Il est plutôt rare qu'une personnalité politique de premier plan fasse directement référence aux succès musicaux du moment. A deux occasions pourtant, des premiers ministres en exercice, s'inspirèrent des paroles des hits de l'heure.
Pour bien saisir la référence aux "cactus" de Dutronc par Georges Pompidou, replongeons-nous dans la préparation des élections présidentielles et législatives de 1965 et 1967.
**************
En décembre 1965 et pour la première fois depuis 1848, les Français doivent élire au suffrage universel direct leur président de la République. Fort de son aura personnel et d'un programme connu (indépendance et grandeur nationales), de Gaulle, persuadé que l'élection s'apparentera à un plébiscite en sa faveur, ne compte pas faire campagne. De son côté, l'opposition redoute un échec cuisant et une élection du président sortant dès le premier tour. Dans ces conditions, les candidats ne se bousculent pas au portillon.
Refusant de cautionner un scrutin auquel il s'est opposé, Pierre Mendès-France refuse par principe de se présenter. Aussi, dès 1963 l'Express, hebdomadaire mendésiste, prend l'initiative de dresser le portrait-robot du candidat idéal d'opposition: "monsieur X". Le Canard enchaîné l'identifie rapidement comme l'homme au "masque Defferre". Député-maire SFIO de Marseille, ce dernier tente alors de mettre sur pied une Fédération démocrate-socialiste inspiré de l'esprit de la Résistance et rassemblant SFIO, radicaux et MRP.(1) Finalement, en raison du manque de soutien et du peu d'empressement de Guy Mollet, leader de la SFIO, à l'appuyer, Gaston Defferre renonce à se présenter.
Le principe de l'élection présidentielle reposant sur une logique bipolaire de confrontation des blocs, les socialistes (SFIO) se rallient à la stratégie d'union de la gauche, et c'est François Mitterrand, ministre à de nombreuses reprises sous la IVème République, qui se mue alors en adversaire nécessaire du général de Gaulle. Ancien de l'UDSR, Mitterrand ne fait alors pas partie de la SFIO et n'est soutenu que par un ensemble de clubs de réflexion. Par sa candidature, il cherche surtout à préparer l'avenir. Il rassemble les organisations qui le soutiennent dans une Fédération de la gauche démocratique et sociale (FGDS) qui regroupe uniquement des formations de gauche, SFIO, radicaux, clubs.
Le SFIO se rallie donc à la solution Mitterrand et ne présente pas de candidat, tout comme le Parti communiste français dont le nouveau secrétaire général, Waldeck-Rochet, souffre d'un déficit de notoriété dans l'opinion.
Les centristes proposent alors leur propre candidat en la personne de Jean Lecanuet qui bénéficie du soutien de quelques radicaux de droite et du MRP moribond.
De Gaulle se réjouit de constater que les anciens opposants à l'élection du président au suffrage universel de 1962 s'affairent tous désormais pour présenter un candidat. En revanche et en dépit de ses espoirs, l'échéance présidentielle place de nouveau les partis au cœur des enjeux politiques. Lui-même n'est-t-il pas le candidat de l'UNR et des républicains indépendants ralliés à Valéry Giscard d'Estaing?
Autre nouveauté de la présidentielle 1965, pour la première fois les sondages et la télévision se placent au cœur de la campagne. Or, si de Gaulle maîtrise parfaitement ce nouveau média, il estime superflu de s'y montrer avant le premier tour. En revanche, l'égalité du temps de parole permet aux autres candidats de contourner le monopole gouvernemental exercé sur l'audiovisuel par de Gaulle, et de se faire connaître des électeurs potentiels. Or, alors que ses adversaires font campagne, de Gaulle pâtit largement de son silence télévisuel comme l'atteste les sondages. (2)
A l'issue du premier tour, le président sortant rassemble 43,7% des suffrages, ses deux principaux adversaires totalisent 48% des voix (Mitterrand: 32,2%, Lecanuet 18,8%). Cette mise en ballotage constitue un véritable choc pour de Gaulle qui réapparaît à la télévision entre les deux tours. Il est finalement réélu président avec 54,5% des voix le 19 décembre 1965.
Certes, de Gaulle l'emporte, mais le score important réalisé par Mitterrand traduit aussi l'incontestable reflux du gaullisme.
Dans l'immédiat, de Gaulle constitue un nouveau gouvernement dirigé une fois de plus (la troisième) par Pompidou. Valéry Giscard d'Estaing, auquel de Gaulle reproche la mauvaise mise en application du plan de stabilisation économique de 1963 et sa mise en ballottage, se voit retirer le ministère des finances au profit de Michel Debré, un fidèle du général.
Ce remaniement provoque la prise de distance de VGE avec le gaullisme. Ulcéré par son éviction, le député auvergnat crée la Fédération des républicains indépendants en mars 1966. Sans basculer dans l'opposition, son groupe réserve désormais son soutien ("oui, mais...").
Compte tenu des résultats de la présidentielle, l'opposition peut espérer l'emporter aux législatives de mars 1967 (une sorte de "troisième tour" 14 mois seulement après la présidentielle) et s'organise en conséquence.
La FGDS de Mitterrand investit un candidat unique par circonscription et passe un accord de désistement avec le PC en faveur du candidat le mieux placé. Les formations politiques et syndicales (3) lancent l'offensive contre le conservatisme social et le "pouvoir personnel" gaullistes.
Au centre, Lecanuet constitue une nouvelle formation politique: le Centre démocrate qui penche nettement à droite.
Pompidou pour sa part défend les institutions de la Vème République et s'appuie sur la prospérité économique. En vue des élections, il fonde le Comité d'action pour la Vè République qui impose l'unité de candidature dans la majorité.
La participation au scrutin s'avère particulièrement élevée. A l'issue du premier tour, le succès des gaullistes ne souffre aucune contestation puisque la majorité rafle plus de 38% des voix. Les communistes rassemblent 22% des suffrages, devant la SFIO (18%) et le Centre démocrate (14%). A priori, le système de scrutin majoritaire, laisse augurer un large succès pour les gaullistes au second tour. Or, il n'en est rien. D'une part, la victoire annoncée contribue à démobiliser une partie de l"'électorat gaulliste. D'autre part, la discipline de vote fonctionne beaucoup mieux à gauche. Par conséquent, les gaullistes et leurs alliés républicains indépendants ne conservent la majorité absolue qu'à un siège près (244 députés sur un total de 487).
Pourtant, en dépit des signes d'agacement de l'opinion, de Gaulle n'entend nullement revenir sur les fondements de sa pratique politique, en particulier la primauté du pouvoir présidentiel. Le général continue par exemple de marginaliser l'Assemblée nationale, transformée en simple chambre d'enregistrement par la voie des ordonnances auxquelles le président recourt pour adopter une série de réformes économiques en début de législature.
De même, le quatrième gouvernement Pompidou, constitué au lendemain des législatives, compte dans ses rangs les hommes-liges du président, Michel Debré et Maurice Couve de Murville, pourtant battus lors des élections. (4) Ce dernier s'installe au quai d'Orsay, mais n'occupe qu'un maroquin sans grand rapport avec les Affaires étrangères qui demeurent la chasse gardée d'un président farouchement accroché à ses "domaines réservés" (politique africaine, Affaires étrangères). En ce domaine, de Gaulle adopte d'ailleurs une attitude particulièrement intransigeante au cours de l'année 1967 (éclat du "Vive le Québec libre "/ considérations sur "Israël, peuple d'élite, sûr de lui-même et dominateur" / attaques contre le dollar...). Autant de prises de positions qui en irritent plus d'un et nourrissent les critiques au sein même de la majorité. En août 1967, l'ancien ministre des finances du général, Valéry Giscard d'Estaing, fustige ainsi l'"exercice solitaire du pouvoir."
Désormais le torchon brûle au sein de la majorité et Pompidou supporte difficilement les reproches qui en émanent: gaullistes "de gauche" lui reprochant une politique conservatrice, Républicains indépendants de VGE de plus en pus critiques. De son côté, l'opposition menée par François Mitterrand participe aux débats houleux et chahutés de l'Assemblée.
C'est dans ce contexte difficile que Pompidou conclut une de ses interventions au Palais Bourbon par la référence au grand succès discographique du moment: "Comme dirait Jacques Dutronc, il y a des cactus." (5)
Depuis l'année précédente en effet, Dutronc chante, sur des paroles de Jacques Lanzmann:
Le monde entier est un cactus
Il est impossible de s'asseoir
Dans la vie, il y a des cactus
Moi je me pique de le savoir
Aïe, aïe, aïe, ouille, aïe, aïe, aïe
Dès lors, et pour de nombreuses années, les journalistes usent et abusent du "cactus" lorsqu'il s'agit d'évoquer le moindre remous dans la majorité (avant de lui préférer le "couac" ou la "polémique").
Peu après la saillie pompidolienne, le chanteur rencontre son épouse à l'occasion d'un dîner organisé par Le Figaro et accepte une invitation du couple présidentiel. Pour l'occasion, Dutronc promet de pousser la chansonnette pour les invités de Matignon. Le facétieux chanteur s'exécute, mais à une telle vitesse que, d'après Françoise Hardy, "cela jeta un froid. Si triées sur le volet qu'elles fussent, les personnes présentes ne comprenaient pas son humour décalé et aspiraient à retrouver ses succès tels qu'elles les appréciaient. Brigitte Bardot me supplia de lui demander de chanter normalement, mais c'était impossible. Quand il eut terminé son tour de chant à la durée réduite au minimum par le rythme infernal qu'il avait cru bon de lui imposer, les Pompidou me prièrent de chanter moi aussi (...). C'était une soirée merveilleusement surréaliste dont je déplore qu'il n'existe aucune trace."
*************
On doit l'autre emprunt, plus récent et anecdotique, à l’inénarrable premier ministre de Jacques Chirac de 2002 à 2005: Jean-Pierre Raffarin. Spécialiste ès formule creuse - les fameuses raffarinades - il reprend à son compte les paroles d'un succès de Lorie sur un plateau de télé en janvier 2005:
"Il y a une jeune chanteuse qui n'est pas tout à fait de ma génération (sic) mais qui parle aujourd'hui de positive attitude. Je vous recommande la positive attitude."
Devant ces paroles d'une infinie sagesse, il semble plus que temps d'achever ce billet.
Notes:
1. le Mouvement républicain populaire fut fondé en 1944 par des démocrates-chrétiens issus de la Résistance. Le mouvement se situe au centre-gauche, mais son électorat est plus modéré.
2. Crédité de 66% d'intentions de vote fin octobre, sa cote tombe au-dessous de 50% fin novembre.
3.Sur le front syndical, un pacte d'unité d'action est conclu entre la CGT et la CFDT.
4. Maurice Couve de Murville et Pierre Messmer aux Affaires étrangères et aux armées.
5. En 1949, de Gaulle prévient celui qui deviendra son premier ministre: "Pompidou, ce n'est pas un nom sérieux. En Auvergne, peut-être [Pompidou est né à Montboudif dans le Cantal], mais pas à Paris! C'est un nom qui a l'air de se moquer du monde. Croyez-moi, Pompidou, vous n'arriverez à rien si vous vous obstinez à garder ce nom là!"
En attendant, la sonorité chantante du patronyme lui vaut les honneurs de plusieurs chansons telles que l'inoubliable "Pom Pom Pidou" de Miguel Cordoba ou encore le "We need you Mr Pompidou" du dénommé Archibald. De même, lors de leur passage à l'Olympia le 16 juin 1969, les Beach Boys modifient le couplet de Barabara Ann et entonnent "pom -pom-pom, pom-pom-pidou".
Sources:
- Jean-Jacques Becker: "Histoire politique de la France depuis 1945", Armand Colin éditeur, 2003.
- Françoise Armand et Fabrice Barthélémy: "Le monde contemporain. L'histoire en Terminale", Seuil, 2004.
- Marie-France Lavarini et Jean-Yves Lhomeau: "Une histoire abracadabrantesque. Abécédaire de la Vème République", Camann-Lévy, 2009.
- Pierre et Jean-Pierre Saka (dir.):"L'histoire de France en chansons", Larousse, 2004.
Pour bien saisir la référence aux "cactus" de Dutronc par Georges Pompidou, replongeons-nous dans la préparation des élections présidentielles et législatives de 1965 et 1967.
**************
En décembre 1965 et pour la première fois depuis 1848, les Français doivent élire au suffrage universel direct leur président de la République. Fort de son aura personnel et d'un programme connu (indépendance et grandeur nationales), de Gaulle, persuadé que l'élection s'apparentera à un plébiscite en sa faveur, ne compte pas faire campagne. De son côté, l'opposition redoute un échec cuisant et une élection du président sortant dès le premier tour. Dans ces conditions, les candidats ne se bousculent pas au portillon.
Refusant de cautionner un scrutin auquel il s'est opposé, Pierre Mendès-France refuse par principe de se présenter. Aussi, dès 1963 l'Express, hebdomadaire mendésiste, prend l'initiative de dresser le portrait-robot du candidat idéal d'opposition: "monsieur X". Le Canard enchaîné l'identifie rapidement comme l'homme au "masque Defferre". Député-maire SFIO de Marseille, ce dernier tente alors de mettre sur pied une Fédération démocrate-socialiste inspiré de l'esprit de la Résistance et rassemblant SFIO, radicaux et MRP.(1) Finalement, en raison du manque de soutien et du peu d'empressement de Guy Mollet, leader de la SFIO, à l'appuyer, Gaston Defferre renonce à se présenter.
L'Express tente de dresser le portrait de Monsieur X, le candidat idéal à opposer au général de Gaulle. |
Le principe de l'élection présidentielle reposant sur une logique bipolaire de confrontation des blocs, les socialistes (SFIO) se rallient à la stratégie d'union de la gauche, et c'est François Mitterrand, ministre à de nombreuses reprises sous la IVème République, qui se mue alors en adversaire nécessaire du général de Gaulle. Ancien de l'UDSR, Mitterrand ne fait alors pas partie de la SFIO et n'est soutenu que par un ensemble de clubs de réflexion. Par sa candidature, il cherche surtout à préparer l'avenir. Il rassemble les organisations qui le soutiennent dans une Fédération de la gauche démocratique et sociale (FGDS) qui regroupe uniquement des formations de gauche, SFIO, radicaux, clubs.
Le SFIO se rallie donc à la solution Mitterrand et ne présente pas de candidat, tout comme le Parti communiste français dont le nouveau secrétaire général, Waldeck-Rochet, souffre d'un déficit de notoriété dans l'opinion.
Les centristes proposent alors leur propre candidat en la personne de Jean Lecanuet qui bénéficie du soutien de quelques radicaux de droite et du MRP moribond.
De Gaulle se réjouit de constater que les anciens opposants à l'élection du président au suffrage universel de 1962 s'affairent tous désormais pour présenter un candidat. En revanche et en dépit de ses espoirs, l'échéance présidentielle place de nouveau les partis au cœur des enjeux politiques. Lui-même n'est-t-il pas le candidat de l'UNR et des républicains indépendants ralliés à Valéry Giscard d'Estaing?
Autre nouveauté de la présidentielle 1965, pour la première fois les sondages et la télévision se placent au cœur de la campagne. Or, si de Gaulle maîtrise parfaitement ce nouveau média, il estime superflu de s'y montrer avant le premier tour. En revanche, l'égalité du temps de parole permet aux autres candidats de contourner le monopole gouvernemental exercé sur l'audiovisuel par de Gaulle, et de se faire connaître des électeurs potentiels. Or, alors que ses adversaires font campagne, de Gaulle pâtit largement de son silence télévisuel comme l'atteste les sondages. (2)
A l'issue du premier tour, le président sortant rassemble 43,7% des suffrages, ses deux principaux adversaires totalisent 48% des voix (Mitterrand: 32,2%, Lecanuet 18,8%). Cette mise en ballotage constitue un véritable choc pour de Gaulle qui réapparaît à la télévision entre les deux tours. Il est finalement réélu président avec 54,5% des voix le 19 décembre 1965.
Malgré les 5% recueillis par l'avocat d'extrême-droite Jean-Louis Tixier-Vignancour, l'élection se joue entre trois candidats: de Gaulle bien sûr, Lecanuet, qui représente de la "droite d'opposition" et Mitterrand, candidat unique de la gauche. [Infographie du Parisien.fr] |
Certes, de Gaulle l'emporte, mais le score important réalisé par Mitterrand traduit aussi l'incontestable reflux du gaullisme.
Dans l'immédiat, de Gaulle constitue un nouveau gouvernement dirigé une fois de plus (la troisième) par Pompidou. Valéry Giscard d'Estaing, auquel de Gaulle reproche la mauvaise mise en application du plan de stabilisation économique de 1963 et sa mise en ballottage, se voit retirer le ministère des finances au profit de Michel Debré, un fidèle du général.
Ce remaniement provoque la prise de distance de VGE avec le gaullisme. Ulcéré par son éviction, le député auvergnat crée la Fédération des républicains indépendants en mars 1966. Sans basculer dans l'opposition, son groupe réserve désormais son soutien ("oui, mais...").
Compte tenu des résultats de la présidentielle, l'opposition peut espérer l'emporter aux législatives de mars 1967 (une sorte de "troisième tour" 14 mois seulement après la présidentielle) et s'organise en conséquence.
La FGDS de Mitterrand investit un candidat unique par circonscription et passe un accord de désistement avec le PC en faveur du candidat le mieux placé. Les formations politiques et syndicales (3) lancent l'offensive contre le conservatisme social et le "pouvoir personnel" gaullistes.
Au centre, Lecanuet constitue une nouvelle formation politique: le Centre démocrate qui penche nettement à droite.
Pompidou pour sa part défend les institutions de la Vème République et s'appuie sur la prospérité économique. En vue des élections, il fonde le Comité d'action pour la Vè République qui impose l'unité de candidature dans la majorité.
Pompidou lors de la campagne pour les élections législatives de mars 1967. |
La participation au scrutin s'avère particulièrement élevée. A l'issue du premier tour, le succès des gaullistes ne souffre aucune contestation puisque la majorité rafle plus de 38% des voix. Les communistes rassemblent 22% des suffrages, devant la SFIO (18%) et le Centre démocrate (14%). A priori, le système de scrutin majoritaire, laisse augurer un large succès pour les gaullistes au second tour. Or, il n'en est rien. D'une part, la victoire annoncée contribue à démobiliser une partie de l"'électorat gaulliste. D'autre part, la discipline de vote fonctionne beaucoup mieux à gauche. Par conséquent, les gaullistes et leurs alliés républicains indépendants ne conservent la majorité absolue qu'à un siège près (244 députés sur un total de 487).
Pourtant, en dépit des signes d'agacement de l'opinion, de Gaulle n'entend nullement revenir sur les fondements de sa pratique politique, en particulier la primauté du pouvoir présidentiel. Le général continue par exemple de marginaliser l'Assemblée nationale, transformée en simple chambre d'enregistrement par la voie des ordonnances auxquelles le président recourt pour adopter une série de réformes économiques en début de législature.
De même, le quatrième gouvernement Pompidou, constitué au lendemain des législatives, compte dans ses rangs les hommes-liges du président, Michel Debré et Maurice Couve de Murville, pourtant battus lors des élections. (4) Ce dernier s'installe au quai d'Orsay, mais n'occupe qu'un maroquin sans grand rapport avec les Affaires étrangères qui demeurent la chasse gardée d'un président farouchement accroché à ses "domaines réservés" (politique africaine, Affaires étrangères). En ce domaine, de Gaulle adopte d'ailleurs une attitude particulièrement intransigeante au cours de l'année 1967 (éclat du "Vive le Québec libre "/ considérations sur "Israël, peuple d'élite, sûr de lui-même et dominateur" / attaques contre le dollar...). Autant de prises de positions qui en irritent plus d'un et nourrissent les critiques au sein même de la majorité. En août 1967, l'ancien ministre des finances du général, Valéry Giscard d'Estaing, fustige ainsi l'"exercice solitaire du pouvoir."
Désormais le torchon brûle au sein de la majorité et Pompidou supporte difficilement les reproches qui en émanent: gaullistes "de gauche" lui reprochant une politique conservatrice, Républicains indépendants de VGE de plus en pus critiques. De son côté, l'opposition menée par François Mitterrand participe aux débats houleux et chahutés de l'Assemblée.
C'est dans ce contexte difficile que Pompidou conclut une de ses interventions au Palais Bourbon par la référence au grand succès discographique du moment: "Comme dirait Jacques Dutronc, il y a des cactus." (5)
Depuis l'année précédente en effet, Dutronc chante, sur des paroles de Jacques Lanzmann:
Le monde entier est un cactus
Il est impossible de s'asseoir
Dans la vie, il y a des cactus
Moi je me pique de le savoir
Aïe, aïe, aïe, ouille, aïe, aïe, aïe
Dès lors, et pour de nombreuses années, les journalistes usent et abusent du "cactus" lorsqu'il s'agit d'évoquer le moindre remous dans la majorité (avant de lui préférer le "couac" ou la "polémique").
Peu après la saillie pompidolienne, le chanteur rencontre son épouse à l'occasion d'un dîner organisé par Le Figaro et accepte une invitation du couple présidentiel. Pour l'occasion, Dutronc promet de pousser la chansonnette pour les invités de Matignon. Le facétieux chanteur s'exécute, mais à une telle vitesse que, d'après Françoise Hardy, "cela jeta un froid. Si triées sur le volet qu'elles fussent, les personnes présentes ne comprenaient pas son humour décalé et aspiraient à retrouver ses succès tels qu'elles les appréciaient. Brigitte Bardot me supplia de lui demander de chanter normalement, mais c'était impossible. Quand il eut terminé son tour de chant à la durée réduite au minimum par le rythme infernal qu'il avait cru bon de lui imposer, les Pompidou me prièrent de chanter moi aussi (...). C'était une soirée merveilleusement surréaliste dont je déplore qu'il n'existe aucune trace."
*************
On doit l'autre emprunt, plus récent et anecdotique, à l’inénarrable premier ministre de Jacques Chirac de 2002 à 2005: Jean-Pierre Raffarin. Spécialiste ès formule creuse - les fameuses raffarinades - il reprend à son compte les paroles d'un succès de Lorie sur un plateau de télé en janvier 2005:
"Il y a une jeune chanteuse qui n'est pas tout à fait de ma génération (sic) mais qui parle aujourd'hui de positive attitude. Je vous recommande la positive attitude."
Devant ces paroles d'une infinie sagesse, il semble plus que temps d'achever ce billet.
Notes:
1. le Mouvement républicain populaire fut fondé en 1944 par des démocrates-chrétiens issus de la Résistance. Le mouvement se situe au centre-gauche, mais son électorat est plus modéré.
2. Crédité de 66% d'intentions de vote fin octobre, sa cote tombe au-dessous de 50% fin novembre.
3.Sur le front syndical, un pacte d'unité d'action est conclu entre la CGT et la CFDT.
4. Maurice Couve de Murville et Pierre Messmer aux Affaires étrangères et aux armées.
5. En 1949, de Gaulle prévient celui qui deviendra son premier ministre: "Pompidou, ce n'est pas un nom sérieux. En Auvergne, peut-être [Pompidou est né à Montboudif dans le Cantal], mais pas à Paris! C'est un nom qui a l'air de se moquer du monde. Croyez-moi, Pompidou, vous n'arriverez à rien si vous vous obstinez à garder ce nom là!"
En attendant, la sonorité chantante du patronyme lui vaut les honneurs de plusieurs chansons telles que l'inoubliable "Pom Pom Pidou" de Miguel Cordoba ou encore le "We need you Mr Pompidou" du dénommé Archibald. De même, lors de leur passage à l'Olympia le 16 juin 1969, les Beach Boys modifient le couplet de Barabara Ann et entonnent "pom -pom-pom, pom-pom-pidou".
Sources:
- Jean-Jacques Becker: "Histoire politique de la France depuis 1945", Armand Colin éditeur, 2003.
- Françoise Armand et Fabrice Barthélémy: "Le monde contemporain. L'histoire en Terminale", Seuil, 2004.
- Marie-France Lavarini et Jean-Yves Lhomeau: "Une histoire abracadabrantesque. Abécédaire de la Vème République", Camann-Lévy, 2009.
- Pierre et Jean-Pierre Saka (dir.):"L'histoire de France en chansons", Larousse, 2004.
Liens:
- Nouvels Obs: "Jacques Dutronc par Françoise Hardy."
- Chronologie de la Vème République sur le site de l'Assemblée nationale.
- Une sélection des "plus belles perles du Pompidou poitevin, le fils du littoral et de la pub, le prince de la com' et le représentant de la France d'en bas": petite sélection de raffarinades.
- Chronologie de la Vème République sur le site de l'Assemblée nationale.
- Une sélection des "plus belles perles du Pompidou poitevin, le fils du littoral et de la pub, le prince de la com' et le représentant de la France d'en bas": petite sélection de raffarinades.
- Sur le site de l'Assemblée nationale: 18 avril 1967 – Déclaration de politique générale – Georges Pompidou.
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