lundi 7 juillet 2025

Les présidents en chansons : Giscard d'Estaing

Pour beaucoup, Giscard incarne le changement dans la continuité. Sur le plan institutionnel, il poursuit la politique de ses prédécesseurs, tout assouplissant le carcan gaulliste qui pesait sur une société en quête de libéralisation.   

A la mort de Pompidou, le 2 avril 1974, Giscard a 48 ans. Ancien ministre des finances du président défunt, il décide de faire campagne au centre. A ses yeux, de nombreux Français paraissent lassé du gaullisme, sans pour autant envisager de voter à gauche. Le 8 avril, il annonce sa candidature depuis sa ville de Chamalières, Puy-de-Dôme. "Je voudrais regarder la France au fond des yeux, lui dire mon message et écouter le sien", lance le candidat. D'emblée, le prétendant à la plus haute magistrature fait le pari de la médiatisation. Soucieux de donner l'image d'un Kennedy à la française, il accepte d'être filmé par le reporter Raymond Depardon, qui lui consacre un documentaire. 

Sigismond Michalowski, CC BY-SA 4.0, via Wikimedia Commons

Giscard a néanmoins un petit problème d'image. Sa manière semble aristocratique, raide, distante et sa façon de parler un brin ampoulée. Aussi, pour fendre l'armure, il use - les mauvaises langues diront abuse - de la musique. Ainsi, en fin de meeting, il entonne bien volontiers la Victoire en chantant, le Chant du départ, la Marseillaise. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, Giscard a découvert l'accordéon, dont il s'entiche aussitôt. Avec cette passion pour le "piano à bretelle", le président s'attire les satires. Ainsi, en 1974, Sophie Darel et Yves Lecoq imaginent Le Giscardéon (1974), un improbable duo entre VGE et Dalida.

Chantre de l'antigaullisme, VGE a deux principaux adversaires. A sa droite, Jacques Chaban-Delmas, qui entend endosser l'héritage du général, tandis que François Mitterrand est le candidat unique de la gauche. Les deux hommes approchent de la soixantaine. Giscard mise donc sur sa relative jeunesse. Au soir du premier tour, Mitterrand obtient 43% des suffrages, loin devant Giscard, qui convainc 32% des votants. Chaban, qui rassemble 15% des voix, est éliminé. 

Pour la première fois en France, pendant l'entre-deux-tours, le 10 mai, les deux candidats arrivés en tête à l'issue du premier s'affrontent dans le cadre d'un débat radiotélévisé. Près de la moitié des Français assistent au duel. Giscard lance à son adversaire, "vous êtes un homme qui êtes lié au passé par toutes vos fibres, et lorsqu'on parle de l'avenir, on ne peut pas vous intéresser." VGE marque également des points en répliquant à François Mitterrand: "Vous n'avez pas le monopole du cœur, monsieur Mitterrand, et ne parlez pas aux Français de cette façon si blessante pour les autres."

Le 19 mai, Giscard est élu avec 50,66% des voix. Pour rompre avec les adresses solennelles et compassées façon de Gaulle et proposer aux Français une communication moderne, plus intime, il se met volontiers en scène avec sa famille ou des stars. Histoire de briser son image aristocratique, VGE cherche à se montrer proche des Français. Ainsi, il invite quatre éboueurs du quartier de l’Élysée à partager son petit-déjeuner. Prolongeant l'expérience, il s'invite chez les Baschou, une famille orléanaise, le 31 décembre 1975. Ces rencontres pas très spontanées inspirent aux Charlots Ce soir, j'attends Valéry, puis "Alors... Raconte (le dîner du président)".

La France se décorsète un peu grâce à l'adoption de réformes contribuant à libéraliser la société, avec un président qui tient enfin compte des attentes qui s'étaient faites jour en mai 68. Six ans plus tard, l'abaissement de la majorité civile et électorale à 18 ans ouvre de nouveaux droits civiques aux jeunes Français. Puis, sous l'impulsion de Simone Veil, la ministre de la Santé, et grâce au soutien des députés de gauche, la loi sur l'Interruption Volontaire de Grossesse est adoptée en 1975. La même année, le divorce par consentement mutuel devient possible. Deux ans avant l'adoption de la loi, le titre Les divorcés interprété par Michel Delpech appelait de ses vœux un changement de la législation en décrivant la séparation "à l'amiable" d'un couple. 

A l'égard des jeunes Etats africains ou des territoires ultramarins, les autorités entretiennent un rapport de type colonial comme en attestent les enregistrements réalisés à l'occasion de voyages présidentiels. Dans ces chansons de bienvenue, le président est appelé "papa" et l'accueil enthousiaste. "Tout le monde ici est content / Qu'on ait un jeune président", entend-on chanter Gérard La Viny dans sa  biguine à Giscard, sortie en 1974, à l'occasion de la venue du président en Guadeloupe.  
Plusieurs ségas sont également composés en l'honneur des visites présidentielles à la Réunion ou l'île Maurice : "Sega Destin" de Luc Donat, Sega Giscard par Michel Adélaïde. "Giscard à la barre / ça même lé gaillards / Avec Raymond Barre / Créole lé peinard". Tout en dissonance, Tétin et les Soulmen se fendent d'un "Papa Giscard". De ces enregistrements d'un autre temps se dégage un sentiment de malaise.

Conscient que la France n'est plus qu'une puissance moyenne, Giscard cherche à préserver l'influence de l'hexagone en son pré-carré africain, quitte à perpétuer des pratiques néocoloniales douteuses. Giscard Bongo de Tchibanga est un 45 tours édité à l'occasion du voyage officiel de VGE au Gabon en août 1976. Le titre est co-signé par Ali Bongo, fils d'Omar et futur chef de l'Etat du Gabon. « Le nouveau président de tous les Français / L'ami de Bongo et des Gabonais / L'ami de l'Afrique et des Africains / Ce président-là, c'est Giscard d'Estaing / Pour gouverner la France et les Français / La France a dit : Giscard à la barre / Pour gouverner le Gabon et les Gabonais / Nous disons "Bongo à l'avant du bateau"».
Le président français entretient des liens très forts avec l'Oubangui-Chari de Jean-Bedel Bokassa et s'y rend chaque année pour s'y adonner à son passe-temps favori : la chasse de l'éléphant. C'est sans doute lors d'une de ces visites, en 1973, que VGE se fait remettre des diamants d'une valeur de 100 000 euros par le dirigeant centrafricain. De plus en plus mégalomane, Bokassa se fait sacrer empereur, avant de se transformer en un dictateur sanguinaire. [ Ibo Simon: Giscard Bo. "Giscard Bo, il est pas si beau kassa" ] VGE se voit contraint de lâcher son allié et d'abandonner son terrain de chasse préféré. Profitant d'un voyage de Bokassa en Libye, la France lance "l'opération barracuda" qui destitue le despote le 21 septembre 1979. Trois semaines plus tard, Le Canard enchaîné révèle l'affaire des diamants qui devient un scandale d'Etat. En 1977, avec Le président et l'éléphant, Gilbert Lafaille moque les nombreux safaris auxquels le président participe en Afrique.

Ailleurs dans le monde, Giscard d'Estaing poursuit une politique étrangère axée sur le renforcement de la construction européenne, en étroite collaboration avec le chancelier allemand Helmut Schmidt. Tous deux jettent les bases du Système monétaire européen en 1979, préfiguration de la zone euro. Giscard milite également pour la création d'un Parlement européen élu au suffrage universel direct, ce qui se concrétise en 1979 avec les premières élections européennes.
 
Le mandat de Giscard est marqué par les conséquences des deux chocs pétroliers de 1973 et 1979. Très dépendante de l'or noir, la France subit une inflation galopante et une hausse sensible du chômage. Face à la crise, en 1976, VGE nomme Raymond Barre, comme premier ministre. L'économiste met en œuvre une politique d'austérité fondée sur la réduction du déficit budgétaire. Les conséquences sociales d'un tel choix sont douloureuses, ce que ne tardent pas à souligner les artistes. En 1979, Jean-Patrick Capdevielle chante Quand t'es dans le désert. Il s'en  prend vertement au premier ministre, qualifié de "gros clown sinistre" et son président, "un piètre accordéoniste". Didier Wampas se souvient d'une copine qui criait dans les manifs "Pinochet fasciste, Giscard complice
 
En 1977, le "Poulaillers song" d'Alain Souchon dénonce l'hypocrisie d'une partie de la bourgeoisie, dont les membres, si fiers de leur bonne éducation, n'en sont pas moins souvent racistes, égoïstes, réactionnaires. Dans le dernier tiers de la chanson, le chanteur prête sa voix à "la volaille qui fait l'opinion", imitant notamment VGE. Le président, qui se targuait d'être un "libéral avancé", se transforme en "rétrograde avancé".

A l'issue de son mandat, VGE décide de se représenter, mais sa candidature est plombée par les difficultés économiques et sociales persistantes, son style jugé distant et aristocratique, ainsi que par les diamants de Bokassa. Dans l'entre-deux tours de l'élection de 1981, Mitterrand se rappelle au bon souvenir du président sortant et porte l'estocade. «Vous ne voulez pas parler du passé. Je comprends bien, naturellement, et vous avez tendance à reprendre le refrain d'il y a sept ans, "l'homme du passé". C'est quand même ennuyeux que dans l'intervalle vous soyez devenu l'homme du passif. » Il reste toujours délicat de connaître les raisons profondes d'une défaite électorale, en tout cas les chansons de soutien au président sortant ne l'ont sans doute pas aidé, comme le prouve ce médiocre "VGE rock", interprété par une certaine Marianne.
 
Le 10 mai 1981, VGE est battu au second tour par Mitterrand, candidat de l’union de la gauche, qui obtient 51,8 % des voix. Ce résultat marque la fin de la présidence de Giscard et l’arrivée de la gauche au pouvoir pour la première fois sous la Cinquième République. Le temps de l'alternance est arrivé.

Le 19 mai 1981, deux jours avant la passation de pouvoir avec Mitterrand, VGE s'adresse aux Français par petit écran interposé. A l'issue d'une prise de parole convenue, il dit "Au revoir", se lève, fait demi-tour. La Marseillaise en fond sonore, dos à la caméra, Giscard fait 9 pas pour gagner la porte de sortie. La scène dure 9 secondes qui ressemblent à des minutes tant le niveau de gênance atteint est élevé. A l'issue de la séquence, le spectateur se trouve devant une bureau et une chaise vide. En terme de communication, difficile de faire pire.

En 1981, l'ex président n'a que 55 ans et il n'entend pas se détourner de la sphère politique. Pendant trois décennies, il enchaîne ainsi les mandats locaux et nationaux en tant que conseiller général, président du conseil régional d'Auvergne, député du Puy-de-Dôme et député européen. Il meurt le 2 décembre 2020, à l'âge de 94 ans. 

 Sources:
- Ces chansons qui font l'actu: "Giscard, un président sous l'œil des chanteurs"
- "Ce soir j'attends Valéry" (Bide et Musique) , Face B: "Alors... Raconte (le dîner du président)". 
 - "La France des années Giscard, une nouvelle vague musicale" (Jukebox) 

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