jeudi 15 mai 2025

« Heureux qui comme Ulysse » : l'Odyssée en chansons.

A l'issue de la guerre de Troie, une fois la ville ravagée, ses habitants massacrés, le Grec Ulysse prend la mer pour rejoindre l'île d'Ithaque dont il est le roi. Sa femme, Pénélope, patiente et fidèle, l'y attend depuis déjà dix ans. 

John William Waterhouse, Public domain, via Wikimedia Commons


Accompagné de ses compagnons, Ulysse prend la mer. Grisé par la victoire, mais écœuré par les flots de sang déversé, le héros semble avoir perdu la foi. Ce soupçon d'athéisme provoque la fureur de Zeus qui entend le châtier, et la haine de Poséidon qui cherche à le tuer. Dès lors, captif de la vaste mer, Ulysse est confronté à toute une série d'embûches sur la route du retour vers Ithaque. Il échoue chez les Cicones, les Lotophages, les Cyclopes, les Cimériens, les Phéaciens, rencontre Circé, Calypso, échappe aux sirènes, à Charybde et Scylla, avant de toucher au pays natal.

La culture populaire n'a eu de cesse de se référer à l'œuvre d'Homère. La chanson ne déroge pas à la règle. (1) Certains épisodes de l'Odyssée suscitent particulièrement l'intérêt. C'est le cas des sirènes, ces créatures mi femmes mi rapaces, dont le chant envoûtant provoque les naufrages. Ulysse parvient à leur échapper en prenant ses précautions. Attaché au mât de son embarcation, il a demandé à ses marins de boucher leurs oreilles grâce à de la cire. Tout aussi fasciné que le héros grec, les membres de l'Affaire Louis Trio cherchent à rencontrer les sirènes dans Mobilis in mobile. « J’irai voir tôt ou tard/ Si les sirènes existent/ Sur le dos des baleines / Je suivrai leur piste / Car nul ne résiste / Au charme doux / De leur chant d’amour »

Orelsan invite à son tour à se méfier des sirènes, ici identifiées aux mirages d'une vaine célébrité ; strass et paillettes ne constituant qu'un leurre. « J'entends les chants des sirènes / Regarde autour de moi tous ces gens qui m'aiment / J'veux toucher l'soleil avant qu'la pluie ne vienne / T'inquiète pas, seuls les faibles se font bouffer par le système. » [Le Chant des sirènes]

Ulysse aux mille tours connaît les vertus du vin. Il en use et abuse pour commettre ses ruses comme en témoigne la Petite messe solennelle de Juliette. « Né d'une âpre Syrah, d'un peu de Carignan / D'une terre solaire, des mains d'un paysan / C'est avec ce vin-là qu'on dit qu'Ulysse a mis / Le cyclope à genoux et Circé dans son lit .» Ainsi, prisonnier de Polyphème, Ulysse enivre le cyclope, pour mieux le tromper. Une fois endormi, les Grecs crèvent l'œil unique du géant. Caché sous des moutons, ils sortent de la grotte, échappent à la mort, mais pas à la haine de Poséidon, le père du cyclope.

Auparavant, Ulysse était parvenu à échapper à Circé la magicienne. Dans Le sort de Circé, la chanteuse Juliette prête sa voix à l'ensorceleuse et décrit la transformation des compagnons du héros achéen en pourceaux. Elle chante : "Mutatis mutandis / Ici je veux un groin / un jambon pour la cuisse / Et qu'il te pousse aux reins / un curieux appendice / Mutatis mutandis / Maintenant je t'impose / La couleur d'une rose / De la tête au coccyx / Mutatis mutandis".

Après moults péripéties, désormais seul, Ulysse échoue sur l'île d'Ogygie. Il est recueilli par la nymphe Calypso, qui tombe éperdument amoureuse du héros grec qu'elle couvre d'attention. Pendant sept années, ce dernier se la coule douce, mais il pense à son foyer, Ithaque, à son épouse, Pénélope, à son fils, Télémaque. Convaincu par Hermès, la nymphe laisse partir le héros. Arthur H conte ces amours torrides dans « Ulysse et Calypso ».

Intelligent, fort, éloquent, fidèle à sa patrie, Ulysse est un séducteur, mais il est orgueilleux. Sa femme, Pénélope est admirable : fidèle, intelligente, rusée. Georges Brassens, dans l'œuvre duquel abondent les références mythologiques, dépeint l'épouse fidèle sous un nouveau jour. Il avertit aussi des dangers à laisser trop longtemps seule une épouse au foyer. Sa Pénélope travaille à domicile, mais ne fait pas tapisserie. Face à l'ennui et la solitude qui l'accablent, des pensées charnelles s'immiscent dans son imagination fertile. Le poète sétois, et Barbara, sa merveilleuse interprète, s'en délectent. « Toi l'épouse modèle / Le grillon du foyer / Toi qui n'as point d'accrocs / Dans ta robe de mariée / Toi l'intraitable Pénélope. / En suivant ton petit bonhomme de bonheur (2X) / Ne berces-tu jamais en tout bien tout honneur / des jolies pensées interlopes.»

Au cours de son voyage, Ulysse se languit d'Ithaque. Cette nostalgie du pays natal inspire Heureux qui comme Ulysse à Joachim du Bellay en 1558. Le poète, qui se morfond à Rome, auprès du pape, compose un sonnet fameux en souvenir de Liré, son village angevin, dont la simplicité pittoresque lui est plus chère au cœur que les trésors de la ville éternelle. Des siècles plus tard, Georges Brassens reprend le premier vers du sonnet pour la chanson thème du film heureux qui comme Ulysse, dont le reste des paroles est du réalisateur Henri Colpi sur une musique de Georges Delerue. Le chanteur y évoque le bonheur d'être chez soi, entouré des siens, tout comme Ulysse revenu au bercail. « Heureux qui, comme Ulysse / a fait un beau voyage / Heureux qui comme Ulysse a vu cent paysages / Et puis a retrouvé / Après maintes traversées / Le pays des vertes allées »

Ridan met en musique le poème dans son morceau Ulysse« Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage, où comme celui-là qui conquit la toison, / Et puis est retourné, plein d'usage et raison, / Vivre entre ses parents le reste de son âge ! /

Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village / Fumer la cheminée, et en quelle saison / Reverrai-je le clos de ma pauvre maison ; / Qui m'est une province, et beaucoup davantage ? /

Plus me plaît le séjour qu'ont bâti mes aïeux / Que des palais romains le front audacieux ; / Plus que le marbre dur me plaît l'ardoise fine, /

Plus mon Loire gaulois que le Tibre latin ; / Plus mon petit Liré que le mont Palatin, / Et plus que l'air marin la douceur angevine. » Il y ajoute deux couplets de sa plume, dans lesquels il incite à se méfier des chemins soi-disant pavés d’or, à ne pas céder aux mirages d'eldorados trompeurs.  « J'ai traversé les mers à la force de mes bras / Seul contre les dieux perdu dans les marais / Retranché dans une cale  et mes vieux tympans percés / Pour ne plus jamais entendre les sirènes et leurs voix

Nos vies sont une guerre où il ne tient qu'à nous / De nous soucier de nos sorts, de trouver le bon choix, / De nous méfier de nos pas et de toute cette eau qui dort / Qui pollue nos chemins soi-disant pavés d'or »

Au début des années 1980, l'Odyssée inspire le dessin animé franco-japonais Ulysse 31. Le poème d'Homère y est transposé dans un futur de science fiction très lointain (le XXXIème siècle). Depuis la base spatiale de Troyes, Ulysse voyage à bord de l'Odysseus. Arrivé sur une planète, le héros provoque la colère des dieux en détruisant un robot satellite géant, qui n'est autre que le cyclope. La malédiction s'abat sur tout l'équipage, à l'exception d'Ulysse, de Thémis, une jeune extra-terrestre, de Télémaque et de son petit robot de compagnie : Nono. Le générique interprété par Lionel Leroy fait désormais parti de l'univers mental de tous ceux qui étaient enfants dans la décennie 1980, pour les autres il fait sans doute figure d'ovni.

Notes : 

1. Dans la langue de Shakespeare également, les titres inspirés de l'Odyssée ne manquent pas. Citons, parmi beaucoup d'autres Tales of brave Ulysses de Cream, Calypso de Suzanne Vega, Ulysses par Franz Ferdinand dont Véronique Servat nous parlait iciEn 1968, sous forme d'un hommage à l'Odyssée, Tim Buckley décrivait les dégâts causés par l'amour dans une ballade intitulée Song to the siren. "Longtemps en mer, sur des océans sans navire / Pour sourire, je faisais de mon mieux / Avant que tes yeux et tes doigts ne m'attirent / Par leur chant sur ton île, amoureux / Et tu chantais / Fais voile vers moi (2X) / Laisse-moi t'envelopper / Je suis là (2X) / J'attends de t'enlacer".  Le morceau sera repris de manière marquante par This Mortal Coil. Ici, la chanteuse Elizabeth Fraser personnifie la sirène, dont le chant attire marins et amoureux vers une sépulture aquatique. L'atmosphère éthérée, cotonneuse du titre correspond bien à l'univers marin du mythe homérique.

Sources : 

- Homère : "Odyssée", traduction de Victor Bérard, édition de Philippe Brunet, Folio classique, Gallimard

- Louisette Garcin : "L'Odyssée : épopée du retour d'Ulysse à Ithaque"

- "Le voyage d'Ulysse et ses interprétations" [BnF - les Essentiels]

samedi 3 mai 2025

A la découverte de la musique dub et du King Tubby.

Le dub est un courant de la musique jamaïcaine, né sous les doigts habiles d'ingénieurs du son surdoués et dont la diffusion hors de l'île caribéenne aura une incidence considérable sur toutes  les musiques électroniques à venir.       

Le dub apparaît dans le contexte éminemment jamaïcain du sound systemAu cours des années 1950, la Jamaïque se dote de ces sortes de disco-mobiles permettant à la population d’écouter et danser sur la musique, à une époque où les disques et la radio coûtent encore chers. Le selecter sélectionne les disques les plus chauds du moment, tandis qu'une sorte de chauffeur de piste, le toaster prend l’habitude de parler sur les disques. En Jamaïque, on l’appelle également deejay. Au cours des années 1960, la production de disques en Jamaïque est impressionnante. On presse les vinyles à la pelle pour alimenter les sound system de Kingston et satisfaire les attentes des danseurs, toujours en quête de nouveaux sons. 

Le dub est un terme anglais qui signifie « copier » / « doubler », comme lorsque l'on copie un son d'un support à un autre. Chez les producteurs jamaïcains, on nomme dubplate, le disque qui sert de master à tous les autres. Ce disque laque ou acetate permet de contrôler que le futur pressage ne contient pas d'erreur. C'est ce dubplate qui donne son nom au dub. L'apparition du genre est, en partie, le fruit d'une heureuse erreur technique. Toutes les semaines, Rudy Redwood, selecter d'un des sound system les plus populaires (le Supreme Ruler Sound basé à Spanish Town)se rend aux studios Treasure Isle de Duke Reid, afin de se procurer les nouveaux sons qui cartonnent. Reid met à disposition du selecter des acétates, afin de tester leur popularité sur la piste de danse, avant de les commercialiser ou pas. Fin 1967 ou début 1968, Byron Smith, l'opérateur du studio de Reid, presse un 45 tours du titre On the beach des Paragons. Lors de l'enregistrement, il omet de lancer la piste vocale. Finalement, deux versions sont gravées, une avec voix, l'autre sans. Or, lorsque Redwood diffuse la version instrumentale dans son sound-system, il ne peut que constater l’engouement du public. L'absence de voix permet aux danseurs de chanter le refrain et au deejay de développer ses interventions. C'est ainsi que les instrumentaux deviennent à la mode. Désormais, les 45 tours sortent systématiquement avec une version instrumentale en face B du titre original.  Ex : le "Jamaican bolero" de Tommy McCook. 

Mais, il ne s'agit pas encore véritablement de dub. Celui-ci n'apparaît que lorsque Osbourne Ruddock, alias King Tubby (le roi des tubes électroniques), opère d'importantes transformations de la matière sonore des versionscomme on se met alors à appeler les instrumentaux. Dès son plus jeune âge, Ruddock monte et remonte des appareils électroménagers pour en comprendre le fonctionnement. Passionné, il répare les appareils électroniques, en particulier les amplificateurs et le matériel de sonorisation. Son expertise lui permet d'être recruté par Duke Reid. A partir de 1968, Tubby possède un petit sound-system installé dans le quartier de Waterhouse (le Tubby's Home Town Hi Fi). Il y diffuse les dub plates qu'il grave à partir de versions des hits Treasure Isle. Le chauffeur de salle se nomme U Roy, un des grands pionniers du style deejay

Tubby ouvre son propre studio d'enregistrement au 18 Dromilly avenue. Studio est un bien grand mot, car il s'agit de la chambre de sa mère, une pièce exiguë qui ne permet pas d'accueillir de musiciens. Fer à souder en main, le maître des lieux, perfectionniste, ne cesse de modifier son installation afin d'obtenir le son adéquat. Son expertise et sa connaissance quasi scientifique du son incitent les producteurs à lui confier leurs enregistrements pour le mixage et la prise de voix, qui se déroulent avec les moyens du bord, dans la salle de bain.

L'ingénieur du son engage un véritable travail de remodelage et de sculpture des versions. Jusqu'en 1972, faute de console de mixage multipiste, il imagine un système qui fait passer le signal sonore à travers une série de filtres, bloquant les fréquences des différents instruments ou du chant, en fonction de ses désirs. (1) D'un côté, il retranche et enlève de la matière, pour mettre en relief et amplifier le couple rythmique basse/batterie, d'un autre il incorpore toute une série d'effets. Ainsi, les fragments de rythmes sont étirés, remodelés et le principe du remixage posé. 

Le dub témoigne d'une réelle capacité à recycler. "Rien ne se perd, rien ne se créé, tout se transforme." Il permet d'insuffler une nouvelle vie à de vieux morceaux, sublimés et métamorphosés à cette occasion. De la sorte, certains titres, qui n'avaient parfois pas bien marchés, peuvent être déclinés des dizaines de fois. Le remixage créatif de ces versions par Tubby et ses disciples – dont le statut change alors - inaugure une nouvelle conception de la production musicale. Sans être musicien, le King transforme cependant la console de mixage en instrument. Toute une série d'effets participe à la déstructuration de la base instrumentale (le riddim original), jusqu'à créer un nouveau morceau.

Ainsi, le dub est un morceau instrumental dont on modifie les différentes couches sonores. Certains instruments sont mis en avant, quand d'autres sont supprimés ou mis en sourdine, tandis que divers effets sonores donnent du relief à l'ensemble. 

> Le delay consiste à répéter plusieurs fois un son. "Don't rush the dub" de Scientist, élève de Tubby, offre un très bel exemple de ces échos répétitifs qui ajoutent de la profondeur et de la texture au morceau.

> La réverbe entretient la persistance du son malgré l'interruption de la source sonore. Cet effet permet de créer une atmosphère immersive et enveloppante. Un exemple avec "Dub you can feel" de King Tubby.

> L'effet phaser module et déphase le signal audio pour créer des crêtes et des creux, produisant un son tourbillonnant et fluctuant. 

> A tous ces effets viennent s'ajouter tout un ensemble de bruitages insolites, destinés à surprendre l'auditeur et à briser la monotonie : cris d'effroi, bruits de sirène, d'animaux ou de rembobinage comme sur "Assack Lawn N°1 dub" de Glen Brown et King Tubby.  

* un véritable paysage sonore. 

Au cours de sessions interminables, Tubby triture et malaxe le son de morceaux nimbés dans un écho spectaculaire, mais aussi désossés pour en faire ressortir le relief et n'en conserver que la substantifique moelle. Il retranche les voix, surexpose la batterie et la basse. Sous les doigts de l'ingénieur du son, cette dernière résonne avec une rondeur incroyable, comme sur ce "Father for the living dubwise", un enregistrement réalisé en collaboration avec le producteur Glen Brown

Travailleur acharné, producteur prolifique, ingénieur du son surdoué, Tubby magnifie le travail de chanteur comme Linval Thompson, Johnny Clarke ou Cornell Campbell. Travaillant avec les meilleurs producteurs de l'île (Augustus Pablo, Glen Brown, Winston "Niney" Holness, Vivian "Yabby U" Jackson, Bunny Lee et ses Aggrovators), il laisse une œuvre colossale, jalonnée de classiques. Ainsi, en 1973, il remixe les enregistrements de Lee Perry pour l'album Blackboard Jungle Dub ("Fever grass dub"). 

La mode du dub emporte tout à partir de 1973 et pour le restant de la décennie. Il faut dire que Tubby a formé ses poulains (Prince Jammy, The Scientist, Philip Smart) et fait des émules (Errol Thompson). Le succès est tel que toute une série d'albums intégralement dub sortent au cours de cette période. Un de plus fameux d'entre eux se nomme "King Tubby meets rockers uptown" (1976), fruit de la rencontre au sommet entre le King et Augustus Pablo, prodige du mélodica. 

A partir de 1974, Lee Perry devient à son tour ingénieur du son. L'homme se distingue par la conservation de motifs mélodiques, une inventivité débridée avec l'ajout des bruitages les plus insolites à ses enregistrements. Dans son Black Ark studio, entièrement conçu par King Tubby, Perry, pieds nus, un spliff en bouche, polit ses propres productions, jusqu'à obtenir satisfaction. Le résultat est bluffant avec une musique dense, luxuriante, comme sur "Bird in hand", enregistrée avec l'aide des Upsetters, ses musiciens attitrés. 

Les variations instrumentales mettent en évidence la partie rythmique qui se révèle une puissante incitation à danser. L'apparition du dub a des conséquences en cascades. Ainsi, les deejays, qui en Jamaïque ne sélectionnent pas les morceaux, mais assurent l'animation des soirées en commentant les sons diffusés par le selecter, trouvent une nouvelle matière pour mettre plus en avant leurs voix avec des interventions plus longues et plus travaillées. Le dub contribue ainsi à l'invention du toast, une forme de proto-rap. Bientôt, les DJ enregistrent leurs interventions sur les versions. Exemple avec "in the ghetto" de Big Joe.

En 1989, un cambrioleur assassine King Tubby, alors âgé de 48 ans. Sa mort correspond aussi à la fin de l'engouement pour le dub en Jamaïque. Plusieurs facteurs explique ce déclin. La production pléthorique de disques à la fin des années 1970 semble avoir provoqué une sorte d'overdose. D'autre part, le dub est enfant du studio et, en Jamaïque, il n'existe pas de groupes de dub susceptibles d'officier sur scène et donc d'entretenir l'intérêt du public. Enfin, en 1985, la réalisation du premier riddim de manière totalement numérique par Prince Jammy, disciple du King, ouvre l'ère du reggae digital et du dancehall, mais clôture celle du dub analogique. Mais, si le genre décline et s'éteint à Kingston, c'est pour mieux essaimer ailleurs Aux Etats-Unis, le dub et ses techniques de remixage pollinisent d'autres genres musicaux : le disco, le hip hop et ses sampling, la house, le punk (Bad Brain : "Leaving Babylon")

Au Royaume-Uni, lassés par les structures simplistes du punk, certains se tournent vers les rythmiques dub à l'image de Bauhaus ("Bela Lugosi's dead") ou des Clash (« The magnificent dance »). Le Guyanais Mad Professor devient le ponte du dub londonien, bientôt épaulé par le groupe Dub Syndicate du producteur Adrian Sherwood. A Bristol, la scène trip hop, menée par Massive Attack incorpore également le genre dans ses créations. Une scène dub spécifiquement française s'est également développée, avec des groupes qui officient en live comme les High Tone, Zenzile ou Improvisators Dub ou Kanka ("Croon it"). 

C° : Ne nous y trompons pas, le dub ne saurait être réduit à un style de reggae ou résumé à une approche technique de la matière sonore.

Notes :

1. L'acquisition de sa table de mixage Dynamic 4 pistes lui permettra, à partir de 1972, d'isoler beaucoup plus facilement les différents éléments constitutifs d'un enregistrement. 

Lexique:
- sound-clash: joute musicale opposant deux sound-system rivaux. La victoire revient au sound ayant suscité le plus d'enthousiasme parmi l'auditoire présent.
- Comme son nom l'indique le selecter sélectionne les disques diffusés, toujours à l'écoute des attentes des danseurs. 
- Le terme sound-man désigne le propriétaire du sound-system, ainsi que les techniciens y travaillant.
- Dancehall désigne dans un premier temps la piste de danse du sound-system. Désormais le mot désigne une forme de reggae digital, très en vogue à partir des années 1980.
- L'operator est le propriétaire d'un sound-system.
- Le toaster improvise des paroles mi-chantées mi-parlées sur des rythmiques reggae.
- Le dubplate ou special est un disque gravé en un seul exemplaire pour un sound system.

- le riddim est la base instrumentale d'un morceau.

Discographie sélective : 

Glen Brown and King Tubby : "Termination dub (1973-1979)", Blood and Fire, 1996.

King Tubby & Prince Jammy : "Dub of rights", Dub gone 2 crazy : in fine style 1975-1979, Blood and Fire, 1996

Prince Jammy : The crowning of Prince Jammy, Pressure Sounds, 1999

King Tubby & the Soul Syndicate : Freedom sounds in dub, Blood and Fire, 1996

Barrington Levy : Barrington Levy in dub, Auralux recordings, 2005

Lee Perry : Blackboard Jungle Dub, 1973

Augustus Pablo : King Tubby meets rockers uptown, 1976

Lee Perry : Return of the Super Ape, 1978

Big Joe : If Deejay was your trade (The Dreads at King Tubby's 1974-1977), Blood and Fire, 1994

Source :

A. "Lloyd Bradley : "Bass Culture. Quand le reggae était roi", Editions Allia, 2005.

B. Bruno Blum : "King Tubby" in "Le Nouveau Dictionnaire du Rock" (dir.) M. Assayas, Robert Laffont, 2014. 

C. Pony Music - King Tubby, The Dub master - interview de Thilbault Ehrengardt. (émission Pony Express sur la RTS)

D. T. Ehrengardt : "Real or fake Tubby

E. "Travail du bricolage et bricolage du travail. Lee Perry au Black Ark studio"

F. Thomas Vendryes« Des Versions au riddim. Comment la reprise est devenue le principe de création musicale en Jamaïque (1967-1985) »Volume ! [En ligne], 7 : 1 | 2010, mis en ligne le 15 mai 2012, consulté le 05 novembre 2024.