Photographie de Ned Kelly prise la veille de son exécution, le 10 novembre 1880. [By Charles Nettleton [Public domain], via Wikimedia Commons] |
Dans l'Australie du milieu du XIXème siècle, quelques très grands propriétaires terriens contrôlent d'immenses domaines sur lesquels s'épuisent de modestes familles de fermiers. Pour imposer leur système d'exploitation foncière, les latifundiaires s'appuient sur les forces de l'ordre dont les agents multiplient les exactions à l'encontre des paysans récalcitrants.
John Kelly - le père de Ned - l'apprit à ses dépens. Comme près de 50 000 autres Irlandais bannis à l'autre bout du monde, il fut déporté et emprisonné en Tasmanie pour le vol de deux cochons en 1841. Libéré après 7 ans de bagne, il est employé dans la colonie du Victoria sur la ferme d'un immigrant irlandais dont il épouse bientôt la fille. De cette union naîtront 8 enfants dont Edward Kelly, dit Ned, en 1854 ou 1855.
A plusieurs reprises, la famille Kelly se voit reprocher des vols de bétail ou de chevaux. Une querelle de voisinage à propos de l'appartenance d'un veau entraîne même une nouvelle condamnation pour le père de famille. John Kelly doit s'acquitter de 25 livres d'amende ou purger une peine de 6 mois de travaux forcés. Sans le sou, il décède au bagne peu après. L'évènement marque fortement son fils Ned, alors âgé de 11 ans.
Le harcèlement policier dont la famille Kelly est l'objet alimente la colère du garçon. (1) A 14 ans, Ned est inculpé d'agression et vol à l'encontre d'un travailleur chinois. Emprisonné 10 jours, il sera finalement disculpé. Mais la police le considère désormais comme un bushranger à surveiller de très près. En 1871, il écope de trois ans de prison pour le recel d'un cheval volé.
Son destin bascule véritablement le 15 avril 1878, lorsqu'un policier affirme avoir été agressé par Ned, son frère Dan, et deux de leurs amis. L'accusation portée par le dénommé Alexander Fitzpatrick apparaît très suspecte, mais, compte tenu de leurs antécédents judiciaires, et convaincus de ne pouvoir faire valoir leur point de vue, les deux frères se cachent et tentent d'échapper aux policiers lancés à leurs trousses. (2) Rattrapés à Stringybark Creek, les deux hors-la-loi abattent trois policiers. La tuerie fait de Ned Kelly l'ennemi public numéro un. Par le Felons Apprehension Act, le Parlement de Victoria autorise quiconque à éliminer les deux bandits de grand chemin.
N'ayant plus rien à perdre, le gang des Kelly multiplie les attaques de banques avec prise d'otages. Les bandits dérobent pour leur compte personnel et incendient au passage les papiers des prêts hypothécaires contractés par les fermiers auprès des établissements bancaires. Cette dernière action contribue à la popularité de Ned Kelly, considéré désormais par ses admirateurs comme un protecteur des pauvres face aux puissants. Entre deux attaques, le bushranger rédige sa version des faits dans sa lettre de Jerilderie. L'outlaw y accuse le gouverneur de Victoria de harcèlement à l'encontre de sa famille et des colons irlandais en général. Il y écrit notamment: "Je suis le fils d'une veuve mis hors la loi et mes ordres doivent être obéis."
De plus en plus inquiètes et face à ce qu'elles considèrent comme une fuite en avant, les autorités proposent 8000 £ pour capturer le fauteur de trouble et sa bande.
By Australian News and Information Bureau [Public domain], via Wikimedia Commons] |
Le 27 juin 1880, le gang s'installe dans une auberge de Glenrowan dans laquelle il séquestre pas moins de 70 personnes. La bourgade se trouve sur une ligne de chemin de fer. Informés du passage d'un train transportant un détachement de police, les bandits sabotent les rails. Le déraillement échoue car un des otages libérés (l'instituteur Tom Curnow) est parvenu à prévenir les autorités. La police encercle le repère du gang Kelly. Tous les ravisseurs sont tués à l'exception de Ned Kelly. Protégé par une incroyable armure fabriquée à partir de socs de charrues de près de 44 kg, ce dernier est néanmoins touché aux jambes, neutralisé, arrêté, puis emprisonné. Jugé, le bandit est reconnu coupable et condamné à mort. En dépit des pétitions (32 000 signatures recueillies) réclamant sa grâce, Ned Kelly est pendu le 11 novembre 1880. "Ainsi va la vie."Telles sont les dernières paroles que la légende lui prête.
La culture populaire de la jeune nation s'empare aussitôt du personnage. L'épopée du bushranger, la succession de ses aventures et son cran fascinent. Meurtrier sans foi ni loi pour certains, il est considéré par les autres comme un authentique héros populaire, incarnation de la résistance des plus pauvres aux injustices de la classe dirigeante britannique. Ses partisans ne voient pas en Kelly un assassin, mais un bandit au grand cœur qui s'attaque aux banques et brûle les traces des prêts hypothécaires contractés par les familles paysannes criblées de dettes.
Kelly doit aussi sa popularité à l'émergence des premiers médias de masse. Les journaux dépeignent avec complaisance l'épopée des bandits, tandis que les clichés du bushranger fascinent. L'un d'entre eux, pris la veille de son exécution contribue fortement à la légende.
L'image culturelle du bandit est un révélateur de nos sociétés contemporaines qui y projettent leurs représentations. Pour certains contemporains, Kelly porte en lui un idéal de justice (certes très contestable à l'examen des faits) et de liberté. Ned est un homme du bush, lieu mythique aux frontières changeantes, symbolique d'une Australianité à défendre. Enfin, "il incarne, à sa façon, un certain âge d'or de l'individualisme 'australien' face à l'autorité britannique." (cf: H. Meunier)
Dans son essai consacré au banditisme social, Eric Hobsbawm note: "Le mythe du bandit est également compréhensible dans les pays hautement urbanisés, mais qui possèdent encore quelques espaces vides, des « terres vierges » ou un « Ouest », qui leur rappellent un passé héroïque, parfois imaginaire, donnent à la nostalgie un champ sur lequel elle peut s’exercer concrètement, symbolisent la pureté perdue et représentent un territoire indien spirituel, vers lequel l’homme peut imaginer que, tel Ruck Finn, il « décampe » quand les contraintes de la civilisation deviennent trop lourdes. Là Ned Kelly, hors-la-loi et coureur des bois, continue d’errer, tel que l’a peint l’Australien Sidney Nolan, fantomatique, tragique, menaçant et fragile dans son armure bricolée, traversant sans arrêt la campagne australienne brûlée par le soleil, attendant la mort."
Ned Kelly est le héros australien le plus mis en scène, que ce soit au cinéma, au théâtre, dans la peinture, la littérature ou la chanson.
- En 1906, soit 26 ans seulement après sa mort, le bushranger s'impose comme le héros d'un des tous premiers longs métrages de l'histoire du cinéma: The story of the Kelly gang du réalisateur Charles Tait. En 1970, Mick Jagger incarne à son tour le personnage dans un film de Tony Richardson.
- Le peintre Sidney Nolan consacre également plusieurs toiles au bandit.
- En 2001, l'écrivain Peter Carey remporte l'adhésion de la critique avec La Véritable Histoire du clan Kelly.
Ned Kelly sur un mur de Melbourne en 2005. [By No machine-readable author provided. Mostlyharmless assumed (based on copyright claims). [Public domain], via Wikimedia Commons] |
Plusieurs rebondissements récents sont venus entretenir le souvenir de l'épopée de Ned Kelly:
- En 2009, les restes du bandit sont découverts dans une fosse commune et authentifiés grâce à une comparaison ADN avec un arrière-petit-neveu. Sa tombe reste toutefois anonyme afin d'éviter qu'elle ne devienne un lieu de pèlerinage.
- Le 9 octobre 2013, la bibliothèque de l’État de Victoria expose une lettre adressée à sa famille par un immigré écossais du nom de Donald Sutherland. Témoin de l'arrestation, le jeune homme dresse la description suivante du hors-la-loi: "Ned ne ressemble pas du tout à un meurtrier ou un bushranger. C'est un homme très robuste d'environ 27 ans, avec une barbe et des cheveux bruns, un visage et des yeux doux, la bouche étant le seul élément mauvais de son visage". Pour le jeune employé de banque,les membres du gang Kelly sont "des desperados qui m'ont causé tant de cauchemars et de nuits sans sommeil". "La police a eu l'impression qu'il était le Malin en voyant les balles glisser sur lui tels de simples grêlons." "Ils tiraient dans sa direction à dix yards (9 mètres) de distance dans la lumière sale du petit matin, sans le moindre effet", poursuit-il. Une fois touché, Kelly aurait lancé: "Je suis foutu, je suis foutu".
La chanson que Johnny Cash consacre à Ned Kelly figure sur l'album Man in Black. Nous sommes en 1971, Cash est depuis la fin des années 1950 une grandes figures de la musique country, mais une figure atypique. Au cours de la décennie précédente, "l'homme en noir" a en effet consacré plusieurs morceaux et albums aux laissés pour compte. Ride this train (1960) fait la chronique de la traversée en train de l'Amérique par un vagabond; Blood, Sweat and Tears (1963) est un hommage à la classe ouvrière américaine; Bitter Tears traite de la condition des Indiens d'Amérique. Le choix de Kelly ne surprend donc pas.
Notes:
1. Sur les 18 charges portées contre les membres de la famille, la moitié seulement débouchent sur un verdict de culpabilité.
2. L'homme sera d'ailleurs exclu de la police peu après.
Je réclame la plus grande indulgence pour la tentative de traduction ci-dessous, qui ne demande qu'à être améliorée par les lecteurs bienveillants (avec une suggestion en commentaire).
Johnny Cash : « Ned Kelly » | Johnny Cash : « Ned Kelly » |
In Australia a bandit or an
outlaw was called a bushranger One of Australia's most infamous bushrangers was a man named Ned Kelly * Ned Kelly was a wild young bushranger Out of Victoria he rode with his brother Dan He loved his people and he loved his freedom And he loved to ride the wide open land * Ned Kelly was a victim of the changes That came when his land was a sprout and seed And the wrongs he did were multiplied in legend With young Australia growing like a weed * Ned Kelly took the blame Ned Kelly won the fame Ned Kelly brought the shame And then Ned Kelly hanged * Well he hide out in the bush and in the forest And he loved to hear the wind blow in the trees While the men behind the badge were coming for him Ned said « they'll never bring me to my knees » * But everything was changed and run in cycles And Ned knew that his day was at an end He made a suit of armour out of ploughshares But Ned was brought down by the trooper's men * Ned Kelly took the blame Ned Kelly won the fame Ned Kelly brought the shame And then Ned Kelly hanged |
En Australie, un bandit ou un hors-la-loi est appelé un
bushranger L'un des plus célèbres d'entre eux s'appelait Ned Kelly * Ned Kelly était un jeune bushranger farouche Il arpenta le Victoria avec son frère Dan Il aimait son peuple, sa liberté et il aimait parcourir le vaste monde * Ned Kelly a été victime des changements qui intervinrent quand sa terre était en germination ? et les erreurs qu'il commit ont été transformées en légende dans cette jeune Australie poussant comme du chiendent * Ned Kelly a pris un blâme Ned Kelly a gagné la célébrité Ned Kelly s'est tapé la honte et finalement Ned Kelly a été pendu * Hé bien, il se cachait dans la brousse et la forêt et il aimait entendre le vent souffler dans les arbres pendant que les hommes à l'insigne venaient le chercher Ned déclara : « ils ne me mettront jamais à genoux » * Mais tout a changé et la roue tourne Ned savait que ses jours lui étaient comptés Il fabriqua une armure de socs Mais il a été emmené par les hommes de la cavalerie * Ned Kelly a pris le blâme Ned Kelly a gagné la célébrité Ned Kelly s'est tapé la honte et finalement Ned Kelly a été pendu |
Sources:
- Huguette Meunier:"Ned Kelly. L'autre Robin des bois", in Les collections de l'Histoire n°66: "Naissance d'une nation. L'Australie. Des Aborigènes aux soldats de l'Anzac", janvier-mars 2015.
- Eric Hobsbawm:"Les bandits", Zones. [à lire en ligne ici]
- Marie-Morgane Le Moël: "Dictionnaire insolite de l'Australie", Cosmopole, 2013.
- "Ned Kelly" [australia.gov.au]
Liens:
Quelques autres figures du banditisme social ou pas abordés par l'histgeobox: les Apaches, Mandrin, Lampião
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