Dans la première moitié du XIX° siècle, les ouvriers travaillent dans de petits ateliers, comptant moins de dix personnes; il ne s'agit donc pas encore du monde de l'usine. Les conditions de travail n'en sont pas moins très difficiles : salaires dérisoires, horaires à rallonge, pénibilité et dangerosité de la tâche à exécuter, absence de toute protection sociale.
* Dans un premier temps, intéressons-nous aux lieux de sociabilité des ouvriers du premier XIX° siècle, et en particulier aux goguettes. Si dans les ateliers, on chante, avec un rythme calqué sur celui du travail, les historiens rencontrent une difficulté majeure. En effet, avant 1830, peu de chansons sont imprimées, il est donc compliqué de trouver des sources, faute d'enregistrement. On trouve quelques traces néanmoins dans les rapports de police ou les procès intentés aux membres des sociétés chantantes. En effet, au début de la Restauration (première mention dès 1817), ces Sociétés, autrement nommées goguettes (1), se réunissent chez les marchands de vin du Paris populaire. Les ouvriers s'y retrouvent pour entonner et déclamer des compositions poétiques ou des airs grivois, a capella, en laissant libre cours à l'improvisation. Ils y interprètent de petits textes sur "des timbres", des airs connus de tous. (2) Il n'est donc pas nécessaire d'entendre la musique pour la chanter. Lieux de sociabilité de quartier, de discussion, les goguettes permettent d'entretenir des solidarités. On y organise des caisses de secours quand un des membres est malade. On y prête de l'argent aux familles dans le besoin. Elles deviennent bientôt des lieux de réunions politiques.
Le répertoire chanté comprend de nombreuses chansons à boire, mais aussi, de plus en plus des chansons politiques, d'opposition, ironiques, généralement hostiles à la Restauration. Il faut dire que la politique réactionnaire de l'aristocratie revenue au pouvoir impose de nombreuses restrictions au droit de réunion. Ainsi, au moment où la presse est muselée, les goguettes apparaissent comme l'un des derniers espaces d'expression laissé aux couches dominées, le point de rencontre du monde ouvrier naissant et des poètes marginaux. En 1820, au lendemain de l'assassinat de l'héritier des Bourbons, la répression s'abat, les goguettes sont dissoutes, mais se reconstituent en catimini. Pour contrer la surveillance policière, les sociétés chantantes se font baladeuses, changeant souvent de lieux de réunions.
* Posons-nous maintenant la question du mode de diffusion des chansons? A l'époque, elles se transmettent oralement grâce aux chanteurs des rues ou aux imprimés, de petits feuillets vendus par les colporteurs (1830-1870). Les autorités surveillent donc à la fois la circulation des compositions, mais aussi l'imprimé (estampillage : la règle du timbre fait que tout texte chanté ou vendu doit avoir été déposé et estampillé à la Préfecture de police ou au commissariat) et le colportage. Les chanteurs ambulants rusent, modifiant les paroles quand la maréchaussée n'est pas là. Ils parcourent des milliers de kilomètres. Ainsi, des chansons composées et chantées à Paris, sont assez vite connues dans tout le pays grâce à ces circulations. Les migrants saisonniers (comme le rapporte Martin Nadaud à propos des "maçons de la Creuse") ou encore les anciens soldats de l'Empire contribuent aussi à leur diffusion.
* Le rôle de la chanson ne doit pas être minimisé, car, à l'époque, elle favorise la sociabilité, voire la contestation, grâce à sa structure même, faite de l'alternance de couplets et d'un refrain, que l'auditoire peut facilement reprendre en chœur. Elle favorise la constitution de communauté militantes ou sociales. Ainsi, la chanson est alors perçue, en particulier par les élites, comme la forme par excellence de la culture du peuple ("la muse du peuple"), porteuse de ses revendications. ("le chant du pain" de Pierre Dupont, dont nous reparlerons bientôt). (3)
* Revenons aux goguettes et à leur mutation sous l'effet des événements. Avec la Révolution de Juillet 1830, qui entraîne la chute de la Restauration, le phénomène des goguettes prend une ampleur inédite, tout comme les ouvriers ont pris conscience de leur force et de leur dignité lors des "trois glorieuses" (27 au 29 juillet). De nouveaux lieux se créent dans tout Paris et sa banlieue (Belleville); des lieux de plus en plus subversifs, de véritables fabriques de titres engagés politiquement, qu'ils soient de tendance républicaine, bonapartiste ou socialiste. Or, à partir de 1835; la monarchie de Juillet se durcit à son tour. Le régime surveille les goguettes, auxquelles est imposé un contrôle des chansons. Certaines sociétés chantantes, clandestines et baladeuses, refusent de se plier à ces exigences. C'est le cas de la goguette militante des Animaux, où s'illustre Charles Gille. Ainsi, quand éclate la révolution de 1848, leurs participants se trouvent aux avant-postes. (4) Cela n'a rien de surprenant car comme le souligne la militante socialiste Flora Tristan, "Le chant produit sur les ouvriers réunis en masse un effet extraordinaire qui tient du magnétisme. À l’aide d’un chant, on peut, à volonté, en faire des héros propres à la guerre, ou des hommes religieux propres à la paix." ( L'Union ouvrière) Le chant permet de s'unir, de fédérer les énergies.
* Dans ces conditions, rien d'étonnant à ce que, en ces années de fièvre révolutionnaire, des chansonniers se mettent au diapason des aspirations ouvrières, à l'instar de Pierre Dupont, qui retient désormais notre attention. Originaire de Lyon, où il a été brièvement canut, l'homme se trouve à la jonction du monde savant et du monde ouvrier. Admiré par Charles Baudelaire, il fréquente également des militants comme Pierre Leroux. En 1846, il compose "Le chant des ouvriers". L'auteur y dépeint en alexandrin la misère ouvrière de la fin de la monarchie de Juillet. Les salaires dérisoires, le travail généralisé des enfants, l'insécurité de l'emploi et du logement, les difficultés en cas de maladie et de vieillesse, l'absence de droits politiques et syndicaux sont autant de fléaux qui affectent ouvriers et ouvrières de ce temps...
Edité en 1848, le chant est très repris lors des journées de février, car ses mots entrent en résonance avec "l'esprit de 1848". Il y est question de l'inhumanité des conditions de travail, de l'exploitation d'un prolétariat écrasé par les patrons et les tyrans. Le "Nous" qui revient avec insistance, c'est la prise de conscience d'une identité commune, malgré la diversité des statuts et des métiers.
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* Les journées de février 1848, avec l'instauration de la République, soulèvent un immense espoir au sein du monde ouvrier dans la mesure où le nouveau régime établit le suffrage universel masculin, proclame le droit au travail et abolit l'esclavage dans les colonies. Mais la fermeture des ateliers nationaux et les licenciements provoquent le soulèvement ouvrier de juin 1848, que la République modérée réprime durement. Les chansonniers appellent dans leurs compositions à l'amnistie des transportés. En vain. Gille écrit "Tombeaux de juin". " Ils nous berçaient de menteuses promesses, / Ces avocats, ces bourgeois alarmés ; / Ils ont fermé leur cœur, comme leurs caisses / Lorsqu’ils ont cru leurs bras bien désarmés. "
En 1849, Louis Napoléon Bonaparte, président de la République, soucieux de faire taire la parole ouvrière frondeuse, interdit par décret de chanter dans les débits de boisson, ce qui met un terme aux goguettes. Les salles qui souhaitent organiser un spectacle chantant doivent désormais obtenir une autorisation préalable de la préfecture, ce qui donne naissance au café concert, des lieux, là encore, très surveillés. Désormais on ne chante plus sur un air connu. Le couple auteur et compositeur apparaît, donnant une dimension plus professionnelle à ces lieux. Pour séduire, il faut sans cesse proposer des chansons nouvelles, dont les textes doivent être présentés avant midi à la préfecture. Un service spécial se chargeant alors de rayer les passages problématiques.
La tension ne cesse de croître entre le parti de l'ordre et les démocrates socialistes, auxquels la majorité des chansonniers se rattachent. En décembre 1851, Louis-Napoléon Bonaparte, dont le mandat présidentiel devait arriver à son terme en vertu de la constitution, organise un coup d'état. Un empire autoritaire et plébiscitaire est établi, avant un tournant libéral après 1860. Le droit de grève est autorisé par une loi de 1864. Le mouvement ouvrier profite de ce contexte pour s'organiser et agir. La même année, l'Association internationale des travailleurs (AIT) est créée à Londres, assurant la diffusion et l'essor du socialisme scientifique théorisé par Marx. Les dernières années de l'Empire sont marquées par la création de nombreuses chambres syndicales et par de grandes grèves. Les morceaux partisans se multiplient alors. Exemple avec La Canaille d'Alexis Bouvier (1865). Par ce retournement de l'insulte, l'auteur assume fièrement un mot qui désignait, de manière péjorative, les milieux ouvriers urbains d'avant l'industrialisation.
* Désormais, en dépit de la surveillance des autorités, la chanson est envisagée comme une arme de propagande, accompagnant les luttes ouvrières. Lors de ces périodes de fortes conflictualités, les ouvriers réactivent tout un patrimoine chansonnier : les grands airs révolutionnaires, en particulier La Carmagnole, Ça ira, La Marseillaise. De fait, les nombreux épisodes insurrectionnels ou de conflictualité sociale qui jalonnent la seconde moitié du XIX° siècle, constituent autant d'occasion, pour les ouvriers et leurs organisations, de chanter et composer. Grévistes ou manifestants ne se contentent pas de puiser dans un répertoire devenu patrimonial, mais se dotent aussi de morceaux spécifiques, forgés aux lendemains des confrontations, voire sur le tas. Exemple : En juin 1869, 15 000 mineurs de la région stéphanoise cessent le travail afin de faire reconnaître leurs droits. A la Ricamarie, on s'oppose au chargement d'un stock de charbon. Les soldats mobilisés par les autorités arrêtent et conduisent à Saint-Etienne les mineurs protestataires. Des centaines d'habitants viennent leur apporter leur soutien. La troupe tire, tuant 14 manifestants. Cette fusillade du Brûlé inspirera celle du Germinal de Zola et une chanson "La Ricamarie", à Rémy Doutre ( qui travailla dans les forges, à la mine et à la Manu).
La défaite de 1870 provoque la chute de Napoléon III, l'avènement de la IIIè République, engendrant également la grande insurrection de la Commune (18 mars - 28 mai 1871), une révolution sociale, animée par le peuple de Paris, en particulier les ouvriers. Le peuple dans les chansons de la Commune est décliné sous les tonalités de la souffrance et de la misère, comme dans la Semaine sanglante de Jean-Baptiste Clément; morceau que ce membre du conseil de la Commune, chansonnier et poète avait écrit dans la clandestinité, alors que les Versaillais massacraient alentours. La chanson, révolutionnaire, violemment anticléricale et antimilitariste, insiste sur la violence sociale à l'œuvre.
* Une fois la République installée, l'instauration d'une vraie liberté d'expression accorde une plus grande latitude aux auteurs. L'effervescence idéologique à l'œuvre au sein du monde ouvrier se traduit ainsi en chanson; les différentes branches du socialisme se dotant de leurs propres morceaux.
Prenons trois exemples. > Lors de son exil en Suisse, Charles Keller, membre de l'Internationale et anciens combattant de la Commune, écrit en 1870 "Ouvrier, prends la machine" sur une musique de James Guillaume. Les paroles sont les suivantes : « Nègre de l’usine, / Forçat de la mine, / Ilote du champ, / Lève-toi peuple puissant ! / Ouvrier, prends la machine, / Prends la terre, paysan ! » La chanson s'impose comme l'hymne de la Fédération jurassienne de l'Association internationale des travailleurs.
> C'est encore de Suisse, que Paul Brousse, un autre ancien communard, futur chef de file d'une des familles du socialisme français, les possibilistes, écrit Le Drapeau rouge, en 1877.
> L'anarchisme, qui a rompu avec les socialistes en 1872, imprègne tout le mouvement ouvrier, et s'impose comme l'idéologie dominante au sein du syndicalisme français, au moins jusqu'en 1914. Les libertaires accordent une importance primordiale à la propagande chansonnière, car elle est accessible aux couches les plus défavorisées de la population et comme le résume élégamment Le Père peinard, elle sert "à décrasser les boyaux de la tête". Dans cette optique, la chanson a une portée didactique et propagandiste. En 1901, Charles d'Avray, dans sa composition Le Triomphe de l'Anarchie, s'appuie sur "la dénonciation des maux provoqués par le capital, le militarisme, la politique et la religion pour exhorter tous les exploités à la révolte." (source G)
* Désormais, la chanson tient une place prépondérante lors des grèves ouvrières, même s'il est difficile de savoir ce que les protagonistes chantaient. Pour la période 1871-1891, l'historienne Michelle Perrot recense 134 cas de manifestations pour lesquelles nous connaissons les airs entonnés. La Marseillaise arrive en tête (64 fois), devant La Carmagnole (36), puis d'autres chants révolutionnaires ou patriotiques (13) et même des chants inventés de toute pièce (à 17 reprises). A la fin de la période étudiée La Carmagnole tend d'ailleurs à supplanter La Marseillaise, redevenue hymne national en 1879. Dans les décennies suivantes, un titre promis à un grand avenir supplantera tous les autres : L'Internationale.
* Intéressons nous à sa genèse et son essor, après quelques rappels chronologiques des grandes conquêtes ouvrières du temps. Des lois libérales donnent une base solide à la République (établissement des libertés, lois scolaires, liberté syndicale en 1884, loi sur les associations, sur la Séparation de l'Eglise et de l'Etat). Pour autant, la République n'en reste pas moins conservatrice et modéré sur le plan social. La situation des ouvriers demeure difficile, notamment lors de la crise économique des années 1880-1890. Un mouvement combattif se développe alors. L'année 1890 voit la célébration, pour la première fois en France, du 1er mai, date de revendication de la journée de huit heures, et hommage aux martyrs de Chicago abattus au Haymarket Square en 1886. (5) L'année suivante, à Fourmies (Nord), la troupe tire sur les manifestants, provocant 9 morts. En 1892, la fédération des Bourses du travail, animée par Fernand Pelloutier voit le jour. Trois ans plus tard a lieu le congrès constitutif de la Confédération générale du travail à Limoges. Le syndicalisme devient une véritable force. Il est plus que jamais temps pour ce monde ouvrier en mutation de se doter d'un chant de ralliement.
Eugène Pottier - ancien goguettier, poète et révolutionnaire - affirme avoir écrit un poème à la gloire de l'AIT en 1871, en pleine répression de la Commune. D'abord interprété sur l'air de La Marseillaise, il reste ensuite pendant plus d'une décennie dans les cartons. De retour d'exil, l'auteur parvient à publier ses Chants révolutionnaires, parmi lesquels figure L'Internationale. En 1888, alors que Pottier vient de casser sa pipe un an plus tôt, la chorale lilloise du parti ouvrier français (la Lyre des Travailleurs) fait mettre le poème en musique par un de ses membres : Pierre Degeyter. (6) Le succès est immédiat et le chant se répand comme une trainée de poudre. L'internationale est alors chantée pendant les grèves ou lors des congrès socialistes qui jalonnent la période, ce qui lui permet de s'imposer comme l'hymne du mouvement ouvrier, toutes tendances confondues. "Ouvriers, Paysans, nous somme / Le grand parti des travailleurs; / La terre n'appartient qu'aux hommes, / L'oisif ira loger ailleurs. / Combien de nos chairs se repaissent ! / Mais si les corbeaux, les vautours; / Un de ces matins disparaissent, / Le soleil brillera toujours !"
* Hors des cercles ouvriers, l'évocation de leur sort et de leur rude labeur, devient courante dans la production chansonnière à la fin du siècle. C'est particulièrement vrai des chansonniers montmartrois qui s'emploient à fustiger les adversaires du prolétariat. Aristide Bruand , précurseur de la chanson réaliste, est un bourgeois aux idées conservatrices. Dans son œuvre, il s'intéresse moins aux prolétaires qu'au peuple des barrières - errants, rôdeurs, pierreuses, apaches - ; un monde sordide sur lequel plane toujours l'ombre du bagne ou de la prison. Il forge ainsi une mythologie des bas-fonds. Parfois cependant, il parvient à évoquer avec justesse et émotion les conditions de vie et les revendications des ouvriers en lutte pour de meilleures conditions de travail ou une juste reconnaissance de leur dignité. C'est le cas de La Chanson des canuts, dont les paroles évoquent la révolte des ouvriers de la soie lyonnaise. Il l'écrit en 1894, donc bien après les deux principales révoltes de 1831 (pour le tarif, le salaire minimum) et 1834. Ses paroles témoignent, non seulement de la détresse des ouvriers de la soie, mais insistent surtout sur l'opposition fondamentale entre les canuts et les "grands de la terre", dont l'existence et le train de vie somptuaire ne reposent que sur l'exploitation des travailleurs. "Pour gouverner, il faut avoir / Manteaux ou rubans en sautoir (2X) / Nous en tissons pour vous grands de la terre / Et nous, pauvres canuts, sans draps on nous enterre".
Dans une veine proche, Jules Jouy, auteur d'un très grand nombre de chansons, évoque dans son œuvre, parfois en des termes violents, le sort peu enviable des ouvriers. C'est le cas de "Filles d'ouvriers", en 1898. Le poète chansonnier, collaborateur du Cri du Peuple de Vallès, habitué du Chat Noir à Montmartre, y décrit la condition des ouvrières, usées par un travail précoce et épuisant, vite tombées dans la prostitution par manque d'emploi et d'argent (les personnages de Gervaise et Nana chez Zola, les pierreuses des chansons réalistes). "A quinze ans, ça rentre à l'usine, / Sans éventail, / Du matin au soir, ça turbine, / Chair à travail. / Fleurs des fortifs, ça s'étiole, / Quand c'est girond, / Dans un guet-apens, ça se viole, / Chair à patron." On peut noter que cette chanson, dite réaliste, force le trait, parfois jusqu'à la caricature.
Parmi les auteurs très prolifiques dont l'œuvre soutient les revendications ouvrières, citons Gaston Montéhus. En 1910, celui qui s'autoproclame "chansonnier du peuple", écrit "Ils ont les mains blanches". Il y oppose les travailleurs de l'usine et de la mine, qui s'esquintent la santé pour les beaux yeux des exploiteurs aux "mains de fainéants". "Voyez donc cette foule tapageuse. / Que'qu'fois gaie, souvent malheureuse, / Oui ce sont de brav'ouvriers, / C'est la masse des sacrifiés. / Ils reviennent du bagne de l'usine, / Ils sont pâles, ils ont mauvaise mine, Hommes et femmes, vrais gueux, meurt-de-faim / Qui engraissent un tas de coquins !
Refrain : Leurs mains n'sont pas blanches, / Ils ont travaillé. / Leurs mains n'sont pas blanches, / Elles sont meurtries, broyées. / Ça sent le courage, la force et l'honneur, / Voilà c'quon appelle des mains d'travailleurs !"
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> Intéressons-nous maintenant aux fonctions de la musique au sein du monde ouvrier. Dans l'atelier ou l'usine, le répertoire entonné comprend de nombreux chants de travail. Si l'on en croit le témoignage de René Michaud, ouvrier de la chaussure, à Paris dans les années 1920, « le monde du travail chantait beaucoup alors. Le répertoire était considérable, allant des hymnes révolutionnaires à la chansonnette de charme. On chantait aussi les métiers et la tradition, la souffrance et l'espoir du peuple. C'étaient souvent de vieux airs, des couplets de circonstance, des mélopées ou de véritables complaintes. Tout le monde en connaissait les airs, des bribes de paroles. » (René Michaud : J'avais vingt ans. Un jeune ouvrier au début du siècle, Syros) Chanter en travaillant est une pratique collective très répandue à l'usine. Dans les ateliers de tissage, les chansons résonnaient et accompagnaient le mouvement des bras et le vacarme des machines. Le chant accompagnait les gestes du travail. Parfois, on criait plus qu'on ne chantait afin de couvrir le bruit des machines. Au gré des embauches, le répertoire s'enrichissait grâce aux morceaux transmis par les nouveaux venus. Le chant des ouvriers est alors le reflet du quotidien : du métier, du travail et des luttes, et reprend ainsi la tradition de la chanson populaire, jusque dans ses ambivalences. D'un côté, en effet, le chant pendant le temps de travail ressortit de pratiques réfractaires : les ouvriers chantent et prouvent par là n'être pas entièrement absorbés par leur travail et concentrés sur la tâche à exécuter. Les paroles critiques de nombreux chants, les aspirations à un avenir meilleur constituent autant d'éléments de contestation de l'ordre productif, qui impose le silence (ou le vacarme des machines). Les ouvriers, en entonnant les chansons pendant le travail, remettent en cause cet état de fait.
Prenons un exemple concret. A Douarnenez, au début du XX° siècle, les sardinières chantent tout le temps, pour se donner de l'entrain et supporter les journées interminables d'un travail pénible et harassant. Entonnées à l'unisson, les chansons de prières, d'amour ou grivoises, contribuent à la cohésion du groupe, fixent une cadence de travail. "Le chant reste l'oxygène des ouvrières. On chante le matin pour se donner du courage. On chante l'après-midi vers les trois heures parce que les femmes avaient un coup de pompe. On chante le soir pour résister au sommeil." [Anne-Denes Martin : Les ouvrières de la mer, histoire des sardinières du littoral breton, L'Harmattan, 1994]
En 1924, un conflit social de grande ampleur paralyse les conserveries qui représentent la principale activité de la ville, devenue communiste dès 1921. Les manifestations se déroulent dans l'espace public, mais là encore, comme dans les conserveries, la musique et les chants sont partout. Les Penn Sardin en grève s'arrêtent devant leurs usines et entonnent désormais des chants révolutionnaires : l'Internationale, le Drapeau rouge, mais aussi et surtout Saluez riches heureux. Cette chanson anarcho-syndicaliste du début du XX° siècle dépeint les rudes conditions d'existence des travailleurs, sans cesse confrontés au besoin. Les paroles décrivent deux mondes étanches qui s'ignorent et ne se mélangent jamais; une situation qui correspond en tout point à la situation de Douarnenez. D'un côté le port où travaillent pêcheurs et sardinières, qui résident dans les misérables masures du Rosmeur, de l'autre, les splendides hôtels particuliers du quartier du Port Rhu où habitent la caste des conserveurs. Les travailleuses portent la coiffe et parlent breton quand les dames arborent chapeaux et s'expriment en français. Pour les crève-la-faim, le luxe ostentatoire assumé par la "noblesse de l'huile" tient de la provocation. Insultées dans leur dignité, les Penn Sardin ne pouvaient qu'adopter "Saluez riches heureux". "Les travailleurs ne sont que des esclaves / Sous les courroux des maîtres du trésor / (...) Saluez riches heureux, ces pauvres en haillons, / Saluez ce sont eux qui gagnent vos millions".
Comme le rappelle Xavier Vigna dans son "Histoire des ouvriers en France au XX° siècle". La médaille à son revers. En effet, "le chant ouvrier n'empêche nullement le travail de se faire. Mieux, il conditionne peut-être sa réalisation effective en offrant à l'ouvrier une espèce de répit dans le temps même du labeur : l'ouvrier aurait-il besoin de chanter pour mieux travailler? Dès lors, le chant du travail est à la fois critique du travail et de la condition ouvrière et illusion de la critique." (XV p 123) Pour accréditer ce propos, rappelons que la création des harmonies et fanfares, qui font partie du paysage sonore des bassins miniers du Nord et de Lorraine, fut encouragée par les Compagnies minières, qui y voyaient une manière de canaliser les revendications des travailleurs. A la différence des chansons, dont la portée potentiellement subversive n'est plus à démontrer, « les sociétés musicales offrent une activité récréative au sein d'espaces de sociabilités "sous contrôle". » (Source C) D'ailleurs, comme le montre Olivier Chovaux, dans les Houillères, l'organisation des sociétés musicales reproduit la hiérarchie du monde de la mine : aux contremaîtres les fonctions dirigeantes, aux mineurs l'exécution de la partition. [les Virtuoses, la Fanfare]
* Abordons désormais la parenthèse enchantée du Front populaire. Chanter offre aussi une possibilité d'évasion face à la répétition des gestes et la difficulté des tâches à accomplir. Chanter en chœur permet aussi de créer une complicité et contribue à forger un sentiment d'appartenance collective. L'ouvrier est aussi un auditeur. Comme les autres travailleurs, il apprécie la musique. Les airs joyeux, les succès du moment s'imposent ainsi lors des débrayages et manifestations, sans qu'ils aient initialement de dimension militante. Aux lendemains de la victoire du Front populaire, en mai-juin 1936, sur les piquets de grève, ouvriers et ouvrières entonnent moins les chansons révolutionnaires que les airs à la mode à l'instar de "Marinella" interprétée par le très populaire Tino Rossi ou encore les premiers succès de Charles Trenet. De nombreux témoignages de l'époque décrivent l'ambiance festive et joyeuse qui préside aux occupations d'usine. On joue aux cartes, on chante, on danse au cours de bals improvisés. La musique est omniprésente et l'accordéon de sortie. Mieux, le mouvement social inspire à Ray Ventura et ses collégiens un morceau très amusant : "La grève de l'orchestre". Les musiciens refusent de jouer tant que le chef n'aura pas donné satisfaction à leurs revendications.
L'intérêt de la chanson populaire d'alors pour la douce et courte euphorie qui s'empare du monde ouvrier lors de l'accession au pouvoir du Front populaire fait que les chansons d'alors sont autant d'instantanés du climat euphorique qui accompagne l'installation au pouvoir du Front pop'. Elles ont pour thèmes les loisirs en vogue: la fréquentation des guinguettes, la pêche, le vélo... Une des chansons les plus fréquemment associées au Front populaire reste "Quand on s'promène au bord de l'eau", tirée du film la Belle équipe, réalisé par Julien Duvivier en 1936. (7) Dans plusieurs séquences du film éclate la fierté d'appartenir à la classe ouvrière. Une atmosphère de gaieté insouciante se dégage du morceau. La chanson célèbre le dimanche à la campagne, qui introduit une rupture salvatrice dans le quotidien du travailleur. "Du lundi jusqu´au sam´di, / Pour gagner des radis, / Quand on a fait sans entrain / Son p´tit truc quotidien,/ (...) Et trimballé sa vie d´chien, / Le dimanch´ viv´ment / On file à Nogent, / Alors brusquement / Tout paraît charmant!" Le temps d'une journée de repos, l'ouvrier jouit enfin d'un temps pour lui dans un cadre bucolique, bien différent de celui, vicié, de l'usine. "Paris au loin nous semble une prison." Le refrain célèbre les plaisirs simples de la vie, entre amis, en pleine nature. "Quand on s´promène au bord de l´eau, / Comm´ tout est beau... / Quel renouveau! (...) L´odeur des fleurs / Nous met tout à l´envers (...) / Chagrins et peines / De la semaine, / Tout est noyé dans le bleu, dans le vert... / Un seul dimanche au bord de l´eau, / Aux trémolos / Des p´tits oiseaux, / Suffit pour que tous les jours semblent beaux."
En cette fin des années 1930, le PCF et la CGT parviennent à s'imposer comme les représentants naturels d'un monde ouvrier qui a conquis une place éminente et centrale. Après la Seconde guerre mondiale, alors que le pays connaît une croissance économique et sociale sans précédent, les ouvriers, dont le nombre n'a jamais été aussi important, aspirent à bénéficier des fruits de la prospérité ambiante. La conflictualité sociale ne faiblit pas et, là encore, les grèves inspirent de nouveaux chants, émanant du monde artistique ou des rangs même des ouvriers.
> En 1967, Colette Magny écrit "La pieuvre". L'intransigeance artistique et l'engagement sincère de l'artiste en faveur des luttes ouvrières privent Colette Magny d'une carrière à succès, mais elle nous lègue des enregistrements émouvants et forts, caractérisés par l'alternance du phrasé parlé et du chant viscéral. Virée par CBS, qui lui reproche son militantisme, elle trouve refuge au Chant du monde et se produit dans les circuits alternatifs. Dans sa composition, Magny pointe les conditions de travail dans l'industrie textile - en l'occurrence le groupe Rhodiacéta -, détaillant le travail des équipes qui se succèdent toutes les huit heures.
> En mai 1968, alors que la France est secouée par des centaines de manifestations, les ouvriers de l'usine Renault-Billancourt se joignent au mouvement de révolte et votent la grève. C'est l'occasion d'occuper les lieux, de scander ses idées, d'appeler à l'autogestion et d'exiger des revalorisations salariales. En vain. Les grèves reprennent de plus bel jusqu'à atteindre leur apogée en 1972. Dans ce contexte explosif, quelques salariés créent le Groupement Culturel Renault ; un collectif éphémère prêt à renverser le patronat dans des morceaux poétiques qui disent tout : les conditions de travail insupportables, les privilèges, la société hypercapitaliste... Ces musiciens non professionnels enregistrent Cadences 1 et 2, un 45 tours de chansons d'insubordination prolétarienne, "pour tous les ouvriers malades, qui n'ont pas les moyens de s'arrêter de travailler parce qu'ils sont payés à l'heure." La musique se caractérise par une rythmique progressive, des guitares psychédéliques, l'usage du parlé-chanté. "L'ordre, c'est la servitude pour des millions d'hommes qui de leur rude labeur font vivre dans l'abondance une poignée d'exploiteurs."
La dénonciation de l'exploitation capitaliste peut aussi se faire de manière humoristique, sarcastique. En enregistrant "Merci patron", les Charlots démontent l'absurdité d'un discours entrepreneurial hypocrite, en refusant toute déférence à l'égard d'individu dont le seul mérite est de se tenir du bon côté du bureau.
La baisse de la consommation, le choc pétrolier, la financiarisation de l'économie accélèrent le processus de désindustrialisation. L'emploi ouvrier entame une hémorragie qui ne semble pas devoir finir. Désormais, les artistes se consacrent aux chants des usines qui ferment. En 1978, Bernard Lavilliers, "fleur de grisou à tige de métal", sait trouver le ton juste, ni misérabiliste, ni trop nostalgique. (8) Il dédie "Fensch vallée" aux sidérurgistes du nord de la Lorraine, en lutte pour la sauvegarde de leurs usines, dont les sites se terminent tous par ange (Hayange, Algrange, Florange, Uckange...). "Tu ne connais pas, mais t'imagines / C'est vraiment magnifique une usine / C'est plein de couleurs et plein de cris / C'est plein d'étincelles surtout la nuit".
Avec la raréfaction de l'emploi ouvrier et le lent, mais inexorable, processus de désindustrialisation, les chansons portent désormais sur la perpétuation de la mémoire, les héritages ou/et la dignité d'un monde en voie d'extinction. Citons parmi d'autres "Les ouvriers" de Sanseverino, Son bleu de Renaud. En 2001, le Nanard national, encore lui, enregistre "Les mains d'or", une des plus belles chansons écrites sur la condition ouvrière depuis longtemps. Introduite par la dramatisation d’un chant profond sur fond de tambours, les paroles de la chanson introduisent d’emblée un sentiment de solitude et de fragilité. Le premier couplet plante le décor, décrivant les friches industrielles, les carcasses d'usine en déshérence, les laminoirs, les usines de transformation à l'arrêt, abandonnées, délabrées, rouillant sous la grisaille. Dans cette zone sinistrée, tout est à l'arrêt: les "cheminées muettes", les "portails verrouillés", les "wagons immobiles", les "tours abandonnées". Il n'y a "plus de flamme orange dans le ciel mouillé". Lorsque survient le refrain, un rythme capverdien teinte la désespérance du récit d’une énergie de résistance. Le personnage parle à la première personne et énonce son refus de l’effacement. Le refrain ressasse toujours les mêmes mots: « Travailler encore ». Cette répétition portée par la musique, dans ce qu’elle a de plus concret et de corporel, prouve la capacité de résistance de l'individu. Le personnage vit, se bat, palpite, il a non seulement des « mains d’or » mais un corps offert à qui veut l’entendre, sa capacité de création reste intacte.
De nouveaux défis se posent avec la raréfaction de l'ouvrier d'usine et l'apparition d'un nouveau prolétariat, celui composé par les travailleurs des plateformes, précaires et intérimaires. C'est moins la chanson que le rap qui accorde un intérêt particulier aux nouvelles formes du travail ouvrier, dénonçant des conditions de travail aliénantes et dangereuses avec la multiplication des Troubles Musculo Squelettiques. De nombreux textes de rap se réfèrent ainsi au travail des ouvriers de la logistique. (9) Cet intérêt prononcé pour les entrepôts, les colis, les palettes et les Fenwick s'explique d'abord par l'expérience vécue par de nombreux artistes hip-hop qui, avant de percer ou en parallèle à leurs carrières, travaillaient en tant que manutentionnaires, préparateurs de commandes, caristes, magasiniers, opérateurs de saisie, agents de quai, pour des enseignes de la grande distribution (Leclerc, Carrefour), des messageries (FedEx, UPS, DHL, TNT), des entreprises et leurs sous-traitants (Geodis, XPO), des transporteurs, ou pour les géants du e-commerce (Amazon, Cdiscount, Veepee, Showroomprive).
En 2019, le groupe Odezenne enregistre "Bleu Fuchsia". Jacques Cormary, l'auteur des paroles, est un ancien travailleur du marché de Rungis. Le morceau dépeint un monde terne et triste, dans lequel les employés triment durement pour gagner leur pitance. Les manutentionnaires s'usent dans des tâches répétitives et mornes, tandis que les "muscles exultent" sous le poids de lourdes charges. Au delà des difficultés professionnelles rencontrées, Odezenne célèbre la capacité de résilience de l'employé, dont l'identité ouvrière - la "race ferroviaire" - est brandie avec fierté. Les paroles suggèrent l’assimilation des transpalettes à un ballet de danse. Le charriot élévateur, outil indispensable du secteur de la logistique, n'est plus ici le symbole de l'exploitation, mais plutôt de la libération. "Transpalette Grand Ballet / Je reste fier de ma race ferroviaire / Les ongles noirs / le gris du quai / Le rouge des fraises / Dans la tête, le vert des poires / Le vendeur me casse les glandes / Il aime pas bien la couleur du préparateur de commande"
Terminons par un extrait d'"A la ligne. Feuillets d'usine" de Joseph Ponthus. Fort de son expérience, grâce à la magie d'une écriture subtile, l'auteur dépeint avec poésie et sans concession la rude existence des ouvriers intérimaires des usines de poissons et abattoirs bretons. Ici, il insiste sur le rôle crucial joué, pour lui, par la musique. "L'autre jour à la pause j'entends une ouvrière
dire à une de ses collègues
«Tu te rends compte aujourd'hui c'est tellement
speed que j'ai même pas le temps de chanter»
Je crois que c'est une des phrases les plus belles
les plus vraies et les plus dures qui aient jamais
été dites sur la condition ouvrière
Ces moments où c'est tellement indicible que
Juste voir la chaîne qui avance sans fin l'angoisse
qui monte l'inéluctable de la machine et devoir
continuer coûte que coûte la production alors que
même pas le temps de chanter
Et diable qu'il y a de jours sans"
Notes:
1. Ces goguettes - continuation du phénomène du caveau, né au XVIII° siècle, au sein de la bourgeoisie parisienne - sont des sociétés chantantes.
2. Plusieurs types de chansons consacrées au monde ouvrier sont alors identifiables. Sous le Second Empire, les chansons des petits métiers de la ville sont à la mode dans les cafés concerts. Elles dressent un tableau pittoresque. Des recueils de chansons de ce type sont diffusés par les biais des colporteurs. Le travailleur y est dépeint comme courageux, dur au mal. On n'y trouve pas de référence à la lutte des classes ou à une organisation collective. Qu'elles émanent de plumes républicaines, de militants socialistes (le Saint Simonien Vinçard) ou des thuriféraires du Second Empire, les chansons consacrées aux ouvriers de l'atelier ou de l'usine dépeignent des travailleurs francs, généreux, gais, des bâtisseurs indispensables au progrès et à la paix. "Soldat de l'industrie", l'ouvrier, grâce à sa besogne, devient le garant de la prospérité, de la paix et contribue, in fine, au rapprochement des peuples.
> Chansons à la gloire des réalisations de l'industrie et des progrès techniques. Charles Poncy publie un recueil de chansons célébrant les métiers modernes, sur des airs connus. "Les textes édifiants vantant les vertus diffusées par le compagnonnage représentent un troisième type de chansons." Il s'agit alors de conseils donnés aux plus jeunes camarades.
3. La chanson revient sur les émeutes frumentaires survenues dans l'Indre en 1847. Les minotiers spéculent, le prix du pain s'envole et les populations les plus pauvre meurent de faim. Lorsqu'un convoi transportant du pain traverse Buzançais, une émeute éclate.
4. Ils fondent un journal républicain de chansonniers de gauche : Le "Républicain lyrique".
5. Plusieurs titres seront consacrés par ailleurs au 1er mai, à l'instar de la "Marche du 1er mai", sur des paroles de Charles Gros et une musique de F. Fenouil. "Premier Mai ! C'est le renouveau; / Comme aux arbres monte la sève, / L'idée aussi monte au cerveau / Et la sociale se lève ! / Plus haut que nos petits bourgeois, / O premier Mai, passant les ondes, / Par dessus frontières et lois, / Ton soleil luit sur les deux mondes. (...) Le Capital fait un enfer / De ce pauvre monde où nous sommes / Et notre pain est plus cher / Qu'à l'exploiteur la chair des hommes / Trop longtemps notre surtravail / Nous fut payé par la famine. / L'ouvrier n'est pas un bétail / Et moins encore une machine." C'est encore le cas de La Chanson du 1er mai de Gaston Couté, sur l'air du Temps des Cerises.
6. Ouvrier ferroviaire, Degeyter est licencié par un patron qui ne goûte guère sa composition. Il quitte alors la région lilloise pour Saint Denis. Ses déboires ne s'arrêtent pas là. En effet, Pierre ne signe son œuvre que de son patronyme, ce qui permet à son frère Adolphe d'en revendiquer la paternité. L'usurpateur obtient gain de cause devant la justice. Finalement, pris de remords, il se pend en 1916. Enfin rétabli dans ses droits, Pierre est invité par Staline en 1928, pour le quarantenaire du morceau. Il meurt dans le dénuement en 1932.
7. Cinq chômeurs gagnent à la loterie et utilisent leur pactole pour rénover une guinguette installée sur les bords de Marne. La guinguette, incarnation du loisir populaire, devient une destination idéalisée, le lieu emblématique de la fraternité, l'endroit où s'adonner à des plaisirs simples le temps des vacances ou d'un week-end, en oubliant quelques heures les tracas du quotidien.
8. Quand il évoque sa ville "Saint Etienne". "On n'est pas d'un pays mais on est d'une ville / Où la rue artérielle limite le décor / Les cheminées d'usine hululent à la mort. (...) Les forges de mes tempes ont pilonné les mots. / J'ai limé de mes mains le creux des évidences. / Les mots calaminés crachent des hauts fourneaux."
9. Cette production permet aussi de donner une visibilité aux populations racisées.
Sources :
A. Xavier Vigna : "Histoire des ouvriers en France au XX° Siècle", Perrin, collection Tempus, 2021.
B. Le Maitron : Pierre-Jean de Béranger, Charles Gille, Pierre Dupont, Rémy Doutre, Aristide Bruand, Charles Keller, James Guillaume.
C. Olivier Chovaux : "Mémoires de la mine : "Défilé et souvenirs de l'harmonie de la fosse n° 13"
D. Philippe Darriulat : "La muse du peuple. Chansons politiques et sociales en France, 1815-1871", Presses universitaires de Rennes, 2011.
E. Chanter la révolution avec Philippe Darriulat et les Goguettes (les mercredis des révolutions), émission diffusée par paroles d'histoire l'excellent podcast d'André Loez.
F. Brécy Robert. Les chansons du Premier Mai. In: Revue d’histoire moderne et contemporaine, tome 28 N°3, Juillet-septembre 1981. pp. 393-432.
- G. Manfredonia, G.
J. "Musique du Paris ouvrier par Maurizio Gribaudi", dans l'émission un Air d'histoire sur France Musique
K. "La chanson désespérée de l'usine qui ferme", dans l'émission Ces chansons qui font l'actu sur France info.
L. "Chantons en travaillant !", Musiques, Territoires, Interculturalités.
M. Christophe Traïni : "La musique en colère", Presses de Science Po, 2008.
N. "Chants ouvriers, de lutte et d'exil... Un chœur pas comme les autres dans le Jura" [France musique]
O. Darriulat, Philippe. « Chanson et identité ouvrière en France (1817-1849) ». La poésie délivrée, édité par Stéphane Hirschi et al., Presses universitaires de Paris Nanterre, 2017
P. Benini, R. (2016). "La chanson, voix publique (Paris, 1816-1881)", Romantisme, 171(1), 40-52.
Q. Pierre Darriulat : "Chanter le crime à l'heure de l'invention des cafés-concerts parisiens sous le Second Empire", Criminocorpus [En ligne], 17 | 2021
Des ressources en ligne :
Le site Dans l'herbe tendre propose des ressources intéressantes autour de la relation entre musique et travail.
Conseils de lecture :
Joseph Ponthus : "A la ligne. Feuillets d'usine", Folio.
Claire Etcherelli : "Elise ou la vraie vie"
Thierry Metz : "Le journal d'un manœuvre"
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