mercredi 16 septembre 2020

"Fortunate Son" dénonçait les passe-droits des "fils à papa", Trump se l'approprie lors d'un meeting de campagne...



Marche de protestation contre la guerre du Vietnam en 1967. Fank Wolfe / CC BY-SA (https://creativecommons.org/licenses/by-sa/2.0)

* "Je ne suis pas le fils d'un millionnaire. Non!"

En 1969, le Creedence Clearwater Revival enregistre le morceau Fortunate son. Le groupe californien y dénonce de manière cinglante les "passe-droits" permettant aux fils de bonnes familles d'échapper à la guerre du Vietnam qui bat alors son plein. John Fogerty, le compositeur et chanteur du groupe, reprend à son compte l'adage selon lequel "les riches provoquent les guerres et envoient les pauvres se battre à leur place." Profitant de l'argent et du carnet d'adresses de leurs parents, ces "fils à papa" passent des visites médicales bidons  leur permettant de déceler des maladies imaginaires. Réformés, ils échappent à la conscription et la ligne de front. «Quand j’ai écrit cette chanson, je pensais à David Eisenhower, le petit fils de l’ancien président, qui était marié à Julie Nixon, la fille du président de l’époque [Richard Nixon 1969-1974] », se souvient Fogerty. (1) Au fond, «c'est une confrontation entre Richard Nixon et moi». Il poursuit: «On entendait [aussi] parler de ce fils de sénateur qui profitait d'un ajournement de son service ou d'une planque.» (2)

« Je n’avais guère d’admiration pour Nixon et le genre de personnes comme lui. À l’époque, vous aviez l’impression que ces gens bénéficiaient d’un traitement de faveur.  A cette période de ma vie, j’avais vingt-trois ans et je ne voulais pas combattre dans une guerre à laquelle j’étais opposé. Les fils de bonne famille n’avaient pas à se poser ce genre de questions, puisqu’eux n’allaient pas au Vietnam. Ce qui ne les empêchait pas de dire que cette guerre était bonne pour l’Amérique », assène Fogerty. En 1966, le chanteur est appelé sous les drapeaux. Il n'a aucune envie de participer à une guerre qu'il dénonce par ailleurs. Il se débrouille alors pour servir dans des unités de réserve qui lui permettent de rester au pays. Finalement, le Vietnam fut la guerre des infortunés, de ceux qui n'avaient pas la chance de s'en faire exempter, en particulier les Afro-américains, les chicanos, les plus pauvres...


* "Nés pour brandir le drapeau"
Sortie en pleine guerre, la chanson remporte un succès immédiat. En deux minutes trente, le Creedence y déroule son rock irrésistible, à base de guitares acérées et de mélodies entêtantes. Au fil des décennies, le morceau s'impose comme un grand classique du rock protestataire. Dans ces conditions, l'utilisation de ce titre par Donald Trump lors d'un meeting de campagne, le 10 septembre 2020, surprend à plus d'un titre, en particulier si l'on se penche sur le parcours personnel du président américain au temps de la guerre du Vietnam. Après quatre reports consécutifs pour poursuite d'études (☺), Donald Trump est déclaré bon pour le service en juillet 1968. Deux mois plus tard, il bénéficie d'un sursis, puis bientôt d'une réforme définitive en raison d'excroissances osseuses au pied. Ce diagnostic inespéré sera contesté à plusieurs reprises compte tenu de l'absence de preuves tangibles. Pire, Trump s'est régulièrement trompé sur le pied censé être malade... De fait, cet habitué des harangues nationalistes et va-t-en guerre n'insiste guère sur ce qu'il faisait au temps de la guerre. Le choix d'un tel morceau par Trump suggère qu'il n'a pas dû s'attarder très longtemps sur le sens des paroles. Si tel avait été le cas, il aurait pu mesurer à quel point elles s'appliquaient à son cas personnel.
Le premier couplet fustige le chauvinisme des ultra-patriotes, ces types "nés pour brandir le drapeau" et arborer les couleurs nationales ("Ils sont rouges, blancs et bleus"). Aux premières notes d'un air martial ["Hail to the chief" (3)], ils pointent un flingue sur leurs compatriotes à la manière de l'Oncle Sam recherchant des recrues pour ses guerres. Plus loin, Fogerty brocarde ces jeunes nantis qui n'ont que la patrie à la bouche, mais  planquent leur fortune pour éviter d'avoir à payer des impôts et participer à l'effort de solidarité nationale. Ainsi "quand l'inspecteur des impôts frappe à la porte / leur demeure ressemble à une vente de charité". Enfin, le chanteur s'en prend à ceux qui "héritent de la bannière étoilée" et suivent le chemin tout tracé par leurs pères. Alors même qu'ils se font porter pâle, ils exigent toujours "plus! plus! plus" de troupes américaines sur le sol vietnamien. (4)  
Dans le refrain, le chanteur adopte le point de vue du simple citoyen qui doit aller combattre pour une cause qui n'est pas la sienne, pendant que les fils de bonnes familles nationalistes et belliqueuses s'embusquent. 


* «Le "Fortunate son", c'est lui.»
A l'annonce de l'utilisation de sa chanson par le président Trump, le chanteur du Creedence s'est exprimé dans une vidéo publiée sur son compte facebook:  "Récemment, le Président a utilisé ma chanson "Fortunate Son" lors d'un de ses rallyes pour la campagne présidentielle, ce qui dépasse l'entendement, pour le dire gentiment." (5) Il revient ensuite sur la signification de ce "Fils fortuné" qui correspond en tout point au président Trump: "les toutes premières lignes de Fortunate Son sont : « Certains sont nés avec l’obligation de brandir le drapeau, / ooh leur rouge, blanc et bleu / Mais quand la fanfare joue « Hail to the Chief », / ils pointent le canon vers vous ». C'est exactement ce qu'il s'est passé il y a peu de temps à Lafayette Park. Quand le Président a décidé de traverser le parc face à la Maison-Blanche, Il a fait évacuer toute la zone à l'aide des troupes fédérales afin de se faire photographier devant l'Eglise St John's avec sa Bible. C'est une chanson que j'aurais pu écrire aujourd'hui. Je trouve donc déroutant que le président ait choisi d’utiliser ma chanson pour ses rassemblements politiques, alors qu’en fait le fils fortuné [de la chanson], c'est lui."
 
 
Creedence Clearwater Revival en 1968. Fantasy Records / Public domain


Creedence Clearwater Revival: "Fortunate son" (1969).

Some folks are born made to wave the flag
Yeah, the red, white, and blue
When the band plays 'Hail To The Chief'
Yeah, they'll point the cannon at you

It ain't me, it ain't me
I'm no millionaire's son
It ain't me, it ain't me
I ain't no fortunate one

Some folks are born silver spoon in hand
Well, they help themselves, yeah
When the taxman comes to the door
House looks a like a rummage sale

It ain't me, it ain't me
I ain't no millionaire's son
It ain't me, it ain't me
I ain't no fortunate one, no

Some folks inherit star spangled eyes
Yeah, when they send you down to war
Well, when you ask them how much you should give
Yeah, it's always more, more, more

It ain't me, it ain't me
I ain't no senator's son
It ain't me, it ain't me
I'm no fortunate one

It ain't me, it ain't me
I ain't no military son
It ain't me, it ain't me
I ain't no fortunate son
Take it away...

_______________

Certaines personnes sont nées pour défendre leur drapeau
Yeah, le rouge, blanc, et bleu
Quand le groupe jouera 'Hail To The Chief' 
Yeah, ils pointeront leurs canons vers toi

Ce n’est pas moi, ce n’est pas moi
Je ne suis pas un fils de millionnaire
Ce n’est pas moi, ce n’est pas moi
Je ne suis pas chanceux

Certains naissent avec une cuillère d’argent dans la bouche
Seigneur, ils savent s'entraider, yeah
Quand l’inspecteur des impôts frappe à la porte
La maison ressemble à une vente de charité

Ce n’est pas moi, ce n’est pas moi
Je ne suis pas le fils d'un millionnaire, non, non,
Ce n’est pas moi, ce n’est pas moi
Je n'ai pas de chance, non

Certaines personnes naissent avec des étoiles en paillettes dans les yeux
Yeah, quand ils t’envoient à la guerre
Lorsqu'on leur demande: "combien devons-nous donner?"
Yeah, c’est toujours "Plus! plus! plus!"

Ce n’est pas moi, ce n’est pas moi
Je ne suis pas un fils de sénateur
Ce n’est pas moi, ce n’est pas moi
Je ne suis pas chanceux

Ce n’est pas moi, ce n’est pas moi
Je ne suis pas un fils de militaire
Ce n’est pas moi, ce n’est pas moi
Je ne suis pas chanceux
Prends-le tel quel…
 
Notes: 
1. Sans être totalement exempté, David Eisenhower servit dans les réserves de la Navy, ce qui lui permit de se tenir loin des zones d'affrontement de l'Asie du sud-est.
2. Le chanteur se réfère sans doute ici à Al Gore ou George Bush Jr, deux fils de sénateurs. 
3. le morceau joué par les orchestres militaires lors des apparitions présidentielles.
4. Au nom de la lutte contre la contagion communiste, Lyndon B. Johnson engage le pays dans un engrenage fatal, avec un déploiement toujours plus massif de soldats. On passe de 16 000 conseillers militaires en 1963 à 550 000 GI's en 1968.
5. L'épisode rappelle la récupération du "Born in the USA" de Bruce Springsteen par Ronald Reagan. (Etienne Augris y consacre un post sur le blog). 
 
Sources:
A. "Meaning behind Fortunate Son" (la réaction de John Fogerty en vidéo)
B. Gonzomusic: "Trump en meeting se tire une balle dans le pied
C. Classic 21 (RTBF): "John Fogerty réagit à la diffusion de Fortunate son par Donald Trump" 

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