Posée face à l'océan Atlantique à deux heures de New York, Fire Island est une fine bande de terre d'environ 300 mètres de large étirée sur une cinquantaine de kilomètres. On ne s'y déplace qu'à pied ou en bateau. Pendant des siècles, elle n'a abrité que quelques contrebandiers. Dans les années 1920, l'île devient le refuge de la bohème new-yorkaise. Écrivains, musiciens, acteurs, vedettes en tout genre s'y retrouvent. L'isolement des lieux, la complaisance de la police locale permettent d'échapper à la prohibition qui sévit alors avec virulence sur le continent. Les autochtones encaissent l'argent des locations saisonnières et ferment les yeux.
U.S. Department of Interior, National Park Service, Public domain, via Wikimedia Commons |
A partir des années 1940, Fire Island devient une destination très prisée des homosexuels, gays ou lesbiennes. Après guerre, l'île sert de refuge à tous ceux qui cherchent à échapper au conservatisme ambiant et à la chasse aux sorcières qui sévit durement. Tennessee Williams, Benjamin Britten, Patricia Highsmith y prennent leurs quartiers d'été. Depuis le continent, l'enclave est mal vue et la police y organise parfois des descentes.
Au lendemain de la guerre, un modeste théâtre voit le jour à proximité de l'embarcadère de Cherry Grove. Les habitués de Broadway y parodient les shows populaires. L'hôtel le plus connu se nomme Sea Schok. Une salle de danse y est aménagée lorsque l'électricité arrive enfin sur l'île. En 1969, l'établissement est vendu et le dancing complètement transformé. Des miroirs couvrent désormais des pans entiers de murs. Un dispositif permet de synchroniser l'éclairage et la musique. La discothèque prend le nom d'Ice Palace. Une rivalité s'instaure rapidement avec un autre club: le Sandpiper.
En cette fin des années 1960, Fire Island a tout du "paradis gay" comme le suggère Carl Luss, résident de longue date et mémoire de l'île: "Quand je suis venu ici la première fois (...) ça a été un choc! J’avais fait mon coming out depuis dix ans, mais je n’avais jamais vu une telle liberté en dehors des boîtes de nuit new-yorkaises. Ici, les hommes se tenaient la main, s’embrassaient. Certains se baladaient à moitié nus. Nous étions ouvertement homos, et ça ne dérangeait personne, bien au contraire ! " Des couples se forment, multipliant les virées à la plage, dans les dunes où ils s'adonnent à des rencontres charnelles.
Mario Casciano, CC BY-SA 3.0, via Wikimedia Commons |
En 1969, les émeutes de Stonewall permettent de desserrer le carcan oppressif subi par les homosexuels. Les clubs gays se multiplient à New York et, progressivement, une nouvelle musique s'y épanouit: le disco. Dans la deuxième partie des années 1970, cette vague musicale emporte tout. Issu de la soul, le disco devient la bande son de la libération sexuelle en cours. Musique créée et faite pour les pistes de danse, elle s'épanouit d'abord dans les boîtes de nuit.
Parmi les formations les plus populaires de l'ère disco figure le Village People. Le groupe est "inventé" en 1978 par les Français Henri Belolo et Jacques Morali. Un soir de 1977, les deux producteurs de musique découvrent dans un bar des individus déguisés en indien et en cow-boy à moustaches. Aussitôt, les deux hommes imaginent un groupe dont chaque membre incarnerait un cliché de mâle américain: le chef indien, le cow-boy, le policier, le soldat, le maçon, le motard tout de cuir vêtu, un officier de marine. Pour leur casting, les producteurs placent une annonce dans le Village Voice: «Recherchons des hommes au physique de macho pour un groupe de disco mondialement célèbre. Doit savoir danser, le port de la moustache reste de rigueur.» Victor Willis, authentique chanteur, est le seul à échapper à ce mode de recrutement. Belolo et Morali sont des habitués du Greenwich Village, le quartier gay de New York, ce qui les convainc de nommer leur groupe Village People. Avec leur accoutrement saugrenu et festif, les membres de la formation se jouent des stéréotypes du mâle américain.
Les chansons du premier album, écrites par Belolo et Morali, égrènent les lieux mythiques de la culture gay: San Francisco, Hollywood, Key West, Fire Island... Par son succès planétaire - plus de 80 millions de disques écoulés - le groupe contribue à la diffusion de la culture gay.
Pour le Village People, "Fire Island est un endroit où l'on passe des week-end funky". "C'est un endroit où tu trouveras le soleil, la mer et moi. / Un endroit où l'amour est libre. / Tu ne sais jamais qui tu rencontres. / Peut-être quelqu''un qui sort de tes fantasmes les plus sauvages." Les paroles égrènent le nom des boîtes de l'île: Ice Palace, Monster et démontrent que Fire Island est devenue un des hauts lieux de la libération homosexuelle."Ne va pas dans les buissons, quelqu'un pourrait t'attraper."
D'autres tubes du groupe assument leur gay pride, à l'instar de "Go West". Dans la culture gay, se rendre à l'Ouest signifie gagner San Francisco, tête de pont avancée des droits des homosexuels aux États-Unis. En 1979, "In the Navy" est récupéré par l'US Navy qui peine à séduire les appelés. Un recruteur de la marine approche alors le groupe afin d'utiliser la chanson pour leurs publicités. En contrepartie, le Village People obtient l'autorisation de tourner son clip sur l'USS Reasoner, une frégate de la base navale de San Diego, avec à disposition des figurants de l'armée et des avions de chasse.
Le Village véhicule dans ses paroles un double-sens salutaire. Ainsi, le tube "YMCA", en 1978, semble au premier abord un éloge de la Young Men's Christian Association, une association d'origine chrétienne proposant des lieux d'hébergement bon marché pour les jeunes. Pour Morali, cela implique que l'on peut s'y faire des amis ... ou des amants. Ainsi, les membres du groupe claironnent dans le refrain: "ils ont tout ce qui plaît aux jeunes hommes, vous pouvez traîner avec tous les mecs". Écoulé à 6 millions d'exemplaires aux Etats-Unis, le titre fait sortir la culture du gay du placard musical.
C°: A partir de la toute fin des années 1970, et surtout au cours de la décennie suivante, la popularité du disco s'effrite. Plusieurs éléments expliquent ce déclin. D'une part, une partie du public hétéro blanc du rock rejettent désormais cette musique comme l'illustre la destruction de disques du genre à la mi-temps d'une rencontre de football américain en juillet 1979 (la Disco demolition night). D'autre part, le succès commercial phénoménal du disco incite producteurs et musiciens à enregistrer à tout va. Dès lors tous les genres sont mis à la sauce disco, jusqu'à l’écœurement. Enfin, l'épidémie de sida, qui fait très vite un très grand nombre de victimes, l'accession au pouvoir de Reagan et son conservatisme moral, précipitent la fin de l'ère disco.
Sources:
- "Les années disco, les années homo", émission La musique fait l'histoire, une série d'été proposée par la la RTS.
- "Fire Island, le paradis gay", série d'été Télérama 7 août 2019.
- «Village People, un boys band disco cultissime "inventé" par deux producteurs août français», M le mag, 7 août 2020.
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