A la fin du XIXème siècle, le Brésil
est en pleine ébullition. Sur le plan politique, la monarchie constitutionnelle est renversée en 1889 (1). Une République oligarchique la remplace. La nouvelle constitution
établit la séparation de l’Église et de l’État tout en accordant
une large autonomie aux différents États de la fédération. Dans
les faits, les propriétaires terriens accaparent le pouvoir au
détriment des plus pauvres, toujours exploités économiquement et exclus du
droit de vote. Sur le plan économique, la culture du
café permet au pays de connaître un boom sans précédent.
Dans le nord-est du Brésil, le temps
semble s'être figé depuis la période coloniale. Vaste territoire
semi-désertique, le Sertaõ s'étend sur 7 États. A l'écart des
principales voies de communication, il constitue un véritable
isolat, conservatoire d'une culture populaire ancestrale.
Les conditions de vie s'y révèlent
particulièrement éprouvantes en raison de la pauvreté des sols et
de l'aridité du climat. Les fréquentes sécheresses qui affectent
ce « polygone » y déciment le bétail et conduisent les
sertanejo (voir lexique) à l'exil. Les élites de Rio de Janeiro méprisent ces
populations « arriérées », confites dans un mode de vie
considéré comme quasi-médiéval.
Ce territoire ingrat constitue un terreau favorable au développement des mouvements messianiques les plus divers."Dans
cette région aride au climat étouffant, l'hostilité naturelle a
constitué une sorte de bouclier pour tous ceux qui craignaient la menace
du monde extérieur. Les Juifs portugais y ont trouvé refuge ainsi que
les bandits, les voleurs de bétail et les jagunços, des
hommes de main engagés par les éleveurs pour défendre leurs troupeaux.
C'est encore dans ces marges que les adeptes des "messies" indiens et
autres illuminés ont fui le zèle des évangélisateurs." (cf: Carmen Bernand)
Antônio Vicente Maciel, rejeton d'une famille d'éleveurs de bétail du Sertaõ, mène l'existence difficile, faites d'expédients, des petits paysans nordestins. En 1874, du jour au lendemain, il abandonne tout pour consacrer son existence aux plus démunis. De village en village, Antônio parcourt le Nordeste, soigne les malades, apporte une oreille attentive aux humbles, restaure les églises en ruine, entretient les cimetières à l'abandon, prêche. Celui que l'on nomme désormais "le Conseiller" sait subjuguer son auditoire, le convaincre de tout abandonner
(c'est-à-dire souvent pas grand chose) pour l'accompagner en quête
d'une « Terre promise ». Dans l'attente de la venue du
seigneur. Dans ses sermons enflammés, Antônio fustige les puissants
obsédés par le lucre, condamne l'esclavage (2), l'exploitation des petits. Le Conseiller prophétise le retour du roi don Sebastiao (3) et la disparition de la République qu'il considère comme l'invention de l'Antéchrist.
Bientôt, une foule bigarrée suit le
« saint-homme » en quête d'une « Nouvelle
Jérusalem ». L'armée de va-nu-pieds compte dans ses rangs
prostituées, esclaves en fuite (mocambeiro), canganceiros en quête de
rédemption, vaqueiros (bouviers),
béats, madones, jagunços, d'une manière générale tous les
miséreux frappés par la misère et les sécheresses (4)... Après des années d'errance, les pèlerins
et leur prophète s'établissent dans une fazenda en ruine. Au lieu-dit Canudos, dans un vallon reculé de l’État de Bahia, une communauté
pastorale et théocratique se constitue, attirant toujours plus de laissés pour compte. Hommes,
femmes et enfants y partagent corps et biens dans un système autarcique. En quelques mois, c'est une « Jérusalem de
terre battue » qui apparaît. Des maisons chancelantes s'agglutinent
sur les pentes escarpées du vallon, à proximité des deux églises
voulues par le Conseiller. En 1885, Canudos rassemble déjà
près de 25 000 personnes, ce qui en fait la deuxième "agglomération" de l’État Bahia après Salvador.
Dans ses sermons enflammés,
le "béat" fustige l'esprit de lucre des possédants, la cruauté des
propriétaires terriens, la rapacité fiscale de la jeune République dont il accuse la caste dirigeante de tous les maux: famine, sécheresse, misère... Il refuse les nouvelles institutions d'un régime central et lointain, coupable à ses yeux d'avoir instaurer le mariage civil et une loi de
séparation de l’Église et de l'Etat.
De son côté, l'oligarchie en place considère
désormais Canudos comme une véritable géhenne, bastion de
fanatiques religieux, repaire de crypto-monarchistes et foyer de
subversion sociale à éradiquer. Car ce sont bien deux mondes
qui s'affrontent. L'élite terrienne et urbaine
- obsédée par l'image de l'Europe et l'idée de progrès portée
par le positivisme comtien (5) - n'a que mépris pour les petits paysans
misérables et très religieux de Canudos.
Pour Carmen Bernand, "la
guerre contre le Conselheiro et ses partisans a mis brutalement en
lumière le décalage entre le monde rural et la cité, entre l'arriération
et la civilisation, opposition qui était déjà à l’œuvre au siècle des
Lumières." (6) Bref, les tenants de la République
perçoivent le refuge comme un obstacle à la modernisation en cours
du pays, un réduit d'arriérés à supprimer.
Pour les notables de Bahia, le régime a besoin d'ordre pour s'imposer et il faut agir vite:"L'ambiance morale des sertões
était favorable à la contagion et à l'extension de la névrose. Le
désordre, encore ponctuel, pouvait devenir le centre d'une déflagration
dans tout l'intérieur du Nord." (cf: "Os Sertões"). Il convient donc de mater au plus vite le désordre fomenté par les gueux du Conselheiro. Mais contre toute attente, les deux expéditions montées pour écraser les hallucinés de l'arrière-monde, échouent. Les autorités de l’État se résignent alors à réclamer l'aide du gouvernement fédéral. Rio lance donc une expédition à l'assaut de Canudos. Équipés d'escopettes hors-d'âge, les "fous de Dieu" prennent de nouveau l’ascendant sur les soldats armés de mitrailleuses et de canons.
Pour laver l'affront, le régime lance
une véritable armée (8000 hommes équipés de canons) à l'assaut
de Canudos en juin 1897. En dépit du déséquilibre des forces, les assiégés opposent une résistance acharnée aux assaillants et il ne faut pas moins de trois mois aux soldats de la République pour s'emparer de Canudos. La conquête se fait maison par maison. Finalement la ville est rasée, ses habitants
massacrés. Euclides da Cunha insiste sur la cruaut des combats: "Ce n'était pas une campagne, c'était un abattoir. Ce n'était pas l'action sévère des lois, c'était la vengeance. Dent pour dent. [...] Canudos ne se rendit pas. (...) Il résista jusqu'à l'épuisement complet. Conquis pas à pas, dans le sens littéral de l'expression, il tomba le 5 [octobre 1897], en fin d'après-midi, quand tombèrent ses ultimes défenseurs, qui moururent tous. Ils n'étaient plus que quatre: un vieillard, deux adultes et un enfant, devant lesquels rugissaient rageusement 5000 soldats." Or, en raison de l'isolement des lieux, ces derniers purent agir en toute impunité:" il n'y avait pas à craindre le terrible jugement de la postérité. L'Histoire ne parviendrait jamais à Canudos."
La République pouvait souffler, l'abcès de fixation que représentait Canudos n'était plus. Le souvenir de la tragédie allait en revanche profondément s'ancrer dans les mémoires.
La tuerie provoque le revirement d'une opinion publique au départ hostile.
Dans cette terre de légende qu'est le Nordeste, les paysans en lutte obtiennent rapidement une place de choix dans la culture populaire nordestine. Carmen Bernand constate: "C'est ainsi que, par leur sacrifice, ces rebelles d'un autre âge deviennent des héros, et leurs prouesses sont racontées dans toute la région sous forme de romances, de gravures et d'histoires sommaires colportées sur des feuillets de papier ordinaire suspendus par le milieu à une ficelle - d'où le nom de littérature de cordel qui leur a été donné." Les sertanejos assiégés et leur guide viennent grossir le riche panthéon nordestin et prennent place aux côtés des preux de Charlemagne, du légendaire Zumbi ou encore des bandits d'honneur. La chanson, la littérature et la poésie populaire au Brésil n'ont cessé depuis ce jour de conter les faits et gestes de ces paysans révoltés.
Cette lutte inexpiable suscite également la fascination des observateurs du littoral, en particulier celle d'un jeune journaliste épris de positivisme et hostile au départ aux « insurgés »: Euclides da Cunha.
Ebranlé par le courage farouche des combattants dont beaucoup sont des enfants et des femmes. En homme nourri de positivisme, l'écrivain s'étonne de la renommée dont jouissent ces "criminels". Il envisage d'abord le soulèvement de Canudos comme une "révolte de retardataires", une Vendée sertaneja à écraser, une irruption du passé dans le présent. Le village incarne à ses yeux le mystère de l'intérieur, ce territoire hors du temps inconnu des villes et du littoral. "Cette zone s'était peuplée et développée, autonome et forte, bien qu'obscure et haïe par les chroniqueurs de l'époque, complètement oubliée non seulement par la métropole lointaine, mais aussi par les gouverneurs et les vice-rois eux-mêmes." (7)
La couverture de l'évènement transforme cependant de manière radicale le regard porté sur les forces en présence. Toutefois, son regard ne tarde pas à se modifier, ses certitudes se lézardent peu à peu comme en atteste Os sertões, le récit baroque qu'il consacre à la guerre de Canudos. Lui qui vomit les "sous-races sertaneja" (8) ne peut s'empêcher de louer la bravoure et l'ingéniosité des combattants assiégés. Au contraire, les fourriers de la République, censés incarner la civilisations, font preuve d'une cruauté gratuite. Au bout du compte, il renvoie dos à dos le fanatisme des soldats de la République au messianisme des insurgés. "(...) Insistons sur cette seule proposition: attribuer à quelque conjuration politique la crise sertaneja exprimait une ignorance manifeste des conditions naturelles de notre race. (...) Et cette ignorance fut la cause de désastres plus grand que ceux des expéditions mis en déroute. Elle montra que nous n'étions guère avancés par rapport à nos rudes compatriotes retardataires. Ceux-ci, au moins, étaient logiques. Isolés dans l'espace et dans le temps, le jagunço [ici le partisan de Conselheiro] (...) ne pouvait faire que ce qu'il fit: frapper, frapper terriblement la nation qui, après l'avoir délaissé pendant près de trois siècles, cherchait à le traîner vers les merveilles de notre époque à la force des baïonnettes, et en lui montrant l'éclat de la civilisation à travers la lueur des décharges."
La République pouvait souffler, l'abcès de fixation que représentait Canudos n'était plus. Le souvenir de la tragédie allait en revanche profondément s'ancrer dans les mémoires.
Quelques jours avant la reddition finale, quelques femmes et enfants, en fâcheux état, se rendirent aux assaillants. Cliché réalisé par Flavio de Barros, qui a suivi l'assaut final de l'armée. |
La tuerie provoque le revirement d'une opinion publique au départ hostile.
Dans cette terre de légende qu'est le Nordeste, les paysans en lutte obtiennent rapidement une place de choix dans la culture populaire nordestine. Carmen Bernand constate: "C'est ainsi que, par leur sacrifice, ces rebelles d'un autre âge deviennent des héros, et leurs prouesses sont racontées dans toute la région sous forme de romances, de gravures et d'histoires sommaires colportées sur des feuillets de papier ordinaire suspendus par le milieu à une ficelle - d'où le nom de littérature de cordel qui leur a été donné." Les sertanejos assiégés et leur guide viennent grossir le riche panthéon nordestin et prennent place aux côtés des preux de Charlemagne, du légendaire Zumbi ou encore des bandits d'honneur. La chanson, la littérature et la poésie populaire au Brésil n'ont cessé depuis ce jour de conter les faits et gestes de ces paysans révoltés.
Dans la littérature de cordel, la guerre de Canudos devient un épisode de légende et Conselheiro un mythe. |
Cette lutte inexpiable suscite également la fascination des observateurs du littoral, en particulier celle d'un jeune journaliste épris de positivisme et hostile au départ aux « insurgés »: Euclides da Cunha.
Ebranlé par le courage farouche des combattants dont beaucoup sont des enfants et des femmes. En homme nourri de positivisme, l'écrivain s'étonne de la renommée dont jouissent ces "criminels". Il envisage d'abord le soulèvement de Canudos comme une "révolte de retardataires", une Vendée sertaneja à écraser, une irruption du passé dans le présent. Le village incarne à ses yeux le mystère de l'intérieur, ce territoire hors du temps inconnu des villes et du littoral. "Cette zone s'était peuplée et développée, autonome et forte, bien qu'obscure et haïe par les chroniqueurs de l'époque, complètement oubliée non seulement par la métropole lointaine, mais aussi par les gouverneurs et les vice-rois eux-mêmes." (7)
La couverture de l'évènement transforme cependant de manière radicale le regard porté sur les forces en présence. Toutefois, son regard ne tarde pas à se modifier, ses certitudes se lézardent peu à peu comme en atteste Os sertões, le récit baroque qu'il consacre à la guerre de Canudos. Lui qui vomit les "sous-races sertaneja" (8) ne peut s'empêcher de louer la bravoure et l'ingéniosité des combattants assiégés. Au contraire, les fourriers de la République, censés incarner la civilisations, font preuve d'une cruauté gratuite. Au bout du compte, il renvoie dos à dos le fanatisme des soldats de la République au messianisme des insurgés. "(...) Insistons sur cette seule proposition: attribuer à quelque conjuration politique la crise sertaneja exprimait une ignorance manifeste des conditions naturelles de notre race. (...) Et cette ignorance fut la cause de désastres plus grand que ceux des expéditions mis en déroute. Elle montra que nous n'étions guère avancés par rapport à nos rudes compatriotes retardataires. Ceux-ci, au moins, étaient logiques. Isolés dans l'espace et dans le temps, le jagunço [ici le partisan de Conselheiro] (...) ne pouvait faire que ce qu'il fit: frapper, frapper terriblement la nation qui, après l'avoir délaissé pendant près de trois siècles, cherchait à le traîner vers les merveilles de notre époque à la force des baïonnettes, et en lui montrant l'éclat de la civilisation à travers la lueur des décharges."
L'extrait musical retenu ici s'intitule "Revolta". Il est interprété par Olodum, un célèbre bloc carnavalesque de Salvador. Les paroles convoquent les grandes figures du panthéon nordestin. Mis à part le Conselheiro, les musiciens évoquent Zumbi, Lampião et Corisco.
Le premier est le chef guerrier de Palmares, une communauté d'esclaves en fuite (quilombo). A la tête d'esclaves marrons, Zumbi offrit une résistance acharnée aux troupes coloniales portugaises. La date de sa mort le 20 novembre (en 1695) incarne la journée de la Conscience noire.
Lampião et Corisco sont deux des plus illustres bandits d'honneurs du Nordeste. Les fameux cangaceiros dont nous vous avons déjà parlé ici. Olodum mentionne encore les retirantes, ces paysans misérables du Nordeste, contraints de «se retirer» des terres affectées par la sécheresse et d'émigrer temporairement vers le Sud.
Un sinistre point commun relie Zumbi, Lampião et Conselheiro. Tous trois furent décapités et leurs têtes exhibées. Pour les deux premiers, il s'agissait avant tout de convaincre leurs "adeptes" de leur disparition effective. Quant au "Conseiller", "on le déterra soigneusement. (...) On le photographia ensuite. (...) On le rendit à la fosse. Mais on pensa par la suite que l'on devait garder sa tête tant de fois maudite (...). On rapporta ensuite ce crâne vers le littoral, où déliraient des foules en liesse. Que la science prononce son dernier mot. Il y avait là, dans le relief des circonvolutions expressives, les lignes essentielles du crime et de la folie."
En 1970, la junte militaire au pouvoir décide de noyer les ruines de Canudos sous les eaux d'un barrage. |
Notes:
1. En 1889, les militaires marqués par les
idéaux positivistes se soulèvent avec l'appui des barons du café
et proclament la République.
2. En 1888, l'empereur fait voter la Loi d'or qui
abolit l'esclavage.
3. Le Sèbastianisme est un mouvement messianique fondé sur la résurrection du roi Dom Sebastiào du Portugal qui, au XVI° siècle, disparut avec son armée. Le mouvement reste vivace dans le Brésil à la fin du XIX° siècle.
3. Le Sèbastianisme est un mouvement messianique fondé sur la résurrection du roi Dom Sebastiào du Portugal qui, au XVI° siècle, disparut avec son armée. Le mouvement reste vivace dans le Brésil à la fin du XIX° siècle.
4. La grande sécheresse de 1877-1879
provoque la mort d'environ 300 000 personnes dans la région.
5. La devise "Ordre et Progrès", empruntée à Auguste Comte, orne d'ailleurs le drapeau de la jeune République du Brésil.
6. "Soudain, nous nous élevâmes, entraînés par le torrent des idéaux modernes, et laissant dans la pénombre séculaire où ils gisent au centre du pays, un tiers de nos gens. (...) Car ce n'est pas la mer qui les sépare de nous, ce sont trois siècles."("Os sertões")
7. Carmen Bernand note: "Avec le démantèlement des institutions traditionnelles dont le maillage assurait des relais et des contrôles, de vastes régions restent coupées de la capitale. Les énormes distances et les mauvais chemins ne datent pas de la fin du XIX ème siècle, mais ce qui est nouveau, c'est l'attitude des citadins à l'égard de l'arrière-pays ressenti comme un "désert" ou un "vide", malgré l'existence de populations autochtones. Ce sont des espaces non rentabilisées, soustraits au progrès, sauvages et hostiles. Dans ces étendues américaines faites de forêts et de sierras, le moindre déplacement le long des chemins de terre -pratiquement tous - relève de l'expédition. Ce sont des pistes qui s'embourbent, des rivières qui débordent, des pans entiers de routes qui s'effondrent, rebelles aux véhicules modernes (...)."
8. Gagné aux théories racialistes alors en vogue, l'auteur considère les noirs, les indiens et surtout les métis comme des dégénérés appelés à disparaître: "Le mélange de races très diverses est, dans la majorité des cas, préjudiciable. (...) Le métissage extrême est une régression."
6. "Soudain, nous nous élevâmes, entraînés par le torrent des idéaux modernes, et laissant dans la pénombre séculaire où ils gisent au centre du pays, un tiers de nos gens. (...) Car ce n'est pas la mer qui les sépare de nous, ce sont trois siècles."("Os sertões")
7. Carmen Bernand note: "Avec le démantèlement des institutions traditionnelles dont le maillage assurait des relais et des contrôles, de vastes régions restent coupées de la capitale. Les énormes distances et les mauvais chemins ne datent pas de la fin du XIX ème siècle, mais ce qui est nouveau, c'est l'attitude des citadins à l'égard de l'arrière-pays ressenti comme un "désert" ou un "vide", malgré l'existence de populations autochtones. Ce sont des espaces non rentabilisées, soustraits au progrès, sauvages et hostiles. Dans ces étendues américaines faites de forêts et de sierras, le moindre déplacement le long des chemins de terre -pratiquement tous - relève de l'expédition. Ce sont des pistes qui s'embourbent, des rivières qui débordent, des pans entiers de routes qui s'effondrent, rebelles aux véhicules modernes (...)."
8. Gagné aux théories racialistes alors en vogue, l'auteur considère les noirs, les indiens et surtout les métis comme des dégénérés appelés à disparaître: "Le mélange de races très diverses est, dans la majorité des cas, préjudiciable. (...) Le métissage extrême est une régression."
N'étant pas lusophone, la traduction ci-dessous s'en ressent forcément. Or si toi, sympathique lecteur, tu parles portugais et souhaite proposer une autre traduction, ne te prive pas. Laisse une proposition en commentaire. Tu en seras infiniment remercié.
Olodum:"Revolta"
Retirante ruralista, lavrador
Nordestino, Lampião, salvador
Patria sertaneja independente
Antônio Conselheiro
Em Canudos presidente
Zumbi em Alagoas comandou
Exercito de ideal liberator
Sou mandiga, Balaiada sou male
Sou busios, sou revolta
Arerê
Eh!
O Corisco, Maria Bonita mandhou lhe chamar (2X)
E o vingador de Lampião (2X)
Eta, cabra da peste
Pelourinho, Olodum, somos do Nordeste
Eta, cabra da peste (4X)
Eta, eta
Eta ta ra ta ta...
_____________________
Patrie sertaneja indépendante,
Antônio Conselheiro à Canudos président
Zumbi en Alagoas, a commandé, l'armée de l'idéal libérateur
Maria Bonita a demandé qu'on appelle Corisco
le vengeur de Lampião
? fléau de la peste [[pour le chorégraphe Bouba Landrille Tchouda que cabra da peste est une "expression très populaire employée dans le Nordeste du Brésil, Récife, Fortaleza, Joao Pessoa… et plus particulièrement dans les régions les plus éloignées des centres urbains.
Le mot « cabra » utilisé par les portugais dans le Nordeste du Brésil, du temps de la colonisation, était un terme employé pour signifier quelque chose de mal, de dangereux ou porteur de douleur, en résumé quelque chose de négatif. Par extension, l’expression « cabra da peste » désignait l’individu mauvais, effrayant, froid et cruel.
Puis au fil du temps, le sens de « cabra da peste » évolue et se renverse pour aujourd’hui qualifier un individu fort, admiré pour sa valeur, son courage, sa vertu et sa générosité.
Ainsi, lorsqu’une personne ou un groupe de gens arrivent à unir leurs forces pour accomplir une belle action ou un exploit, on dira de cette personne ou de ce groupe qu’il est « cabra da peste ». Cette formule recouvre donc une notion de courage et qualifie une certaine conception du « bien être ensemble ». Comme pour rappeler, tel un leitmotiv, qu’ensemble nous serons plus solides et plus forts."]
Nous, Olodum, nous sommes du Nordeste, de Pelhourinho...
Lexique:
Béat: 1) homme religieux, saint. 2) qui manifeste une dévotion excessive; fanatique, bigot.
Caatinga: végétation caractéristique du Nordeste, formée d'arbrisseaux épineux.
Cangaceiro : bandit légendaire du Nordeste.
Fazenda : grande exploitation rurale du Brésil.
Jagunço: à l'origine, des hommes armés à la solde des fermiers. Ici, des habitants de Canudos, rebelles repentis et désormais prosternés devant Conselheiro.
Retirante: Habitant du Nordestequi émigre, le plus souvent vers le sud du Brésil, afin de fuir la sécheresse.
Sertanejo : habitant du sertaõ, indigène qui parcourt le sertaõ.
Sources:
- Carmen Bernand:"Genèse des musiques d'Amérique latine", Fayard, 2013.
- Armelle Enders: Histoire du Brésil,
Complexe, 1997.
- Mario Vargas Llosa: La Guerre de la fin du monde, Traduit depuis l'espagnol La Guerra del Fin del Mundo. Folio Gallimard, 1981.
La guerre de la fin du monde est un prodigieux roman, offrant une description saisissante de la société nordestine. Après avoir dressé les portraits savoureux des disciples de Conselheiro (vaqueiros anonymes, orphelins, cangaceiros repentis, prostituées...), il relate avec méticulosité la genèse, l'ascension et la destruction de Canudos. L'auteur alterne les récits parallèles adoptant tour à tour des points de vue antinomiques (les insurgés, les militaires, un journaliste chargé de couvrir l'évènement). Ce dernier ressemble à s'y méprendre à Euclides da Cunha, principale source d'inspiration de Vargas Llosa.
- Cinq ans après la tragédie, Euclides da Cunha, jeune reporter à O Estado de Sao Paulo, publie Os sertões, le récit halluciné de la tuerie.
Euclides Da Cunha se fait tour à tour géographe, botaniste, anthropologue, reporter et historien. Le livre nous tombe des mains lorsque l'auteur développe les thèses racialistes de son temps. En revanche, les descriptions des paysages du sertaõ sont prodigieuses, le style puissant, les images terribles. |
Liens:
- Wikipédia: guerre de Canudos.
- Chico Buarque: "Funeral de um labrador": Funérailles d'un laboureur, une mélopée lente, tragique. Le poète y décrit l'enterrement d'un pauvre hère qui n’a pour tout bien que la fosse dans laquelle il repose sur les terres du grand propriétaire terrien.
- Chico Buarque: "Construçao". Grâce à une très belle chanson de Chico Buarque, nous nous intéressons aux candangos, qui construisirent Brasilia, promue capitale du pays en 1960.
- Luis Gonzagua: "Asa Branca". Le roi du baião décrit une de ces terribles sécheresses qui s'abattent à intervalle irrégulier sur le sertão, le "polygone des sécheresses", à l'intérieur du Nordeste (ci-dessous).
- "Mulher rendeira": Chanson consacrée aux cangaceiros et notamment le plus célèbre: Lampião.
- Chico Buarque: "Calice". Quand la junte militaire sévissait au Brésil...
3 commentaires:
En cet âge où la rébellion est pervertie par la pensée molle pour ne pas dire pire, qu'il est bon de voir que la culture populaire et les insoumis cultivent leur jardin et se sauvent ainsi - comme le disait mon cher Edward Palmer Thompson - de l'immense condescendance de la postérité.
Bravo pour cette contribution !!
V (en retard à l'allumage)
Merci Véro.
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