dimanche 14 novembre 2010

Loca Virosque Cano (6) : Ellis Island, Bruce Springsteen , "American Land", (2006) .


Springsteen, ses deux tantes (aux
extrémités) et sa mère à sa droite
lors de la remise de l'award, à Ellis
Island le 22/10/2010.
Le 22 avril 2010, Bruce Springsteen se tenait dans le grand hall du musée d'Ellis Island avec sa mère et ses tantes afin de recevoir un award récompensant un descendant d'immigrant ayant contribué de manière manifeste à l'histoire américaine (Ellis Island Family Heritage Award). Bien que né aux U.S.A, ce qui ne fut pas sans lui causer quelques déboires avec le parti républicain (1), Bruce Springsteen descend d'une arrière grand mère italienne (Rafaella Zerilli, citée d'ailleurs au début du 4° couplet) originaire de Vico Enquense, petit bourg situé à mi chemin entre Castellammare Di Stabia et Sorrento, dans cette jolie péninsule au sud de Naples. Elle arriva à Ellis Island le 3 octobre 1900 avec rien moins que ses 5 enfants.

"I dock at Ellis Island in a city of lights and spires"(2) dit Springsteen dans "American Land" qui porte, dans son texte, un bon lot de clichés sur l'imaginaire des immigrants vis à vis du nouveau monde.


Cette chanson est issue d'un album de reprises intitulé "We Shall Overcome- The Pete Seeger Sessions". On le devine aisément, le disque est une compilation de reprises de chansons folks interprétées ou écrites par Pete Seeger. Pour cet album, le Boss s'est séparé de son E-Street band et a fait appel à des musiciens de New York et du New Jersey pour l'enregistrement des morceaux. Au fil du temps, le groupe devint le "Sessions Band". Dans l'édition dite "American Land Bonus Tracks" apparaît en 18ème morceau cette chanson, qui fait exception puisqu'elle est signée Bruce Springsteen.

Ellis Island : une des portes ouvrant sur la terre promise.

Ellis Island ne fut pas toujours la porte d'entrée vers l'Amérique et son rêve. Les autres sites qui tinrent le même rôle sont toutefois fort peu éloignés de l'île au large de Manhattan.


Castel garden Centre d'immigration de l'état de New
York de 1855 à 1890.


Ellis Island, île située à l'ouest de la pointe sud de Manhattan et proche de Liberty Island sur laquelle se trouve la statue du même nom, n'avait aucunement vocation à servir de porte d'entrée vers les Etats-Unis. En effet, en 1880, y est construit Fort Gibson et le site est utilisé, à l'origine, pour la surveillance côtière. Rappelons d'autre part, que tous les immigrants qui accostèrent avant 1886, ne virent pas Lady Liberty, bien qu'elle soit, tout comme Ellis Island, emblématique de la mémoire de l'immigration aux Etats-Unis. De 1855 à 1890, alors que les Irlandais déferlent vers le nouveau monde, c'est sur le site de Castle Garden (aujourd'hui Castle Clinton), ancien opéra, à la pointe sud de Manhattan, dans Battery Park, que s'établit la nouvelle plateforme destinée à réceptionner les arrivants. A cette époque la quarantaine, en cas de maladie, s'effectue à Staten Island.




Le site d'Ellis Island en 1892.
Ce n'est qu'en 1892 que le centre d'Ellis Island ouvre ses portes, précisément le 17 décembre. Il fonctionnera jusqu'en 1954 ; son ouverture marque l'ère du contrôle fédéral de l'immigration, auparavant pris en charge par les états du pays.




En 1897, une partie des bâtiments est ravagée par un feu venu des cuisines. En 1898, une nouvelle structure sort de terre. Elle comporte le célèbre grand hall (qui arrive en 1900 à faire passer 6500 immigrants à la journée), des dortoirs, et un hôpital réalisé en récupérant les matériaux d'excavation de Grand Central (la gare de New York). En 1905 une troisième île sera ajoutée suivant les mêmes méthodes. La nouvelle station d'accueil des immigrants avec ses dortoirs, ses salles de bagages, son hôpital, ses cuisines, sa station électrique, sa salle de bains, fait travailler un personnel nombreux celui de l'immigration, mais aussi des interprètes, employés, gardes, personnels de maintenance, docteurs, infirmières et même un coiffeur !



Ellis Island : 12 millions d'immigrants.




Le hall du musée de l'immigration de
nos jours rappelle, au dessus d'une
de bagages ayant appartenu aux im-
migrants que 12 millions de personnes
sont entrées aux Etats-Unis par Ellis
Island (photo vservat)
Lorsque le centre d'Ellis Island ouvre ses portes en 1892, l'immigration vers les Etats-Unis en provenance du vieux monde (le continent européen), n'en est pas à ses balbutiements. Le XIXème siècle états-unien est celui de l'immigration de masse en premier lieu parce que la population de l'Europe passe entre 1750 et 1845 de 140 à 250 millions d'habitants.
Cette croissance démographique pèse lourdement sur les successions paysannes soit en faisant baisser la taille des parcelles soit en laissant les puinés sans héritage, favorisant ainsi la migration.


Avec la Grande Famine irlandaise du milieu du XIXème siècle , 1.2 millions d'irlandais partent vers le nouveau Monde s'ajoutant au 850 000 partis depuis les années 1820. (Se reporter sur l'histgeobox aux articles de Blot sur l'émigration irlandaise et leur devenir professionnel aux Etats-Unis). Ces Irlandais se distinguent par leur religion notamment, de la vague des immigrants "invisibles" (3) constituée des anglais, écossais et gallois qui ne sont pas moins de 2.7 millions à quitter le Royaume Uni entre 1820 et 1890.


Outre les causes économiques, on trouve aux origines des départs vers l'Outre Atlantique les troubles politiques qui affectent le vieux continent, tout autant que les persécutions religieuses qui affectent certaines communautés en particulier les populations juives de Russie.






Musée d'Ellis Island : sur cette représentation
graphique, on distinge que ce sont sur les vingt
années qui précèdent et suivent le tournant du
siècle que l'immigration fut la plus forte. (photo
vservat)
Entre 1892 et 1924 12 millions de personnes entrent aux Etats-Unis par Ellis Island et le port de New York.
Parmi les autres communautés européennes qui passent la porte d'or d'Ellis Island, on citera les populations germanophones et scandinaves. Beaucoup d'entre leurs membres ne s'arrêtent pourtant pas à New York et poussent jusqu'au Middle West.




New York, à l'entrée de Mulberry
Street, Little Italy. (photo vservat)






Les Italiens qui leur emboitent le pas (dont Mme Zerilli, grand mère de Bruce Springsteen) ne peuvent donc plus accéder aux terres déjà distribuées. Ils s'installent donc dans les villes, participant à leur développement en se faisant employer dans l'industrie du bâtiment ou des moyens de transport. Les femmes se font embaucher comme employées, en particulier dans l'industrie textile en plein décollage. Aujourd'hui, il reste encore à NewYork, sur une portion de Mulberry Street, une partie visible du quartier de Little Italy, peuplé de ces migrants du sud de l'Italie immortalisés par les cinéastes.





Dernières communautés à affluer vers le nouveau monde, celles en provenance d'Europe de l'est. On pense immédiatement aux populations juives persécutées par les pogroms en Russie. Il faut y ajouter les polonais qui se transforment, à la faveur de leur passage de l'autre côté de l'Atlantique de main d'oeuvre agricole en composante déterminante du prolétariat industriel urbain.




Mur des passeports,
musée d'Ellis Island.(vservat)
Au final selon l'historienne Nancy Green entre 1899 et 1924 3.8 millions d'italiens, 1.8 million de Juifs, 1.5 million de polonais, 1.3 million d'allemands, 1 million de britanniques, autant de scandinaves et tout juste un peu moins d'irlandais (800 000) sont venus transfigurer la population des Etats-Unis.


















Ellis Island : un parcours réglementé vers le rêve américain.


Musée d'Ellis Island, résumé
du parcours de

l'arrivant. (photo vservat)
A la sortie du ferry qui les dépose sur Ellis Island, après un voyage qui ne fut souvent pas de tout repos, les migrants européens ne sont pas encore au bout de leurs peines. Un parcours balisé et réglementé les attend dans ce lieu transformé en une véritable tour de Babel tant y résonnent toutes les langues du continent européen.


Les migrants sont dirigés vers les services de la santé publique qui seront les premiers à les examiner. Les médecins prirent assez vite le coup de main pour identifier les migrants malades et affaiblis tant et si bien qu'ils s'alignèrent sur le "6 seconds physical" (un examen express de 6 secondes, dans lequel l'examen des yeux est un moment crucial pour détecter le trachome, maladie occulaire contagieuse). Peu d'arrivants sont recalés à l'examen médical (on estime leur proportion à 2%). Pour ceux que cela concerne toutefois, le marquage est de rigueur ; une coche à la craie est appliquée sur leur vêtement à hauteur de la poitrine et ils sont ensuite redirigés vers les services médicaux pour examen complémentaire. Une écrasante majorité arrive néanmoins dans le grand hall du bâtiment principal d'Ellis Island. Là, les arrivants rencontrent, au terme de leur attente, un employé de l'USIS (United States Immigration Service) qui les questionne et parfois américanise leur patronyme.(4) .Cette ultime étape est celle qui permet d'obtenir le sésame vers la terre ferme et New york.


Le grand hall d'Ellis Island.
(photo de photo du musée, vservat)


A certaines périodes, bien sûr, les lois sur l'immigration modifièrent quelque peu ce parcours. A partir de 1917 un "Litteracy Test" est mis en place, et à partir de 1921, des quotas limitant l'entrée aux Etats-Unis par New York sont établis (3% puis 2% des communautés déjà présentes sont autorisées à passer, les quotas s'appuyant respectivement sur les recensement de 1910, et de 1890). Ce durcissement législatif aboutit à un forte chute du nombre d'entrées sur le sol des Etats-Unis.




Ellis Island : un long silence puis la résurrection de la tour de Babel du nouveau monde.


La seconde guerre mondiale transforme le centre d'Ellis Island en lieu de détention pour les ennemis des Etats-Unis (en 1946, environ 7 000 allemands, italiens et japonais étaient détenus à Ellis Island) et aussi en centre d'entrainement pour les gardes côtes. Le site est définitivement fermé en 1954 et entre en sommeil. Il se dégrade rapidement comme on peut le voir sur les photos ci dessous.


Le débarcadère en ruine, 1974.
(P. Buelher).
Le réfectoire, 1974.
(P. Buelher)









En 1965, Ellis Isalnd devient monument national en étant intégré au parc de la Statue de la liberté. A partir de 1984, une énorme opération de rénovation débute. Elle redonne vie aux lieux pour les transformer en ce musée que l'on visite aujourd'hui. Elle résuscite aussi les vies de ceux qui traversèrent l'océan et surent laisser, sur un mur, la trace émouvante de leur passage vers une nouvelle vie, en terre Américaine.


Dessin d'un bateau gravé sur un des murs du site d'Ellis
Island par un migrant anonyme mis à jour à la faveur de la rénovation du site.
(photo vservat)




Notes :
(1) Voir l'article de Aug sur l'histgeobox
(2) "J'ai accosté à Ellis Island dans une ville de lumière et de flèches"
(3) L'expression est de N. Green, elle l'emploie pour les migrants anglophones qui se sont fondus rapidement dans le creuset, sans différence de langue.
(4) On en trouve un exemple romancé dans "Moon palace" de P. Auster, écrivain New Yorkais : "Plus tard, oncle Victor m'a raconté qu'à l'origine le nom de son père était Fogelman, et que quelqu'un, à Ellis Island, dans les bureaux de l'immigration, l'avait réduit à Fog, avec un g, ce qui avait tenu lieu de nom américain à la famille jusqu'à l'ajout du second g, en 1907. Fogel veut dire oiseau, m'expliquait mon oncle, et j'aimais l'idée qu'une telle créature fît partie de mes fondements. Je m'imaginais un valeureux ancêtre qui, un jour, avait réellement été capable de voler. Un oiseau volant dans le brouillard, me figurais-je, un oiseau géant qui traversait l'Océan sans se reposer avant d'avoir atteint l'Amérique".


Bibliographie / sitographie :


A. Kaspi, "Les américains" Tome 1, points seuil, 1986.
N. Green, "Et ils peulèrent l'Amérique", découverte gallimard, 1994
J. Rainhorn, "L'appel de l'Amérique", l'Histoire, 04/2007.
P. Rygiel, "Quand l'Europe était une terre d'émigration", les collections de l'Histoire, 01/2010




et maintenant place à la musique :





American Land
What is this land America so many travel there
Quelle est cette terre d'Amérique vers laquelle tant voyagent
I'm going now while I'm still young my darling meet me there

Je m'y rends désormais tant que je suis jeune, ma chérie, retrouve moi là bas
Wish me luck my lovely I'll send for you when I can

Souhaite moi bonne chance mon aimée, je t'écrirais dès que possible
And we'll make our home in the American land

et nous fonderons notre foyer en terre Américaine.

Over there all the woman wear silk and satin to their knees

Là bas toutes les femmes portent soie et satin jusqu'aux genoux
And children dear, the sweets, I hear, are growing on the trees

Et leurs chers enfants, si doux, ai-je entendu, poussent sur les arbres
Gold comes rushing out the rivers straight into your hands

L'or surgit des rivières directement dans tes mains
When you make your home in the American Land

Quand tu vis en terre Américaine.

There's diamonds in the sidewalk the's gutters lined in song

Il ya des diamants sur les trottoirs, des caniveaux doublés de chansons
Dear I hear that beer flows through the faucets all night long

Chérie j'ai entendu la bière couler des tireuses toute la nuit
There's treasure for the taking, for any hard working man

Il y a des trésors à prendre, pour tout homme capable de travailler dur
Who will make his home in the American Land

Qui s'établira en terre Américaine.

I docked at Ellis Island in a city of light and spires

J'ai accosté à Ellis Island dans une ville de lumière et de flèches
She met me in the valley of red-hot steel and fire
Elle m'a rencontré dans la vallée de l'acier en fusion et du feu
We made the steel that built the cities with our sweat and two hands

Nous avons fait l'acier qui a servi à construire ces villes avec notre sueur et deux mains
And we made our home in the American Land
Et nous avons établi notre foyer en terre Américaine.


There's diamonds in the sidewalk the's gutters lined in song

Il ya des diamants sur les trottoirs, des caniveaux doublés de chansons
Dear I hear that beer flows through the faucets all night long

Chérie j'ai entendu la bière couler des tireuses toute la nuit
There's treasure for the taking, for any hard working man

Il y a des trésors à prendre, pour tout homme capable de travailler dur
Who will make his home in the American Land

Qui s'établira en terre Américaine.

The McNicholas, the Posalski's, the Smiths, Zerillis, too

Les McNicholas, les Posalski, Les Smith, les Zerilli aussi
The Blacks, the Irish, Italians, the Germans and the Jews

Les Noirs, les Irlandais, Les Allemands, et les Juifs
Come across the water a thousand miles from home

Traversèrent la mer, des centaines de miles de chez eux
With nothin in their bellies but the fire down below

Avec leurs ventres vides mai le feu à leurs trousses

They died building the railroads worked to bones and skin

Ils mourrurent en construisant les de chemin de fer se tuant au travail
They died in the fields and factories names scattered in the wind

Ils mourrurent dans les champs et les usines
They died to get here a hundred years ago they're still dyin now

Ils mourrurent pour arriver jusqu'ici il y a cent ans de cela et ils y meurent encore
The hands that built the country were always trying to keep down

Les mains qui édifièrent ce pays ont toujours éssayé de ne as se montrer



There's diamonds in the sidewalk the gutters lined in song

Il ya des diamants sur les trottoirs, des caniveaux doublés de chansons
Dear I hear that beer flows through the faucets all night long

Chérie j'ai entendu la bière couler des tireuses toute la nuit
There's treasure for the taking, for any hard working man

Il y a des trésors à prendre, pour tout homme capable de travailler dur
Who will make his home in the American Land

Qui s'établira en terre Américaine.
Who will make his home in the American Land

Qui s'établira en terre Américaine.
Who will make his home in the American Land

Qui s'établira en terre Américaine.





8 commentaires:

blottière a dit…

merci pour cet article d'une grande clarté. Avec des photos perso', c'est la classe.

E.AUGRIS a dit…

Chouette ballade irlandaise et merci Véronique pour la visite d'Ellis Island !

véronique servat a dit…

Merci Messieurs !
On vient de me proposer une piste pour la traduction...je la mets en ligne.
Ce musée d'Ellis Island est un endroit incroyable, ultra didactique, d'une richesse documentaire époustouflante, c'est un endroit habité ... avec une vue inoubliable sur Lady Liberty et la skyline.

Anonyme a dit…

Vous faites l'impasse sur ces raids de déportations d'anarchistes, parfois, et d'italiens, surtout, qui ont eu lieu en 1920 et avaient pour salle d'attente Ellis Island.

véronique servat a dit…

Je ne fais pas volontairement d'impasse. Mes connaissances ont des limites et je ne sais pas de quoi vos parlez.
Peut etre pourriez vous nous donner quelques précisions sur le sujet, éventuellement des pistes bibliogaphiques mentionnant ces faits?

Anonyme a dit…

Bien sur. L'affaire Sacco & Vanzetti débute à cette période. Période où un jeune loup du nom d'Alexander Palmer fit controverse. Durant 1 année des gens furent arrétés, envoyés sur Ellis Island et déporté vers la suede.

http://en.wikipedia.org/wiki/Red_Scare
http://en.wikipedia.org/wiki/Palmer_Raids
http://en.wikipedia.org/wiki/First_Red_Scare#Palmer_Raids
http://en.wikipedia.org/wiki/File:Radicals_awaiting_deportation.jpg

c'est aussi

blottière a dit…

Pour "l'anonyme", sur la "red scare" et la répression qui s'abat sur les anarchistes, communistes et socialistes américains, voir aussi la chanson "Here's to you":
http://lhistgeobox.blogspot.com/2008/10/108-joan-baez-heres-to-you.html

J.

véronique servat a dit…

Dis comme cela c'est beaucoup plus clair et je vois bien davantage de quoi vous parlez.