dimanche 13 avril 2025

"Alright" de Kendrick Lamar : un manifeste contre les violences policières.

George W. Bush, sous couvert de lutte contre le terrorisme, neutralise avec son Patriot act les libertés publiques et anéantit les espaces de contestation politique. La police dispose alors d'un pouvoir de répression presque sans limites. Dans ces conditions, l'élection de Barack Obama en 2008 suscite un grand espoir. Les attentes sont vite déçues, le nouveau président ne faisant à peu près rien pour mettre un terme à l'impunité policière. Ainsi, les violences d'Etat frappant les Africains américains se poursuivent. Rien qu'en 2014, la police tue 928 personnes (4 au Royaume-Uni sur la même période!), majoritairement noires. Toutefois, pour empêcher l'invisibilisation de ces crimes, un vaste mouvement se lève alors. 

Image tirée du clip du morceau Alright de Kendrick Lamar. 

Black Lives Matter (BLM) apparaît en juillet 2013, au lendemain de l'acquittement de George Zimmermam, agent de sécurité blanc responsable de la mort de Trayvon Martin, adolescent africain-américain de 17 ans, originaire de Sandford en Floride. Dès le scandale judiciaire connu, l'activiste Alicia Garza poste le hashtag #BLM sur Facebook, avant de créer le collectif Black Lives Matter pour dénoncer les meurtres quotidiens d'Africains-américains. (1"La vie des Noirs compte"; le slogan met en exergue les violences policières racistes. Les femmes noires, victimes d'un empilement de  discriminations, se trouvent à la pointe du combat. 

En juillet 2015, sur le campus de l'université de Cleveland, plusieurs centaines d'activistes africains-américains assistent à un colloque intitulé the movement for black lives. Lors d'une pause, les participants se mettent à chanter le refrain de la chanson Alright de Kendrick Lamar, un morceau produit et co-écrit par Pharrell Williams. Le 26 juillet, alors que le colloque touche à sa fin, dans un bus, un policier interpelle un adolescent de 14 ans, suspecté d'être en état d'ébriété. Il l'arrête, le fait descendre et le menotte. Les militants présents sur les lieux se rassemblent autour d'eux. La tension monte, d'autant que les policiers arrivés en renfort aspergent de gaz poivre la foule alentour. Finalement, le garçon, remis à sa mère, quitte les lieux dans une ambulance. Pour les participants, il s'agit d'une victoire. Spontanément, ils entonnent, de nouveau, le refrain d'Alright. Chanté sur un mode responsorial, le refrain "we gon'be alright. Say what", déclenche une joie immense et suscite une intense communion entre les manifestants galvanisés. Nous étions émus. Il était impossible de s'asseoir et de ne pas ressentir l'effet de cette chanson. Tout le monde chantait à l'unisson. C'était comme être à l’église", se souvient l'un d'entre eux. Ainsi, Alright s'impose comme le cri de ralliement des manifestations du mouvement BLM.  

Après NWA, KRS-One, de nombreux rappeurs et rappeuses actuels (YG, Killer Mike, Janelle Monae) s'emparent des questions des violences policières racistes. Dans leurs morceaux, ils évoquent les relations tendues et difficiles entre les Noirs et la police, les contrôles au faciès, les tabassages. Les courants musicaux (soul, folk notamment) utilisés dans le cadre de la lutte pour les droits civiques dans les décennies antérieures possédaient un fort arrière-plan religieux, une visée universaliste et portaient un discours de co-fraternité entre Blancs et Noirs, tandis que le rap privilégie davantage l'affirmation identitaire, le combat par et pour les Noirs, en utilisant sa propre grammaire et son schéma narratif.  

Le titre Alright tient de la protest song traditionnelle. Ses fonctions mobilisatrice et rhétorique permettent de réveiller les consciences, d'alerter la société sur les maux qui rongent l'Amérique (ici le racisme et les brutalités policières), en persuadant l'auditeur de passer à l'action. Pendant les sit in ou les marches, le chant renforce la cohésion et la détermination des militants. Une fois la manifestation passée, il continue de porter des valeurs susceptibles de déclencher un processus d'identification, donc de favoriser l'émergence d'une communauté, prête à poursuivre le combat.  Ainsi, en dénonçant les violences passées ou actuelles, en motivant, en donnant une identité sonore au mouvement, la chanson fédère. 

Le titre figure sur le troisième album de Kendrick LamarTo pimp a butterfly, sorti en 2015. Quelques mois avant l'enregistrement, la visite de la cellule de Nelson Mandela, en Afrique du Sud, convainc le rappeur de consacrer ses textes à la dénonciation du racisme, ainsi qu'aux différentes formes (aliénation des travailleurs, oppression des femmes...) que peut revêtir l'exploitation dans un système capitaliste et paternaliste. Sur ce concept album, le rappeur, né à Compton en banlieue de Los Angeles, narre le sordide quotidien des habitants d'une ville meurtrie par les violences de gangs rivaux (Bloods contre Crisps) et les inégalités sociales provoquées par des politiques économiques ultra-libérales. L'artiste associe le G-funk sauce Parliament à l'âpreté des mots des rappeurs West Coast, tels Tupac Shakur ou Ice Cube. Pour mettre en valeur les raps engagés et politiques de Lamar, ses producteurs (Terrace Martin, Pharrel Williams, Sounwave, Thundercat) élaborent un écrin musical associant les cuivres jazz, les rythmiques funk à l'exubérance de la soul et des spirituals, des genres traditionnellement associés à la communauté africaine-américaine (2) et aux protests songs caractéristiques du mouvement pour les droits civiques. 

Le morceau s'impose rapidement comme  l'hymne des révoltes et de la cause noire américainedénonçant le racisme systémique, notamment les violences policières subies par les Africains-Américains aux Etats-UnisEn ce début de la décennie 2010, la liste des meurtres ne cesse de s'allonger. Prenons deux exemples parmi d'autres, mais dont le point commun est qu'ils ont lieu alors que Lamar enregistre son disqueLe 17 juillet 2014, cinq policiers de New York utilisent la technique de l'étranglement arrière, pourtant interdite, sur Eric Garner, 44 ans. Plaqué au sol, maintenu à terre, il crie à plusieurs reprises : "Je ne peux pas respirer". L'homme meurt par asphyxie. Pour le légiste chargé de déterminer la cause du décès, il s'agit d'un homicide. Le 9 août 2014, à Ferguson, Missouri, le policier Darren Wilson abat Michael Brown, âgé de 18 ans. (3) Ce meurtre donne un écho planétaire au mouvement BLM. 

                       "Toute ma vie, j'ai dû me battre, négro"

La chanson s'ouvre par une citation de La couleur pourpre, le roman d'Alice Walker. Car, oui, la vie tient du combat quand tu as la peau noire aux Etats-Unis. 

L'utilisation du terme nigga témoigne de la volonté du rappeur de s'adresser ici en priorité aux Africains-Américains. L'objectif est de lancer un appel à l'union afin de mieux surmonter les difficultés et renverser les citadelles racistes. 

"Des moments difficiles genre "Yah!" 

Des bad trips genre "Yah!" 

Nazareth 

Je suis foutu,

Mon pote, t'es foutu

Mais si Dieu nous protège / 

Alors tout ira bien! "

Face aux coups durs et à l'adversité, la foi permet au rappeur de tenir le coup. Très croyant, il place ses espoirs en Dieu. 

Negro, tout ira bien (2X), / 

Tout ira bien

Tu m'entends? Tu le sens? / 

Tout ira bien

En écho à ce qui précède, et en première analyse, le refrain, chanté par Pharrell Williams, paraît délivrer un message d'espoir. Une deuxième écoute entretient néanmoins la possibilité de l'ambivalence phonologique. En effet, l'intonation montante adoptée dans la phrase clef du refrain - "we are gon'be alright" - interroge, dans la mesure où on l'utilise souvent pour signifier une interrogation ou un doute. Si tel est le cas, alors, le refrain ne traduit pas une marque de confiance et d'espoir, mais plutôt un questionnement, une ironie. Ainsi, la répétition de la phrase semble davantage tenir de la méthode Coué, fonctionnant comme un mantra destiné à convaincre l'auditeur que la situation va aller en s'améliorant, un peu comme une formule performative ou une prophétie autoréalisatrice. 

"Uh, et quand je me réveille / 

Je vois bien que tu me regardes comme si j'étais un chèque

Le premier couplet s'ouvre sur une dénonciation de l'exploitation des musiciens africains-américains par un capitalisme américain vautour. Les majors du disque  s'engraissent sur le dos d'artistes envisagés comme des poules aux œufs d'or, dont on coupe la tête lorsqu'elles/ils ne sont plus bankables.

 Mais les homicides te regardent de haut. /

 Est-ce qu'un Mac-11 pourrait encore résonner si on enlevait la basse?

Ici, Lamar se réfère aux innombrables meurtres de jeunes noirs, tués par une police raciste, qui a longtemps pu agir en toute impunité. Cette situation explique que les Africains-Américains craignent pour leurs vies, ou celles de leurs proches, lorsqu'ils se trouvent dans l'espace public. Seule la présence de témoins ou d'enregistrements via une caméra ou un portable permet d'empêcher la bavure ou d'engager des poursuites judiciaires. 

Le Mac-11 est une arme militaire équipé d'un silencieux. En utilisant cette image, le rappeur dénonce le fait que les violences policières soient dissimulées, comme est étouffé le son de l'arme. Ainsi, elles continuent à être largement ignorées, ou relativisées, par le grand public, quand elles ne sont pas simplement niées ou justifiées par les franges les plus conservatrices du pays. 

"Etrange ! Et laisse moi te parler de ma vie, /

 seuls les antalgiques me font rentrer dans la quatrième dimension /

 Où il y a des belles chattes, / 

Et où Benjamin [Franklin, sur les billets de 100$]

 les met en lumière (...)

Les gars, les meufs,

J'crois que j'deviens fous

Je me noie dans mes vices tous les jours (...)

Pour Lamar, "the Personnal is political". En effet, Alright  va au delà d'une protest song classique. L'originalité du morceau réside dans le fait que son auteur mêle sa critique générale du modèle américain à sa propre histoire, ses fêlures intimes. Ainsi, le titre possède une forte dimension introspective, le rappeur se confrontant à ses démons, sa dépendance aux substances psychotropes, aux femmes, à l'argent, envisagés comme autant d'échappatoires temporaires. Il lie ces difficultés personnelles, habituellement inavouables, au racisme systémique et aux pratiques discriminatoires à l'œuvre aux Etats-Unis. 

Dans le pré-refrain, Lamar rappe : 

On nous a déjà fait du mal, Négro / 

Quand notre fierté était au plus bas, /

 On regardait le monde en se demandant : / 

« Où allons-nous? »

Il passe d'un coup du "je" au "nous", afin d'impliquer l'auditoire afro-descendant. L'auteur se réfère ici au passé, notamment la déportation des esclaves dans le cadre de la traite transatlantique. Pour lui, la conscientisation repose largement sur la connaissance de l'histoire et des racines 

" Et les po-po, on les déteste / 

Ils veulent nous abattre dans la rue, négro

Je suis devant la porte du prêtre /

Mes jambes en coton, 

Mon arme pourrait tirer,

Mais tout ira bien pour nous.

Ce couplet introduit une ambivalence textuelle. On retrouve ici la dualité centrale de la lutte pour les droits civiques. Comment le narrateur compte-t-il utiliser son arme? Veut-il viser les policiers, le pasteur ? Va-t-il utiliser la violence, tirer, comme le suggère Malcom X ? Va-t-il, au contraire, privilégier la non-violence d'un Martin Luther King, en posant l'arme? A moins que, miné par les violences policières, les meurtres, tourmenté par des pensées suicidaires, il ne mette fin à ses jours. (4) Agenouillé, il peut aussi simplement s'en remettre à Dieu. 

"Qu'est-ce que tu veux? / 

Une maison ou une voiture? / 

40 acres et une mule ? / 

Un piano ou une guitare? /

 Tout, car mon nom est Lucy,

 Je suis ta pote ! /

 Mon salaud, / 

tu pourrais vivre dans un centre commercial!

L'introduction du deuxième couplet propose une critique du consumérisme effréné et du matérialisme, deux éléments constitutifs de l'american way of life. Le rappeur dénonce ces chimères, comme autant de vaines promesses, à l'instar des "40 acres et une mule" promis aux esclaves affranchis au lendemain de l'abolition, en 1865. L'abondance de biens matériels contribue à se détourner des réalités sociales, des justes causes, au risque de perdre son âme. Le narrateur évoque Lucy, une tentatrice, sorte d'incarnation terrestre de Lucifer, qui se lie au narrateur pour mieux le berner.

"Je me souviens quand tu étais en lutte avec toi-même /

et que tu abusais de ton influence, / 

parfois je faisais pareil. /

J'abusais de mon pouvoir, plein d'animosité /

animosité qui s'est transformée en grosse dépression. /

Je me suis retrouvé à crier dans une chambre d'hôtel, /

je ne voulais pas m'autodétruire. /

Les maux de Lucifer étaient tout autour de moi, /

donc je suis parti en courant afin de trouver des réponses"

Lamar revient aussi sur la dépression qu'il a connu, une dépression aux origines politiques. Il fait état de sa lutte contre l'autodestruction et la volonté d'en finir. 

Réalisé à Oakland, Californie, le clip du morceau est tourné en noir et blanc, afin d'accentuer le contraste entre les Noirs et les Blancs. L'atmosphère générale apparaît très sombre. De nouveau, l'ambivalence, visuelle cette fois-ci, prévaut. Ainsi, dans le prologue de la vidéo, quatre policiers blancs portent sur leurs épaules une voiture, dans laquelle sont installés Lamar et ses amis. S'agit-il d'un retournement de la situation de domination coloniale, qui voyait les colons juchés sur des sièges soulevés par les colonisés? Ou s'agit-il plutôt d'une procession funéraire, non avec des policiers, mais des porteurs de cercueils, Blancs, s'apprêtant à mettre en terre des individus, Noirs, après une exécution?

Pour s'extirper de la ville ségréguée, l'artiste lévite, puis s'envole, ce qui peut aussi être vu comme une élévation sociale et spirituelle. Depuis le ciel, Kendrick Lamar, semble observer les siens, traqués et abattus par la police.    

A la toute fin du clip, un vieux policier blanc mime avec ses doigts un tir au pistolet en direction de Kendrick Lamar, juché sur un lampadaire. Or, contre toute attente, une détonation sèche interrompt la musique, une balle imaginaire atteint le rappeur, qui tombe. L'absence de revolver permet de démontrer que les armes ne constituent qu'un moyen pour les meurtriers. Certes, les balles permettent de tuer, mais ce sont avant tout la haine et le racisme qui incitent les individus à appuyer sur la gâchette. Atteint par la douille imaginaire, Lamar chute du lampadaire. En écho à la crucifixion, il tombe, les bras écartés, comme Jésus de Nazareth avant lui. De la sorte, le rappeur se présente en figure sacrificielle, portant sur ses épaules la souffrance des siens. Cette mort virtuelle tient du retour sur terre, à la dure réalité. La vie des Noirs compte, mais reste encore trop souvent menacée par la brutalité d'une société raciste, dont la violence finit par rattraper tout le monde.

Conclusion

En 2015, lors de la cérémonie des Bet awards, Kendrick Lamar interprète son titre depuis le toit d'une voiture de police, devant un drapeau américain en lambeau. Lors des grammy awards de 2016, il se produit menotté, enchaîné, entouré d'un groupe de choristes, devant une carte de l'Afrique sur laquelle s'affiche le mot Compton. Il clôt sa prestation en faisant une dédicace à Trayvon Martin : "On February 26th I lost my life too. Set us back another 400 years. This modern day slavery."

Le 25 mai 2020, l'assassinat de George Floyd, assassiné par un policier de Minneapolis, suscite un gigantesque élan populaire. Le pays s'embrase. Dans les manifestations, on scande toujours Black lives matter, mais aussi I can't breathe ("je narrive pas à respirer"), la phrase répétée par Floyd lors de son interminable agonie. On y chante encore et toujours Alright.

Le nombre de victimes africaines-américaines de la police n'a pas vraiment baissé depuis l'apparition de BLM. L'impunité reste très importante. Seuls 2% des cas de violences policières conduisent à des poursuites judiciaires. "(...) J'étais une Noire  dans un pays où l'on pouvait se faire tuer pour cette seule raison", écrivait Nina Simone dans son autobiographie à propos des années 1960. On ne peut que remarquer que ce constat reste malheureusement toujours d'actualité.

Notes:

1. Le collectif est fondé par Alicia Garza, l'autrice Opal Tometi et la militante Patrisse Cullors.

2. Le prénom Kendrick lui est donné en l'honneur du chanteur Eddie Kendricks, voix emblématique des Temptations, dont sa mère était une grande admiratrice. 

3. En 2015, 104 Africain(e)s-Américain(e)s non armé(e)s ont été tué(e)s par la police, donnant lieu à 13 poursuites judicaires seulement. 

4. De fait, les jeunes africains-américains se suicident dans des proportions sensiblement plus importantes que les jeunes blancs.

Sources : 

A. Axel Nodinot : "Il était une fois. Icône rap d'une génération opprimée", pp 76-81, L'Humanité, jeudi 27 mars 2025.

B. Claude Chastagner. EMMA. (2022, 4 février). Claude Chastagner, "Black Lives Matter, un nouveau terrain pour la protest song ?" , in Black Lives Matter : formes politiques et artistiques de l’antiracisme aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. [Vidéo]. Canal-U.

C. "Black lives matter. Un symbole, une cause", Arte

D. Emmanuel Parent : "Black sounds matter. Le hip-hop dans l'oeuvre de Ta-Neshi Coates", La Vie des idées, 9 juin 2020.

E. Mapping Police Violence. Un décompte des décès causés par la police en s'appuyant sur des données en accès libre, en particulier les informations diffusées dans les médias. 

F. Christophe Ylla-Somers : "Le son de la révolte. Une histoire politique de la musique noire américaine"; Le mot et le reste, 2024. 

dimanche 16 mars 2025

Sound-system, matrice des musiques jamaïcaines.

La Jamaïque, petite île des Caraïbes située non loin des côtes cubaines et américaines, ne compte que 1,6 million d'habitants en 1960 (2,827 en 2022). Or, ce territoire exigu se distingue par une production discographique vertigineuse si on la rapporte à sa population. Comment cette île minuscule (1) a-t-elle pu influencer à ce point la sono mondiale?  Pour répondre à cette question, il faut s'intéresser au rôle crucial joué par le sound-system. Cette discothèque ambulante s'impose en quelques années comme une institution culturelle fondamentale et un phénomène de société d'une ampleur considérable en Jamaïque. 

[Afin de rendre plus fluide la lecture du billet, les termes techniques sont définis à la fin de l'article.] 

***

A la fin des années 1940, lorsque les sound-systems font leur apparition en Jamaïque, le pouvoir politique réside entre les mains d'une Assemblée soumise à la couronne britannique. Très actifs depuis le début du siècle, les mouvements nationalistes sont sur le point d'arracher leur indépendance à Londres, dont l'objectif réside surtout dans la perpétuation de relations cordiales dans le cadre du CommonwealthDans l'île, tous les leviers de commande se trouvent alors aux mains de la minorité blanche d'origine européenne, alors que les descendants d'esclaves africains (2) composent l'écrasante majorité de la population (dans un rapport de 20 pour 1). (3) Grâce à l'essor des exportations de sucre, de bananes, à l'exploitation de la bauxite et au développement du tourisme de luxe, la Jamaïque connaît un boom économique au début des années 1950. L'île reste toutefois très dépendante des investisseurs américains, dont les firmes contrôlent les secteurs économiques clefs.

* Conditions d'accès au disque.
Sur le plan musical domine le mento, un genre d'origine rural et fortement influencé par le calypso trinidadien. De grands orchestres en proposent une version édulcorée pour la clientèle étrangère des hôtels de luxe. En parallèle, des groupes de jazz (Eric Dean, Val Bennett) proposent une relecture des standards à la sauce jamaïcaine pour une clientèle huppée.
Le financement de ces formations coûte cher.
Finalement pour danser et écouter de la musique à bas prix, il faut se rabattre sur d'autres médias comme les radios et les sound systems. Or, au début des années 1950, la Jamaïque manque cruellement d'infrastructures. Seuls certains quartiers urbains ont accès à l'électricité, quant aux transistors, ils restent une denrée rare. Par conséquent, bien peu de Jamaïcains peuvent écouter la radio nationale RJR (4) ou les radios américaines (WINZ à Miami, WNOE à La Nouvelle-Orléans), dont les ondes atteignent l'île par temps clair. Néanmoins, c'est par ce biais que le public insulaire s'entiche des morceaux de jazz ou de rythm'n'blues américain. Bientôt, La généralisation de l'électrification, la baisse des prix des postes permettent à la majorité des foyers de l'île de se doter de radios au début des années 1960. 


Dans la playlist ci-dessus, quelques uns des tubes Rythm and Blues de Louis Jordan, Floyd Nixon, Wynonie Harris ou BB King très populaires auprès des danseurs jamaïcains.  Deux des huit morceaux sont des titres enregistrés par Laurel Aitken et les Jiving Juniors, des musiciens jamaïcains adaptant à leur façon le son américain. 


* Urbanisation de la société jamaïcaine. 

La Jamaïque connaît depuis le début du siècle un exode rural massif. La population de Kingston passe ainsi de 63 711 habitants en 1921 à 110 083 habitants en 1943. Le nombre d'habitants augmente encore de 86% entre 1943 et 1960. La capitale abrite alors 380 000 âmes, soit le quart de la population insulaire. Le chômage endémique dans les campagnes incite de nombreux ruraux à tenter leur chance en ville, où, très vite, le marché du travail se trouve saturé. La pénurie d'habitations, le chômage et les difficultés économiques rendent l'accès au logement  impossible aux nouveaux venus. C'est dans ce contexte social explosif qu'apparaissent ghettos et bidonvilles. Coronation Market, une vaste décharge à ciel ouvert, devient le Dungle (soit la "jungle d'excréments"). A l'ouest de l'agglomération se développent également Back o'Wall, Trench Town, Arnett Gardens, plus connu sous le nom de Concrete Jungle ("Jungle de Béton"). Ces deux quartiers sont mis à l'honneur dans des compositions de Bob Marley.

Loin de l'opulence espérée, les migrants ruraux sont confrontés à la misère et l'insalubrité. Une ségrégation socio-spatiale implacable scinde bientôt la capitale en deux entités imperméables. La bourgeoisie blanche et métisse habite dans les quartiers riches et résidentiels du haut de la ville (uptown), tandis que le petit peuple de la capitale s'entasse dans la ville basse (downtown) située près du front de mer. Les mesures de restriction à l'immigration adoptées par les États-Unis puis le Royaume-Uni aggravent encore la situation.  Soixante-dix pour cent des habitants de Kingston vivent dans des quartiers précaires.

 Les danseurs des sound-systems réclament avant tout du rythm & blues américain, en particulier les titres enregistrés à la Nouvelle-Orléans. Ici, Fats Domino exécute un morceau au piano en présence de Duke Reid.


* Américanisation croissante.
 L'essor des sound systems transforme fondamentalement la manière d'écouter et de vivre la musique. Les playlists des selecters, calquées sur les goût du public, témoignent de l'américanisation croissante de la société jamaïcaine. Le mento, considéré comme provincial et obsolète, cède le pas aux musiques importées des États-Unis.
Par le biais de la radio, du disque ou du sound system, les Jamaïcains s'entichent sérieusement du rythm'n'blues américain le plus chaud, ce son capable de requinquer les plus déprimés. Le R&B bondissant et primesautier d'un Louis Jordan, les rugissements sauvages de blues shouters de la trempe de Wynonie Harris ou Jimmy Reed, le funk chaloupé et nonchalant de la Nouvelle-Orléans - qu'il soit interprété par Professor Longhair, Fats Domino ou Lloyd Price - remportent tous les suffrages.


L'influence grandissante des États-Unis sur la culture jamaïcaine tient aussi à la présence de bases militaires américaines dans l'île (Sandy Gully et Vernon Fields). Au contact des GI, les insulaires découvrent de nouveaux sons. L'essor des échanges commerciaux, touristiques et migratoires entre les deux pays renforce encore l'attrait pour ces musiques. En effet, les marins des navires de commerce et les touristes américains ont souvent, dans leurs paquetages et valises, des disques. (5) Les fréquents allers-retours des travailleurs jamaïcains expatriés aux États-Unis permettent enfin de répondre à la demande croissante de disques de rythmn and blues. Les operators, ainsi que l'on désigne les propriétaires de sound system versent un peu d'argent à ces précieux intermédiaires, quand ils ne se rendent pas eux-mêmes aux États-Unis (6). En effet, seule la possession de disques rend possible l'émergence et le développement des sound systems. Ainsi sont-ils prêts à dépenser de fortes sommes pour se procurer un disque comme "Big chief" du Professor Longhair, pianiste émérite de la Nouvelle Orléans.

Vieux cliché de la disco-mobile de Clement Dodd, le Sir Coxsone's Downbeat.


* Le sound system. 
C'est ainsi que le sound system s'impose progressivement comme le vecteur de diffusion privilégié de la musique auprès des classes populaires insulaire.
Cette disco mobile joue les disques en plein air, à très fort volume. Sa conception est rudimentaire: un tourne-disque, un ampli et des enceintes, les plus grosses et les plus puissantes possibles. Une vaste dalle en béton tient lieu de piste de danse, complétée par une buvette improvisée. Le dancehall  fait office de lieu de rencontre, d'information et bien sûr de loisir. 

Les propriétaires de sound font partie de la classe moyenne (7) et disposent de revenus suffisants pour faire l'acquisition du matériel et des disques indispensables au bon fonctionnement de la disco-mobile. Compte tenu des faibles coûts de gestion de ces installations sommaires, le sound reprsente une entreprise potentiellement lucrative, bien plus économique en tout cas que la location d'un orchestre de musiciens. Le sound system permet à son propriétaire de compléter ses revenus grâce au droit d'entrée modeste acquitté par le public et surtout grâce à la vente d'alcool. Les stocks de bières disponibles lors des soirées constituent d'ailleurs un des critères essentiels d'évaluation du sound, au même titre que la puissance sonore des baffles ou de la musique proposée. 
 
Dans la capitale, les sound system s'établissent là où résident les danseurs, au cœur des ghettos. Dans les petites villes, des affiches placardées annoncent la venue d'un sound. Déchargés des camions, les hauts parleurs sont généralement installés dans une cour spécialement aménagée pour l'occasion. On vend les billets et la soirée peut commencer. La localisation en plein air conduit à privilégier la restitution des basses fréquences, plus facilement perceptibles en extérieur. Les soirées dansantes se tiennent à peu près tous les soirs de la semaine, même si le week-end en constitue assurément le point d'orgue, car on y passe des disques jusqu'à l'aube.  

Prince buster (à gauche) danse le ska sur la piste de son sound-system Voice of the people.

Les premiers operators de sound des années 1940 se nomment Count Smith, Admiral Cosmic, Tom Wong alias the Great Sebastian. Mais la concurrence est rude et seul Duke Reid avec son Trojan sound system parvient à résister à l'essor d'une seconde génération d'operators aux goûts musicaux plus en phase avec ceux des danseurs. Clement "Coxsone" Dodd, King Edwards et Prince Buster s'imposent durablement à la tête de leurs établissements respectifs: Coxsone Downbeat, Giant et Voice of the People. A ces heures perdues, Prince Buster enregistre des morceaux de ska énergiques, à l'instar de son classique, One step beyond, dont les Anglais de Madness sauront faire bon usage.

 Pour assurer la réputation et la fréquentation du sound, les selectors se doivent de dénicher  les meilleurs disques de R&B, ceux susceptibles d'enflammer le dancefloor et de terrasser la concurrence. Le dosage doit être subtil, car il faut alterner vieux tubes éprouvés et nouveautés imparables, mais quand la piste s'embrase et que les danseurs réclament le même morceau en boucle... c'est gagné.  Une fois les meilleurs sons dégotés, le plus dur reste à faire pour le selector: en conserver à tout prix l'exclusivité. Certains prennent alors l'habitude de décoller les étiquettes des vinyles, d'effacer les numéros de matrices ou de falsifier les titres, pour empêcher la concurrence de se les procurer. Chaque sound possède une signature, un disque culte. 
Ainsi, pendant plusieurs années, un instrumental nerveux (8) servit d'indicatif sonore au Coxsone Downbeat, un morceau du saxophoniste Willis Jackson intitulé "Later for the gator". Duke Reid chercha alors à identifier le titre du "Coxsone Hop". Finalement, au bout de 5 longues années de quête, le Duke découvrit la précieuse galette et humilia son rival au cours d'une soirée mémorable. Non content de diffuser le fameux morceau, Reid balança 7 autres énormes succès dont Dodd était parvenu à conserver jusque là l'exclusivité. Présent à la soirée, ce dernier serait tombé dans les vapes, sous le coup de l'émotion.

La rivalité entre sound ne se réduit pas à ces joutes musicales. Pour triompher de l'adversaire, tous les coups sont permis.  Ainsi, les operators emploient parfois des dance crashers pour perturber à coup de poings ou armes à feu les sound system rivaux. Les rude boys investissent la piste de danse et y sèment le chaos. En 1963, Alton Ellis implore les "casseurs de soirées" de laisser les danseurs s'amuser: "Dance crasher s'il vous plaît, ne venez pas tout démolir / Ne cherchez pas la bagarre / Ne prenez pas votre surin pour tuer un autre être humain... Vous n'avez aucune chance / Et ce sera votre dernière danse." [Dance crasher]

Chaque individu s'attache à un sound, qu'il soutient quoi qu'il advienne. Lors des sound clash, les sound system rivaux s'opposent en balançant des disques à tour de rôle. La foule présente désigne son vainqueur à l'applaudimètre. Dans ces occasions, chacun défend ses couleurs, son quartier et son sound-man favori.

Duke Reid dans son antre: le Sound system Trojan.

Au delà de la guerre entre sound, une menace externe pèse bientôt sur les disco-mobiles. Comment se procurer de nouveaux disques? En effet, à partir du début des années 1960, l'importation de disques de R&B américain devient plus difficile. Les sources d'approvisionnement se tarissent  en raison de l'affadissement du R&B et de son remplacement par le rock'n'roll, moins au goût des danseurs jamaïcains. En quête d'une nouvelle source musicale susceptible de faire danser les clients, producteurs et sound-men se tournent vers les musiciens du cru. L'île dispose d'un vivier de jeunes musiciens et chanteurs admirables comme le prouvent les innombrables candidats des radio-crochets organisés dans les salles de concert de Kingston. La plupart d'entre eux se contentent d'abord de singer les idoles américaines, avant de développer leur style personnel. Le plus réputé des concours de chant amateur se nomme la Vere Johns Opportunity Hour. Tous les mercredis soirs, le radio-crochet réunit les habitants du ghetto venus assister à l'éclosion de talents. Comme dans le sound-system, le public a le dernier mot. C'est lui qui désigne les vainqueurs à l'applaudimètre et chasse sous les huées ceux qui lui déplaisent. A partir de la fin des années 1950, certains lauréats de ces compétitions sont approchés par les opérateurs des sound-system soucieux de pallier le déclin de la production d'enregistrements américains. Ainsi, Prince Buster, Clement Dodd et Duke Reid enregistrent des morceaux de rythmn and blues interprétés par les musiciens locaux.  Exemple avec "Oh Carolina" des Folkes Brothers.

Avant de se doter de son fameux Studio 1Dodd a recours aux studios Federal Records de Ken Khouri. Reid, pour sa part, installe un local au dessus de sa boutique d'alcool nommée Treasure Isle. Il fonde le Duke Reid Band, un groupe de studio comprenant quelques uns des plus brillants instrumentistes de Jamaïque, dont les talents composeront l'écrin sonore indispensable à l'explosion du rocksteady. : Don Drummond (trombone), Rico Rodriguez (trombone), Roland Alphonso (saxo), Ernest Ranglin (guitare), Johnny "Dizzy" Moore (trompette).

Les premiers selecters doivent faire preuve d'une grande dextérité pour enchaîner les titres car ils ne disposent que d'une seule platine de disque.

C'est ainsi que sur les pistes de danses, les musiciens insulaires supplantent progressivement les soulmen américains avec l'assentiment des danseurs. On touche là le point essentiel de cette histoire. Ce sont bien les habitués du sound qui  imposent leurs goûts à l'industrie du disque et non l'inverse. Les grands producteurs ne s'y trompent pas et prennent l'habitude de tester les gravures acétate de leurs enregistrements avant de les commercialiser sous la forme de disques vinyles. Ce système a l'immense avantage d'éprouver, à peu de frais, le potentiel d'une nouveauté en évitant les fours; de faciliter le repérage des formations prometteuses tout en proposant de nouveaux styles musicaux. Les innovations stylistiques proposées par les musiciens jamaïcains sont donc validées ou abandonnées en fonction de la réaction  des danseurs (changements de rythmes, mise en avant de tel ou tel instrument...). C'est ainsi que les trépidations du ska cèdent devant les basses nonchalantes du rocksteady, lequel ne tarde pas à être supplanté par le reggae. Lloyd Bradley affirme ainsi que "toute évolution musicale se fait littéralement à la demande du public." En tant que seul outil capable de sonder le goût du public, le sound system joue donc un rôle crucial. "Une telle proximité avec le public et le besoin constant de se renouveler à une telle vitesse eut pour conséquence que la musique jamaïcaine, bien qu'ayant évolué à partir d'un style strictement américain, allait très rapidement trouver sa propre personnalité.

Les mutations sociales qui ont affecté l'île se sont accompagnés de profonds changements socioculturels. Les habitants des ghettos se sont alors dotés de leurs propres valeurs et normes, contribuant à l'émergence de contre-cultures, du point de vue religieux, avec le rastafarisme, ou musical, avec l'essor de courants musicaux endémiques diffusés via le sound-system (ska, rocksteady, puis reggae). Grâce au sound-system, la musique devient une véritable obsession nationale, une passion dévorante qui s'impose progressivement comme le secteur économique le plus rentable de l'île. 

Note:
1. Sa superficie est inférieure à celle de l'Ile de France!

2. En 1494, les Espagnols colonisent l'île, avant d'en être évincés par les Anglais, en 1655. Sa situation géographique l'impose comme une plaque tournante essentielle du commerce des esclaves. Les violences endurées par les populations serviles suscitent de graves révoltes qui obligent le pouvoir colonial à transiger avec les communautés de marrons, les esclaves en fuite. En 1833, l'abolition de l'esclavage entraîne le départ de nombreux affranchis des plantations vers l'intérieur des terres.
3. Pour remplacer la main d'œuvre servile, les propriétaires terriens ont recours à la pratique de l'engagement, qui conduit en Jamaïque des milliers de travailleurs originaires du sous-continent indien.

4. La Radio Jamaïcaine de Rediffusion est aux mains des descendants de colons britanniques. Sa programmation musicale, qui se calque sur celle de la BBC, ne correspond pas du tout aux goûts musicaux du petit peuple de Kingston.
5. Durant les années 1950, l'émigration prend l'allure d'un véritable exode, au point qu'un dixième de la population insulaire gagne le Canada, les Etats-Unis ou le Royaume-Uni.
6. Le selecter peut difficilement se fournir en disque dans l'île, car les rares magasins vendent surtout du jazz et du mento, mais pas ou très peu de rythm & blues.
7. Ce sont souvent des commerçants: Tom the Great Sebastian possède une quincaillerie, Duke Reid est un ancien agent de police reconverti dans le commerce de l'alcool. Sa boutique, sise au 33 Bond Street, se nomme Treasure Isle. Les parents de Coxsone détiennent eux-aussi une boutique de vins et spiritueux et aident financièrement leur fils, simple ouvrier agricole expatrié en Floride, à lancer son propre sound. Ces détaillants en alcool voient là sans doute une belle occasion d'écouler leurs marchandises.
8.  "Later for gator", interprété par Willis Jackson devient le Coxsone Hop. La signature du Trojan's sound system était My mother's Eyes par le joueur d'alto Tab Smith. 

Lexique:
- sound-clash: joute musicale opposant deux sound-systems rivaux. La victoire revient au sound ayant suscité le plus d'enthousiasme parmi l'auditoire présent.
- Comme son nom l'indique le selecter sélectionne les disques diffusés, toujours à l'écoute des attentes des danseurs. 
- Le terme sound-man désigne le propriétaire du sound-system, ainsi que les techniciens y travaillant.
- Dancehall désigne dans un premier temps la piste de danse du sound-system. Désormais le mot désigne une forme de reggae digital, très en vogue à partir des années 1980.
- L'operator est le propriétaire d'un sound-system.
- Le toaster improvise des paroles mi-chantées mi-parlées sur des rythmiques reggae.
- Le dubplate ou special est un disque gravé en un seul exemplaire pour un sound system.

Sources:  

A. Loyd Bradley: "
Bass Culture. Quand le reggae était roi.", Allia, 2005.
B. Romain Kruse et Kevon Rhiney:"Reggae, identité et paysage urbain dans un bidonville de Kingston-Ouest", L'Espace politique 14, 2011.

C.  Les livrets rédigés par Bruno Blum de deux disques sortis chez Frémeaux et associés:  "USA - Jamaica. Roots of ska (1942-1962). Rythm and blues shuffle" et "Jamaica Rythm and Blues (1956-1961)".

D. Bill Brewter et Frank Broughton: "Last night a DJ saved my life", Castor Astral, 2017. 

E. «City songs (4): Kingston 1965-1969, l'âge d'or du rocksteady» (Continent musiques d'été sur France Culture).