L'histgeobox dispose désormais d'un podcast diffusé sur différentes plateformes. Ce billet fait l'objet d'une émission à écouter ci-dessous:
De retour au pouvoir en 1958, de Gaulle propose aux colonies d’Afrique subsaharienne de s’unir dans une Communauté française censée leur accorder davantage d’autonomie, sans aller jusqu’à l’indépendance immédiate. Pour faire la promotion de son projet, le général effectue une tournée de plusieurs grandes villes d’Afrique. Le 25 août, à Conakry, dans un discours très offensif, le leader guinéen Sékou Touré lance: "Nous préférons la pauvreté dans la liberté à la richesse dans l'esclavage". De Gaulle reçoit ces mots comme un affront.
Le 28 septembre, les Guinéens votent massivement non au référendum instituant la Communauté française. Quatre jours plus tard, le 2 octobre, la Guinée accède à l'indépendance, tandis que Sékou Touré s'autodésigne premier président du pays. La rupture est brutale et définitive. Avant de quitter leur ancienne colonie, les Français emportent tout ce qu’ils peuvent : câbles électriques, voies ferrées, équipements hospitaliers… Esseulée, la Guinée se rapproche des pays de l'Est du Ghana et devient une base d'action révolutionnaire en Afrique, en ces temps de guerre froide.
Issu d’une famille modeste de Haute-Guinée, employé des postes, Ahmed Sékou Touré fait ses classes en tant que dirigeant syndical. Lecteur assidu de Marx et Lénine, l’homme manie le verbe avec panache, ce qui lui permet de se faire élire député à l’Assemblée nationale en 1956. Le non au référendum le propulse à la tête de la Guinée indépendante. Dès lors, les artistes lui consacreront de nombreuses chansons, à l'instar de ce "Sékou Famaké" chanté en concert par Miriam Makéba.
Authenticité culturelle.
Pour contrer l'influence culturelle de l'ancienne métropole, Touré met en place une politique inédite sur le thème de l’authenticité. Selon lui, "la culture est une arme de domination plus efficace que le fusil". Dans un pays, où l’analphabétisme reste très répandu, la musique est un vecteur de propagande et d’affirmation nationale efficace. L’objectif est de faire naître une musique populaire guinéenne, à la croisée de la tradition et de la modernité.
Le mécénat d’État conduit à la
création d'orchestres dans les différentes régions du pays. Ces formations
s'affrontent lors de compétitions et les meilleures d'entre elles sont même
"nationalisées". Les musiciens jouissent du statut de
fonctionnaire. Leurs instruments et voyages de promotion dans le bloc de l’est
sont pris en charge par l’État. Parmi les plus
célèbres orchestres, citons Keletigui et ses Tambourinis, Balla et ses
Baladins, le Horoya Band, les Amazones de Guinée ou encore le Bembeya Jazz
national. Les créations musicales de ces formations sont enregistrées au studio
de la Révolution, financé par des fonds est-allemands, publiées par le label
d’Etat Silyphone que symbolise un éléphant (silly en langue soussou), l’emblème
du parti du président. Les morceaux sont ensuite diffusés sur les ondes de la radio
nationale dont est bientôt bannie toute musique occidentale. De la sorte, la musique mandingue rénovée devient
une influence majeure pour l'Afrique occidentale, au même titre que le highlife
ghanéen ou l'afro-beat nigérian.
Le Bembeya Jazz National mélange avec bonheur
jazz, highlife, rumba cubaine et répertoire traditionnel mandingue. Agrégat de
musiciens virtuoses, le groupe s’impose comme la formation la plus appréciée
de guinée et comme la matrice d’autres futurs big bands ouest-africains (le
Rail Band, les Ambassadeurs, Orchestra Baobab). Sur "Petit Sékou" (plus haut dans ce billet), le guitariste Sekou Diabaté fait admirer son immense talent.
Dans la plus pure tradition griotique, le groupe chante les louanges de Sékou Touré et vantent les mérites du parti unique. Le Bembeya Jazz enregistre ainsi une ode à « l’armée guinéenne » dont l’introduction, au son cristallin, donnerait presque envie de s’engager.
* Miriam Makeba, ambassadrice de la Guinée.
La posture anticolonialiste et panafricaniste adoptée par Sékou Touré lui
assure un grand prestige et attire la crème des artistes du continent. La
grande chanteuse sud-africaine, Miriam Makeba, s'installe à Conakry avec son
compagnon, Stokely Carmichael, le théoricien du Black Power. Elle devient aussi
la représentante de la Guinée aux Nations Unies et le porte-voix de Touré sur
la scène internationale. Sur place, elle poursuit sa carrière, elle enregistre avec
un quintette guinéen quelques-uns de ses plus beaux morceaux, comme le
somptueux "Teya Teya".
* Une dictature impitoyable.
Cette musique, aussi belle soit-elle, ne doit pas faire oublier à quel
point la Guinée de Sékou Touré est un régime cruel. Le Parti présidentiel (le
PDG) contrôle absolument tout. Le dictateur paranoïaque, qui vit dans la
hantise d’un coup d’Etat, fait massacrer ses opposants et rivaux potentiels. Or,
la musique n’est jamais loin. Le sinistre camp Boiro, qui sert de lieu de
torture, dispose d’un des meilleurs groupes de musiciens du pays : le
Super Boiro Band, dont les volutes cuivrées couvraient peut-être les cris des
suppliciés.
La mort de Touré en 1984 précipite le déclin de la musique guinéenne. Les orchestres, privés de financement et de soutiens officiels, périclitent. Le coup d'Etat qui porte Lansana Conté au pouvoir, s’accompagne de la destruction de nombreuses archives musicales de la radio d’Etat, et la disparition du label Silyphone. Heureusement, de très belles rééditions signées Stern's Africa permettent de redécouvrir cette période de création musicale à jamais révolue. Pour clore ce billet, écoutons le merveilleux "Kadia Blues" enregistré par l’Orchestre de Paillote.
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