Les tontes de femmes à la Libération sont longtemps restées un angle mort de la recherche historique. Jusqu'au début des années 1990, les ouvrages consacrés à la Libération évoquent les tondues, mais de manière furtive, comme un élément de décor, un passage obligé. Ceci explique la persistance de représentations simplistes sur ce phénomène. Le remarquable travail de Fabrice Virgili, "la France virile: Des femmes tondues à la Libération" (cf source 1 à la fin du billet), auquel il convient d'ajouter l'ouvrage pionnier d'Alain Brossat ("Les tondues: Un carnaval moche", 1992), ont permis d'aller bien au delà de l'image prégnante qui prévalait jusqu'alors.
Pourquoi la tonte a-t-elle représenté le châtiment des femmes par excellence ?
Femme tondue photographiée devant l'entrée principale du palais de justice de Bergerac (24), septembre 1944.
* Une pratique massive.
Le phénomène, massif, aurait touché environ 20 000 personnes dans toutes les régions de France, que ces territoires aient été libérés par les armées alliées ou par la Résistance. Des mentions de tontes se retrouvent dans 77 départements sur les 90 de l'époque. Elles se déroulent aussi bien dans les grandes villes qu'en zone rurale. L'extension du phénomène est telle que le journal La Libération de l'Aunis et de la Saintonge évoque des gamins qui, par mimétisme, " jouent au maquis (...) [et] 'tondent' trois petites filles".
En certains lieux, le nombre de victimes s'avère d'ailleurs considérable: 80 femmes à Beauvais le jour de la Libération, une trentaine à Chatou... De véritables cortèges de tondues sont attestés dans plusieurs villes françaises.
Les tontes n'ont donc rien de marginales et ne sauraient être attribuées à un mouvement spontané, une éruption de violence vite refermée une fois la libération du territoire effective. Elles s'imposent comme un événement à part entière, ayant sa propre dynamique.
Célèbre cliché de Robert Capa. Chartres vient d'être libérée ce 18 août 1944. Une femme tondue porte un nourrisson dans ses bras et marche au milieu d'une foule moqueuse qui semble la harceler. Un gendarme la précède, ce qui confère à la scène un semblant de légalité. A l'arrière plan, la rue pavoisée de drapeaux tricolores.
* Un phénomène immédiat et prolongé.
F. Virgili note que "la recherche et le châtiment des 'collaborations horizontales' sont simultanés à la prise de contrôle du territoire communal." (cf 2) Alors même que les troupes ennemies représentent toujours un danger, les tontes revêtent un caractère urgent et prioritaire. Or cette pratique est décelable dans l'ensemble du pays, pourtant très fragmenté. Rappelons en outre que la guerre se poursuit. Les tontes ont alors un rôle préventif en visant celles qui seraient susceptibles de fournir des informations en cas de retour de l'ennemi. La hantise d'une cinquième colonne joue à plein (cf 9).
Les tontes de la Libération ne surprennent personne puisqu'elles ont été largement préméditées pendant l'Occupation. Très tôt des tracts clandestins menacent celles qui se donneraient à l'ennemi. Aussi, lors de la Libération, ce châtiment s'impose comme allant de soi.
Les premières tontes se déroulent d'ailleurs dès 1943 (première mention en juin), quand la collaboration s'identifie de plus en plus à la trahison. Elles sont le fait de groupes résistants qui l'utilisent comme moyen pour faire passer la peur dans l'autre camp. Menées discrètement de nuit, ces opérations visent des collaborateurs.
Le phénomène connaît néanmoins son plein essor lors des journées de la Libération et décroît inégalement selon les lieux, sans disparaître totalement au cours de l'hiver 1944-45.
Le retour des déportés, des prisonniers de guerre, des requis du STO, mais aussi des travailleurs volontaires et des collaborateurs réfugiés en Allemagne provoque une résurgence de cette pratique en mai-juin 1945. La découverte de l'horreur des camps constitue en outre un véritable choc. La volonté d'une épuration en profondeur est relancée. Celles qui avaient échappé à l'épuration en fuyant en Allemagne, mais aussi les femmes arrêtées lors de la Libération et relâchées alors, sont l'objet de tontes. Ces dernières viennent compléter une épuration légale jugée trop clémente.
Une "épuration extra-judiciaire rampante" (cf 3) , plus clandestine, se poursuit jusqu'au début de l'année 1946. Mais aux lendemains de la seconde vague de tontes (mai-juin 1945), la réprobation semble l'emporter. En outre, les autorités, désormais bien établies, poursuivent ces exactions de manière systématique. C'est en février 1946, en Savoie, que l'on trouve la dernière mention d'une tonte.
La tondue de Chartres par Robert Capa.
* La punition des femmes.
Toutes les catégories sociales et socioprofessionnelles sont touchées. Néanmoins, si il fallait dresser le portrait type d'une tondue, elle serait plutôt jeune, célibataire, ayant une activité professionnelle la plaçant parfois en contact avec des Allemands (lingères, commerçantes, institutrices dont l'appartement de fonction jouxte souvent celui requis par les autorités militaires). D'une manière générale, la suspicion semble peser surtout sur celles qui échappent à la surveillance communautaire, familiale ou professionnelle.
La tonte apparaît comme une violence spécifique visant les femmes, indépendamment de la nature du crime reproché. Elle sanctionne toutes les formes de collaboration perpétrées par des femmes et pas seulement la « collaboration horizontale » (les relations intimes sont reprochées à 57% des femmes tondues. cf 1 p 23]. La dénonciation d'un résistant (6% des femmes), l'engagement dans une organisation de collaboration (8%), un travail pour les Allemands (15%) peuvent aussi entraîner l'ablation des cheveux. Seulement, les accusations de relation sexuelles avec l'ennemi sont uniquement reprochées aux femmes. Les quelques hommes tondus le sont pour d'autres motifs.
"La construction d'une image érotisée des 'tondues'" (cf 3) impose l'idée que la tonte est le châtiment exclusif des relations sexuelles avec l'ennemi. La rumeur publique se charge de forger la réputation de ces "femmes de mauvaise vie" qui semblent mener une "vie de débauche".
Cortège de femmes tondues, exhibées sur un char et promenées dans les rues de Cherbourg le 14 juillet. Une pancarte tenue à bout de bras signale "le char des collaboratrices".
* Un châtiment nécessaire.
Lors de la Libération, la légitimité de cette pratique se constitue simultanément aux tontes et apparaît aux yeux du plus grand nombre comme "un châtiment proportionné, juste, efficace et nécessaire" (2). Les autorités, souvent inexistantes ou encore fragiles, adoptent une attitude ambigüe. Elles n' initient pas le mouvement, mais laisse-faire. La presse, quant à elle relate (parfois avec bienveillance) les premiers cas, mais ne lance pas d'appel incitant à s'en prendre aux "filles-à-boches". Lorsque des policiers ou gendarmes sont présents, ils semblent avant tout calquer leur attitude sur celle de la majorité.
Pour comprendre la large adhésion dont bénéficie cette pratique _sinon comment comprendre son extension?_ il convient de se replacer dans le contexte des tontes et de les mettre en balance avec les exactions nazies au cours de l'occupation. Les violences subies légitiment le recours à la vengeance. On peut ainsi lire dans l'écho de la Corrèze du 14 septembre 1944: "Notre conscience de civilisé se fut autrefois révoltée contre cette formule de répression spectaculaire digne d'un autre temps. [...] Mais notre indignation fut telle au cours de ces quatre années qu'aujourd'hui notre colère explose."
Il s'agit dans cette optique de punir celles qui auraient échappé, grâce à leur fréquentation des Allemands, aux souffrances communes, aux privations. Le Département, l'organe du Comité de Libération de Châteauroux peut ainsi se réjouir: "les beaux cheveux de quelques unes sont tombés. C'est tant mieux, à chacun son tour de souffrir." Un journal de la Résistance brocarde ces femmes qui auraient pris du bon temps s'excluant des souffrances de la collectivité:"Aucune de ces femmes , dans leurs pâmoisons, n'a pensé un seul instant aux souffrances des nôtres, pas plus qu'en sablant le champagne avec les Boches elles n'ont espéré un jour la victoire de la France." (cf 10)
Dans cette période de profonde recomposition des relations entre les sexes, le corps de la femme apparaît comme un territoire ennemi à reconquérir. Les tontes permettent par le châtiment des femmes de « laver la souillure » du pays. Reprenant à leur compte la rhétorique utilisée par la Révolution nationale pour fustiger le Front populaire, beaucoup souhaitent "nettoyer" le pays, extirper les éléments gangréneux ayant entraîné sa "décadence". (l'Occupation est alors envisagée comme l'accentuation du long déclin national entamé dans les années trente). "Embochis", ceux qui ont fréquenté les Allemands ne peuvent plus être considérés comme des Français. On fustige donc l'irresponsabilité de celles qui se sont données à l'ennemi. Leur corps, objet du délit, doit être châtié et porter le châtiment. La chevelure, vecteur essentiel de la séduction féminine, est sacrifiée. La tête rasée symbolise la trahison. Ce marquage infamant devient stigmate et entraîne l'exclusion de la vie sociale, en tout cas jusqu'à la repousse des cheveux.
Femme tondue portant un écriteau sur lequel est inscrit: "a fait fusiller son mari". Photo extraite du journal le Crapouillot n°32, "la Libération sans bobards", automne 1974 (ce journal satirique est alors contrôlé par l'extrême droite). Les photos s'intègrent dans le déroulement de la tonte et donne lieu à de véritables mises en scène.
* un châtiment expiatoire.
La tonte a pour vocation première de punir, d'épurer. Elle permet à la communauté urbaine ou villageoise de participer à cet événement de proximité.
F. Virgili note que "les tontes s'intègrent dans un système d'affirmation de la collectivité et de construction d'une nouvelle identité commune". Aussi, lors de la Libération, une majorité des tontes sont pratiquées dans des lieux publics qu'on se réapproprie [les rues (dans 41,9% des cas), les places (20,8%) ou devant les mairies et préfectures (18,3%) cf 1 p 288]. Elles marquent alors la libération d'un territoire souillé par la présence allemande.
Tonte lors de la Libération dans la région de Marseille, le 23 août 1944. Une foule importante assiste à la coupe des cheveux. Juchée sur une estrade, la tondue est exposée et visible de loin. (Photographe: Carl Mydans)
La coupe des cheveux devient spectacle et se déroule souvent en présence de la foule. "Pour que la tonte joue son rôle de châtiment expiatoire et de ciment communautaire, elle doit être ostentatoire." (cf 2) La présence de la foule est indispensable pour que le châtiment existe. Cette forme de violence modérée (au moins d'un point de vue physiologique) paraît acceptable, au moins pour un temps, et permet à la communauté de se ressouder. Pour la première fois depuis le début du conflit, une fusion se réalise entre les Résistants et la population qui a alors l'occasion d'exercer une violence contre l'ennemi et ses complices. Rappelons que les violences subies antérieurement paraissent justifier les tontes aux yeux de beaucoup. Mélinée Manouchian, témoins d'un lynchage explique par exemple: "La scène était à peine supportable, mais je ne pouvais en vouloir à ces gens que la guerre avait défiguré. Par leur attitude cruelle, ils tentaient de racheter l'honneur qu'on leur avait ravi: ils avaient besoin de venger ce que le nazisme avait fait d'eux."
Femmes tondues à la Libération (1944) (Photo : Vanity Fair © Hulton-Deutsch Collection/Corbis)
* Le retour de la France virile.
Les tontes mettent aussi en évidence la question des relations hommes/femmes au cours du conflit. La déroute des armées françaises en 1940 marque la faillite des hommes incapables de remplir leur rôle traditionnel de défense de la patrie, identifiée au féminin. La rhétorique vichyssoise fustigea alors la responsabilité des femmes dans le développement d'un "esprit de jouissance" responsable de la défaite. Vouées aux gémonies par l'Etat français, la République, cette "gueuse", et la Marianne, son allégorie, "revêtent les contours du féminin". (cf 1 p302) Or, il en va de même pour Vichy et la collaboration. "Parce qu'elle renvoie aux stéréotypes de la soumission comme aux fantasmes de la domination, et bien entendu à la réalité d'une présence allemande composée d'hommes dans un pays où plus de deux millions d'entre eux (prisonniers, travailleurs volontaires, requis) sont justement absents, la collaboration est aussi perçue à travers le prisme d'une vision sexuée." (cf 1 p302)
La Libération en revanche est placée sous le sceau de la virilité. Les violences exercées contre ces "mauvaises femmes" signent le retour des hommes dans les foyers. "Les tontes participent à l'affirmation d'une domination masculine" (cf 1 p271), à une réappropriation du corps des femmes par l'ensemble de la communauté.
Aux femmes tondues, on oppose "la Française" digne, gardienne du foyer, mère et épouse attentive. On en revient donc à une répartition traditionnelle des rôles. Par un curieux paradoxe, ce retour en force d'une conception patriarcale et conservatrice des relations hommes/femmes intervient au moment même où les Françaises acquièrent enfin une pleine citoyenneté (droit de vote instauré en 1944).
Accusée d'avoir entretenu une relation avec un officier allemand, Marcelle Polge et tondue, puis exécutée. Ce drame ruine un peu plus la thèse des historiens qui considèrent que les tontes auraient canalisé la violence de la Libération et donc sauvé de nombreuses vies. Des tondues sont parfois exécutées (même si cela reste très rare). En outre, les exécutions sommaires des collaborateurs se déroulent alors même que l'on "coiffe".
* De coupables à victimes.
Les témoignages de tondues s'avèrent extrêmement rares. Ce mutisme s'explique sans doute par la difficulté d'évoquer la sexualité pour des femmes au statut incertain, perçues successivement comme coupables, puis victimes. Certes, la tonte en elle même ne constitue pas une violence extrême, mais elle s'accompagne d'injures et d'humiliations multiples. Les séquelles psychologiques ne doivent pas être négligées. "Le suicide, la fuite, la réclusion et la résignation sont les quatre marques de l'après tonte." (cf 1 p149)
Aussi les femmes tondues tentent surtout de faire oublier leur châtiment et ne se racontent pas. Le Chagrin et la pitié (1971) évoque de manière détournée (par l'entremise de la chanson de Brassens) l'une d'entre elles. Et il faudra attendre les commémorations du soixantième anniversaire de la Libération en 2004 pour recueillir quelques témoignages.
Dans ces conditions, la connaissance des tontes de la Libération est tributaire de leur représentation. Or, Julie Desmarais, auteure d'un ouvrage récent sur cet aspect ("Femmes tondues. France-Libération. Coupables, amoureuses, victimes" voir source 7) souligne à quel point "le décalage entre l'événement et sa représentation est important".
Lors du châtiment, la culpabilité de la tondue, traitresse à sa patrie, ne fait aucun doute. Très vite néanmoins, l'humiliation subie par ces femmes suscite le malaise. Certaines voix s'élèvent contre cette pratique indigne de la Résistance, qui risque même de lui porter préjudice. L'une des premières condamnations vient de Paul Eluard, avec le poème «Comprenne qui voudra», qu'il écrit en août 1944, mais publié seulement en décembre. La critique se poursuit durant l'après-guerre, percevant les tondues avant tout comme des victimes. Le film «Hiroshima mon amour» (1959), met ainsi en scène "une femme tondue à Nevers, en 1944, à vingt ans. Son premier amant était un Allemand. Tué à la Libération. Elle est restée dans une cave, (...) c’est seulement quand Hiroshima est arrivé qu’elle a été assez décente pour sortir de cette cave et se mêler à la foule en liesse des rues. » [Marguerite Duras, Synopsis, Hiroshima mon amour]
La chanson «La tondue» de Georges Brassens s'inscrit dans cette veine.
De 1970 à 2005, J. Desmarais décèle une évolution sensible puisque les œuvres littéraires et scientifiques décrivent les tondues comme des femmes amoureuses, victimes des excès du temps. L'image de la tondue aujourd'hui se situe donc aux antipodes de celle qui prévalait à l'époque.
Femme d'un collaborateur tondue lors de la Libération de Marseille, le 23 août 1944. (Photographe: Carl Mydans).
* "La tondue" de Brassens.
Brassens quitte Sète pour Paris en janvier 1940 et s'installe chez sa tante Antoinette, rue d'Alésia. Comme requis du STO, il part pour l'Allemagne au printemps 1943 et travaille dans une usine BMW, à Basdorf, près de Berlin. En mars 1944, il profite d'une "permission" pour se réfugier impasse Florimont, chez Marcel Planche et Jeanne Le Bonniec, amie couturière de sa tante, qu'il apprécie beaucoup. Considéré comme déserteur, il vit cloîtré dans sa chambre dans un grand dénuement.
A la Libération, Brassens peut enfin sortir de son antre et se trouve confronté à des scènes qu'il raconte ainsi (voir témoignage vidéo ici):
"On passait avec des hauts-parleurs disant:'Ce soir le spectacle commence à telle heure'; on exposait des femmes et c'était un truc insupportable, toutes ces femmes qu'on voulait tondre. [...] On ne reprochait à personne, par exemple, d'avoir couché avec une Allemande. On les tondait pas, les mecs qui s'étaient tapé des Allemandes. (...) c'était très mal vu de coucher avec un Allemand, mais c'était très bien vu de coucher avec une Allemande. Et c'est une des raisons pour lesquelles je ne regrette pas de ne pas avoir participé, même de très loin, à cela." (cf 11)
Cette expérience lui inspire vint ans plus tard "la tondue", morceau dans lequel il raconte une tonte. En pleine période gaulliste, et alors que le mythe résistancialiste bat son plein, la chanson choque, d'autant plus qu'elle se trouve sur le même album que "les deux oncles". A rebours du discours gaullien qui exalte la geste résistante, Brassens y chante qu'il "est fou de perdre la vie pour des idées."
La tondue s'inscrit parfaitement dans le répertoire d'un chanteur qui a toujours pris la défense des parias, des marginaux, de ceux que la société rejette (Complainte de la fille de joie, Stances à un cambrioleur, le Mauvais sujet repenti). On retrouve ici sa défiance à l'égard de la justice des hommes (qu'elle soit institutionnalisée ou sommaire).
Il accorde donc sa sympathie à celle qui a eu le tort de coucher avec un soldat allemand ("le roi de Prusse") pour des motifs sentimentaux ("ich liebe dich", "je t'aime" dans la langue de Goethe). En guise de croix de guerre, et en solidarité avec la malheureuse tondue, il arbore l'accroche-coeur perdu par cette dernière. Antimilitariste et foncièrement pacifiste, Brassens se moque au passage des breloques ridicules que s'accrochent les anciens combattants pour plastronner. Il n'éprouve que mépris pour les pseudo-patriotes qui se drapent des beaux atours de la Révolution pour leurs sordides vengeances ("Les braves sans-culott's et les bonnets phrygiens (...) ont livré sa crinière à un tondeur de chien").
En même temps, il avoue aussi son impuissance face aux "coupeurs de cheveux en quatre" ("J'aurais dû prendre un peu parti pour sa toison (...) /Mais je n'ai pas bougé du fond de ma torpeur").
Dans son ultime roman, "Les cerfs-volants", Romain Gary fait dire à son personnage qui vient de découvrir, impuissant, son amoureuse tondue: "Les gens s'écartaient: c'était fait, accompli, on avait fait payer à la 'petite' ses coucheries avec l'occupant. Plus tard, lorsque je pus penser, ce qui demeura, au-delà de l'horreur, ce fut le souvenir de tous ces visages familiers que je connaissais depuis mon enfance: ce n'étaient pas des monstres. Et c'est bien cela qui était monstrueux." (12)
Georges Brassens: "la tondue" (1964)
La belle qui couchait avec le roi de Prusse
Avec le roi de Prusse
A qui l'on a tondu le crâne rasibus
Le crâne rasibus
Son penchant prononcé pour les " ich liebe dich ",
Pour les " ich liebe dich "
Lui valut de porter quelques cheveux postich's
Quelques cheveux postich's
Les braves sans-culott's et les bonnets phrygiens
Et les bonnets phrygiens
Ont livré sa crinière à un tondeur de chiens
A un tondeur de chiens
J'aurais dû prendre un peu parti pour sa toison
Parti pour sa toison
J'aurais dû dire un mot pour sauver son chignon
Pour sauver son chignon
Mais je n'ai pas bougé du fond de ma torpeur
Du fond de ma torpeur
Les coupeurs de cheveux en quatre m'ont fait peur
En quatre m'ont fait peur
Quand, pire qu'une brosse, elle eut été tondue
Elle eut été tondue
J'ai dit : " C'est malheureux, ces accroch'-cœur perdus
Ces accroch'-cœur perdus "
Et, ramassant l'un d'eux qui traînait dans l'ornière
Qui traînait dans l'ornière
Je l'ai, comme une fleur, mis à ma boutonnière
Mis à ma boutonnière
En me voyant partir arborant mon toupet
Arborant mon toupet
Tous ces coupeurs de natt's m'ont pris pour un suspect
M'ont pris pour un suspect
Comme de la patrie je ne mérite guère
Je ne mérite guère
J'ai pas la Croix d'honneur, j'ai pas la croix de guerre
J'ai pas la croix de guerre
Et je n'en souffre pas avec trop de rigueur
Avec trop de rigueur
J'ai ma rosette à moi: c'est un accroche-cœur
C'est un accroche-cœur
Sources:
1. Fabrice Virgili "La France virile, les femmes tondues à la Libération", Payot, 2000. Remarquable travail qui a permis de renouveler notre connaissance et notre compréhension du phénomène des tontes. La démonstration de l'auteur s'avère particulièrement convaincante.
2. "Les tontes de la Libération en France" par Fabrice Virgili (IHTP).
3. Fabrice Virgili: "Les tondues à la Libération: le corps des femmes: enjeu d'une réappropriation", Clio-revue.org.
4. Compte-rendu de lecture du livre de Fabrice Virgili "La France virile, les femmes tondues à la Libération" par Patrick Parodi sur le site de La Durance.
5. Compte rendu du livre "la France virile" de Fabrice Virgili dans l'Histoire (n°250).
6. Frédéric Baillette:"Organisations pileuses et positions politiques. A propos de démêlés idéologiquo-capillaires", (p 130-134) in Revue Quasimodo.
7. Julie Desmarais: "Femmes tondues. France-Libération. Coupables, amoureuses, victimes.", Presse Université Laval, 2011.
8. Renée Larochelle:"Le silence des agnelles".
9. Intervention de Bénédicte Vergez-Chaignon et Henry Rousso dans l'émission La Fabrique de l'histoire sur France Culture le 14 octobre 2010 (en écoute sur le site).
10 Julian Jackson:"La France sous l'occupation (1940-1944)", Flammarion, 2004.
11. Chloé Radiguet: "Brassens à la lettre", Denoël, 2006.
12. Romain Gary: "Les cerfs-volants", folio, Gallimard, 1980. p356
Liens:
- Analyse Brassens.
- Schéma sur l'épuration en France (site du collège Truffaut d'Asnières sur Seine).
- Sur les tontes des femmes républicaines pendant la guerre d'Espagne, voir le très intéressant article de Yannick Ripa sur Clio revues.org
Pourquoi la tonte a-t-elle représenté le châtiment des femmes par excellence ?
Femme tondue photographiée devant l'entrée principale du palais de justice de Bergerac (24), septembre 1944.
* Une pratique massive.
Le phénomène, massif, aurait touché environ 20 000 personnes dans toutes les régions de France, que ces territoires aient été libérés par les armées alliées ou par la Résistance. Des mentions de tontes se retrouvent dans 77 départements sur les 90 de l'époque. Elles se déroulent aussi bien dans les grandes villes qu'en zone rurale. L'extension du phénomène est telle que le journal La Libération de l'Aunis et de la Saintonge évoque des gamins qui, par mimétisme, " jouent au maquis (...) [et] 'tondent' trois petites filles".
En certains lieux, le nombre de victimes s'avère d'ailleurs considérable: 80 femmes à Beauvais le jour de la Libération, une trentaine à Chatou... De véritables cortèges de tondues sont attestés dans plusieurs villes françaises.
Les tontes n'ont donc rien de marginales et ne sauraient être attribuées à un mouvement spontané, une éruption de violence vite refermée une fois la libération du territoire effective. Elles s'imposent comme un événement à part entière, ayant sa propre dynamique.
Célèbre cliché de Robert Capa. Chartres vient d'être libérée ce 18 août 1944. Une femme tondue porte un nourrisson dans ses bras et marche au milieu d'une foule moqueuse qui semble la harceler. Un gendarme la précède, ce qui confère à la scène un semblant de légalité. A l'arrière plan, la rue pavoisée de drapeaux tricolores.
* Un phénomène immédiat et prolongé.
F. Virgili note que "la recherche et le châtiment des 'collaborations horizontales' sont simultanés à la prise de contrôle du territoire communal." (cf 2) Alors même que les troupes ennemies représentent toujours un danger, les tontes revêtent un caractère urgent et prioritaire. Or cette pratique est décelable dans l'ensemble du pays, pourtant très fragmenté. Rappelons en outre que la guerre se poursuit. Les tontes ont alors un rôle préventif en visant celles qui seraient susceptibles de fournir des informations en cas de retour de l'ennemi. La hantise d'une cinquième colonne joue à plein (cf 9).
Les tontes de la Libération ne surprennent personne puisqu'elles ont été largement préméditées pendant l'Occupation. Très tôt des tracts clandestins menacent celles qui se donneraient à l'ennemi. Aussi, lors de la Libération, ce châtiment s'impose comme allant de soi.
Les premières tontes se déroulent d'ailleurs dès 1943 (première mention en juin), quand la collaboration s'identifie de plus en plus à la trahison. Elles sont le fait de groupes résistants qui l'utilisent comme moyen pour faire passer la peur dans l'autre camp. Menées discrètement de nuit, ces opérations visent des collaborateurs.
Le phénomène connaît néanmoins son plein essor lors des journées de la Libération et décroît inégalement selon les lieux, sans disparaître totalement au cours de l'hiver 1944-45.
Le retour des déportés, des prisonniers de guerre, des requis du STO, mais aussi des travailleurs volontaires et des collaborateurs réfugiés en Allemagne provoque une résurgence de cette pratique en mai-juin 1945. La découverte de l'horreur des camps constitue en outre un véritable choc. La volonté d'une épuration en profondeur est relancée. Celles qui avaient échappé à l'épuration en fuyant en Allemagne, mais aussi les femmes arrêtées lors de la Libération et relâchées alors, sont l'objet de tontes. Ces dernières viennent compléter une épuration légale jugée trop clémente.
Une "épuration extra-judiciaire rampante" (cf 3) , plus clandestine, se poursuit jusqu'au début de l'année 1946. Mais aux lendemains de la seconde vague de tontes (mai-juin 1945), la réprobation semble l'emporter. En outre, les autorités, désormais bien établies, poursuivent ces exactions de manière systématique. C'est en février 1946, en Savoie, que l'on trouve la dernière mention d'une tonte.
La tondue de Chartres par Robert Capa.
* La punition des femmes.
Toutes les catégories sociales et socioprofessionnelles sont touchées. Néanmoins, si il fallait dresser le portrait type d'une tondue, elle serait plutôt jeune, célibataire, ayant une activité professionnelle la plaçant parfois en contact avec des Allemands (lingères, commerçantes, institutrices dont l'appartement de fonction jouxte souvent celui requis par les autorités militaires). D'une manière générale, la suspicion semble peser surtout sur celles qui échappent à la surveillance communautaire, familiale ou professionnelle.
La tonte apparaît comme une violence spécifique visant les femmes, indépendamment de la nature du crime reproché. Elle sanctionne toutes les formes de collaboration perpétrées par des femmes et pas seulement la « collaboration horizontale » (les relations intimes sont reprochées à 57% des femmes tondues. cf 1 p 23]. La dénonciation d'un résistant (6% des femmes), l'engagement dans une organisation de collaboration (8%), un travail pour les Allemands (15%) peuvent aussi entraîner l'ablation des cheveux. Seulement, les accusations de relation sexuelles avec l'ennemi sont uniquement reprochées aux femmes. Les quelques hommes tondus le sont pour d'autres motifs.
"La construction d'une image érotisée des 'tondues'" (cf 3) impose l'idée que la tonte est le châtiment exclusif des relations sexuelles avec l'ennemi. La rumeur publique se charge de forger la réputation de ces "femmes de mauvaise vie" qui semblent mener une "vie de débauche".
Cortège de femmes tondues, exhibées sur un char et promenées dans les rues de Cherbourg le 14 juillet. Une pancarte tenue à bout de bras signale "le char des collaboratrices".
* Un châtiment nécessaire.
Lors de la Libération, la légitimité de cette pratique se constitue simultanément aux tontes et apparaît aux yeux du plus grand nombre comme "un châtiment proportionné, juste, efficace et nécessaire" (2). Les autorités, souvent inexistantes ou encore fragiles, adoptent une attitude ambigüe. Elles n' initient pas le mouvement, mais laisse-faire. La presse, quant à elle relate (parfois avec bienveillance) les premiers cas, mais ne lance pas d'appel incitant à s'en prendre aux "filles-à-boches". Lorsque des policiers ou gendarmes sont présents, ils semblent avant tout calquer leur attitude sur celle de la majorité.
Pour comprendre la large adhésion dont bénéficie cette pratique _sinon comment comprendre son extension?_ il convient de se replacer dans le contexte des tontes et de les mettre en balance avec les exactions nazies au cours de l'occupation. Les violences subies légitiment le recours à la vengeance. On peut ainsi lire dans l'écho de la Corrèze du 14 septembre 1944: "Notre conscience de civilisé se fut autrefois révoltée contre cette formule de répression spectaculaire digne d'un autre temps. [...] Mais notre indignation fut telle au cours de ces quatre années qu'aujourd'hui notre colère explose."
Il s'agit dans cette optique de punir celles qui auraient échappé, grâce à leur fréquentation des Allemands, aux souffrances communes, aux privations. Le Département, l'organe du Comité de Libération de Châteauroux peut ainsi se réjouir: "les beaux cheveux de quelques unes sont tombés. C'est tant mieux, à chacun son tour de souffrir." Un journal de la Résistance brocarde ces femmes qui auraient pris du bon temps s'excluant des souffrances de la collectivité:"Aucune de ces femmes , dans leurs pâmoisons, n'a pensé un seul instant aux souffrances des nôtres, pas plus qu'en sablant le champagne avec les Boches elles n'ont espéré un jour la victoire de la France." (cf 10)
Dans cette période de profonde recomposition des relations entre les sexes, le corps de la femme apparaît comme un territoire ennemi à reconquérir. Les tontes permettent par le châtiment des femmes de « laver la souillure » du pays. Reprenant à leur compte la rhétorique utilisée par la Révolution nationale pour fustiger le Front populaire, beaucoup souhaitent "nettoyer" le pays, extirper les éléments gangréneux ayant entraîné sa "décadence". (l'Occupation est alors envisagée comme l'accentuation du long déclin national entamé dans les années trente). "Embochis", ceux qui ont fréquenté les Allemands ne peuvent plus être considérés comme des Français. On fustige donc l'irresponsabilité de celles qui se sont données à l'ennemi. Leur corps, objet du délit, doit être châtié et porter le châtiment. La chevelure, vecteur essentiel de la séduction féminine, est sacrifiée. La tête rasée symbolise la trahison. Ce marquage infamant devient stigmate et entraîne l'exclusion de la vie sociale, en tout cas jusqu'à la repousse des cheveux.
Femme tondue portant un écriteau sur lequel est inscrit: "a fait fusiller son mari". Photo extraite du journal le Crapouillot n°32, "la Libération sans bobards", automne 1974 (ce journal satirique est alors contrôlé par l'extrême droite). Les photos s'intègrent dans le déroulement de la tonte et donne lieu à de véritables mises en scène.
* un châtiment expiatoire.
La tonte a pour vocation première de punir, d'épurer. Elle permet à la communauté urbaine ou villageoise de participer à cet événement de proximité.
F. Virgili note que "les tontes s'intègrent dans un système d'affirmation de la collectivité et de construction d'une nouvelle identité commune". Aussi, lors de la Libération, une majorité des tontes sont pratiquées dans des lieux publics qu'on se réapproprie [les rues (dans 41,9% des cas), les places (20,8%) ou devant les mairies et préfectures (18,3%) cf 1 p 288]. Elles marquent alors la libération d'un territoire souillé par la présence allemande.
Tonte lors de la Libération dans la région de Marseille, le 23 août 1944. Une foule importante assiste à la coupe des cheveux. Juchée sur une estrade, la tondue est exposée et visible de loin. (Photographe: Carl Mydans)
La coupe des cheveux devient spectacle et se déroule souvent en présence de la foule. "Pour que la tonte joue son rôle de châtiment expiatoire et de ciment communautaire, elle doit être ostentatoire." (cf 2) La présence de la foule est indispensable pour que le châtiment existe. Cette forme de violence modérée (au moins d'un point de vue physiologique) paraît acceptable, au moins pour un temps, et permet à la communauté de se ressouder. Pour la première fois depuis le début du conflit, une fusion se réalise entre les Résistants et la population qui a alors l'occasion d'exercer une violence contre l'ennemi et ses complices. Rappelons que les violences subies antérieurement paraissent justifier les tontes aux yeux de beaucoup. Mélinée Manouchian, témoins d'un lynchage explique par exemple: "La scène était à peine supportable, mais je ne pouvais en vouloir à ces gens que la guerre avait défiguré. Par leur attitude cruelle, ils tentaient de racheter l'honneur qu'on leur avait ravi: ils avaient besoin de venger ce que le nazisme avait fait d'eux."
Femmes tondues à la Libération (1944) (Photo : Vanity Fair © Hulton-Deutsch Collection/Corbis)
* Le retour de la France virile.
Les tontes mettent aussi en évidence la question des relations hommes/femmes au cours du conflit. La déroute des armées françaises en 1940 marque la faillite des hommes incapables de remplir leur rôle traditionnel de défense de la patrie, identifiée au féminin. La rhétorique vichyssoise fustigea alors la responsabilité des femmes dans le développement d'un "esprit de jouissance" responsable de la défaite. Vouées aux gémonies par l'Etat français, la République, cette "gueuse", et la Marianne, son allégorie, "revêtent les contours du féminin". (cf 1 p302) Or, il en va de même pour Vichy et la collaboration. "Parce qu'elle renvoie aux stéréotypes de la soumission comme aux fantasmes de la domination, et bien entendu à la réalité d'une présence allemande composée d'hommes dans un pays où plus de deux millions d'entre eux (prisonniers, travailleurs volontaires, requis) sont justement absents, la collaboration est aussi perçue à travers le prisme d'une vision sexuée." (cf 1 p302)
La Libération en revanche est placée sous le sceau de la virilité. Les violences exercées contre ces "mauvaises femmes" signent le retour des hommes dans les foyers. "Les tontes participent à l'affirmation d'une domination masculine" (cf 1 p271), à une réappropriation du corps des femmes par l'ensemble de la communauté.
Aux femmes tondues, on oppose "la Française" digne, gardienne du foyer, mère et épouse attentive. On en revient donc à une répartition traditionnelle des rôles. Par un curieux paradoxe, ce retour en force d'une conception patriarcale et conservatrice des relations hommes/femmes intervient au moment même où les Françaises acquièrent enfin une pleine citoyenneté (droit de vote instauré en 1944).
Accusée d'avoir entretenu une relation avec un officier allemand, Marcelle Polge et tondue, puis exécutée. Ce drame ruine un peu plus la thèse des historiens qui considèrent que les tontes auraient canalisé la violence de la Libération et donc sauvé de nombreuses vies. Des tondues sont parfois exécutées (même si cela reste très rare). En outre, les exécutions sommaires des collaborateurs se déroulent alors même que l'on "coiffe".
* De coupables à victimes.
Les témoignages de tondues s'avèrent extrêmement rares. Ce mutisme s'explique sans doute par la difficulté d'évoquer la sexualité pour des femmes au statut incertain, perçues successivement comme coupables, puis victimes. Certes, la tonte en elle même ne constitue pas une violence extrême, mais elle s'accompagne d'injures et d'humiliations multiples. Les séquelles psychologiques ne doivent pas être négligées. "Le suicide, la fuite, la réclusion et la résignation sont les quatre marques de l'après tonte." (cf 1 p149)
Aussi les femmes tondues tentent surtout de faire oublier leur châtiment et ne se racontent pas. Le Chagrin et la pitié (1971) évoque de manière détournée (par l'entremise de la chanson de Brassens) l'une d'entre elles. Et il faudra attendre les commémorations du soixantième anniversaire de la Libération en 2004 pour recueillir quelques témoignages.
Dans ces conditions, la connaissance des tontes de la Libération est tributaire de leur représentation. Or, Julie Desmarais, auteure d'un ouvrage récent sur cet aspect ("Femmes tondues. France-Libération. Coupables, amoureuses, victimes" voir source 7) souligne à quel point "le décalage entre l'événement et sa représentation est important".
Lors du châtiment, la culpabilité de la tondue, traitresse à sa patrie, ne fait aucun doute. Très vite néanmoins, l'humiliation subie par ces femmes suscite le malaise. Certaines voix s'élèvent contre cette pratique indigne de la Résistance, qui risque même de lui porter préjudice. L'une des premières condamnations vient de Paul Eluard, avec le poème «Comprenne qui voudra», qu'il écrit en août 1944, mais publié seulement en décembre. La critique se poursuit durant l'après-guerre, percevant les tondues avant tout comme des victimes. Le film «Hiroshima mon amour» (1959), met ainsi en scène "une femme tondue à Nevers, en 1944, à vingt ans. Son premier amant était un Allemand. Tué à la Libération. Elle est restée dans une cave, (...) c’est seulement quand Hiroshima est arrivé qu’elle a été assez décente pour sortir de cette cave et se mêler à la foule en liesse des rues. » [Marguerite Duras, Synopsis, Hiroshima mon amour]
La chanson «La tondue» de Georges Brassens s'inscrit dans cette veine.
De 1970 à 2005, J. Desmarais décèle une évolution sensible puisque les œuvres littéraires et scientifiques décrivent les tondues comme des femmes amoureuses, victimes des excès du temps. L'image de la tondue aujourd'hui se situe donc aux antipodes de celle qui prévalait à l'époque.
Femme d'un collaborateur tondue lors de la Libération de Marseille, le 23 août 1944. (Photographe: Carl Mydans).
* "La tondue" de Brassens.
Brassens quitte Sète pour Paris en janvier 1940 et s'installe chez sa tante Antoinette, rue d'Alésia. Comme requis du STO, il part pour l'Allemagne au printemps 1943 et travaille dans une usine BMW, à Basdorf, près de Berlin. En mars 1944, il profite d'une "permission" pour se réfugier impasse Florimont, chez Marcel Planche et Jeanne Le Bonniec, amie couturière de sa tante, qu'il apprécie beaucoup. Considéré comme déserteur, il vit cloîtré dans sa chambre dans un grand dénuement.
A la Libération, Brassens peut enfin sortir de son antre et se trouve confronté à des scènes qu'il raconte ainsi (voir témoignage vidéo ici):
"On passait avec des hauts-parleurs disant:'Ce soir le spectacle commence à telle heure'; on exposait des femmes et c'était un truc insupportable, toutes ces femmes qu'on voulait tondre. [...] On ne reprochait à personne, par exemple, d'avoir couché avec une Allemande. On les tondait pas, les mecs qui s'étaient tapé des Allemandes. (...) c'était très mal vu de coucher avec un Allemand, mais c'était très bien vu de coucher avec une Allemande. Et c'est une des raisons pour lesquelles je ne regrette pas de ne pas avoir participé, même de très loin, à cela." (cf 11)
Cette expérience lui inspire vint ans plus tard "la tondue", morceau dans lequel il raconte une tonte. En pleine période gaulliste, et alors que le mythe résistancialiste bat son plein, la chanson choque, d'autant plus qu'elle se trouve sur le même album que "les deux oncles". A rebours du discours gaullien qui exalte la geste résistante, Brassens y chante qu'il "est fou de perdre la vie pour des idées."
La tondue s'inscrit parfaitement dans le répertoire d'un chanteur qui a toujours pris la défense des parias, des marginaux, de ceux que la société rejette (Complainte de la fille de joie, Stances à un cambrioleur, le Mauvais sujet repenti). On retrouve ici sa défiance à l'égard de la justice des hommes (qu'elle soit institutionnalisée ou sommaire).
Il accorde donc sa sympathie à celle qui a eu le tort de coucher avec un soldat allemand ("le roi de Prusse") pour des motifs sentimentaux ("ich liebe dich", "je t'aime" dans la langue de Goethe). En guise de croix de guerre, et en solidarité avec la malheureuse tondue, il arbore l'accroche-coeur perdu par cette dernière. Antimilitariste et foncièrement pacifiste, Brassens se moque au passage des breloques ridicules que s'accrochent les anciens combattants pour plastronner. Il n'éprouve que mépris pour les pseudo-patriotes qui se drapent des beaux atours de la Révolution pour leurs sordides vengeances ("Les braves sans-culott's et les bonnets phrygiens (...) ont livré sa crinière à un tondeur de chien").
En même temps, il avoue aussi son impuissance face aux "coupeurs de cheveux en quatre" ("J'aurais dû prendre un peu parti pour sa toison (...) /Mais je n'ai pas bougé du fond de ma torpeur").
Dans son ultime roman, "Les cerfs-volants", Romain Gary fait dire à son personnage qui vient de découvrir, impuissant, son amoureuse tondue: "Les gens s'écartaient: c'était fait, accompli, on avait fait payer à la 'petite' ses coucheries avec l'occupant. Plus tard, lorsque je pus penser, ce qui demeura, au-delà de l'horreur, ce fut le souvenir de tous ces visages familiers que je connaissais depuis mon enfance: ce n'étaient pas des monstres. Et c'est bien cela qui était monstrueux." (12)
Georges Brassens: "la tondue" (1964)
La belle qui couchait avec le roi de Prusse
Avec le roi de Prusse
A qui l'on a tondu le crâne rasibus
Le crâne rasibus
Son penchant prononcé pour les " ich liebe dich ",
Pour les " ich liebe dich "
Lui valut de porter quelques cheveux postich's
Quelques cheveux postich's
Les braves sans-culott's et les bonnets phrygiens
Et les bonnets phrygiens
Ont livré sa crinière à un tondeur de chiens
A un tondeur de chiens
J'aurais dû prendre un peu parti pour sa toison
Parti pour sa toison
J'aurais dû dire un mot pour sauver son chignon
Pour sauver son chignon
Mais je n'ai pas bougé du fond de ma torpeur
Du fond de ma torpeur
Les coupeurs de cheveux en quatre m'ont fait peur
En quatre m'ont fait peur
Quand, pire qu'une brosse, elle eut été tondue
Elle eut été tondue
J'ai dit : " C'est malheureux, ces accroch'-cœur perdus
Ces accroch'-cœur perdus "
Et, ramassant l'un d'eux qui traînait dans l'ornière
Qui traînait dans l'ornière
Je l'ai, comme une fleur, mis à ma boutonnière
Mis à ma boutonnière
En me voyant partir arborant mon toupet
Arborant mon toupet
Tous ces coupeurs de natt's m'ont pris pour un suspect
M'ont pris pour un suspect
Comme de la patrie je ne mérite guère
Je ne mérite guère
J'ai pas la Croix d'honneur, j'ai pas la croix de guerre
J'ai pas la croix de guerre
Et je n'en souffre pas avec trop de rigueur
Avec trop de rigueur
J'ai ma rosette à moi: c'est un accroche-cœur
C'est un accroche-cœur
Sources:
1. Fabrice Virgili "La France virile, les femmes tondues à la Libération", Payot, 2000. Remarquable travail qui a permis de renouveler notre connaissance et notre compréhension du phénomène des tontes. La démonstration de l'auteur s'avère particulièrement convaincante.
2. "Les tontes de la Libération en France" par Fabrice Virgili (IHTP).
3. Fabrice Virgili: "Les tondues à la Libération: le corps des femmes: enjeu d'une réappropriation", Clio-revue.org.
4. Compte-rendu de lecture du livre de Fabrice Virgili "La France virile, les femmes tondues à la Libération" par Patrick Parodi sur le site de La Durance.
5. Compte rendu du livre "la France virile" de Fabrice Virgili dans l'Histoire (n°250).
6. Frédéric Baillette:"Organisations pileuses et positions politiques. A propos de démêlés idéologiquo-capillaires", (p 130-134) in Revue Quasimodo.
7. Julie Desmarais: "Femmes tondues. France-Libération. Coupables, amoureuses, victimes.", Presse Université Laval, 2011.
8. Renée Larochelle:"Le silence des agnelles".
9. Intervention de Bénédicte Vergez-Chaignon et Henry Rousso dans l'émission La Fabrique de l'histoire sur France Culture le 14 octobre 2010 (en écoute sur le site).
10 Julian Jackson:"La France sous l'occupation (1940-1944)", Flammarion, 2004.
11. Chloé Radiguet: "Brassens à la lettre", Denoël, 2006.
12. Romain Gary: "Les cerfs-volants", folio, Gallimard, 1980. p356
Liens:
- Analyse Brassens.
- Schéma sur l'épuration en France (site du collège Truffaut d'Asnières sur Seine).
- Sur les tontes des femmes républicaines pendant la guerre d'Espagne, voir le très intéressant article de Yannick Ripa sur Clio revues.org
13 commentaires:
Autre source d'information : l'émission "Là-bas si j'y suis" du 3 décembre 2003, constitué de témoignages de femmes tondues. http://www.la-bas.org/article.php3?id_article=117
E.P.
Merci pour le lien.
J.B.
Juste merci pour ces eclaircissements. Oui l'histoire est toujours complexe...
A-t-on une idée d'où est sortie cette pratique barbare ?
Pour ma part, ma mère à assisté à la tonte de sa grand-mère à elle et à sa promenade à travers le village. Sauf que c'était pas dans la joie que cela se passait. Les hommes on les passait à l'huile de ricin en attachant le bas des pantalons avec une ficelle... Avant de le fusiller le plus souvent. C'était durant l'été 36, dans le sud de l'espagne.
Une tondue est d'ailleurs l'une des héroines de "pour qui sonne le glas" du grand Hémingway. Pour qui veut des détails.
Des cas existe depuis fort longtemps.
Pour le XX° siècle et dans des contextes différents, des tontes de femmes sont attestées:
- Dans la République de Weimar, des femmes allemandes sont tondues pour avoir couché avec des Français lors de l'occupation de la Rhénanie et de la Ruhr.
- Sous le IIIème Reich, ce fut le tour de celles qui entretenaient des relations avec des "non-aryens".
- Pendant la guerre d'Espagne, le camp nationaliste pratiqua de manière systématique la tonte des femmes républicaines, accusées d'avoir engendré des républicains!
- Enfin, dans la plupart des pays européens occupés, les femmes accusées de relations sexuelles avec les Allemands eurent à subir des tontes.
Sur les tontes des femmes républicaines pendant la guerre d'Espagne, voir le très intéressant article de Yannick Ripa sur Clio revues.org:
http://clio.revues.org/index523.html
C'est marrant comment pas une seule seconde on ne se dit que ces femmes ont largement mérité leur tonte pour avoir effectivement collaboré... et qu'il n'y a aucune larme à verser sur ces catins...
Et la vrai question serait pourquoi les AUTRES collabos, en particulier les hommes, n'ont pas AUSSI été punis d'une façon ou d'une autre...
Ce que je trouve déguelasse par contre est le fait que parmi les hordes vociférantes qui assistaient aux tontes se trouvaient surement plusieurs qui méritaient encore plus pareil châtiment.
La France semble avoir oublié qu'elle a LARGEMENT collaboré pendant l'occupation, les VRAIS résistants n'étant qu'une pauvre portion congrue.
Un brin simpliste comme vision (surtout à 70 ans de distance) et surtout très nuancé. Le propos ici n'est pas de se transformer en procureur, mais de comprendre ce phénomène.
J.B.
En effet cher JB, très simpliste comme vision. Simplette même.
Car en pleine période de renouveau fasciste, accompagnée d'une extrême droite décomplexée, il convient d'être plus nuancé, de se distancier, bla bla bla, et surtout, de dénigrer les Sans-culottes, diaboliser la Terreur, cracher sur la Commune, réhabiliter la Tondue (pauvre victime de 'hystérie collective et surtout pas collaboratrice ayant mérité son châtiment)...
Bref, refaire l'histoire, la tordre dans tous les sens, la RÉVISER afin qu'elle colle mieux à la Zeitgeist fascisante actuelle, les victimes devenant les bourreaux et vice-versa.
Totalement orwellien...
Cher anonyme.
Expliquez moi où vous voyez un dénigrement des sans-culottes, une diabolisation de la terreur ... et une réhabilitation des tondues?????????
JB
Cher JB,
Dans l'air ambiant, dans l'esprit du temps, dans la nouvelle doxa qui est en train d'émerger. Ouvrez les yeux et les oreilles et vous verrez... si vous le voulez bien sûr car il n'y a pire aveugle que celui qui ne veut pas voir.
Ce texte est en tant que tel parfaitement innocent et même parait bien sympathique. Mais en le replaçant dans le contexte d'une zeitgeist fascisante pan-européenne, on voit bien comment il pourrait être récupéré... malgré toutes les bonnes volontés, i.e. même Noam Chomsky s'est déjà retrouvé récupéré par l'extrême droite.
Et dans son fond, il y a quelque chose d'orwellien à l'angle d'analyse de ces tondues.
En tous les cas, il y a qqch qui fait froid dans le dos.
Cher Anonyme,
Tout à fait d'accord. Consultez par exemple, le phénomène de la respectabilisation des fachos... Bientôt aussi de la tondue?
http://rebellyon.info/Pseudo-journalistes-et-politiciens.html
Anna
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
JB
Cher anonyme,
Que savez-vous de ces femmes que vous qualifiez de "catins" ayant mérité leur châtiment ?
Savez-vous que la moitié d'entre elles était réellement innocente de ce dont on les accusait ? Certaines n'ont fait que de laver la vaisselle des allemands... Si vous aviez le choix entre laisser votre famille mourir de faim ou travailler, que choisiriez-vous ? D'autant plus que la majorité de la France a largement collaboré à cette époque, et l'on reproche hypocritement à ces femmes au sortir de la guerre d'avoir voulu gagner leur vie ? Il est évident que ces agissements peuvent être qualifiés de crimes et d'injustices flagrantes. Il y a bien évidemment eu des femmes qui ont collaboré, mais pas plus que les hommes... où est donc le jugement de ces hommes ? Très peu ont été punis... c'est bien la preuve que ces actes constituaient des actes de vengeance exclusivement réservés à la gente féminine pour avoir oser préférer les allemands aux français... il s'agit-là d'une vengeance patriarcale, les hommes haineux que les femmes puissent mettre-à mal leur virilité et leur égo en choisissant d'autres partenaires. Il était là le réel motif de ces injustices. Les hommes ne supportaient pas l'idée que les femmes puissent jouir librement de leur sexualité (même si beaucoup de ces femmes n'avaient rien fait, c'était l'idée qui circulait...). Elles ont été victimes de l'impuissance des hommes à protéger leur patrie, victime d'une prétendue "virilité" mise à mal...même si cela ne correspond pas du tout à la définition de la virilité... Elles ont été désignées comme responsables des maux de la société dans une misogynie hors norme... les hommes n'ont fait que de se venger sur ces femmes, souvent innocentes... une jalousie extrême a provoqué ces actes. Au lieu de s'en prendre aux véritables coupables de collaboration, ils ont choisit des proies faciles, des bouc-émissaires, à la manière des lâches... Si collaboration il y a eu, ces femmes doivent être jugées dans un tribunal et fusillées si-nécessaire, mais pas sauvagement agressées de la sorte sans aucune forme de procès. Toutes ces ignominies commises l'ont été par excès et prouvent l'injustice de la chose. Et, d'autre part, que signifie la collaboration ? Est-ce livrer des informations aux allemands ou bien coucher par amour avec eux ? Ce que les hommes reprochaient aux femmes ici, c'est de ne pas les avoir préférer aux allemands, tout simplement. Ils n'ont pas accepté le fait que les femmes puissent jouir librement de leur sexualité, sans pour autant être collaboratrices. C'est une vengeance patriarcale pure et simple, c'est l’ego démesuré de ces hommes qui les ont incité à commettre ces actes atroces. Ils ne se sont pas contentés de leur couper les cheveux, comme certains coupables se plaisent à le dire, ils les ont parfois traîné nues devant toute la ville, les ont battu, violé, internées... Même à mon pire ennemi je ne pourrai jamais faire une chose pareille. Ce n'était pas ces femmes les catins sans cœur, c'était bien ces ordures qui cherchaient par dessus-tout un bouc-émissaire facile... lisez l'histoire des pendues de Monterfil, il a été démontré seulement après qu'elles étaient tout à fait innocentes de ce dont elles étaient accusées... Mieux vaut relaxer quelques coupables que de punir des innocents. Mais la haine était tellement grande à l'époque que raisonner une foule au mauvais fond est strictement vain. Par tous ces actes, il est évident que ces femmes ont été victimes d'abus et d'une injustice évidente...
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