Le 28 avril 2020, en pleine période de confinement pour cause de COVID-19, Bertrand Burgalat a diffusé Vous êtes ici, douce satire de nos existences hyperconnectées et géolocalisées. Les paroles de Marie Möör évoquent avec poésie un voyage aux quatre coins du monde par écran interposé. Réalisé par Benoît Forgeard et Natacha Serewin, le clip s'appuie sur les images fournies
par le globe virtuel de Google Earth. On y voit des
inconnus arpentant des paysages grandioses, en pleine nature, dans des
zones isolées, mais pas suffisamment toutefois pour échapper aux objectifs de la
firme de Mountain View...
"Vous êtes ici" se réfère à l'esthétique et la vision du monde proposées par Google Earth et autres applis de (géo)localisation, pour mieux les dépasser par l'entremise d'une élégante mélancolie intérieure. Enigmatique, la chanson nous invite à une incursion dans la carte et le territoire.
"Vous êtes ici" se réfère à l'esthétique et la vision du monde proposées par Google Earth et autres applis de (géo)localisation, pour mieux les dépasser par l'entremise d'une élégante mélancolie intérieure. Enigmatique, la chanson nous invite à une incursion dans la carte et le territoire.
***
Jusqu'à il n'y a pas si longtemps, les États souverains se réservaient le monopole de l'élaboration des cartes topographiques. Ce pouvoir offrait alors de sérieux atouts.
Le Moyen Age occidental élabora des cartes fantasmagoriques conformes aux Ecritures: les cartes T dans l'O. [Isidore of Seville / Public domain] |
La carte témoigne de la volonté du pouvoir politique de marquer sa présence dans l'espace. En lien avec la maîtrise effective des territoires,
elle permet de s'affirmer, de construire et fixer des frontières, d'aménager, d'administrer (par la fiscalité) (1), elle se révèle en outre très utile pour établir un contrôle économique et commercial sur les territoires.
La carte s'impose également comme un outil fondamental pour la reconnaissance internationale d'une souveraineté ou pour émettre des revendications territoriales. En ce sens, elle permet de conforter un pouvoir politique et militaire. Jusqu'au XIX° siècle, les cartes - hormis dans le domaine de la
navigation - permettent de déterminer et connaître un aire d'influence. La géographie sert d’abord à faire la guerre, administrer, plutôt qu'au voyageur pour
s'orienter.
* Géographie française.
Pour s'en convaincre, développons l'exemple français. Henri IV crée le corps des ingénieurs géographes du roi, dont la mission première était de déterminer les lieux d'implantation des forteresses nécessaires à la protection du royaume.
En 1744, César-François Cassini de Thury prépare la première carte générale du royaume de France à l'échelle d'une ligne pour cent toises (soit 1/86 400). Composée de 180 feuilles, elle ne sera achevée qu'un siècle plus tard grâce au travail acharné de trois génération de Cassini. Elle présente un niveau de précision encore jamais atteint.
L'histoire de la fabrication du territoire français est celle de la mise en conformité de l'espace de la monarchie avec un territoire qui offre des garanties de sécurité. L'idée de faire correspondre les limites du royaume avec des frontières dites naturelles (Pyrénées, Alpes, Rhin) y trouve son origine. La Révolution reprend à son compte ce programme géopolitique. (cf: Michel Foucher, source D)
La
géographie française se construit véritablement après la guerre de 1870. D'aucuns considèrent alors que la
Prusse a gagné la guerre car les officiers allemands disposaient de bien meilleures cartes
d'état-major. C'est la IIIème République qui installe la géographie comme discipline scolaire. Accrochées aux murs des salles de classe, les cartes représentent alors les provinces perdues, mais aussi les possessions françaises de l'empire. A la fin du siècle, la cartographie coloniale produite pour
le ministère des colonies ou des revues spécialisées nient les sociétés,
les caractéristiques sociales de l'Afrique, ne représentant que les
ressources économiques exploitables pour et par les Européens. Ces
derniers imposent sur place leur toponymie. Là encore, le géographe et ses cartes se mettent au service des conceptions politiques de l'heure.
Compte tenu du rôle stratégique que peuvent jouer les cartes, leur production en France a longtemps été le monopole du ministère des armées, sous couvert du secret défense. Ce n’est qu’en 1940, avec la création de l’IGN, que la production cartographique ne dépend plus directement de ce ministère.
* Les choix cartographiques.
Les cartes géographiques ne sont pas neutres. Elles furent très souvent des instruments de pouvoir et toujours des représentations sélectives, élaborées par un Etat. Il n'y a pas de cartes objectives, mais plutôt des cartes mentales, offrant des représentations tout à la fois réelles et imaginaires, variant au fil du temps, tout en exprimant une sensibilité particulière. La manière dont on cartographie implique des intentions sous-jacentes. Ainsi, ce qui figurera sur une carte dépend toujours du choix cartographique de son concepteur. Un fond de carte envoie déjà un message subliminal. Pourquoi tel fond plutôt que tel autre? Pourquoi orienter une carte vers le nord plutôt que vers le sud comme le faisaient de nombreuses cartes chinoises? Pourquoi centrer le planisphère sur l'Europe plutôt que l'Océanie?
Comme il s'avère impossible de transformer un objet rond comme la Terre sur un espace plan, il faut choisir une déformation. La projection Mercator, inventée par un cartographe hollandais du XVI° siècle, s'est imposée comme la carte de référence internationale (adoptée par le département d'Etat américain, le quai d'Orsay, Google...). Or, cette projection surreprésente l'hémisphère nord. Le Groenland y figure comme deux fois plus grand que l'Amérique du Sud alors qu'il est huit fois plus petit. Elle participe donc à forger notre perception du monde. Des projections très différentes, inversée comme celle de Peters ou plus conforme à la réalité comme celle de Robinson, existent pourtant.
* Géographie française.
Pour s'en convaincre, développons l'exemple français. Henri IV crée le corps des ingénieurs géographes du roi, dont la mission première était de déterminer les lieux d'implantation des forteresses nécessaires à la protection du royaume.
En 1744, César-François Cassini de Thury prépare la première carte générale du royaume de France à l'échelle d'une ligne pour cent toises (soit 1/86 400). Composée de 180 feuilles, elle ne sera achevée qu'un siècle plus tard grâce au travail acharné de trois génération de Cassini. Elle présente un niveau de précision encore jamais atteint.
L'histoire de la fabrication du territoire français est celle de la mise en conformité de l'espace de la monarchie avec un territoire qui offre des garanties de sécurité. L'idée de faire correspondre les limites du royaume avec des frontières dites naturelles (Pyrénées, Alpes, Rhin) y trouve son origine. La Révolution reprend à son compte ce programme géopolitique. (cf: Michel Foucher, source D)
Famille Cassini (XVIIIe siècle) / Public domain |
Compte tenu du rôle stratégique que peuvent jouer les cartes, leur production en France a longtemps été le monopole du ministère des armées, sous couvert du secret défense. Ce n’est qu’en 1940, avec la création de l’IGN, que la production cartographique ne dépend plus directement de ce ministère.
La projection de Postel est une projection cartographique azimutale polaire équidistante pour les méridiens. Strebe / CC BY-SA (https://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0) |
Les cartes géographiques ne sont pas neutres. Elles furent très souvent des instruments de pouvoir et toujours des représentations sélectives, élaborées par un Etat. Il n'y a pas de cartes objectives, mais plutôt des cartes mentales, offrant des représentations tout à la fois réelles et imaginaires, variant au fil du temps, tout en exprimant une sensibilité particulière. La manière dont on cartographie implique des intentions sous-jacentes. Ainsi, ce qui figurera sur une carte dépend toujours du choix cartographique de son concepteur. Un fond de carte envoie déjà un message subliminal. Pourquoi tel fond plutôt que tel autre? Pourquoi orienter une carte vers le nord plutôt que vers le sud comme le faisaient de nombreuses cartes chinoises? Pourquoi centrer le planisphère sur l'Europe plutôt que l'Océanie?
Comme il s'avère impossible de transformer un objet rond comme la Terre sur un espace plan, il faut choisir une déformation. La projection Mercator, inventée par un cartographe hollandais du XVI° siècle, s'est imposée comme la carte de référence internationale (adoptée par le département d'Etat américain, le quai d'Orsay, Google...). Or, cette projection surreprésente l'hémisphère nord. Le Groenland y figure comme deux fois plus grand que l'Amérique du Sud alors qu'il est huit fois plus petit. Elle participe donc à forger notre perception du monde. Des projections très différentes, inversée comme celle de Peters ou plus conforme à la réalité comme celle de Robinson, existent pourtant.
* Changement d'échelle.
L'essor technologique et l'émergence des réseaux sociaux obligent à envisager différemment l'espace, à sortir du pavage traditionnel du monde en Etats-nations pour considérer les logiques à l'échelle mondiale. La table de Peutinger vers 300-350, la cartographie arabe du XI°siècle proposaient déjà des cartes de réseaux où les voisinages, les chemins empruntés comptaient davantage que les positions absolues.
L'essor technologique et l'émergence des réseaux sociaux obligent à envisager différemment l'espace, à sortir du pavage traditionnel du monde en Etats-nations pour considérer les logiques à l'échelle mondiale. La table de Peutinger vers 300-350, la cartographie arabe du XI°siècle proposaient déjà des cartes de réseaux où les voisinages, les chemins empruntés comptaient davantage que les positions absolues.
Les États furent longtemps les seules organisations taillées pour
mettre en œuvre les dispositifs techniques et humains lourds permettant
la construction des cartes. Avec la démocratisation de la production des cartes
topographiques, de nouveaux acteurs non étatiques sont apparus, en particulier de grandes multinationales. Ainsi, en 2005, le
service de cartographie en ligne de Google, lança deux outils qui modifièrent en profondeur la visualisation cartographique. Google Earth permit ainsi "à
tout possesseur d'un ordinateur, d'une tablette ou d'un smartphone
d'accéder gratuitement et facilement à d'étonnantes images de la Terre
et à une cartographie à haute résolution." (2) [source A p 309]
Le lancement de Google Maps, toujours en 2005, modifie également la manière dont les gens utilisent ou font des cartes. A leur guise, les utilisateurs peuvent choisir entre plusieurs types de vue (image, satellite ou carte hybride des deux, avec symboles et libellés), visualiser quantités d'informations, zoomer pour découvrir un lieu, une rue, un immeuble en trois dimensions ou orienter les vues à loisir. Le géant américain s'est doté d'un design instantanément identifiable et cohérent à toutes les échelles. L'attraction pour le nouvel outil est encore renforcée par l'intégration de multiples fonctionnalités telles que les itinéraires, les photographies, la vision panoramique...
Le lancement de Google Maps, toujours en 2005, modifie également la manière dont les gens utilisent ou font des cartes. A leur guise, les utilisateurs peuvent choisir entre plusieurs types de vue (image, satellite ou carte hybride des deux, avec symboles et libellés), visualiser quantités d'informations, zoomer pour découvrir un lieu, une rue, un immeuble en trois dimensions ou orienter les vues à loisir. Le géant américain s'est doté d'un design instantanément identifiable et cohérent à toutes les échelles. L'attraction pour le nouvel outil est encore renforcée par l'intégration de multiples fonctionnalités telles que les itinéraires, les photographies, la vision panoramique...
Les cartes proposées par les entreprises commerciales, soucieuses de préserver leurs intérêts, ne sont pas plus neutres que celles conçues au temps des Etats-nations. Les algorithmes retenus pour les fabriquer induisent toujours un choix idéologique, économique... Ainsi, pour ne fâcher personne, Google Maps adapte ses cartes au récit national de chaque pays. Dans le cas des conflits transfrontaliers, l'entreprise américaine propose aux utilisateurs des États la position géopolitique officielle du gouvernement. Les utilisateurs russes de Google Maps constateront ainsi que la Crimée est russe, quand les Français verront qu'elle ne l'est pas. De la même façon, Google Maps contente Indiens et Chinois en représentant la frontière entre les deux Etats selon la vision officielle de chacun des pays. Google, plutôt que de proposer un seul produit pour tout le monde, préfère s'adapter aux différentes législations locales ou faire des choix pour satisfaire ses "clients". Dans le même esprit, les militaires demandent à la firme de ne pas montrer certaines informations (avec des bases floutées, pixelisées ou inaccessibles) ou, au contraire, d'en afficher de très précises (les camps de prisonnier en Corée du Nord).
La précision des espaces cartographiés varie également en fonction du potentiel économique des territoires. La cartographie
de l’Afrique proposée par le géant du numérique américain est ainsi plus approximative que celle de régions plus riches. Quant aux milliardaires cloîtrés dans leurs ghettos dorés, ils peuvent décider de ne pas apparaître sur Google Maps, car leurs résidences fermées empêchent l'accès aux voitures Google qui photographient les rues et
les façades. C'est la cas de
"Hidden Hills", le quartier des stars hollywoodiennes à LA.
Moxie Lieberman / CC BY-SA (https://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0) |
La révolution numérique transforme le rapport des particuliers au territoire (et à la carte). Il y a encore vingt ans, nous dépliions tant bien que mal nos cartes pour préparer une balade en montagne ou déterminer un itinéraire routier. Désormais, il suffit de sortir son smartphone et d'utiliser les applications installées pour trouver
une boutique, un produit, un événement, rendre visible sa position sur les réseaux sociaux.... La géolocalisation (3) a pris une place considérable dans notre quotidien et rend des services immenses. Elle
peut aussi se transformer en un outil très intrusif tant les objets du
quotidien nous tracent en permanence: smartphones bien sûr, mais aussi
cartes de transports en commun, cartes bancaires...
Sans sombrer dans le complotisme et regretter le temps des chopines à quatre sous, il est important de connaître les implications de ce traçage numérique. Les données collectées peuvent être utiles. L'enregistrement de nos déplacements sert ainsi à réguler le trafic, mais lorsqu'il est croisé avec des informations de consommation, il peut aussi être utilisé à notre insu. Le but de tous les acteurs (4) qui chercher à nous géolocaliser va être de collecter un maximum d'information sur notre comportement. Cette captation massive de données sur la vie d'une personne fournit des métadonnées, un ensemble de renseignements très riches si on dispose d'informations sur la localisation précise de l'utilisateur. Il est alors possible de déterminer le lieu d'habitation, de travail, les habitudes de consommation, de loisirs, de déplacements... Cette situation ne va pas sans poser de nombreux problèmes: collecte et exploitation des données sans contrôle et à l'insu de l'utilisateur, exfiltration des données vers des serveurs installés à l'étranger (notamment aux Etats-Unis), risque de divulgation d'informations sensibles (convictions politiques, religieuses, informations sur la santé, la sexualité)... Face à ces écueils, la législation tente de s'adapter. (5) L'utilisateur dispose également d'une marge de manœuvre. Il peut toujours changer de logiciel , de système d'exploitation, utiliser des outils alternatifs performants et plus respectueux de la vie privée de l'utilisateur. Il est ainsi possible d'échapper à la dépendance de Google (6) en se tournant vers la concurrence (Apple, Uber utilisent leurs propres cartographies) ou en utilisant Open Street Map (OSM), qui propose des cartes libres de droit en s'appuyant sur une dynamique communauté d'utilisateurs. OSM s'est d'ailleurs associée avec l'IGN en France pour produire une base adresse utilisable par tous.
Le problème principal reste que, bien souvent, ne voulons pas nous séparer de nos mouchards de poches et semons sur les réseaux nos données personnelles, volontairement, sans qu'aucun tortionnaire ne nous y oblige. Le rêve de tout dictateur en somme...
Sans sombrer dans le complotisme et regretter le temps des chopines à quatre sous, il est important de connaître les implications de ce traçage numérique. Les données collectées peuvent être utiles. L'enregistrement de nos déplacements sert ainsi à réguler le trafic, mais lorsqu'il est croisé avec des informations de consommation, il peut aussi être utilisé à notre insu. Le but de tous les acteurs (4) qui chercher à nous géolocaliser va être de collecter un maximum d'information sur notre comportement. Cette captation massive de données sur la vie d'une personne fournit des métadonnées, un ensemble de renseignements très riches si on dispose d'informations sur la localisation précise de l'utilisateur. Il est alors possible de déterminer le lieu d'habitation, de travail, les habitudes de consommation, de loisirs, de déplacements... Cette situation ne va pas sans poser de nombreux problèmes: collecte et exploitation des données sans contrôle et à l'insu de l'utilisateur, exfiltration des données vers des serveurs installés à l'étranger (notamment aux Etats-Unis), risque de divulgation d'informations sensibles (convictions politiques, religieuses, informations sur la santé, la sexualité)... Face à ces écueils, la législation tente de s'adapter. (5) L'utilisateur dispose également d'une marge de manœuvre. Il peut toujours changer de logiciel , de système d'exploitation, utiliser des outils alternatifs performants et plus respectueux de la vie privée de l'utilisateur. Il est ainsi possible d'échapper à la dépendance de Google (6) en se tournant vers la concurrence (Apple, Uber utilisent leurs propres cartographies) ou en utilisant Open Street Map (OSM), qui propose des cartes libres de droit en s'appuyant sur une dynamique communauté d'utilisateurs. OSM s'est d'ailleurs associée avec l'IGN en France pour produire une base adresse utilisable par tous.
Le problème principal reste que, bien souvent, ne voulons pas nous séparer de nos mouchards de poches et semons sur les réseaux nos données personnelles, volontairement, sans qu'aucun tortionnaire ne nous y oblige. Le rêve de tout dictateur en somme...
"Le monde vu de la 9e Avenue". [CC BY to 2.0. Alyletteri] Cette carte réalisée par Saul Steinberg fit la couverture du New Yorker en 1976. Elle invite chacun à imaginer le monde depuis sa rue et démontre à quel point nos cartes mentales affectent notre rapport au monde. |
* Carte mentale.
Désormais sans sortir de chez soi, avec une simple connexion internet, il est possible de s'évader par écran interposé, ou retracer les itinéraires empruntés lors des dernières vacances d'été. En cas de confinement, cela est bien pratique.
A condition de s'immerger dans le paysage sans chercher à le noter, le liker ou l'instagramer, il semble possible d'exploiter les ressources offertes par la géolocalisation sans en devenir l'esclave. A l'heure des feuilles d'autorisation de sortie, Bertrand Burgalat invite également à aller au delà de l'appli, à s'engouffrer dans le plis, dans la faille spatio-temporelle, à prendre la clef des champs pour une excursion onirique qui conduira l'auditeur de la place d'Italie à Capri, en passant par le Grand Canyon, la Pennsylvanie ou Mars. A chacun de construire sa propre carte du tendre, issue de ses expériences individuelles et sensorielles. Purement subjectives, mais ô combien personnelles, ces cartes existent au moins dans nos têtes, se nourrissent de nos réminiscences sensorielles, de nos souvenirs. Allez, il est grand temps de se perdre, "loin, loin, au loin dans les dunes".
Désormais sans sortir de chez soi, avec une simple connexion internet, il est possible de s'évader par écran interposé, ou retracer les itinéraires empruntés lors des dernières vacances d'été. En cas de confinement, cela est bien pratique.
A condition de s'immerger dans le paysage sans chercher à le noter, le liker ou l'instagramer, il semble possible d'exploiter les ressources offertes par la géolocalisation sans en devenir l'esclave. A l'heure des feuilles d'autorisation de sortie, Bertrand Burgalat invite également à aller au delà de l'appli, à s'engouffrer dans le plis, dans la faille spatio-temporelle, à prendre la clef des champs pour une excursion onirique qui conduira l'auditeur de la place d'Italie à Capri, en passant par le Grand Canyon, la Pennsylvanie ou Mars. A chacun de construire sa propre carte du tendre, issue de ses expériences individuelles et sensorielles. Purement subjectives, mais ô combien personnelles, ces cartes existent au moins dans nos têtes, se nourrissent de nos réminiscences sensorielles, de nos souvenirs. Allez, il est grand temps de se perdre, "loin, loin, au loin dans les dunes".
Vous êtes ici
Vous êtes ici. Place d’Italie.
Vous êtes ici. Place d’Italie.
Vous êtes ici 75013 Paris.
Vous êtes ici dans une chambre aux rideaux cramoisis
Vous êtes bien là c’est bien ma chambre
C’est bien mon lit
Mais dans ma tête je suis parti
En bord de mer plutôt Capri.
Vous êtes ici.
Au point précis de la faille spatio-temporelle,
Dans le turquoise rebelle qui resplendit,
Le turquoise aigu de nos vies.
Vous êtes ici
Où se reposent les loups masqués, les panthères suaves,
Où les horizons poudrés d’Or respirent encore.
Vous êtes ici,
Ici dans les montagnes saignantes
Faites de rochers de haute lignée.
Vous êtes là où je suis barré
aux forêts
Basculées qui ondulent en mer au loin,
Il y a des îles en cheveux verts,
Des lits de mousse et des palmiers nacrés
Sucrés du rose
où va la lune
Dans les vallées d’ombres farouches
Loin loin au loin dans les dunes
Vous êtes ici.
C’est Google Earth qui le dit.
Vous êtes là, sous la Grande Ourse.
Vous êtes ici je suis là-bas,
Somme toute nous voici dans la course
Vous êtes ici c’est votre appli qui le dit.
Au point précis de la faille spatio-temporelle.
Là où le temps qui passe embrase l’espace avec elle .
Là où le rêve demeure ici,
Où bat ce cœur et ce rêve galopant de se fondre vivant,
dans l’instant,
De se fondre vivant pourtant
Vous êtes ici. Localisé.
À San Diego ou à Delhi
sur Mars ou en Pennsylvanie.
Est-ce moi?
Est-ce toi qui rêve ?
Est-ce ta personne vivante qui rêve que je suis ici
Là bas d’entre les mondes
Vous glissez basculez mais au moment de tomber pfeww...
Avec moi vous vous envolez
Notes:
1. Les Égyptiens de l'Antiquité utilisaient les cartes pour consigner les limites des propriétés foncières et des champs après les crues annuelles du Nil.
2. "La plate-forme de visualisation pour Google Earth fut créée par Keyhole Corp., qui réalisa des cartes et des images par télédetection pour la CIA. Keyhole - racheté par Google en 2004 - fondait ses visualisations sur la superposition d'images obtenues par satellite, photographie aérienne, observation au sol et d'autres outils de cartographie pouvant être interfacés avec des systèmes d'information géographique. Il s'agissait d'un véritable exploit technique car la résolution des cartes et des images change lorsque l'utilisateur zoome, grâce à la superposition et la géorectification des bases de données spatiales et des images de télédétection provenant de différentes sources. Google Earth génère également des modèles numériques à partir des données topographiques radar à haute résolution pour permettre aux utilisateurs de voir la surface de la Terre en trois dimensions." [source A p309]
3. Une vingtaine de satellites dédiés émettent des signaux captés par un terminal qui calcule la latitude et la longitude (parfois l'altitude). Le système trouve une myriade d'applications: GPS embarqués dans les voitures, contrôle des camions et marchandises dans le secteur de la logistique, surveillance des condamnés en liberté conditionnelle, traçage des suspects dans le cadre d'enquêtes policières...
4. Il s'agit d'un écosystème complexe comprenant de nombreux acteurs: l'éditeur du système d'exploitation (Android/Google, IOS/Apple, Microsoft), le constructeur de téléphone, l'opérateur téléphonique, le gestionnaire du marché d'application, le développeur et éditeur d'application, mais aussi les régies publicitaires. Ces régies sont là pour mesurer la fréquentation et servir d'intermédiaire pour la publicité ciblée. Par le biais de bibliothèques et logiciels intégrés aux applications installés sur nos téléphones, les sociétés collectent des informations, notamment de localisation, pour pouvoir ensuite nous proposer de la publicité. En échange d'une application gratuite et de qualité, la société qui l'a développée se rémunère par le biais de cette publicité ciblée présente sur nos téléphones.
5. La loi informatique et liberté encadre la géolocalisation dont font l'objet les citoyens français et européens. Ce cadre réglementaire définit les données personnelles comme pouvant être attachées à un individu, de façon directe ou indirecte par le responsable de traitement ou par un tiers. Ainsi l'adresse ip (qui identifie un ordinateur sur internet) et les informations afférentes (historique de navigation, achats...) sont des informations personnelles au vue de la loi française. Le traitement de ces données à caractère personnel doit répondre à des principes et mesures réglementés: obligation de sécurité et d'information de l'utilisateur, obligation de proportionnalité dans la collecte, etc. En France, l'instance de régulation qu'est la CNIL cherche à ce que les acteurs de l'écosystème rendent des comptes.
6. En publiant ce billet via Blogger, votre humble serviteur est bien conscient d'être assez mal placé pour la ramener...
Carte des night-clubs de Harlem - 1932. Campbell, E. Simms (Elmer Simms); Dell Publishing Company / Public domain |
A. "Cartes. Explorer le monde", Phaidon, 2015.
B. "De l'Antiquité à Google Maps, la cartographie miroir du pouvoir" (France culture)
C. Nouvelles vagues: "Géolocalisation" avec Vincent Roca combien se vendent nos trajets?"
D. "La cartographie dans les têtes" avec Michel Foucher (Concordance des temps sur France culture)
E. "Histoire de la cartographie" avec Christian Grataloup et Elsa Chavinier (Cultures monde sur France Culture).
F. Le Cartographe: "Histoire de la cartographie moderne (XIX°-XX° siècle)"
G. "Pop et pixels pour Bertrand Burgalat" (RFI)
Liens:
* Tricatel, la maison de disque fondée par Bertrand Burgalat en 1995.
* Quelques précieuses ressources géographiques sur internet:
- Visionscarto de Philippe Rekacewicz, haut-lieu de la réflexion cartographique.
- Géoconfluences, "publication à caractère scientifique pour le partage du savoir et pour la formation en géographie".
- L'Atelier d'HG Sempai. Ce site de F. Sauzeau s'avère particulièrement inventif et utile aux professeurs d'histoire et géographie.
- Cartolycée. "Cartographies, infographies et visualisations pour le lycée" par J-C. Fichet.
- Cartographie(s) numérique(s) de Sylvain Genevois. "Eduquer à la carte passe aujourd'hui nécessairement par une éducation à l'information et à l'image numériques."
- Neocarto. "Aucune carte n'est digne d'un regard si le pays de l'utopie n'y figure pas." (Oscar Wilde)
- On peut aussi faire de la géographie en confinement. La preuve avec ce projet mené par Karl Zimmer et ses élèves.
- Beautiful Maps. Une très jolie collection de cartes.
2 commentaires:
Merci pour ce texte passionnant.
Magistral ! Merci pour le partage cette érudition. M'en vais le relire.
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