jeudi 19 juin 2025

Les présidents en chansons : Pom Pom Pidou.

Héritier naturel de De Gaulle, dont il a été longuement le premier ministre, Pompidou pérennise l'action de son prédécesseur et contribue à enraciner la jeune cinquième République. 

André Cros, CC BY-SA 4.0, via Wikimedia Commons

Normalien, agrégé de lettres, Pompidou s'engage en politique aux côté de De Gaulle au sortir de la Seconde Guerre Mondiale, en entrant au conseil d'Etat. Pendant la traversée du désert de ce dernier, il dirige la Banque Rothschild. Lorsque le général revient aux affaires, il sollicite de nouveau Pompidou, dont il fait son premier ministre en 1962. Au soir des élections législatives de 1967, Pompidou, premier ministre depuis déjà 5 ans, ne dispose plus que d'une voix de majorité à l'Assemblée. Les gaullistes dits de gauche jugent sa politique trop conservatrice, tandis que les Républicains indépendants de VGE, ses alliés, font monter les enchères. Contesté dans son propre camp, Pompidou cite les paroles de la chanson "Le cactus" de Jacques Dutronc  dans l'hémicycle. "J'ai appris que dans la vie gouvernementale, il y a aussi des cactus." Cette mention constitue un formidable coup de pub pour le titre qui s'écoule à 400 000 exemplaires. 


Lors de la crise de mai 68, alors que de Gaulle semble dépassé, son premier ministre fait preuve de sang froid, comme le prouve son rôle déterminant dans les négociations conduisant aux accords de Grenelle. Les tensions grandissent ensuite entre les deux hommes et Pompidou quitte Matignon. Il n'en reste pas moins l'héritier politique de l'homme de Colombey. Après la démission du général, en 1969, Pompidou se présente et triomphe aux présidentielles. Le 16 juin, lendemain de la victoire électorale, les Beach Boys se trouvent sur la scène de l'Olympia. En introduction du titre Barbara Ann, le groupe substitue "Pom-Pom-Pom-Pom-Pom-Pidou" au "Ba-Ba-Ba-Barbara-Ann". Au delà du clin d'œil, ce choix montre à quel point la sonorité du nom de famille du président amuse et intrigue.


Dès 1949, de Gaulle prévenait celui qui deviendrait son premier ministre: "Pompidou, ce n'est pas un nom sérieux. En Auvergne, peut-être [Pompidou est né à Montboudif dans le Cantal], mais pas à Paris! C'est un nom qui a l'air de se moquer du monde. Croyez-moi, Pompidou, vous n'arriverez à rien si vous vous obstinez à garder ce nom là!" En 1969, Miguel Cordoba et son orchestre enregistrent Pom pom pidou qui fait la part belle au patronyme présidentiel. Les paroles, qui tiennent largement de la gaudriole,  insistent sur la réputation de bon vivant du chef de l'Etat. "Pom, Pom, Pom, Pom, Pom, Pidou / Pom, Pom dites-nous tout ! / om, Pom, Pom, Pom, Pom, Pidou / Pom, Pom l'on ne sait rien de vous ! / Prenez-vous en faisant la vaisselle / Un p'tit coup d'alcool de mirabelle? / Portez-vous de gros gilets de flanelle?" 


Féru de poésie, le président gouverne dans la continuité de son prédécesseur, bien qu'apportant une touche plus humaine dans sa manière d'agir. Il attache en particulier une attention aux Français, et plus seulement à la France comme le faisait de Gaulle. Personnalité complexe, à la fois conservateur et fervent amateur d'art moderne, de littérature, Pompidou, clope au bec, roule en Porsche, tout en citant Paul Eluard. Loin de la stature encombrante du général, Pompidou incarne pour les médias et une partie de la population un président accessible.
Les Britanniques de Portico Quartet, eux aussi amusés par le nom "Pompidou", intitulent ainsi un de leurs meilleurs instrumentaux, fusion réussie de jazz et musiques électroniques. 

Si sous la présidence Pompidou sont créés le premier ministère de l'environnement et le conservatoire du littoral, rien ne semble sérieusement devoir entraver la bétonisation à l'œuvre ou encadrer la production industrielle. Pompidou souhaite une France technologique, compétitive, rapide, dans laquelle on se déplace vite. Pour ce faire, l'Etat poursuit la construction d'axes routiers comme le périphérique parisien ou la construction d'autoroutes, tandis qu'en 1969, le Concorde prend son envol. (1"Georges Pompidou" d'Ultramoderne traduit cette nouvelle ère, au cours de laquelle le maître mot est celui de développement. (2) "Production / Plus value / Organisation / Establishment / Réformisme / Financiers / Industrie / Rémunération / Technologie / Et qui veut du rab de frites / Georges Pompidou". 

La médaille a son revers. En 1972, Dutronc enregistre "Le petit jardin", une dénonciation de la frénésie immobilière et du tout bagnole, caractéristiques de la période pompidolienne. ["À la place du joli petit jardin / Il y a l'entrée d'un souterrain / Où sont rangées comme des parpaings / Les automobiles du centre urbain"]
En 1975, alors que Pompidou vient de casser sa pipe, Jacques Lanzmann écrit pour le chanteur "La France défigurée", dont les paroles écolo-nostalgiques décrivent un pays pollué, aux paysages sacrifiés sur l'autel du progrès. ["Oui, tu es ma France défigurée / Ma France des HLM et des forêts coupées / Ma France bétonnée aux tours inhumaines / Ma France des déversoirs et des océans noirs"] 

En matière économique, Pompidou, ancien banquier, est un libéral, et sa politique sociale se réduit à peu de choses (le SMIC, la mensualisation). Peu de choses en matière sociale.
Dans ces conditions, et malgré la croissance économique, les tensions sociales sont vives. Dans les cortèges des manifs, les participants chantent "Pompidou des sous". "Impression from France" du bluesman Luther Johnson reprend à son compte le slogan : "Pompidou des sous". En 1972, les Charlots enregistrent "Merci patron", une satire réussie du langage managérial prompt à transformer les vessies en lanternes et les ouvriers en larbins.

En matière de politique étrangère, la France n'entend pas renoncer à son pré-carré africain. Sous la houlette de Foccart et ses réseaux, le néocolonialisme se perpétue dans ce que l'on ne nomme pas encore la Françafrique. Sur le dos des populations, les dirigeants corrompus perpétuent la spoliation économique de leurs pays au profit de l'ancienne métropole. En 1971, les Gabonais célèbrent la bonne entente entre Libreville et Paris avec "Vive le Gabon (et monsieur Pompidou)". "Vive la Gabon et les Gabonais / Monsieur Pompidou, l'alliance franco-gabonaise / Vive le Gabon et les Gabonais, Brigitte Bardot -do -do -do

* "Chacun a des soucis, (...) moi je vais mourir."
Les Français savent que leur président a d'importants problèmes de santé, mais ne peuvent pas mesurer la gravité de la situation en lisant les communiqués officiels qui n'évoquent d'une "grippe à répétition". La prise de poids, le visage bouffi, à cause de la cortisone, sont attribués à sa gourmandise proverbiale. Le morceau que Dombrance consacre à "Georges Pompidou" (2'58) revient sur le choc représenté par l'annonce du décès présidentiel, le 2 avril 1974. 


C° : Pompidou, comme son prédécesseur, bénéficie d'une popularité importante. Les Français font alors part d'un bonheur matériel avec l'acquisition continue de biens de consommation, dans une société de loisir en plein essor. Encore aujourd'hui, la période pompidolienne jouit d'une image flatteuse, qui inscrit ce mandat dans le cadre d'une "France heureuse", bien que largement mythifiée. Souscrire à ce point de vue, c'est oublier un peu vite le poids des conservatismes et à quel point la pratique du pouvoir reste verticale (l'ORTF n'est supprimée qu'en 1974) et la société corsetée. A la mort de Pompidou, , rien ne semble devoir atteindre le patriarcat, la libération des mœurs reste timide, les ouvriers peinent à joindre les deux bouts, les immigrés subissent fréquemment la xénophobie ambiante.  
La nostalgie des années Pompidou trouve aussi son origine dans la différence entre histoire et mémoire. En effet le décès du président coïncide avec la fin de Trente Glorieuses et de la forte croissance. Or, il s'agit d'un concours de circonstance. Les chocs pétroliers, l'essor d'un chômage bientôt structurel, l'inflation plongent le pays dans le doute et laissent accroire que tout était mieux avant. Gare au biais rétrospectif qui nous fait idéaliser le passé. 

Notes :
1Avion le plus rapide du monde, symbole du génie de l'ingénierie française, il devient vite obsolète en raison de l'envolée du prix du baril de pétrole. 
2Lors d'une conférence de presse, Pompidou lance : "Chère vieille France... La bonne cuisine... Les Folies Bergères... Le gai Paris... La Haute couture, les bonnes exportations... Du Cognac, du Champagne et même du Bordeaux et du Bourgogne... C'est terminé ! La France a commencé et largement entamé une révolution industrielle !"

 Sources:
- Eric Roussel : "Georges Pompidou", collection Tempus, Perrin. 
- Ces chansons qui font l'actu: "Georges Pompidou, un drôle de nom et un deuil", "Pom pom pidou".
 - "Le projet Beaubourg, quand la France rêvait encore", émission Métronomique diffusée sur France Inter samedi 4 février 2017.

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