dimanche 26 octobre 2025

"Fanático" et "une sacrée pourrie". Deux hymnes pour l'Argentine anti Milei.

Ancien économiste de plateaux télé,  Javier Milei, préside aux destinées de l'Argentine depuis décembre 2023, date à laquelle il impose sa politique néolibérale de manière autoritaire. En deux ans, le miracle promis n'a pas eu lieu. L'inflation galopante à son arrivée au pouvoir, n'a été que jugulée, mais reste élevée. Surtout, l'homme politique d'ultradroite a pratiqué des coupes sombres dans toutes les dépenses sociales, hormis les allocations familiales, afin de maintenir de nombreux foyers des classes populaires juste au dessus du seuil de pauvreté et pour éviter une explosion de colères. S'il jouit encore d'une cote de popularité certaine, du soutien de Trump et de l'establishment argentin (l'agrobusiness, le secteur énergétique) qui profitent de la déréglementation économique et écologique, des critiques de plus en plus nombreuses se font entendre, en particulier parmi les victimes collatérales de la purge budgétaire : les femmes, les personnes LGTBQUIA+, les étudiants, les retraités

Argentina.gob.ar, CC BY 4.0 , via Wikimedia Commons

Dans le cadre de sa grande entreprise de désossage en règle de l'Etat, le président ultralibéral s'en prend au monde de la culture, notamment la musique, qui se retrouve dans l'œil du cyclone enclenché par le libertarien. Un petit tour d'horizon s'impose. 

Lors de la campagne présidentielle de 2023 qui le verra triompher, Milei mobilise la musique à son profit. Entre deux provocations, il n'hésite alors pas à pousser la chansonnette, en particulier en reprenant Panic Show du groupe La Renga, au grand dam de ses membres. Il éructe plus qu'il ne chante : "Salut à tous, je suis le lion, la bête a rugi sur l'avenue, tout le monde s'est mis à courir, sans rien comprendre..." On confirme.

Il a ensuite repris à son compte un titre de Bersuit : Se viene el estallido (l'explosion arrive) dans un clip de campagne, là encore sans l'accord des membres du groupe. Cette appropriation culturelle n'a rien d'anodin dans un pays resté très attaché à "el rock nacional" et aux figures de résistances musicales (voir le podcast et le billet que nous y avons consacrés). 

Face aux critiques du monde musical, Milei accuse les artistes de vivre des subsides publics, de soutenir l'opposition péroniste, de n'être que "des gauchistes de merde". Il s'engage alors à supprimer toute forme de subvention à la culture, "une dépense qui n'apporte rien" selon lui. Dès son accession au pouvoir, il s'empresse également de supprimer le ministère de la culture, pour n'en faire qu'un secrétariat d'Etat. 

L'hostilité aux musiciens qui ne le rallient pas débute avant même son accession au pouvoir. Ainsi, après le premier tour de la présidentielle 2023, qui voit Milei virer en tête, Lali Esposito, une chanteuse extrêmement populaire en Argentine, fait part sur X de sa consternation. "Quel danger, quelle tristesse !" Le candidat, bientôt élu, voit rouge. "Je ne sais pas qui elle est, j'écoute les Rolling Stones." Dès lors, il poursuit de sa vindicte la chanteuse, à laquelle il consacre une multitude de tweets haineux et messages orduriers, lâchant à ses trousses une horde de trolls fanatiques, révulsés par les positions féministes et pro-lgbt d'Esposito. Milei accuse bientôt la chanteuse de n'être qu'un "parasite" vivant aux crochets de l'Etat. Lors de ses prises de paroles, le président ne cesse de stigmatiser l'artiste qu'il renomme Lali Deposito ("dépôt"). Mais qui s'y frotte s'y pique. La chanteuse relève le gant et riposte en chansons. Sorti en septembre 2024, le titre Fanático s'adresse directement à Milei. 

"Tu aimes prétendre que tu n'as aucune idée de qui je suis / 

Je sais que tu as un poster de moi dans ta chambre / 

Tu prétends être le méchant, mais tu manques d'affection / 

Mais viens ici, viens plus près, je signerai ta photo.

Tout au long du morceau, elle multiplie les allusions aux passes d'armes échangées par médias interposés. L'impétueux président est réduit au statut de fan énamouré d'une star qui semble l'obséder. La chanson figure sur un album au titre bien senti: "Inutile de répondre quand le diable vous interpelle". Le clip de la chanson se déroule dans une sorte d'entrepôt, un lieu lugubre qui pourrait être un clin d'œil au surnom infamant dont l'avait affublé Milei. La chanteuse met les rieurs de son côté et en quelques heures, le titre devient tube (la vidéo totalise 20 millions de vues fin octobre 2025 !) et se mue en un hymne de l'opposition, repris dans toutes les manifestations anti Milei. Loin de briser la carrière de la chanteuse, les attaques haineuses du camp présidentiel à son encontre, la transforment en icône de l'opposition de gauche.  

En cette fin d'année 2025, la situation se corse pour le président libertarien. La situation économique reste fragile. Les coupes sociales ont accru encore les inégalités d'une société fragmentée et paupérisée. Or, celui qui vitupère sans cesse contre les politiciens "chorros" (voleurs), semble rattrapé par les scandales de corruption. Sa soeur, Karina Milei, une ancienne vendeuse de tartes sur Instagram, propulsée secrétaire générale de la présidence (1) en vertu des pratiques népotiques tolérées par son frère, est accusée d'avoir reçu des pots-de-vin, à hauteur de 3% sur l'achat de médicaments par l'agence national du Handicap. (2) Ainsi, ce scandale frappe durement celui qui se présentait comme le président "anticaste". 

Dans ses concerts, Lali Esposito souligne les contradictions de l'homme à la tronçonneuse. Le 6 septembre, au lendemain de la déroute électorale subie par le camp présidentiel dans la région de Buenos Aires, des milliers de fan de la chanteuse se mettent à chanter à l'unisson : "celui qui ne saute pas a voté Milei ! ". Sur scène l'artiste interprète Fanático. Au cours du morceau, elle fait le geste trois avec ses mains, une allusion évidente aux pots-de-vins reprochés à Karina Milei et au parti La Liberté avance. La chanteuse imite ensuite une des poses favorites de Milei, levant ses deux pouces en l'air. Tout cela sous l'œil hilare d'un public considérable. 

Bientôt, sur les réseaux sociaux, un refrain vise Karina Milei : "une sacrée ripou, la meuf est une sacrée ripou..." En quelques heures, le morceau, pastiche du standard cubain Guantanamera, se trouve sur toutes les lèvres des Argentins anti-Milei, y compris celles des députés de l'opposition au Congrès"Le quotidien est très dur en Argentine et cette chanson, c'est un peu l'ironie du désespoir, analyse Maria Paula Godoy, la musicienne à l'origine d'Une sacrée ripouEn tant qu'artiste, on cherche toujours à ce que la musique soit un pont pour aider à exprimer ce que l'on sent collectivement. Une sacrée ripou me confirme que l'art possède cette force." (source F) Le titre s'impose aussitôt comme l'hymne de la campagne électorale pour la province de Buenos Aires, en septembre 2025 (élections perdues par le camp présidentiel). Le succès du refrain témoigne indubitablement des signes de l'érosion de la popularité de Milei. 

Pour autant, les scandales ne font pas taire le président, bien au contraire. Début octobre 2025, dans le cadre d'une tournée promotionnelle pour vendre son nouveau livre et en vue des élections de la fin du mois, Milei, accompagné de certains de ses ministres, donnent un concert dans une grande salle de Buenos Aires. Au moment même où le président fait l'objet d'une défiance croissante en raison de son bilan économique et social contesté, et alors même qu'il doit répondre des accusations de corruption visant son entourage, la scène semble surréaliste. (jugez plutôt grâce à la vidéo ci-dessous)

Milei conserve néanmoins des soutiens importants dans le pays, et à l'étranger, comme le prouve la victoire de son parti aux élections de mi-mandat du 26 octobre 2025. Ce résultat devrait lui permettre, pour les deux années de présidence restantes, d'accentuer encore les dérégulations, avec le soutien de Trump.

Conclusion : Fort d'une longue histoire de lutte forgée en particulier au temps de la dictature, le monde de la culture entre en résistance contre les solutions individualistes, néolibérales et libertariennes promues par Milei. Il se bat au nom de la  solidarité, du coopérativisme. En s'en prenant à Milei et ses politiques liberticides, chanteurs et chanteuses lui prouvent que, contrairement à ses assertions, ils ne servent pas à rien.

Notes :

1. Elle a joué un rôle important dans l'organisation du parti au pouvoir, la Liberté avance. 

2. «"C'est le comble de la cruauté et du cynisme, voler aux plus fragiles alors que l'agence pour le handicap est définancée par le gouvernement, que les familles et les institutions ont la tête sous l'eau, totalement abandonnées par l'Etat", dénonce Pablo Ramblo, père d'une petite fille électro dépendante en raison d'une maladie orpheline, et dont les soins ont cessé d'être pris en charge.» (source F)

Sources :

A. «"Une sacrée ripou", le nouvel hymne argentin contre Karina Milei»

B. François-Xavier Gomez : "Argentine : Javier Milei, le rocker nauséabond qui veut gouverner le pays", Libération, 21 octobre 2023

C. Anaïs Richard : "Face à Milei, le monde de la musique entre en résistance", Mediapart, 12 janvier 2025.

D. La BO du monde sur France Inter : "Javier Milei, le populisme aux accents rock'n'roll", 13 novembre 2023

E. BO du monde sur France Inter : "Lali Esposito, la pop-star argentine qui tient tête à Javier Milei"

F. Mathilde Guillaume : "Une sacrée ripou, la chanson gage devenue l'hymne des anti- Milei en Argentine", Libération du 25 octobre 2025

vendredi 24 octobre 2025

« Siamo Tutti antifascisti. Chantons contre l'oppression. »

Les excellentes Éditions du Détour viennent de publier "Siamo Tutti Antifascisti. Chantons contre l'oppression". Nous y analysons 24 chants de résistance aux autoritarismes.


Extrait de l'introduction. 

" Les chansons ont contribué à fédérer les oppositions aux régimes personnels et autoritaires depuis l'époque de la Révolution française. Leurs compositeurs et leurs interprètes se sont élevés contre les idéologies qui sous-tendaient ces régimes : le conservatisme, le néolibéralisme, le nationalisme, le racisme et l'antisémitisme, sur la droite et l'extrême droite de nos échiquiers politiques actuels.

Sous la férule des monarques, empereurs, dictateurs et de leurs séides, le chant et la musique ont bien souvent été un moyen particulièrement propice à la contestation tant la structure des chants (alternance de couplets et d'un refrain), leur mémorisation et leur mise en partage pour une pratique chorale permettent de sortir de l'isolement, de faire bloc dans l'adversité, de conjurer les difficultés quotidiennes imposées par les oppressions. Chanter apporte réconfort, solidarité, résilience, donne du courage et galvanise, favorise la formation d'une communauté soudée et militante. D'une certaine manière, c'est un outil pour affronter la peur et la répression. Aussi, certains militants se voient catapultés chanteurs, presque par hasard ou malgré eux, comme le Syrien Ibrahim Qachouch ou l'Egyptien Ramy Essam, dans le contexte des révolutions arabes. "

Ci-dessous : la table des matières avec la liste des morceaux abordés :


Un flashcode permet également d'accéder une playlist rassemblant les chansons du livre.

Des extraits et la table des matières sont consultables sur le site des éditions du Détour.

Le livre est disponible dans de nombreuses librairies et peut être commandé en ligne.

jeudi 16 octobre 2025

Les présidents en chansons : bienvenue en Chiraquie.

Jacques Chirac naît à Paris, en 1932, d'une famille originaire de Corrèze. Son père est banquier, ses deux grands pères instituteurs. Le bac en poche, il fait science-po, l'ENA et devient haut-fonctionnaire (à la cour des comptes), avant d'intégrer le cabinet de Pompidou, alors premier ministre. Nommé secrétaire d'Etat, il occupera ensuite de nombreux postes ministériels (secrétaire d'Etat à l'emploi, à l'économie et aux finances, ministre de l'agriculture, de l'intérieur) et apprendra très vite à manier la langue de bois, l'art de dire sans dire.   

En 1967, il parvient à arracher la troisième circonscription de Corrèze (Ussel, Meymac, Egletons) aux radicaux socialistes. Grand, avec un physique avantageux, peu avare en poignées de mains et en verres au comptoir, il arpente le terrain avec efficacité [ "Je disais c'est loin, mais c'est beau." ]et entretient une grande proximité avec ses électeurs. L'énarque parisien, fils de pdg, réussit par un tour de passe passe dont il a le secret, à changer sa présentation et à se faire passer pour un gars du cru, représentant type de la province et du monde agricole. Très convaincant en "serre la louche", il utilise son entregent et ses réseaux pour obtenir le financement d'infrastructures pour le département. Il conservera son poste de député jusqu'à son accession à l'Elysée en 1995.

En 1974, Chirac se rallie à Valéry Giscard d'Estaing, dont il devient le premier ministre. Mais les relations entre les deux hommes, très dissemblables, sont mauvaises. En août 1976, il claque la porte de Matignon. En 1977, il se présente aux élections municipales à Paris. Il y applique sa recette corrézienne, en quadrillant le terrain. Michel Paje compose pour l'occasion "Chirac pour Paris", "Pour que la Seine ne charrie plus de poissons morts. / Qu'on s'y promène, et puisse y rêver encore. Pour que Paris, des artisans, / Pour que Paris, des petits marchands / Dans chaque rue, continuent comme avant". 

Le petit monde du rock alternatif dézingue la gestion de Chirac, un maire avant tout soucieux de mener la chasse aux punks et aux crottes de chien. En 1984, dans "Chirac'n'roll", les Singes hurlent : "Ta gueule partout tes flics partout / c'est vraiment trop pour nous / ton hypocrisie ta démagogie / y'en a carrément plein le cul / ta politique est une maladie qui empoisonne nos vies / pourquoi tu retournes pas en Corrèze?  / cueillir tes vaches et traire les fraises."
La Mano Negra reproche à l'édile de placer la capitale sous l'éteignoir, la fête est finie, comme ils le chantent dans "Paris la nuit" : "L'baron qui règne à la mairie, veut que tout l'monde aille au lit sans bruit".


Chirac envisage la conquête de la capitale comme un marchepied, avec, en tête la présidence de la République en ligne de mire. Aussi se lance-t-il en 1981. Pour l'occasion, Pascal Stive compose "Chirac, maintenant" (1981). Lors de ce même scrutin, il se fend aussi d'un "Mitterrand président".  Bref un bel exemple de bouffage à tous les râteliers. On notera au passage que les deux morceaux sont tout aussi nuls l'un que l'autre.

Au soir du premier tour, Chirac n'arrive qu'en troisième position. Il doit ronger son frein, jusqu'à ce la déroute socialiste de 1986 aux législatives ne le remette sous le feu des projecteurs. En tant que chef du Rassemblement pour la République, arrivé en tête dans les urnes, il est nommé premier ministre, inaugurant une première cohabitation sous la Vème République. En phase avec son époque, il opte pour un libéralisme de type reaganien, privatisant les entreprises nationalisées par son prédécesseur. En 1986, le projet de loi Devaquet prévoit une hausse des frais d'inscription à l'université, la mise en concurrence et la sélection des étudiants. D'importantes manifestations de protestation ont lieu dans les facs. Le 6 décembre, Malik Oussekine est tué par les voltigeurs motorisés, en marge de la mobilisation. [nous y avons consacré un billet]

En un temps où le cumul des mandats étaient la règle, il peut être à la fois maire de Paris, député de Corrèze, président du RPR et premier ministre entre 1986 et 1988.
Lors des présidentielles de cette année là, les deux chefs de l'exécutif s'affrontent au second tour, après un débat au cours duquel Chirac n'a pas fait le poids face à Mitterrand. Après ce deuxième échec, il cherche à élargir sa base électorale, quitte à draguer ouvertement les électeurs lepénistes, de plus en plus nombreux. A Orléans en 1991, devant les militants RPR, il tient des propos racistes. Cette sortie inspirera les musiciens, notamment des dizaines de morceaux de rap. Les Toulousains de Zebda samplent le discours de Chirac et empruntent ses mots pour désigner une de leurs compositions les plus fameuses : "Le bruit et l'odeur" (1995).

Jacques Chirac est enfin élu président de la République en 1995, avec 52,6 % des voix face au socialiste Lionel Jospin. Les débuts du mandat, chaotiques, démontrent que le nouveau président possède une faible armature idéologique. Le pragmatisme - le cynisme ? - semble présider à ses choix. Bien que tenant du libéralisme reaganien de 1986 à 1988, il vient de faire campagne  sur le thème de la fracture sociale, promettant de lutter contre les inégalités et de rapprocher l'État des citoyens. Les Guignols de l'info le griment alors en Che Guevara. Une fois élu, Chirac remise sa rhétorique de gauche, laissant Juppé, premier ministre, s'attaquer aux retraites et à la Sécurité sociale. Sa marionnette prend désormais les traits de Super menteur. Dans la même veine, en 1999, "Le grand Jacques" des Mickey 3D dresse un portrait peu amène du nouveau président. 

Au début de son mandat, dans un discours fameux prononcé en 1995, à l'occasion de la commémoration de la rafle du Vél' d'Hiv', Chirac reconnaît pour la première fois la contribution de la France à la "Solution finale", sa responsabilité dans la déportation et l'anéantissement de près des 76 000 Juifs vivaient alors dans l'hexagone. "La France, ce jour-là accomplissait l'irréparable."

En 1997, après deux ans de présidence, Chirac décide de dissoudre l'Assemblée nationale dans l'espoir d'obtenir une majorité favorable. Mais cette stratégie échoue, et les élections législatives aboutissent à une victoire de la gauche plurielle, conduisant à une longue cohabitation de cinq ans avec Lionel Jospin Premier ministre. Le président s'arc-boute sur ses prérogatives, tout en essayant de tirer partie des réformes adoptées par Jospin (loi sur la réduction du temps de travail à 35 heures par semaine, adoption du pacte civil de solidarité). En 2000, les Français opte pour une réduction du mandat présidentiel avec l'instauration du quinquennat et Debout sur le zinc chante "Sport 2000".

En 2002, Jacques Chirac se représente à l’élection présidentielle. Les résultats du premier provoque un choc avec l’élimination de Lionel Jospin, dépassé par le candidat du Front nationalJean-Marie Le Pen. Chirac remporte le second tour avec 82,2 % des voix, bénéficiant du large soutien des électeurs de gauche, dans ce que l'on appelle le "front républicain" contre l'extrême droite. Pourtant, le gouvernement nommé ne représente en rien une ouverture vers la gauche.  Sur le site Belle campagne, le chanteur Malto transforme le président en chanteur de bossa nova. "Chirac. Je serai le président de tous les Français." (2002)

Le second mandat est marqué par un certain immobilisme. Il en reste néanmoins une décision courageuse et forte : le refus en 2003 d'engager la France en Irak et de s’aligner sur la position américaine et britannique qui débouche sur une guerre dévastatrice. Toujours dans le domaine des relations internationales, en 2005, les Français rejettent le projet de la réforme sur la constitution européenne, qui sera néanmoins mis en place deux ans plus tard, en vertu un déni de démocratie manifeste. 

Faute de réformes ambitieuses, Chirac investit certains thèmes. Dans un discours prononcé en septembre 2002 à Johannesburg, dans le cadre du Sommet de la Terre, il lance "Notre maison brûle et nous regardons ailleurs. Nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas. Prenons garde que le XXI ème siècle ne devienne pas, pour les générations futures, celui d'un crime de l'humanité contre la vie." Le discours permet une prise de conscience, mais il reste un discours. Dans les faits, on serait bien en peine d'identifier une mesure écologique mise en œuvre au cours de la présidence chiraquienne. 

Autre sujet de prédilection de Jacques Chirac, son intérêt pour les civilisations extra européennes, ce qui le conduira à fonder le musée du quai Branly. Reste que sur le terrain, la Françafrique se porte toujours aussi bien. Les présidents passent, mais le néo-colonialisme se perpétue. Un des membres de Tryo chante un des couplets de "Pompafricavec la voix de Jacques Chirac.

Tout au long du second mandat, des soupçons de corruption et d'affairisme planent, venant ternir l'image d'un président protégé par son immunité. Svinkels insiste sur cette corruption dans "Anarchie en Chiraquie" (2002) "Ici toute affaire occulte se noie / Dans un bain de foule chez les cultos / La France un grand comice agricole / Qui pue le fric, la bouffe, le fisc et l'alcool / Anarchie En Chiraquie / Qui c'est en France le plus gros mafieux".

 Les rappeurs présentent alors Chirac comme un parrain de la mafia, intouchable, ce qui leur permet de pointer du doigt l'hypocrisie d'un personnel politique pourtant prompt à dénoncer la délinquance juvénile. C'est le cas du "Jacko" du Saïan Supa Crew : "Monsieur Jacko, tout le monde veut lui faire la peau / Ce macko mériterait la taule, Jacko mène tout le monde en bateau ayayaiie". Le rappeur Veerus doute de la véracité des trous de mémoire que connaît le président à la fin de sa vie. Pour lui, cette amnésie tient de la ruse. "On prend cette monnaie à la Jacques Chirac / puis on oublie tout à la Jacques Chirac." ["Jacques Chirac"Sinsemilia nous propose une exploration des terres présidentielles dans "Bienvenue en Chiraquie" (2004) "Soyez les bienvenus en Chiraquie... / Ici, c'est chez toi / Oui mais tu fermes ta gueule / Ici il y a un roi / Et des seigneurs qui font c'qu'ils veulent / Ici, il y a des lois / Mais seulement pour le peuple / L'immunité en suprême privilège". 


En 2011, Chirac est condamné à deux ans de prison avec sursis dans l'affaire des emplois fictifs de la ville de Paris. Les vœux de Didier Wampas et son groupe sont enfin exaucés, puisque cinq ans plus tôt ils chantaient "Chirac en prison". "C'est une obsession, elle ne pense qu'à ça, elle n'en dort plus la nuit [...] / La seule chose qui lui ferait plaisir, ce serait de voir Chirac en prison." En enregistrant le titre, le chanteur veut tester la liberté d'expression en France. De fait, sans être officiellement censurée, la chanson est très peu diffusée à la radio, ce qui n'empêche pas le titre de trouver son public.

Chirac termine son mandat en 2007 avec une popularité en baisse. En octobre 2005, les banlieues s'embrasent. Pour Sarkozy, les rappeurs font rapidement figure de coupables idéaux. Ces derniers retournent néanmoins l'accusation contre le ministre de l'intérieur : Sniper enregistre "Brûle", Keny Arkana "Nettoyage au Kärcher".

Conclusion : 
A l'issue des deux mandats chiraquiens, "Salut l'artiste" de No one is innocent dresse le bilan ironique d'une présidence placée sous le sceau de l'hypocrisie. Le groupe énumère les dossiers à charge : "le bruit et l'odeur", la reprise des essais nucléaires en Polynésie, le néocolonialisme, le thème de la fracture sociale utilisé lors la présidentielle 1997. "Un bel hommage à l'artiste à la carrière exemplaire (...) / Comme une histoire d'odeur et de bruit / Des essais transformés, mais pas vraiment Pacifique, Le meilleur ami du monde, et plein de grands potes en Afrique. / Sans une égratignure, juste une vilaine "fracture", / On le sait depuis longtemps, le Phoénix à la peau dure. / Alors salut l'artiste"

A l'issue du second mandat, l'image de Chirac est fortement dégradée dans l'opinion. D'aucuns lui reprochent son opportunisme, son immobilisme ou encore sa versatilité. 
Mais plus le temps passe, plus le personnage apparaît à beaucoup comme sympathique, convivial, rassembleur, surtout quand on le compare à son successeur, Nicolas Sarkozy. Ainsi une nostalgie de la période Chirac se dessine. Sur la fin de sa vie, l'ancien président, malade, est affaibli et sa mémoire lui fait défaut. Du président, il reste ainsi une image, une geste, son coup de fourchette légendaire, des serrages de louches au kilomètre, des phrases cultes, des emportements, des saillies ou des trouvailles langagières abracadabrantesques, et qui ne font pas toujours pschittt. 

 Sources: