mercredi 6 janvier 2021

"Raïs le bled". Un rap contre la dictature de Ben Ali en Tunisie.

Coincée entre l'Algérie et la Libye, la Tunisie est le plus petit (163 000 km²) des États du Maghreb. Ses 11,5 millions d'habitants se répartissent très inégalement sur le territoire. L'étroite bande côtière concentre les principales villes du pays, ainsi que les axes de transports majeurs. Les longues plages de sable étirées le long de la Méditerranée attirent les vacanciers, avec la construction au cours des années 1970 d'un chapelet de stations balnéaires (Tabarka, Monastir, Hammamet, Djerba). A l'inverse, le  sud désertique et les plateaux centraux sont peu peuplés. Les indicateurs de développement régionaux y demeurent systématiquement en deçà de la moyenne nationale. Plus pauvres, les habitants de l'intérieur se sentent abandonnés par le pouvoir central. C'est en plein cœur du pays, à Sidi Bouzid qu'a éclaté la révolution tunisienne, prélude aux printemps arabes de l'année 2011. En décembre 2010, à Sidi Bouzid, Mohammed Bouazzizzi, chômeur et vendeur ambulant sur les marché, s'immole par le feu pour protester contre la saisie de sa marchandise par la police. Cet acte désespéré allait marquer le début du printemps arabe tunisien et la fin de l'ère Ben Ali, inspirant ensuite d'autres pays du monde arabe.

* Habib Bourgiba, le "combattant suprême" (1957-1987).

Au début du XVIII° siècle, la Tunisie forme une province autonome de l'empire ottoman dirigée par des beys. De 1881 à 1956, ce territoire est placé sous la domination coloniale française en tant que protectorat. En 1956, le pays accède enfin à l'indépendance au terme d'une lutte de libération nationale.  L'année suivante, l'ancien dirigeant nationaliste du Néo Destour, Habib Bourguiba, devient le premier président de la République tunisienne. La constitution de 1959 instaure un présidentialisme institutionnel. Omnipotent, le chef de l'État impose le parti unique, le culte de la personnalité et met au pas le syndicat UGTT (Union Tunisienne Générale du Travail). Les luttes de sérail tiennent bientôt lieu de vie politique, tandis que les promesses de démocratisation sont sans cesse ajournées. Dans le même temps, Bourguiba modernise à tour de bras la société tunisienne. Les femmes se voient accorder des droits fondamentaux: scolarisation des filles, droit au divorce et à l'interruption volontaire de grossesse (1973). La polygamie, la répudiation et le mariage forcé sont interdits.  En dépit de ces grandes avancées, la fracture sociale s'aggrave entre le pouvoir et les exclus de la redistribution des richesses. L'autoritarisme croissant ne parvient ni à contrer l'expansion d'un mouvement islamiste inspiré de celui des monarchies du Golfe, ni à empêcher le processus de réislamisation des pratiques sociales. Pour lutter contre les islamistes, Bourguiba s'appuie alors sur le général Zine El Abidine Ben Ali. L'ancien patron de la Sûreté nationale est ainsi catapulté premier ministre en 1987. Conscient du rejet dont fait désormais l'objet Bourguiba, le chef du gouvernement fomente un "coup d'état médical" le 7 novembre 1987. Des médecins triés sur le volet par Ben Ali signent un rapport médical prouvant l'inaptitude du président à assumer ses fonctions. En tant que premier ministre, Ben Ali lui succède sans avoir fait tirer un seul coup de feu. Après trente ans d'un règne sans partage, le nouveau pouvoir est accueilli avec joie par une population privée de droits. 

Statue équestre de Habib Bourguiba à la Goulette. [M.Rais, CC BY-SA 3.0]
 

* L'ère Ben Ali. 1987-2011. Le nouveau raïs impose très vite une autorité sans partage, même si il ne cesse d'affirmer sa volonté de garantir le pluralisme. L'organisation régulière d'élections, encadrées et manipulées, servent de paravent démocratique. Dans un premier temps, seuls les islamistes d'Ennhardha ("La Renaissance") font figure de force d'opposition. Pour leur couper l'herbe sous le pied, Ben Ali exalte alors "l'identité arabo-islamique", tout en donnant des gages aux tenants de l'islam politique. Les tensions ressurgissent cependant très rapidement. Profitant de la focalisation de l'attention internationale sur la guerre du Golfe, le président lance une chasse aux islamistes.  Après les attentats du 11 septembre 2001, le dictateur vante sa capacité à contenir les islamistes radicaux auprès des Occidentaux. (1) Dès lors, ces derniers s'accommodent de l'absence de libertés et de la répression dont font l'objet les opposants politiques tunisiens. Dans  sa volonté de se concilier les segments fondamentalistes de l'opinion, Ben Ali n'en réactive pas moins la fibre identitaire et religieuse quand le besoin s'en fait sentir. (2) On touche ici une des grandes lignes de force de la république benaliste: se maintenir au pouvoir coûte que coûte.  "Le nomadisme idéologique du président et de son clan a eu pour objectif d'assurer la pérennité de leur pouvoir. (... ) Les multiples concessions faites à la partie la plus conservatrice de l'opinion ont contribué à réislamiser les comportements et les pratiques sociales d'une grande partie de la population (...)", rappelle Sophie Bessis. (source A p428)

Ben Ali accentue encore la politique répressive de son prédécesseur. Tout en se réclamant sans cesse des principes démocratiques, il les bafoue avec une constance remarquable. Les libertés d'expression et d'association sont rognées, la constitution manipulée afin de se maintenir indéfiniment au pouvoir. En 2002, le dictateur fait approuver par référendum son "coup d'Etat constitutionnel" instituant une présidence à vie.

* Une économie dans l'impasse. Dans le domaine économique, Ben Ali hérite d'une situation difficile. Au début des années 1990, la Tunisie vient de subir les mesures d'ajustement structurel imposées par le FMI. La situation s'améliore néanmoins rapidement grâce à une série de bonnes récoltes agricoles, ainsi qu'à l'essor du secteur industriel exportateur et du tourisme. D'aucuns parlent même d'un "miracle tunisien". Les voyants économiques repassent néanmoins très vite dans le rouge. Les exportations de produits manufacturés restent confinés à des segments industriels bas de gamme de plus en plus concurrencés. En 2002, les attentats perpétrés en Tunisie entraînent une chute spectaculaire des recettes touristiques. A cela s'ajoute, le système de prédation opéré par le clan présidentiel sur tous les secteurs productifs à forte rentabilité. On touche ici du doigt l'autre grande obsession du dictateur: " garantir l'enrichissement de sa parentèle." Comme le note Sophie Bessis,"la «famille» a procédé habilement (...) en se livrant à des techniques sophistiquées de «capture de l'Etat» et de sa rente par le biais d'une manipulation systématique des textes réglementaires et législatifs, ce qui lui a permis de s'emparer en près de deux décennies de dizaines de sociétés et d'en créer quelques centaines d'autres, l'ensemble ayant réalisé en 2010 21% des profits totaux du secteur privé tunisien." (p438) Évidemment, l'opulence et le luxe dans lesquels vit la famille régnante pousse l'exaspération à son comble.

* La situation sociale devient explosive. La politique éducative patine. Les étudiants ne trouvent pas à s'employer. Le mécontentement grandit au sein d'une jeunesse exclue du marché du travail . La révolte de Gafsa en 2008 atteste de la dégradation sociale dans le pays. Dans ce bassin phosphatier, la modernisation de l'exploitation provoque la fonte des effectifs de mineurs. Le mouvement social y prend une ampleur inédite en raison de l'implication des responsables locaux du syndicat UGTT, longtemps placé sous l'éteignoir. Dans la région, le niveau de chômage atteint des records, y compris chez les jeunes diplômés. Épicentre de la rébellion contre Ben Ali, cette zone est emblématique de la marginalisation d'une grande partie du territoire tunisien. En effet, dans le  sud désertique et les plateaux centraux, les indicateurs de développement régionaux demeurent systématiquement en deçà de la moyenne nationale. Plus pauvres, les habitants de l'intérieur se sentent abandonnés par le pouvoir central, dont les choix économiques privilégient systématiquement les régions côtières, qui concentrent 90% des industries, 95% des infrastructures hôtelières, pour 70% de la population nationale. La marginalisation du sud et de l'ouest créent une véritable fracture territoriale. Dans les régions pauvres et marginalisées, la jeunesse ne survit que grâce au système D. Dans une société régie par l'informel, on ne faut rien attendre (de bon) du pouvoir central. Les caciques du régime ne mesurent pas la montée de l'exaspération et restent sourds aux premiers coups de semonce. Devenue un Etat autoritaire, policier, privatisé au profit d'un clan, la Tunisie ressemble à un baril de poudre, prêt à exploser.  

* Le suicide de Mohammed Bouazizi, détonateur de la révolution.

Mohamed Bouazizi vit à Sidi Bouzid, une ville de 40 000 habitants située  dans le centre-ouest du pays. Unique soutien de famille, le jeune homme a dû arrêter ses études précocement. Pour gagner quelques sous, il emprunte une balance, se fait avancer quelques fruits et légumes qu'il revend sur les marchés. Une fois les produits écoulés, il rembourse le grossiste et touche son petit profit. Trop pauvre pour s'acheter un permis de vente, le jeune homme est régulièrement harcelé par la police. Le 17 décembre 2010 au matin, des officiers lui confisquent le matériel et l'étal de marchandises. Excédé, il tente de récupérer en vain le matériel qu'on lui a prêté, en se rendant au poste de police. Au désespoir, il s'achète un bidon d'essence et s'immole devant le gouvernorat de la ville. L'homme est très gravement blessé.

L'information qui passe d'abord inaperçue, finit bientôt par susciter une très vive émotion. Alors que la télé publique passe sous silence cet événement dérangeant, internet transmet l'information et devient l'autre front de la révolution, dont l'Etat peine à limiter l'accès. L'image du corps en flammes se diffuse sur la toile et le récit du  drame se transmet via les réseaux sociaux. Le suicide transforme le jeune homme en martyr d'un régime honni, en victime d'un pouvoir aveugle aux difficultés d'une grande partie de la population. Bouazizi devient l'incarnation des malheurs et des frustrations des régions déshéritées du sud et du centre de la Tunisie. Le lendemain du drame, des manifestations s'organisent à Sidi Bouzid, avant de gagner les localités voisines. Les participants réclament justice, dénoncent la vie chère, le chômage... En cherchant à mater les échauffourées, les Brigades de l'ordre public tuent des dizaines de manifestants et transforment l'agitation en une véritable insurrection. A Sidi Bouzid, le 22 décembre, un jeune homme de 24 ans, Houcine Neji, met fin à ses jours. Le désespoir semble contagieux... Pour l'heure, l'Etat ne s'alarme pas. Après tout, les manifestations restent cantonnées aux chômeurs de l'intérieur, loin des caméras, pas de quoi écourter les vacances de la famille Ben Ali à Dubaï. Le 28 décembre, le gouvernement lance une opération de communication afin de reprendre la main. Un reportage montre le président aux côtés de Mohamed Bouazizi, le corps recouvert de bandages. 

Sur le terrain pourtant, l'agitation ne faiblit pas, bien au contraire. Des mots d'ordre politiques s'ajoutent désormais aux revendications sociales. Des "Ben Ali dégage" montent de la foule. La colère gagne les régions côtières et prend l'allure d'un soulèvement général. Pris en charge par les sections locales de la centrale syndicale UGTT, le mouvement spontané se structure, se politise et prend de l'ampleur. Le 4 janvier, Mohamed Bouazizi décède de ses blessures. Dans la rue, les affrontements se multiplient. Sur internet, des cyberactivistes attaquent et piratent les sites gouvernementaux. Le 6, des bloggers et des internautes influents subissent des arrestations, tandis que les plateformes vidéos telles que Youtube sont censurées. Le 8, 23 civils sont tués à Thala et Kasserine, dans l'intérieur du pays. L'indignation traverse les frontières. Les journalistes étrangers débarquent pour couvrir les événements. Le massacre ne peut plus se dérouler à huis clos. L'Europe dénonce désormais l'utilisation disproportionnée de la force. Seule la France se distingue par l'entremise de Michèle Alliot-Marie. La ministre de l'Intérieur ne trouve en effet  rien de mieux que de proposer à Ben Ali une coopération policière pour mieux mâter des populations avides de liberté! 

Photo prise lors de la manifestation du 14 janvier 2011 devant le ministère de l'intérieur à Tunis. [Skotch 79, CC0, via Wikimedia Commons]
 

Dans les cortèges des manifestations, on trouve désormais non seulement de jeunes chômeurs, mais aussi des avocats, des enseignants, des étudiants, les syndicats. Le 13 janvier, Ben Ali s'exprime en Arabe dialectal et lance: "Je vous ai compris". Il promet des réformes radicales, l'instauration du pluralisme et jure qu'il ne se présentera pas en 2014. Les rassemblements se poursuivent, fruits de l'alliance momentanée de classes et de catégories socio-professionnelles diverses. Les manifestants se réapproprient l'hymne et le drapeau, tandis que deux slogans s'imposent: "Dégage" et "Le peuple veut la chute du régime". Dans un dernier baroud d'honneur, les forces de l'ordre chargent avec violence. La répression fait de 10 à 15 morts à Tunis et Hammamet. Le régime vacille enfin. Le 14 janvier, vers 16h30, un convoi quitte le palais de Carthage. Ben Ali et sa famille s'envolent en catastrophe pour Riyad, après le refus de la France d'accueillir les fuyards. En quelques heures, l'ami d'hier est devenu infréquentable... L'armée a refusé de prêter main forte au régime qui s'effondre 28 jours après l'immolation de Mohamed Bouazizi.

* "Président ton peuple est mort"

Les dernières années du régime  se caractérise par une grande effervescence culturelle. Obsédé par la perpétuation d'un pouvoir kleptocrate et dictatorial, Ben Ali n'a pas su mesurer l'ampleur du désespoir social. La jeunesse est particulièrement en colère car "condamnée dans sa majorité à une instruction au rabais mais massivement éduquée, (...) cloîtrée dans un pays ne lui offrant guère de perspectives d'accomplissement mais ouverte sur le monde et adepte des réseaux sociaux (...)." Grâce à leurs mots, les rappeurs se font les porte-voix de l'exaspération. Ils narguent le pouvoir, témoignent des souffrances et des attentes des populations. Internet et les réseaux sociaux deviennent alors le moyen de contourner la censure, le harcèlement et d'échapper aux indicateurs d'une police omniprésente.

Hamada Ben Amor, alias El Général, jeune aspirant rappeur de 21 ans, vit avec ses parents et son frère aîné dans un modeste appartement de Sfax, au sud de Tunis. Il est alors à peu près inconnu dans le milieu du rap. Le 7 novembre 2010 (date d'accession au pouvoir de Ben Ali 23 ans plus tôt), le rappeur met en ligne un titre sur Facebook intitulé Raïs Lebled ("Président du pays"). Concentré de rage brute, le morceau est une charge frontale contre le dictateur et sa clique. Les mots simples et directs énumèrent  les maux dont souffre une jeunesse placée sous le joug tyrannique de Ben Ali: la pauvreté et ses corolaires (faim, chômage, humiliation), les violences d'une police agissant en toute impunité, les injustices caractérisées, les libertés fondamentales bafouées, la mainmise du clan présidentiel sur les richesses nationales... "Président, ton peuple est mort / Les gens se nourrissent dans les poubelles / Regarde ce qui se passe / Partout des soucis misère / Nulle part où dormir / Je parle au nom du peuple / Écrasé par le poids de l'injustice." En quelques heures, les jeunes Tunisiens diffusent, partagent, relaient ce rap dont les paroles correspondent à leurs expériences personnelles. L'interdiction de la chanson, la suspension du numéro de portable d'El General, le blocage des pages Facebook et My Space du rappeur n'entravent en rien la "carrière" de Raïs Lebled, bien au contraire. Il faut dire qu'entre temps la contestation a pris corps en Tunisie. Début janvier 2011, El Général lance un autre bâton de dynamique politique, Tounes Bledna ( "La Tunisie, notre pays"). Les paroles fustigent la corruption et la brutalité d'un régime dont le chef est dépeint comme un kleptocrate. (3) Les autorités voient rouge. Le 6 janvier à 5 heures du matin, Trente policiers et agents des forces de sécurité débarquent dans l'appartement familial d'El General. Conduit au ministère de l'intérieur à Tunis, il sera incarcéré pendant trois jours. Devant la tempête de protestation, le rappeur est finalement libéré. "J'ai pris un risque pour ma vie, pour ma famille. Mais je n'ai jamais eu peur parce que je parlais de la réalité", expliquera-t-il ensuite. Dès lors les médias internationaux érigent le titre au rang d'hymne de ce que l'on ne tarde pas à appeler "le Printemps arabe". (4)


* Bilan et perspectives. La fuite du dictateur est suivi par quelques jours d'ivresse de liberté. Les premiers gouvernements de transition dirigés par des caciques de l'ancien régime sont contestés par une opinion qui refuse de se faire voler sa révolution. En octobre 2011, une Assemblée constituante est élue pour élaborer une nouvelle loi fondamentale afin de refonder la République. Le parti islamiste Ennahardha s'impose comme la force politique centrale (5), expression des frustrations d'une partie de la population. La formation, qui dirige le pays entre 2011 à 2013, doit composer avec une mouvance salafiste en expansion dont le but est la réislamisation d'une société trop sécularisée à ses yeux. Dès lors, les questions religieuses et identitaires occupent la place centrale dans les débats. Ennahdha ménage les salafistes dont les violences contribuent pourtant à créer une atmosphère délétère dans le pays. (6)  Malgré tout, dans les partis, les associations, dans les lieux de sociabilité, les projets de constitution sont discutés, ce qui représente une école d'apprentissage politique. Les Tunisiens, aussi déchirés soient-ils, parviennent à s'entendre sur un socle minimal de principes démocratiques. Le texte constitutionnel met ainsi en place un régime parlementaire qui rompt avec l'hypertrophie présidentialiste. Le caractère civil et non religieux de l'Etat s'inscrit dans la constitution, mais dans le même temps, "l'Etat est le gardien de la religion." On mesure ici les contorsions auxquelles les constituants ont dû se livrer pour faire coexister des exigences antinomiques. Les échéances électorales successives confirment l'extrême polarisation entre les pôles islamiste et séculier de l'arc politique. 

A la différence de la Syrie, du Yémen, de la Libye, la Tunisie n'a pas sombré dans la guerre civile après 2011, ni même renouée avec l'autoritarisme comme à Bahreïn ou en Égypte. La démocratie fonctionne tant bien que mal, même si le renouvellement du personnel politique ne saute pas au yeux. Les femmes ont pu faire inscrire les acquis de la période bourguibienne dans la constitution. La liberté d'expression résiste toujours. Pour autant, les défis à relever sont nombreux. La situation socio-économique est gravissime avec un modèle de développement obsolète. L'autoritarisme des années Ben Ali s'accompagnait d'un Etat fort avec une administration efficace. Désormais, dans le Sud et le centre, l'autorité de l'Etat reste très contestée. A la place, les activités informelles explosent avec une hausse des trafics en tout genre (armes, drogues). Au fond, le clivage séparant la Tunisie "utile" des régions marginalisées de l'intérieur et des banlieues défavorisées reste toujours d'actualité. Chômage, pauvreté et débrouille restent le lot quotidien de nombreux jeunes Tunisiens. Certes, le régime a changé, ce changement ne s'est pas accompagné d'une transformation véritables des structures sociales et économiques.

Notes:
1. Le 11 avril 2002, l'attentat contre la Ghibra, la grande synagogue de Djerba, témoigne de l'essor du djihadisme local. 

2. érection d'une vaste mosquée à Carthage, création de la radio Zitouna en 2007 dédiée à la propagation du Coran, lancement d'une banque islamique en 2009.

3. "Avec notre sang, vous avez construit les bâtiments / Et vous vous êtes habillés de soie avec notre sueur", assène-t-il dans la première strophe. Puis il brocarde la politique répressive à l'égard de l'islam. Le rappeur réclame ici le respect d'une morale islamique stricte. Lors de la présidentielle en 2014, El General soutient ouvertement Moncef Marzouki, le candidat soutenu par les islamistes. Dans la dernière strophe, El General encourage le soulèvement en cours.

4. "Un débat sur le statut et la représentativité d’El General surgit sur la scène et dans la presse. Certains rappeurs tentèrent de relativiser sa renommée mondiale. Selon eux, El General venait de nulle part. Il était loin d’être le plus grand rappeur de Tunisie (comme l’avaient affirmé beaucoup de journaux), et encore moins le premier critique du régime." (source E)

5. Le parti tente d'apparaître comme une formation du juste milieu entre salafistes jihadistes en pleine expansion et "extrémistes laïques", partisans d'une séparation entre sphères politique et religieuse.

6. En 2013, l'assassinat de Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, deux opposants de gauche, suscitent une immense déflagration. Dans un contexte régional marqué par la destitution de Morsi en Égypte (soutenu par les Frères musulmans), Ennahdha prend conscience de la nécessité de concéder quelques ouvertures en renonçant à l'inscription de la charia dans la constitution en 2014.   

Sources:

A. Sophie Bessis: "Histoire de la Tunisie de Carthage à nos jours", Tallandier, 2019.

B. "Révolution rock: Printemps arabe, en rap vers la démocratie" [Continent musique]

C. "Tunisie, le laboratoire du printemps arabe", [Affaires sensibles]

D. "Rayes le Bled" par El General. [Dormira jamais]

E. Golpushnezad, Elham, et Stefano Barone. « On n’est pas à vendre ». L’économie politique du rap dans la Tunisie post-révolution », Politique africaine, vol. 141, no. 1, 2016, pp. 27-51

رئيس البلاد
هاني اليوم نحكي معاك باسمي وباسم الشعب
الكل اللي عايش في العذاب
2011 مازال تم شكون يموت بالجوع،
حابب يخدم باش يعيش لكن صوتوا موش مسموع
اهبط للشارع وشوف العباد ولات وحوش
شوف الحاكم بالمطراك تاك تاك ما يهموش
مادام ما ثمة حد باش يقوله كلمة لا
حتى القانون اللي في الدستور نفخه واشرب ماءه
كل نهار نسمع قضية ركبوهاله بالسيف
بورتان الحاكم يعرف اللي هو عبد نظيف
زعمة ترضاها لبنتك، عارف كلامي يبكي العين
عارف ما دامك بو (أب) ما ترضاش الشر لصغارك
هذا ميساج عبارة واحد من صغارك يحكي معاك
رانا عايشين كالكلاب
نص الشعب عايشين الذل وذاقوا من كأس العذاب
رئيس البلاد، شعبك مات وبرشة عباد من الزبلة كلات
هاك تشوف آش قاعد صاير في البلاد
مآسي باردو والناس ما لقاتش وين تبات
هاني نحكي باسم الشعب
اللي انظلموا واللي نداسو بالصباط
رئيس البلاد، قتلي احكي من غير خوف
هاني حكيت ونعرف اللي نهايتي مش تكون الكفوف
لكن نشوف برشة ظلم وهذاك علاش اخترتك
بورتان وصاوني برشة عباد
الي نهايتي تكون الاعدام
لكن
الى متى التونسي عايش في الأوهام
وين حرية التعبير
رايت منها كان الكلام
اسمها تونس الخضراء
رئيس البلاد...

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Chef du pays

Images et voix du président Ben Ali dans une école: "Qu’est-ce qui t’embête? Vas-y raconte-moi. Tu veux me dire quelque chose?" (L’enfant recule dans sa chaise, il a manifestement envie de pleurer)

Président du pays / Aujourd’hui je m’adresse à toi / En mon nom et en celui du peuple entier
qui vit dans la souffrance / En 2011 il y a encore des gens qui meurent de faim / Le peuple veut travailler pour vivre / Mais sa voix n’est pas entendue / Descends dans la rue et regarde autour de toi / Les gens sont traités comme des bêtes Regarde les flics / À la matraque, tacatac / Impunément / Puisqu’il n’y a personne pour leur dire non / Même la loi et la constitution / ils n’en ont rien à foutre / Chaque jour j’entends parler d’une affaire montée de toutes pièces / Pourtant le pouvoir sait qu’il s’agit là d’un citoyen honnête
Regarde les flics / taper sur les femmes voilées / Est-ce que tu accepterais ça pour ta fille?
Ce que je raconte est malheureux / Puisque tu es un père / et que tu ne voudrais aucun mal à tes enfants / Alors dis-toi que ce message t’est adressé par un de tes enfants / Nous vivons dans la souffrance / comme des chiens / la moitié du peuple vit dans l’humiliation / et a goûté à la misère.

Refrain: Président du pays / ton peuple est mort / les gens se nourrissent dans les poubelles / Regarde ce qui se passe dans le pays / les soucis sont partout / Les gens n’ont plus où dormir / Aujourd’hui je parle au nom du peuple / écrasé par le poids de l’injustice (2X)

Président du pays / tu nous dis parle sans crainte / Voilà j’ai parlé / Mais je sais ce qui m’attend / Et ce n’est que des coups / Je vois beaucoup d’injustice / Voilà pourquoi j’ai choisi de parler / Pourtant beaucoup m’ont mis en garde / Jusqu’à quand le peuple tunisien doit-il vivre dans les rêves? / Où est la liberté d’expression? / Je n’en ai vu que le nom. / Tu appelles la Tunisie « la verte » / Mais président regarde / Elle est devenue un désert / coupée en deux blocs. / Il y a ceux qui volent aux yeux de tous / Pas besoin de les nommer / Tu sais très bien qui sont ces gens / Beaucoup d’argent devrait aller / aux projets, aux réalisations, aux écoles, aux hôpitaux, aux logements / Mais les fils de chien / avec l’argent du peuple / ils se remplissent le ventre, / ils volent, ils pillent, ils se servent, / pas un siège ne leur échappe / Le peuple a tant à dire / mais sa voix ne porte pas. / S’il n’y avait pas cette injustice, / je n’aurais pas besoin de parler.

Refrain (2X)

Ok / la voix du pays / Général 2011 / toujours la même situation / les mêmes problèmes les mêmes souffrances / Raïs le bled / Rais le bled

Refrain

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