C'est un jardin extraordinaire
l y a des canards qui parlent anglais
Je leur donne du pain, ils remuent leur derrière
En m'disant " Thank you very much Monsieur Trenet "
On y voit aussi des statues
Qui se tiennent tranquilles tout le jour dit-on
Mais moi je sais que dès la nuit venue
Elles s'en vont danser sur le gazon
Papa, c'est un jardin extraordinaire
Il y a des oiseaux qui tiennent un buffet
Ils vendent du grain des petits morceaux de gruyère
Comme clients ils ont Monsieur le maire et le Sous-Préfet
Il fallait bien trouver, dans cette grande ville maussade
Où les touristes s'ennuient au fond de leurs autocars
Il fallait bien trouver un lieu pour la promenade
J'avoue que ce samedi-là je suis entré par hasard
Dans dans dans
Un jardin extraordinaire
Loin des noirs buildings et des passages cloutés
Y avait un bal qu'donnaient des primevères
Dans un coin d'verdure deux petites grenouilles chantaient
Une chanson pour saluer la lune
Dès que celle-ci parut toute rose d'émotion
Elles entonnèrent je crois la valse brune
Une vieille chouette me dit: " Quelle distinction! "
Maman dans ce jardin extraordinaire
Je vis soudain passer la plus belle des filles
Elle vint près de moi et là me dit sans manières
Vous me plaisez beaucoup j'aime les hommes dont les yeux brillent !
Il fallait bien trouver dans cette grande ville perverse
Une gentille amourette un petit flirt de vingt ans
Qui me fasse oublier que l'amour est un commerce
Dans les bars de la cité :
Oui mais oui mais pas dans...
Dans dans dans
Mon jardin extraordinaire
Un ange du Bizarre un agent nous dit
Etendez-vous sur la verte bruyère
Je vous jouerai du luth pendant que vous serez réunis
Cet agent était un grand poète
Mais nous préférions Artémise et moi
La douceur d'une couchette secrète
Qu'elle me fit découvrir au fond du bois
Pour ceux qui veulent savoir où ce jardin se trouve
Il est vous le voyez au coeur de ma chanson
J'y vol' parfois quand un chagrin m'éprouve
Il suffit pour ça d'un peu d'imagination
Il suffit pour ça d'un peu d'imagination
Il suffit pour ça d'un peu d'imagination !
Dans mon jardin extraordinaire, les canards ne parlent pas anglais mais on croise au détour d'un chemin un piège à tigre d'Asie. Dans mon jardin extraordinaire, il y a longtemps, des éléphants ont fait du toboggan. Dans mon jardin extraordinaire, les statues, vestiges d'un autre temps, sont parfois cassées, et l'on est pas tout à fait sûrs de vouloir les voir, la nuit venue, les voir danser sur le gazon. Dans mon jardin extraordinaire, Persée est tout seul dans son coin, Artémise l'a abandonné.
Non loin de Persée triomphant de la Gorgone, un obélisque de pierre blanche se dresse pour rendre hommage aux soldats coloniaux morts pour la France. Dans mon jardin extraordinaire, point de verte bruyère mais des graines exotiques à semer dans des serres pour les acclimater en des terres inconnues ; sur l'une, on lit le nom du Dahomey, sur l'autre celui de l'Indochine. Dans mon jardin extraordinaire, avec un peu d'imagination, on remonte le temps de quelques siècles, et on voyage entre Afrique, Asie et ou dans les îles de l'Océan Indien, aux quatre coins de l'empire colonial français.
Dans ce jardin extraordinaire un belle fille, la République française, a célébré l'étendue de son empire et y a installé des laboratoires permettant de le faire fructifier. En 1907, il abrita même une exposition coloniale bien avant que le musée des colonies ne soit construit non loin de lui, aux abords de la porte Dorée, entre Vincennes et Paris, pour être le centre névralgique de la grande exposition de 1931. (1)
Persée, statute du jardin d'agronomie tropicale. (@vservat) |
Dans ce jardin extraordinaire un belle fille, la République française, a célébré l'étendue de son empire et y a installé des laboratoires permettant de le faire fructifier. En 1907, il abrita même une exposition coloniale bien avant que le musée des colonies ne soit construit non loin de lui, aux abords de la porte Dorée, entre Vincennes et Paris, pour être le centre névralgique de la grande exposition de 1931. (1)
Le piège à tigres est installé dans l'espace indochinois du jardin (@vservat) |
La porte chinoise, héritage de l'exposition coloniale de Marseille en 1906 (@vservat). |
- Un jardin d'essai colonial devenu Centre International de Recherche en Agronomie et Developpement.
Quand on pénètre dans mon jardin extraordinaire, on comprend immédiatement que l'on est dans un lieu à l'héritage singulier. Il mêle intimement histoire et mémoire, celles de la France et de ses anciennes colonies, mais aussi agriculture coloniale et la préservation de la biodiversité. La porte chinoise garde les stigmates d'une exposition prolongée aux intempéries, ses blessures sont celles de l'âge : couleurs passées, sculptures abîmées.
Quand on suit l'allée dont elle constitue l'ouverture monumentale, on entrevoit un bâtiment plus moderne, haut et vitré, entouré de préfabriqués, que nous identifions facilement comme un centre universitaire (les préfabriqués sont un indice fort) consacré à la recherche en agronomie tropicale. En quelques dizaines de pas, on vient de parcourir plus d'un siècle d'histoire de ce lieu envoûtant.
Les dégâts du temps sur la porte chinoise (@vservat) |
Détails de la porte chinoise (@vservat) |
Alger, le jardin d'essai en 1897. (source@CDHA) |
Jardin Colonial, années 1910
|
Alors que les jardins d'essai se multiplient en Europe et aux colonies, stimulant les échanges, les enjeux de l'agriculture coloniale se précisent (ils sont tout à la fois économiques, politiques et philosophiques- la domestication de la nature par l'européen prouvant sa supériorité). Le moment est donc venu de donner une tutelle officielle à l'ensemble de ces activités, de les relier à un pôle central. Le ministère des colonies s'y emploie. Ménageant les intérêts des marchands autant que les susceptibilités des scientifiques, il publie en janvier 1899 un décret créant le jardin colonial de Paris dont l'existence est officialisée en mars. J. Dybowski en est le premier directeur, M. Bernard le jardinier en chef. Il s'installe sur des terrains au sud du Bois de Vincennes, mis à disposition par la ville de Paris qui en exige toutefois le clôturage et demande un droit de regard sur tous les plans des installations futures.
Dans les années qui suivent la création du jardin colonial ses missions sont définies, ses installations prennent forme et ses institutions se développent.
Serres, remises, laboratoires, maison des jardiniers sortent de terre progressivement. Un parc paysager y est aménagé à la manière de ce qu'on fait à l'époque un peu comme aux Buttes Chaumont, des pelouses sont installées. L'été venu on expose temporairement des espèces tropicales à l'extérieur (avocatiers, manguiers, caféiers, sisals, vétiver etc.). Le jardin d'essai se veut un centre de ressources (publication de revues, conservation d'études, base de données sur les autres jardins qui constitue une grande partie du fond documentaire de la bibliothèque historique du CIRAD aujourd'hui), de culture (comprenant la réception et l'envoi de plantes et semences aux 4 coins de l'empire), et un laboratoire scientifique qui évalue le potentiel des produits coloniaux (en matière commerciale, industrielle mais travaille aussi sur les moyens de les faire fructifier à l'aide d'engrais, par exemple).
En 1902, l'école nationale supérieure d'agriculture coloniale qui forme des ingénieurs spécialisés dans cette discipline est implantée au jardin d'essai. Les premières promotions d'à peine une dizaine d'élèves s'étofferont au fil du temps. De leurs rangs sortiront quelques prestigieux spécialistes, l'un des plus célèbre étant paradoxalement l'un des plus virulents détracteurs du colonialisme, mais aussi un très grand agronome français, inventeur de l'écologie politique : René Dumont.(4)
Jardin Colonial, années 1910 |
Ses activités ont traversé le temps et s'y sont adaptées. Le CIRAD (5) est en d'une certaine façon l'héritier. En 1921, Albert Sarraut, ministre des colonies, transforme l'école d'origine en l'INAC (Institut National d'Agronomie Coloniale) dont les activités sont particulièrement prolifiques au cours des années 30. L'institut devient l'INAFOM (6) en 1934, le terme "Outre-Mer" venant remplacer celui de "colonies" dans la terminologie officielle. En 1958, les constructions actuelles du campus destinées alors à abriter l'Institut National d'Agronomie Tropicale sont inaugurées. Aujourd'hui, le site universitaire trouve un nouveau souffle en abritant les activités de différents laboratoires et institutions autour du thème "Mondialisation et développement durable". Ici, on travaille en particulier sur les problématiques croisant agriculture-alimentation et croissance démographique et développement durable. On le voit, l'agriculture et l'agronomie tropicales n'ont rien perdu de leur importance dans un monde qui a pourtant considérablement changé.
Les installations actuelles du campus du CIRAD derrière le monument en hommage aux soldats indochinois de confession chrétienne morts pour la France (@vservat) |
- Le moment des expositions coloniales au début du siècle.
La fin du XIX siècle est marquée par le phénomène des expositions universelles et coloniales. Elles sont pour les nations européennes aussi bien l'occasion de montrer leur puissance impériale que de permettre à leurs ressortissants d'avoir un aperçu d'ailleurs exotiques. En 1889, la France fête le centenaire de la Révolution Française ; c'est la première fois qu'une exposition universelle intègre un espace dédié au monde colonial. L'architecture des pavillons est le vecteur privilégié pour transporter les visiteurs vers d'autres continents sans quitter la capitale. En 1900, l'exposition suivante joue un rôle important dans l'histoire du jardin d'essai colonial. Son directeur est partie prenante dans l'aménagement des serres exposées. En échange il récupèrera certaines installations une fois l'exposition close, en particulier la serre du Dahomey et ses poteaux totems qui ornent aujourd'hui la magnifique bibliothèque du CIRAD, ainsi que la case malgache. Le kiosque de la Réunion entièrement construit en bois exotique échoit également au jardin d'essai de Nogent.
Le kiosque en bois exotique de la Réunion. (@vservat) |
De grands industriels dont les activités sont liées à l'agriculture coloniale mettent aussi la main à la poche ; ainsi l'influent Menier (7) (qui exploite la chocolaterie du même nom à Noisiel) offre-t-il des serres. Henri Hammelle (8) l'accompagne dans son élan : dans les siennes, sont installés cacaoyers, caféiers et vanilliers et enfin cocotiers à partir de 1902. C'est ainsi que petit à petit, le jardin d'essai prend forme.
La petite serre du Dahomey au premier plan.
(@vservat) |
Le pavillon du Congo lors de l'exposition de 1907, et son état actuel après l'incendie qui l'a détruit en 2004. (photo@gestiondesrisquesintercuturels) |
Dans le village du Dahomey les hommes et femmes venus de différentes régions d'Afrique de l'ouest endossent le costume de l'artisan local ou du griot. Autour du village tunisien, puisque nous sommes aussi dans un jardin, orangers, palmiers et figuiers de barbarie contribuent à donner l'illusion d'une enivrante Afrique du Nord. Le pavillon qui y est construit abrite en fait un grand bazar dans lequel tapis et tentures sont exposés ainsi que de l'huile d'olive ou du miel. Inaugurée le 8 juin 1907 cette exposition n'accueille pas moins de 1,8 millions de visiteurs jusqu'en octobre.
Le pavillon de la Tunisie. On identifies le croissant au niveau du dôme central. (@vservat). |
L'après exposition plonge le jardin dans d'importantes difficultés d'entretien et problèmes financiers. En 1931, le centre de gravité de l'exposition coloniale se déplace plus au nord en direction de la porte Dorée et du lac Daumesnil. Là est inauguré le musée des colonies et est installée la gigantesque exposition qui promet aux visiteurs de faire "le tour du monde en un jour". Le jardin d'essai reste assez en retrait servant essentiellement d'arrière boutique à cette manifestation dont elle récupère (encore) quelques vestiges aujourd'hui en piteux état : parmi eux un portique constitué de deux côtés de baleines qui git aujourd'hui dans l'herbe.
- Lieux de mémoire voué à l'oubli, le jardin d'agronomie tropicale victime du passé colonial français?
La déflagration de la première guerre mondiale va constituer une rupture dans l'histoire du jardin colonial puisque pour la première fois les activités liées à l'agronomie vont céder le pas à celles liées aux impératifs militaires. Durant le conflit, un hôpital destiné aux soins des blessés issus des troupes coloniales est installé sur le site. Les serres sont reconverties pour l'accueil médical.
C'est à cette occasion qu'est construite la première mosquée de Paris bien avant celle qui sera érigée à l'orée du jardin des plantes. Faite de bois, il n'en reste guère de traces aujourd'hui, l'édifice n'étant pas destiné à durer, une stèle et des plans ainsi que quelques photos attestent de son existence. Beaucoup de blessés issus des troupes coloniales sont soignés ici, et il est important à plus d'un titre, à l'époque, d'en reconnaitre l'engagement soit à des fins de propagande, soit à des fins militaires. Ainsi, les blessés et convalescents bénéficient-ils d'une nourriture adaptée à leurs convictions religieuses et de lieux de cultes. Quelques 4800 soldats coloniaux passeront par cet hôpital doté d'un service de radiologie, de plusieurs salles d'opération, d'une pharmacie et de bâtiments de fonctionnement (blanchisserie, réfectoire) au cours du conflit. Les plantes trouvent encore quelque utilité en cette sombre période ; certains espaces des jardins d'essai sont reconvertis en potager permettant d'approvisionner en nourriture le site, la culture du kapok est largement expérimentée pour remplacer le coton hydrophile nécessaire aux soignants.
Après la guerre, le jardin colonial connait une nouvelle phase de son histoire en devenant un important lieu de mémoire. Un simple obélisque blanc est érigé en 1919 et inauguré l'année suivante. Il rend hommage aux soldats coloniaux morts pour la France. Grâce à l'action des associations d'anciens combattants indochinois et à leurs contributions financières, tout un pan du jardin est réaménagé. Un mémorial aux combattants indochinois bouddhistes est érigé, ce qui justifiera la demande quelques temps plus tard de l'évêque du Tonkin d'en ériger un second à la mémoire des combattants indochinois chrétiens. Puis, un dinh (maison commune traditionnelle) est construit en guise de lieu dédié à la mémoire des combattants indochinois qui furent environ 100 000 soldats ou travailleurs dans les usines d'armement à apporter leur contribution au conflit. Ce magnifique édifice, richement décoré, est aujourd'hui détruit. Il fut pillé en 1984 et incendié, vraisemblablement pour maquiller le vol.
Une simple plaque atteste de la transformation du jardin en hôpital pour les soldats coloniaux. On distingue le tracé de la mosquée qui y fut construite. (@vservat) |
Le socle de l'obélisque dédié aux
soldats coloniaux morts
pour la France. (@vservat).
|
Après la guerre, le jardin colonial connait une nouvelle phase de son histoire en devenant un important lieu de mémoire. Un simple obélisque blanc est érigé en 1919 et inauguré l'année suivante. Il rend hommage aux soldats coloniaux morts pour la France. Grâce à l'action des associations d'anciens combattants indochinois et à leurs contributions financières, tout un pan du jardin est réaménagé. Un mémorial aux combattants indochinois bouddhistes est érigé, ce qui justifiera la demande quelques temps plus tard de l'évêque du Tonkin d'en ériger un second à la mémoire des combattants indochinois chrétiens. Puis, un dinh (maison commune traditionnelle) est construit en guise de lieu dédié à la mémoire des combattants indochinois qui furent environ 100 000 soldats ou travailleurs dans les usines d'armement à apporter leur contribution au conflit. Ce magnifique édifice, richement décoré, est aujourd'hui détruit. Il fut pillé en 1984 et incendié, vraisemblablement pour maquiller le vol.
Le monument aux morts
indochinois bouddhistes.
(@vservat)
|
Le dinh reconstruit après l'incendie de 1984 bien plus modeste que la construction d'origine. Les grilles ont été retrouvées et rachetées chez un antiquaire après leur usurpation (@vservat) |
L'ensemble indochinois : le
pont des najas.(@vservat)
|
Autour de lui à partir de 1921, un véritable "ensemble indochinois" se structure : y est ajoutée une maison des gardiens cachée par un portique qui dissimule aussi le grillage du parc, mais aussi un Cao ou urne en bronze posée sur trois pieds, héritage de l'exposition marseillaise. Cette copie d'une des 9 urnes funéraires du palais impérial de Hué est installée sur l'esplanade entre le portique et le dinh. Deux grands pilonnes surmontés de toits évoquant des pagodes se dressent sur un des côtés formant une sorte d'entrée monumentale qui dirige notre regard vers le pont dit des Najas construit en 1928.
L'esplanade devant le dinh avec le portique qui cache la
maisondes gardiens, le Cao (urne tripode) et les pilonnes
à toits pagodes. (@vservat)
|
Dans une autre partie du parc un monument aux soldats noirs morts pour la France est construit. La date exacte de son édification reste incertaine. A l'ouest de la porte chinoise enfin, un monument aux morts malgaches de la guerre surmonté d'un aigle est installé en 1925.
Ces nouvelles installations modifient l'identité première du jardin colonial. Alors que se poursuivent les travaux de recherche en agronomie et en agriculture tropicales, une partie du site est reconvertie en lieu de mémoire et d'hommage aux combattants issus de l'empire français.
Si après le second conflit mondial, les installations liées à la recherche en agronomie se modernisent, on comprend qu'à l'heure de la conquête des indépendances par les colonisés notre jardin extraordinaire subisse les revers de l'histoire et sombre lentement dans l'oubli. Avec lui débute le délabrement progressif mais certain de constructions témoignant d'un pan de notre histoire mal assumé.
C'est peut être dans cet ensemble statuaire monumental déposé en 4 morceaux au jardin d'agronomie tropicale en 1961 que se trouve résumé le devenir de cet étonnant endroit dans le second XXème siècle. Sur les 3 parties qui constituaient le socle de la statue on voit une africaine allongée nue dans une pose lascive (la tête de la statue décapitée est conservée autre part), un asiatique au visage lisse et paisible qui s'affaire avec une jatte remplie d'eau à la main. A coté de lui un coq gaulois placé fièrement sur un globe, des armes, outils de la conquête, l'accompagnent. Une femme en habit traditionnel antillais tient sa robe. A ses pieds un régime de bananes. La partie haute de la statue est, elle, constituée d'une allégorie de la République française drapée dominant son empire colonial, sûre de sa puissance, infaillible dans sa mission.
La République s'est pourtant cassé les dents sur une mission civilisatrice qui n'était q'un écran de fumée destiné à masquer une exploitation économique des ressources naturelles et humaines des régions colonisées. C'est un peu de cette histoire qui est restée enfouie dans mon jardin extraordinaire, le lierre et la mousse recouvrant lentement les statues symboliques de cette époque.
On peut lancer l'hypothèse que la reprise en main du site par la mairie de Paris depuis 2004 est un signe de changement de posture. Le jardin d'agronomie tropicale est un livre vert à ciel ouvert qui nous dit les relations de la France à son empire colonial et à ses habitants. Il renait peu à peu. Cela atteste-t-il d'un certain apaisement pouvant faire émerger et reconnaitre à partir de ce lieu une histoire à parts égales ? (10) celle de scientifiques passionnés d'agronomie, d'hommes d'ici et d'ailleurs pris dans cette entreprise coloniale menée par la France aux 4 coins du monde. Il faudra alors veiller scrupuleusement à restituer le point de vue des colonisés - travailleurs des plantations, indigènes des expositions, soldats enrôlés dans les troupes françaises - dont l'histoire n'est en ces lieux que furtive ou inversée, car toujours observée du point de vue de la puissance impériale. Quelle que soit la réponse à cette question, le jardin d'agronomie tropicale reste un endroit unique, aux bruissements particuliers, dans lequel le flâneur peut assouvir autant son désir d'histoire qu'étancher sa soif de quiétude. Dans un cadre verdoyant propice à la méditation et à la réflexion, on peut s'y interroger sur le rapport de nos sociétés à leur passé colonial, et sur ce qu'il leur reste à en révéler.
A Laurence, qui affectionne aussi cet endroit et à Anne, sans qui je ne l'aurais jamais découvert.
Sources :
Ferro Marc, Le livre noir du colonialisme, 2003
Levêque Isabelle, Pinon Dominique, Griffon Michel, Le jardin d'agronomie tropicale, de l'agriculture coloniale au développement durable,2005.
Ferro Marc, Le livre noir du colonialisme, 2003
Bancel Nicolas, Blanchard Pascal, Vergès Françoise, La république coloniale, 2006.
Les collections de l'Histoire, Le temps des colonies, mai 2001.
Liens.
http://www.paris.fr/loisirs/paris-au-vert/bois-de-vincennes/jardin-d-agronomie-tropicale/rub_6566_stand_10127_port_14913
http://bft.cirad.fr/cd/BFT_206_81-88.pdfMonument aux soldats noirs morts pour la France. (@vservat). |
Monuments aux morts de Madagascar. (@vservat) |
C'est peut être dans cet ensemble statuaire monumental déposé en 4 morceaux au jardin d'agronomie tropicale en 1961 que se trouve résumé le devenir de cet étonnant endroit dans le second XXème siècle. Sur les 3 parties qui constituaient le socle de la statue on voit une africaine allongée nue dans une pose lascive (la tête de la statue décapitée est conservée autre part), un asiatique au visage lisse et paisible qui s'affaire avec une jatte remplie d'eau à la main. A coté de lui un coq gaulois placé fièrement sur un globe, des armes, outils de la conquête, l'accompagnent. Une femme en habit traditionnel antillais tient sa robe. A ses pieds un régime de bananes. La partie haute de la statue est, elle, constituée d'une allégorie de la République française drapée dominant son empire colonial, sûre de sa puissance, infaillible dans sa mission.
Antillaise (@vservat) |
Socle de la statue, africaine nue
aujourd'hui décapitée (@vservat)
|
La République s'est pourtant cassé les dents sur une mission civilisatrice qui n'était q'un écran de fumée destiné à masquer une exploitation économique des ressources naturelles et humaines des régions colonisées. C'est un peu de cette histoire qui est restée enfouie dans mon jardin extraordinaire, le lierre et la mousse recouvrant lentement les statues symboliques de cette époque.
Asiatique avec une jatte (@vservat) |
La république drapée (@vservat) |
Notes :
1 : L'exposition coloniale de 1931 se déroule de mai à novembre autour du lac Daumesnil et du musée des colonies (aujourd'hui Cité Nationale de l'Histoire de l'Immigration). Elle accueille 6 à 8 millions de visiteurs.
2 : AEF = Afrique Equatoriale Française, regroupement fédéral de plusieurs colonies de l'empire français s'étendant du centre du Sahara à l'ouest du Golfe de Guinée.
3 : AOF = Afrique Occidentale Française, regroupent fédéral de plusieurs colonies françaises d'Afrique de l'Ouest.
4 : Une stèle lui rend hommage au jardin d'agronomie tropicale. Grand agronome, expert auprès de la FAO, il est le premier candidat écologiste à se présenter à l'élection présidentielle en 1974. Membre fondateur d'Attac, R. Dumont est décédé en 2001 à 97 ans. L'Afrique noire est mal partie (1962) est un de ses ouvrages les plus connus.
5 : Cirad, pour définir les activités de ce centre de recherche, le mieux est de consulter son site internet.
6 : Institut National d'Agronomie de la France d'Outre Mer, créé par décret du président de la République Albert Lebrun en 1934.
7 : La famille des industriels Menier qui donna son nom à la chocolaterie établie à Noisiel et au célèbre chocolat a débuté sa carrière dans les produits pharmaceutiques. Comme beaucoup de ses élites du XIX siècle issues de l'industrialisation, leur ascension dans la sphère économique s'est rapidement doublée d'un accès aux responsabilités politiques.
8 : Henry Hammelle est un industriel dont la fortune s'est en partie établie grâce à la vente de divers matériaux aux armées, mais aussi aux chemins de fer : caoutchouc, aciers, huiles et graisses.
9 : Rappelons que Marseille est fondée par les habitants de la cité de Phocée, en Asie Mineure, au VI siècle avant JC.
10 : J'emprunte l'expression à R. Bertrand dont la récente publication intitulée "L'histoire à parts égales", restitue la rencontre entre l'Occident et l'Orient lorsqu'en 1596 un expédition néerlandaise accoste en Indonésie. Son travail s'appuie autant sur des sources asiatiques qu'européennes et constitue une des pistes de travail les plus prometteuse et excitante de l'histoire connectée en ce qu'elle permet la déconstruction de tout une série de stéréotypes ancrés dans une historiographie uniquement issue de travaux européens.
Sources :
Ferro Marc, Le livre noir du colonialisme, 2003
Levêque Isabelle, Pinon Dominique, Griffon Michel, Le jardin d'agronomie tropicale, de l'agriculture coloniale au développement durable,2005.
Ferro Marc, Le livre noir du colonialisme, 2003
Bancel Nicolas, Blanchard Pascal, Vergès Françoise, La république coloniale, 2006.
Les collections de l'Histoire, Le temps des colonies, mai 2001.
Liens.
http://www.paris.fr/loisirs/paris-au-vert/bois-de-vincennes/jardin-d-agronomie-tropicale/rub_6566_stand_10127_port_14913
http://www.ldh-toulon.net/spip.php?article1036
http://www.musee-nogentsurmarne.fr/expositions/expositions-realisees/expositions-universelles-et-coloniales.html
http://www.monde-diplomatique.fr/2000/08/BANCEL/14145
http://www.baudelet.net/paris/jardin-tropical.htm
http://islamenfrance.canalblog.com/archives/2007/01/20/3745707.html
1 commentaire:
Bravo pour la documentation ! En tant que ciradien je suis heureux d'apprendre tout ça ;)
Enregistrer un commentaire