lundi 17 août 2009

177. Barbara:" si la photo est bonne". (1965)

Le Code pénal dressait jusqu'en 1981 la liste des crimes passibles de la peine de mort. Il précisait les conditions d’exécution de la peine capitale : fusillade quand le condamné relevait des tribunaux militaires ; décapitation dans tous les autres cas (article 12 du Code pénal).

Le décret du 20 mars 1792, toujours en vigueur en 1981, opte en faveur de la guillotine comme seul moyen d’exécution. Le condamné à mort ne peut alors implorer que la grâce présidentielle pour conserver sa tête sur ses épaules. 

* Le droit de grâce.

Le droit de grâce est une prérogative personnelle du chef de l'Etat (
dans le régime précédent, le droit de grâce relevait du Conseil supérieur de la Magistrature. Sous la Vè, il participe donc au rayonnement de la suprématie présidentielle) qui lui permet de commuer, de dispenser totalement ou partiellement l'exécution d'une peine prononcée par une juridiction répressive. Elle est prévue par l'article 17 de la constitution du 4 octobre 1958 : « Le Président de la République a le droit de faire grâce ». Lui seul est juge pour commuer ou suspendre l'exécution d'une peine.

De 1959 à 1969, Charles de Gaulle commua 91,7 % des peines capitales (sur 146 condamnations à la peine capitale prononcées par les cours d'assises, 12 ont été exécutées, notamment Jean-Marie Bastien-Thiry). De 1969 à 1974, sous la présidence de Georges Pompidou, 3 condamnés à mort furent guillotinés : Claude Buffet et Roger Bontems le 28 novembre 1972, Ali Benyanès le 12 mai 1973. De 1974 à 1981, sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, 3 exécutions capitales eurent lieu : celles de Christian Ranucci le 28 juillet 1976, de Jérôme Carrein le 23 juin 1977 et enfin celle de Hamida Djandoubi le 10 septembre 1977 ; dernière exécution capitale en France.


* 1981: l'abolition de la peine de mort.
La question de la peine capitale se trouve au cœur des élections présidentielles de 1981. François Mitterrand, le candidat des socialistes, se prononce contre le maintien de la peine de mort et promet l'élaboration d'un projet abolitionniste en cas de victoire. Il confie logiquement ce dossier épineux à Robert Badinter, le nouveau garde des sceaux. Dès 1972, ce dernier entame son combat contre la guillotine lors de l'exécution de Bontems. En 1976, il défend Patrick Henry, qui a enlevé et assassiné un petit garçon. Ce procès devient celui de la peine de mort. Il réussit à sauver la tête d'Henry qui est condamné à la prison à perpétuité. 
 
 
Badinter défend avec brio le projet de loi en faveur de l'abolition de la peine de mort devant l'Assemblée.

Dans son discours devant l'Assemblée nationale, le 17 septembre 1981, Robert Badinter, garde des sceaux affirme: "Voici la première évidence : dans les pays de liberté l'abolition est presque partout la règle ; dans les pays où règne la dictature, la peine de mort est partout pratiquée. Ce partage du monde ne résulte pas d'une simple coïncidence, mais exprime une corrélation. La vraie signification politique de la peine de mort, c'est bien qu'elle procède de l'idée que l'Etat a le droit de disposer du citoyen jusqu'à lui retirer la vie. C'est par là que la peine de mort s'inscrit dans les systèmes totalitaires. [...]

Quant au droit de grâce, il convient, comme Raymond Forni l'a rappelé, de s'interroger à son sujet. Lorsque le roi représentait Dieu sur la terre, qu'il était oint par la volonté divine, le droit de grâce avait un fondement légitime. Dans une civilisation, dans une société dont les institutions sont imprégnées par la foi religieuse, on comprend aisément que le représentant de Dieu ait pu disposer du droit de vie ou de mort. Mais dans une république, dans une démocratie, quels que soient ses mérites, quelle que soit sa conscience, aucun homme, aucun pouvoir ne saurait disposer d'un tel droit sur quiconque en temps de paix."
Le débat, particulièrement houleux, se soldent par l'adoption de la loi Badinter par 369 voix contre 113.

La France était alors le dernier pays de la CEE a avoir recours à la peine de mort. Pourtant, le débat sur l'opportunité de la peine de mort s'est posé très tôt. Les philosophes des Lumières s'emparent du sujet après la publication du livre de l'Italien Beccaria, Des délits et des peines, en 1764. Le châtiment apparaît "barbare" et inefficace, car son exemplarité est douteuse. En 1848, Victor Hugo, après un brillant plaidoyer devant l'Assemblée constituante, obtient pour quelques mois la suppression de la peine de mort pour faits politiques.

Mais, la principale offensive contre la peine de mort intervient en 1906. Jaurès mène cette campagne avec fougue et panache. C'est alors qu'intervient l'affaire Soleilland...
 

* 1907: L'affaire Soleilland.

Au cours de la première décennie du XXè siècle, le camp des abolitionnistes (dont Clemenceau, Aristide Briand, Jaurès) semble même en passe de l'emporter. C'est alors que survient l'affaire Soleilland. Le 31 janvier 1907, à Paris, une fillette de 11 ans, Marthe Erbelding, est violée par un ami de ses parents. Ce crime sordide change totalement la donne. Comme le rappelle
Jean-Marc Berlière (voir sources), "ce crime aura pour conséquence de repousser de trois quart de siècle l'abolition de la peine de mort."

Une du Petit Journal du 24 février 1907: "L'assassinat de Marthe Erbelding. Le meurtrier dans sa cellule. Le portrait de la victime."


Le 23 juillet 1907, la Cour d'assises de la Seine condamne Soleilland à la peine capitale, sous les applaudissements de la foule. Or, la décision d'Armand Fallières, le président de la République de gracier le condamné en commuant sa peine en travaux forcés à perpétuité, le 13 septembre, provoque l'ire de l'opinion. Une campagne en faveur de la peine de mort débute alors. La presse joue alors un rôle de premier plan, notamment le Petit Parisien (qui tire alors à 2 millions d'exemplaires!). Les faits divers les plus sordides sont décrits par le menu, car cela fait vendre. Les récits les plus inquiétants persuadent bon nombre de lecteurs que la délinquance atteint alors une importance sans précédent et que les pouvoirs publics ne parviennent pas à désarmer l'"armée du crime".

Le Petit Journal du 29 septembre 1907: "Ce qu'il méritait, ce qu'il espère."


Le 20 septembre 1907, le Petit Parisien propose un référendum à ses lecteurs. Le succès rencontré par cette consultation est exceptionnel. Les résultats tombent le 5 novembre 1907. A la question "êtes-vous partisan de la peine de mort?", 1 083 655 personnes ont répondu par l'affirmative, tandis que 328 692 lecteurs répondaient non. Le quotidien prévient en juillet 1908: "Dans un pays de suffrage universel, la voix du peuple prononce forcément le dernier mot". Dans ces conditions, on comprend que les parlementaires y réfléchissent à deux fois avant d'adopter le projet de loi abolissant la peine de mort (proposé par le cabinet Clemenceau fin 1906). Aussi, malgré un brillant discours de Jaurès, le projet de loi est repoussé par 330 voix contre 201, en décembre 1908.


En guise de conclusion, citons Jean-Marc Berlière (voir sources): "Au-delà d'un épisode majeur de l'histoire pénale, le crime de Someilland et ses développements permettent de découvrir l'archéologie d'un discours très contemporain et de peurs bien actuelles. On y trouve tous les arguments d'une rhétorique sécuritaire qui nous est devenue familière. Partant de l'exploitation de la statistique criminelle pour dénoncer la carence des instances officielles - une police sans moyens, une justice contaminée par un humanitarisme" déplacé- elle conclut aux responsabilités politiques d'une gauche naïve et incapable de répondre aux demandes de l'opinion publique par des solutions de bon sens: alourdir et aggraver les pénalités, multiplier les prisons et les policiers, donner à ces derniers des moyens supplémentaires et des pouvoirs élargis."

Rien de nouveau sous le soleil... 


Par 330 voix contre 201, la Chambre des députés décide le maintien de la peine de mort. Aux yeux du Petit journal, cette décision est de nature à faire réfléchir les malfaiteurs. La pensée du châtiment final arrêterait le bras de l'assassin. (Une du Petit Journal du 27 décembre 1908).


Barbara interprète avec finesse ce titre dans lequel elle pointe, tout en donnant l'air de ne pas y toucher, le pouvoir exorbitant qui repose entre les mains du président de la République.




"Si la photo est bonne" Barbara.

Si la photo est bonne,
Jusqu'en deuxième colonne,
Y'a le voyou du jour
Qui a une petite gueule d'amour
Dans la rubrique du vice
Y'a l'assassin de service
Qui n'a pas du tout l'air méchant
Qu'a plutôt l'œil intéressant
Coupable ou non coupable
Qui doit se mettre à table
Que j'aimerai qu'il vienne
Pour se mettre à la mienne.

Si la photo est bonne,
et bien de sa personne
n'a pas plus l'air d'un assassin
Que le fils de mon voisin.
Le gibier de potence
en sortie de l'enfance
va faire sa dernière prière
pour avoir trop aimé sa mère
Bref on va pendre un malheureux
Qu'avait le cœur trop généreux
Moi qui suis femme de président
J'en ai pas moins de cœur pour autant.
De voir tomber des têtes
A la fin, ça m'entête.
Et mon mari le président
Qui m'aime bien qui m'aime tant
Quand j'ai le cœur qui flanche
Tripote la balance

Si la photo est bonne,
Qu'on m'amène ce jeune homme,
Ce fils de rien que tout étire
cette crapule au doux sourire
Ce grand gars au cœur tendre
Qu'on n'a pas su comprendre
Je sens que je vais le conduire
Sur le chemin du repentir
Pour l'avenir de la France
contre la délinquance
c'est bon, je fais le premier geste
que la justice fasse le reste
surtout qu'il soit fidèle
surtout je vous rappelle
A l'image de son portrait
Qu'ils se ressemblent trait pour trait
C'est mon ultime condition
pour lui accorder mon pardon
Qu'on m'amène ce jeune homme,

Si la photo est bonne,
Si la photo est bonne,
Si la photo est bonne.

Sources:
- L'Histoire n° 323, septembre 2007. J.M. Berlière: "1907, la France a peur! L'affaire Soleilland., pp54-59.
- J.-M. Berlière: "1907, le crime de Soleilland. Les journalistes et l'assassin", Tallandier, 2003. (absolument remarquable)
- D. Kalifa: "L'encre et le sang. Récits de crimes et société à la Belle Epoque", Fayard, 1995.

Liens:

* Dossier de la documentation française sur l'abolition de la peine de mort.
* Sénat.fr: Abolition de la peine de mort.
* Discours de Robert Badinter à l'Assemblée nationale, le 17 septembre 1981.
* Exécutions en France.
* Curiosphere: "Le président de la République et le droit de grâce."
* "L'effet Soleilland."
* Retranscription des débats de 1908 sur la peine de mort, avec notamment le discours de:
- Maurice Barrès (le 3 juillet 1908): "Je suis partisan du maintien de la peine de mort. [...] quand nous sommes en présence du membre déjà pourri, [...] c'est l'intérêt social qui doit nous inspirer et non un atendrissement sur l'être antisocial."
- et celui de Jaurès (le 18 novembre 1908): "Je crois pouvoir dire qu'elle [la peine de mort] est contraire à ce que l'humanité, depuis 2000 ans, a pensé de plus haut et a rêvé de plus noble. Elle est contraire à la fois à l'esprit du christianisme et à l'esprit de la Révolution".

4 commentaires:

jcd a dit…

à l'époque de Badinter, en Belgique la peine de mort n'était pas abolie; elle n'était plus appliquée. Ce n'est que bien plus récemment qu la Belgique a aboli la peine de mort vraiment.

blottière a dit…

merci pour cette précision.

J.B.

le Réverbère a dit…

Il est bien heureux que cette peine archaique et inhumaine à disparu. Aujourd'hui il y a encore beaucoup trop de gens en prison (qui font de la détention préventive alors qu'ils ne sont même pas jugés coupables!) etc.. Il reste encore du chemin à parcourir mais heureusement que la "grande Faucheuse" a disparu dans certains pays (hélas pas dans tous)

Anonyme a dit…

Comme le lien vers la chanson ets mort, voici un lien vers une version non studio : https://www.youtube.com/watch?v=qRuRv2XlR7s
et une version studio : http://www.deezer.com/track/915982