jeudi 16 octobre 2025

Les présidents en chansons : bienvenue en Chiraquie.

Jacques Chirac naît à Paris, en 1932, d'une famille originaire de Corrèze. Son père est banquier, ses deux grands pères instituteurs. Le bac en poche, il fait science-po, l'ENA et devient haut-fonctionnaire (à la cour des comptes), avant d'intégrer le cabinet de Pompidou, alors premier ministre. Nommé secrétaire d'Etat, il occupera ensuite de nombreux postes ministériels (secrétaire d'Etat à l'emploi, à l'économie et aux finances, ministre de l'agriculture, de l'intérieur) et apprendra très vite à manier la langue de bois, l'art de dire sans dire.   

En 1967, il parvient à arracher la troisième circonscription de Corrèze (Ussel, Meymac, Egletons) aux radicaux socialistes. Grand, avec un physique avantageux, peu avare en poignées de mains et en verres au comptoir, il arpente le terrain avec efficacité [ "Je disais c'est loin, mais c'est beau." ]et entretient une grande proximité avec ses électeurs. L'énarque parisien, fils de pdg, réussit par un tour de passe passe dont il a le secret, à changer sa présentation et à se faire passer pour un gars du cru, représentant type de la province et du monde agricole. Très convaincant en "serre la louche", il utilise son entregent et ses réseaux pour obtenir le financement d'infrastructures pour le département. Il conservera son poste de député jusqu'à son accession à l'Elysée en 1995.

En 1974, Chirac se rallie à Valéry Giscard d'Estaing, dont il devient le premier ministre. Mais les relations entre les deux hommes, très dissemblables, sont mauvaises. En août 1976, il claque la porte de Matignon. En 1977, il se présente aux élections municipales à Paris. Il y applique sa recette corrézienne, en quadrillant le terrain. Michel Paje compose pour l'occasion "Chirac pour Paris", "Pour que la Seine ne charrie plus de poissons morts. / Qu'on s'y promène, et puisse y rêver encore. Pour que Paris, des artisans, / Pour que Paris, des petits marchands / Dans chaque rue, continuent comme avant". 

Le petit monde du rock alternatif dézingue la gestion de Chirac, un maire avant tout soucieux de mener la chasse aux punks et aux crottes de chien. En 1984, dans "Chirac'n'roll", les Singes hurlent : "Ta gueule partout tes flics partout / c'est vraiment trop pour nous / ton hypocrisie ta démagogie / y'en a carrément plein le cul / ta politique est une maladie qui empoisonne nos vies / pourquoi tu retournes pas en Corrèze?  / cueillir tes vaches et traire les fraises."
La Mano Negra reproche à l'édile de placer la capitale sous l'éteignoir, la fête est finie, comme ils le chantent dans "Paris la nuit" : "L'baron qui règne à la mairie, veut que tout l'monde aille au lit sans bruit".


Chirac envisage la conquête de la capitale comme un marchepied, avec, en tête la présidence de la République en ligne de mire. Aussi se lance-t-il en 1981. Pour l'occasion, Pascal Stive compose "Chirac, maintenant" (1981). Lors de ce même scrutin, il se fend aussi d'un "Mitterrand président".  Bref un bel exemple de bouffage à tous les râteliers. On notera au passage que les deux morceaux sont tout aussi nuls l'un que l'autre.

Au soir du premier tour, Chirac n'arrive qu'en troisième position. Il doit ronger son frein, jusqu'à ce la déroute socialiste de 1986 aux législatives ne le remette sous le feu des projecteurs. En tant que chef du Rassemblement pour la République, arrivé en tête dans les urnes, il est nommé premier ministre, inaugurant une première cohabitation sous la Vème République. En phase avec son époque, il opte pour un libéralisme de type reaganien, privatisant les entreprises nationalisées par son prédécesseur. En 1986, le projet de loi Devaquet prévoit une hausse des frais d'inscription à l'université, la mise en concurrence et la sélection des étudiants. D'importantes manifestations de protestation ont lieu dans les facs. Le 6 décembre, Malik Oussekine est tué par les voltigeurs motorisés, en marge de la mobilisation. [nous y avons consacré un billet]

En un temps où le cumul des mandats étaient la règle, il peut être à la fois maire de Paris, député de Corrèze, président du RPR et premier ministre entre 1986 et 1988.
Lors des présidentielles de cette année là, les deux chefs de l'exécutif s'affrontent au second tour, après un débat au cours duquel Chirac n'a pas fait le poids face à Mitterrand. Après ce deuxième échec, il cherche à élargir sa base électorale, quitte à draguer ouvertement les électeurs lepénistes, de plus en plus nombreux. A Orléans en 1991, devant les militants RPR, il tient des propos racistes. Cette sortie inspirera les musiciens, notamment des dizaines de morceaux de rap. Les Toulousains de Zebda samplent le discours de Chirac et empruntent ses mots pour désigner une de leurs compositions les plus fameuses : "Le bruit et l'odeur" (1995).

Jacques Chirac est enfin élu président de la République en 1995, avec 52,6 % des voix face au socialiste Lionel Jospin. Les débuts du mandat, chaotiques, démontrent que le nouveau président possède une faible armature idéologique. Le pragmatisme - le cynisme ? - semble présider à ses choix. Bien que tenant du libéralisme reaganien de 1986 à 1988, il vient de faire campagne  sur le thème de la fracture sociale, promettant de lutter contre les inégalités et de rapprocher l'État des citoyens. Les Guignols de l'info le griment alors en Che Guevara. Une fois élu, Chirac remise sa rhétorique de gauche, laissant Juppé, premier ministre, s'attaquer aux retraites et à la Sécurité sociale. Sa marionnette prend désormais les traits de Super menteur. Dans la même veine, en 1999, "Le grand Jacques" des Mickey 3D dresse un portrait peu amène du nouveau président. 

Au début de son mandat, dans un discours fameux prononcé en 1995, à l'occasion de la commémoration de la rafle du Vél' d'Hiv', Chirac reconnaît pour la première fois la contribution de la France à la "Solution finale", sa responsabilité dans la déportation et l'anéantissement de près des 76 000 Juifs vivaient alors dans l'hexagone. "La France, ce jour-là accomplissait l'irréparable."

En 1997, après deux ans de présidence, Chirac décide de dissoudre l'Assemblée nationale dans l'espoir d'obtenir une majorité favorable. Mais cette stratégie échoue, et les élections législatives aboutissent à une victoire de la gauche plurielle, conduisant à une longue cohabitation de cinq ans avec Lionel Jospin Premier ministre. Le président s'arc-boute sur ses prérogatives, tout en essayant de tirer partie des réformes adoptées par Jospin (loi sur la réduction du temps de travail à 35 heures par semaine, adoption du pacte civil de solidarité). En 2000, les Français opte pour une réduction du mandat présidentiel avec l'instauration du quinquennat et Debout sur le zinc chante "Sport 2000".

En 2002, Jacques Chirac se représente à l’élection présidentielle. Les résultats du premier provoque un choc avec l’élimination de Lionel Jospin, dépassé par le candidat du Front nationalJean-Marie Le Pen. Chirac remporte le second tour avec 82,2 % des voix, bénéficiant du large soutien des électeurs de gauche, dans ce que l'on appelle le "front républicain" contre l'extrême droite. Pourtant, le gouvernement nommé ne représente en rien une ouverture vers la gauche.  Sur le site Belle campagne, le chanteur Malto transforme le président en chanteur de bossa nova. "Chirac. Je serai le président de tous les Français." (2002)

Le second mandat est marqué par un certain immobilisme. Il en reste néanmoins une décision courageuse et forte : le refus en 2003 d'engager la France en Irak et de s’aligner sur la position américaine et britannique qui débouche sur une guerre dévastatrice. Toujours dans le domaine des relations internationales, en 2005, les Français rejettent le projet de la réforme sur la constitution européenne, qui sera néanmoins mis en place deux ans plus tard, en vertu un déni de démocratie manifeste. 

Faute de réformes ambitieuses, Chirac investit certains thèmes. Dans un discours prononcé en septembre 2002 à Johannesburg, dans le cadre du Sommet de la Terre, il lance "Notre maison brûle et nous regardons ailleurs. Nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas. Prenons garde que le XXI ème siècle ne devienne pas, pour les générations futures, celui d'un crime de l'humanité contre la vie." Le discours permet une prise de conscience, mais il reste un discours. Dans les faits, on serait bien en peine d'identifier une mesure écologique mise en œuvre au cours de la présidence chiraquienne. 

Autre sujet de prédilection de Jacques Chirac, son intérêt pour les civilisations extra européennes, ce qui le conduira à fonder le musée du quai Branly. Reste que sur le terrain, la Françafrique se porte toujours aussi bien. Les présidents passent, mais le néo-colonialisme se perpétue. Un des membres de Tryo chante un des couplets de "Pompafricavec la voix de Jacques Chirac.

Tout au long du second mandat, des soupçons de corruption et d'affairisme planent, venant ternir l'image d'un président protégé par son immunité. Svinkels insiste sur cette corruption dans "Anarchie en Chiraquie" (2002) "Ici toute affaire occulte se noie / Dans un bain de foule chez les cultos / La France un grand comice agricole / Qui pue le fric, la bouffe, le fisc et l'alcool / Anarchie En Chiraquie / Qui c'est en France le plus gros mafieux".

 Les rappeurs présentent alors Chirac comme un parrain de la mafia, intouchable, ce qui leur permet de pointer du doigt l'hypocrisie d'un personnel politique pourtant prompt à dénoncer la délinquance juvénile. C'est le cas du "Jacko" du Saïan Supa Crew : "Monsieur Jacko, tout le monde veut lui faire la peau / Ce macko mériterait la taule, Jacko mène tout le monde en bateau ayayaiie". Le rappeur Veerus doute de la véracité des trous de mémoire que connaît le président à la fin de sa vie. Pour lui, cette amnésie tient de la ruse. "On prend cette monnaie à la Jacques Chirac / puis on oublie tout à la Jacques Chirac." ["Jacques Chirac"Sinsemilia nous propose une exploration des terres présidentielles dans "Bienvenue en Chiraquie" (2004) "Soyez les bienvenus en Chiraquie... / Ici, c'est chez toi / Oui mais tu fermes ta gueule / Ici il y a un roi / Et des seigneurs qui font c'qu'ils veulent / Ici, il y a des lois / Mais seulement pour le peuple / L'immunité en suprême privilège". 


En 2011, Chirac est condamné à deux ans de prison avec sursis dans l'affaire des emplois fictifs de la ville de Paris. Les vœux de Didier Wampas et son groupe sont enfin exaucés, puisque cinq ans plus tôt ils chantaient "Chirac en prison". "C'est une obsession, elle ne pense qu'à ça, elle n'en dort plus la nuit [...] / La seule chose qui lui ferait plaisir, ce serait de voir Chirac en prison." En enregistrant le titre, le chanteur veut tester la liberté d'expression en France. De fait, sans être officiellement censurée, la chanson est très peu diffusée à la radio, ce qui n'empêche pas le titre de trouver son public.

Chirac termine son mandat en 2007 avec une popularité en baisse. En octobre 2005, les banlieues s'embrasent. Pour Sarkozy, les rappeurs font rapidement figure de coupables idéaux. Ces derniers retournent néanmoins l'accusation contre le ministre de l'intérieur : Sniper enregistre "Brûle", Keny Arkana "Nettoyage au Kärcher".

Conclusion : 
A l'issue des deux mandats chiraquiens, "Salut l'artiste" de No one is innocent dresse le bilan ironique d'une présidence placée sous le sceau de l'hypocrisie. Le groupe énumère les dossiers à charge : "le bruit et l'odeur", la reprise des essais nucléaires en Polynésie, le néocolonialisme, le thème de la fracture sociale utilisé lors la présidentielle 1997. "Un bel hommage à l'artiste à la carrière exemplaire (...) / Comme une histoire d'odeur et de bruit / Des essais transformés, mais pas vraiment Pacifique, Le meilleur ami du monde, et plein de grands potes en Afrique. / Sans une égratignure, juste une vilaine "fracture", / On le sait depuis longtemps, le Phoénix à la peau dure. / Alors salut l'artiste"

A l'issue du second mandat, l'image de Chirac est fortement dégradée dans l'opinion. D'aucuns lui reprochent son opportunisme, son immobilisme ou encore sa versatilité. 
Mais plus le temps passe, plus le personnage apparaît à beaucoup comme sympathique, convivial, rassembleur, surtout quand on le compare à son successeur, Nicolas Sarkozy. Ainsi une nostalgie de la période Chirac se dessine. Sur la fin de sa vie, l'ancien président, malade, est affaibli et sa mémoire lui fait défaut. Du président, il reste ainsi une image, une geste, son coup de fourchette légendaire, des serrages de louches au kilomètre, des phrases cultes, des emportements, des saillies ou des trouvailles langagières abracadabrantesques, et qui ne font pas toujours pschittt. 

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