dimanche 15 juin 2008

52. Vincent Courtois et Ze Jam Afane : "L'arbre Lumumba"

Vous aimez vous laisser surprendre ? Alors cette chanson est pour vous ! Un violoncelliste-compositeur réputé et un conteur camerounais s'associent pour parler de l'Afrique, de ses rêves et de ses désillusions. Le violoncelliste, c'est Vincent Courtois. Il élabore des mélodies audacieuses, au début surprenantes, mais qui finissent par emporter l'adhésion. Il faut dire que la voix, entre slam et chanson, de Ze Jam Afane est là pour nous porter. Tout en douceur et en poésie. Après Rose manivelle en 2004, les deux hommes sortent donc cette année un nouvel album : L'homme avion. J'ai choisi de vous parler de la chanson "L'arbre Lumumba". Dans cette chanson, le conteur choisit l'arbre comme interprète de ses pensées. Il aborde deux sujets qui ne sont pas liés en apparence, la déforestation sauvage en Afrique centrale et l'assassinat de Patrice Lumumba, ancien premier ministre congolais, en 1961. Le point commun ? "L'arbre qui reçut les balles de Patrice Lumumba".

[Vincent Courtois et André Ze Jam Afane en concert]

Vous pouvez écouter la chanson, voici les paroles, on se retrouve juste après pour en savoir plus:


J'ai rencontré l'arbre qui reçut les balles de Patrice Lumumba
Et moi je lui ai dit :
- C'est toi, c'est toi, c'est toi l'arbre qui a reçu les balles de Patrice Lumumba ?
- Oui, c'est moi
- J'aimerais te prendre en photo et te faire une interview afin que les Africains sachent ce qui s'est réellement passé.
Alors l'arbre m'a répondu :
- Non, je ne parlerais pas.
Nous autres arbres n'avons pas l'habitude de nous mêler des affaires humaines.
Cela ne fait partie ni de nos usages ni de nos coutumes.

Je me suis tout simplement trouvé au mauvais endroit au mauvais moment
J'ai moi aussi, comme vous, peur des représailles
La vie d'un arbre vaut-elle la vie d'un homme vaut-elle la vie d'un arbre vaut-elle la vie d'un homme ? Hein ?Nous autres arbres subissons actuellement les ravages des forestiers venus du Nord
Avec l'ignorance ou l'indifférence, avec la complicité des Africains qui, comme au temps de Patrice Lumumba, agissent une fois de plus au nom du ventre.
L'arbre a pourtant par le passé nourri le ventre de l'homme.
Patrice Lumumba est mort et moi l'arbre je porte les balles du souvenir.
La forêt congolaise se meurt
Les Congolais se déchirent
Les Africains comptent les coups
Et l'Occident comme d'habitude tire les petits profits de ce mélimélomélimélomélimélomélimélomélimélo
Combien de Patrice Lumumba nous faudrait-il, Africains, pour tirer les leçons de l'histoire ? Deux, quatre, six, huit même dix.


Qui est Patrice Lumumba ?

A la fin des années 1950, alors que le Royaume-Uni et la France entament le processus de décolonisation en Afrique, la Belgique ne semble pas vouloir céder le Congo. Parmi les Congolais, Patrice Lumumba est alors un des rares à dépasser le cadre local pour construire un véritable mouvement national lié aux autres mouvements d'émancipation en Afrique. En 1958, il devient très populaire avec cette phrase : "L'indépendance n'est pas un cadeau de la Belgique, mais bien un droit fondamental du peuple congolais". En janvier 1959, des émeutes sonnent le glas du Congo belge, mais l'indépendance n'a nullement été préparée. Elle a lieu le 30 juin 1960, même si la dépendance économique et financière est maintenue, notamment pour les compagnies. Très rapidement, deux provinces dont le riche Katanga, font sécession, encouragées par les entrepreneurs belges. Lumumba, premier ministre du Congo n'a pas les moyens d'agir et apparaît comme suspect aux yeux des Belges et des Américains. Seule l'ONU lui vient timidement en aide. Il est arrêté en décembre 1960 et assassiné, probablement avec la complicité de la CIA, le 17 janvier 1960. Il devient dès lors un mythe, à l'image d'autres grands leaders africains comme Nkrumah ou Sankara plus tard ou encore Che Guevara qui vient d'ailleurs rencontrer les lumumbistes au Congo au milieu des années 1960 pour "allumer" des feux révolutionnaires en Afrique.

Signalons l'excellent film de Raoul Peck, Lumumba, réalisé en 2000 avec Eriq Ebouaney dans le rôle du leader congolais.

Le tube de 1960 en Afrique, écrit par Grand Kallé, l'un des créateurs de la rumba électrique congolaise .... Julien Blottière nous présente ce titre et revient sur l'histoire de la colonisation du Congo au temps de Léopold.

Dans Histoire de Comprendre, Alexandre Adler présente très clairement les enjeux et le contexte de l'indépendance du Congo et l'expérience Lumumba (signalons juste que Tintin au Congo n'a sans doute pas permis aux Belges de "bien" connaître le Congo...) :


patrice lumumba
envoyé par dictys
 
124. Lord Brynner:"Congo war". (1966) Les difficultés du Congo juste après l'indépendance, entre guerre froide et tendances sécessionnistes. Un ska analysé par J. Blottière pour comprendre le rôle de Tschombé, Kasavubu, Lumumba et Mobutu.

Qu'en est-il de l'exploitation forestière en Afrique centrale ?

Les ressources de la République Démocratique du Congo (RDC ou Congo-Kinshasa, autrefois Zaïre (de 1971 à 1997), à ne pas confondre avec le Congo-Brazaville) sont nombreuses et variées. Cela a laissé espérer, au moment de l'indépendance en 1960, de belles perspectives pour le pays. Mais cela a aussi suscité les convoitises et entretenu les tensions entre régions. Les occidentaux, que ce soient les anciens colonisateurs belges, les Français ou les Américains étaient prêts à beaucoup pour garder un contrôle sur les immenses ressources minières du pays (cobalt, diamant, uranium, or,...). Rappelons que l'uranium ayant servi à fabriquer les bombes larguées sur Hiroshima et Nagasaki provenait du Congo. Les richesses de la forêt sont elles aussi un trésor, de l'huile de palme au caoutchouc en passant par le café. La forêt couvre la moitié du pays et représente un potentiel de production de bois tropicaux de 6 millions de m3/an. En raison du relatif éloignement des débouchés maritimes allongeant la durée et le coût du transport, mais aussi de la logique clientéliste du régime dictatorial de Mobutu, la forêt congolaise a longtemps été sous-exploitée. La guerre, à partir de 1996 a contribué à la poursuite de cette logique. L'isolement et les guerres ont donc paradoxalement "protégé" la forêt. Mais aujourd'hui, dans l'exploitation forestière, c'est la prédation qui domine, comme pour le minerai. Cette prédation est souvent le fait de groupes armés qui trouvent là une ressource financière avec la complicité des acheteurs occidentaux. Elle se fait au prix de la biodiversité de la flore comme de la faune.
Dans les pays voisins (Congo-Brazza, Gabon et Cameroun d'où est originaire Ze Jam Afane), malgré la présence d'administrations un peu plus organisées, la logique de prédation est là encore souvent à l'œuvre, avec en plus la proximité plus grande des ports de l'Atlantique. Les réseaux de transports, réalisés par le colonisateur français ont d'ailleurs été conçus pour permettre l'acheminement des matières premières (rappelons-nous les conditions de la construction de la ligne Congo-océan dénoncées en son temps par Albert Londres...).
L'enjeu est donc de permettre une exploitation raisonnée et durable de ce deuxième "poumon" de la planète qui serve les populations locales. Ce qui est loin d'être le cas pour le moment...


A lire :

Marie-France Cros et François Misser, Géopolitique du Congo (RDC), Complexe, 2006

Liens
L'arrestation de Lumumba vue par les actualités américaines de décembre 1960 :

2 commentaires:

blottière a dit…

Merci pour cette merveilleuse découverte et pour ce très bel article.

J.B.

E.AUGRIS a dit…

De rien, je suis tombé sous le charme. Je n'ai pas encore écouté le reste de l'album, mis à part la chanson l'homme-avion.
A suivre donc.