo Simon: Giscard Bo. "Giscard Bo, il est pas si beau kassa" ] VGE se voit contraint de lâcher son allié et d'abandonner son terrain de chasse préféré. Profitant d'un voyage de Bokassa en Libye, la France lance "l'opération barracuda" qui destitue le despote le 21 septembre 1979. Trois semaines plus tard, Le Canard enchaîné révèle l'affaire des diamants qui devient un scandale d'Etat. En 1977, avec Le président et l'éléphant, Gilbert Lafaille moque les nombreux safaris auxquels le président participe en Afrique.
Ailleurs dans le monde, Giscard d'Estaing poursuit une politique étrangère axée sur le renforcement de la construction européenne, en étroite collaboration avec le chancelier allemand Helmut Schmidt. Tous deux jettent les bases du Système monétaire européen en 1979, préfiguration de la zone euro. Giscard milite également pour la création d'un Parlement européen élu au suffrage universel direct, ce qui se concrétise en 1979 avec les premières élections européennes.
Le mandat de Giscard est marqué par les conséquences des deux chocs pétroliers de 1973 et 1979. Très dépendante de l'or noir, la France subit une inflation galopante et une hausse sensible du chômage. Face à la crise, en 1976, VGE nomme Raymond Barre, comme premier ministre. L'économiste met en œuvre une politique d'austérité fondée sur la réduction du déficit budgétaire. Les conséquences sociales d'un tel choix sont douloureuses, ce que ne tardent pas à souligner les artistes. En 1979, Jean-Patrick Capdevielle chante Quand t'es dans le désert. Il s'en prend vertement au premier ministre, qualifié de "gros clown sinistre" et son président, "un piètre accordéoniste". Didier Wampas se souvient d'une copine qui criait dans les manifs "Pinochet fasciste, Giscard complice.
En 1977, le "Poulaillers song" d'Alain Souchon dénonce l'hypocrisie d'une partie de la bourgeoisie, dont les membres, si fiers de leur bonne éducation, n'en sont pas moins souvent racistes, égoïstes, réactionnaires. Dans le dernier tiers de la chanson, le chanteur prête sa voix à "la volaille qui fait l'opinion", imitant notamment VGE. Le président, qui se targuait d'être un "libéral avancé", se transforme en "rétrograde avancé".
A l'issue de son mandat, VGE décide de se représenter, mais sa candidature est plombée par les difficultés économiques et sociales persistantes, son style jugé distant et aristocratique, ainsi que par les diamants de Bokassa. Dans
l'entre-deux tours de l'élection de 1981, Mitterrand se rappelle au bon
souvenir du président sortant et porte l'estocade. «Vous ne voulez
pas parler du passé. Je comprends bien, naturellement, et vous avez
tendance à reprendre le refrain d'il y a sept ans, "l'homme du passé".
C'est quand même ennuyeux que dans l'intervalle vous soyez devenu
l'homme du passif. » Il reste toujours délicat de connaître les raisons profondes d'une défaite électorale, en tout cas les chansons de soutien au président sortant ne l'ont sans doute pas aidé, comme le prouve ce médiocre "VGE rock", interprété par une certaine Marianne.
Le 10 mai 1981, VGE est battu au second tour parMitterrand, candidat de l’union de la gauche, qui obtient 51,8 % des voix. Ce résultat marque la fin de la présidence de Giscard et l’arrivée de la gauche au pouvoir pour la première fois sous la Cinquième République. Le temps de l'alternance est arrivé.
Le 19 mai 1981, deux jours avant la passation de pouvoir avec Mitterrand, VGE s'adresse aux Français par petit écran interposé. A l'issue d'une prise de parole convenue, il dit "Au revoir", se lève, fait demi-tour. La Marseillaise en fond sonore, dos à la caméra, Giscard fait 9 pas pour gagner la porte de sortie. La scène dure 9 secondes qui ressemblent à des minutes tant le niveau de gênance atteint est élevé. A l'issue de la séquence, le spectateur se trouve devant une bureau et une chaise vide. En terme de communication, difficile de faire pire.
En 1981, l'ex président n'a que 55 ans et il n'entend pas se détourner de la sphère politique. Pendant trois décennies, il enchaîne ainsi les mandats locaux et nationaux en tant que conseiller général, président du conseil régional d'Auvergne, député du Puy-de-Dôme et député européen. Il meurt le 2 décembre 2020, à l'âge de 94 ans.
Ce blog, tenu par des professeurs de Lycée et de Collège, a pour objectif de vous faire découvrir les programmes d'histoire et de géographie par la musique en proposant de courtes notices sur des chansons et morceaux dignes d'intérêt.