dimanche 25 janvier 2009

136. Baloji : "Tout ceci ne vous rendra pas le Congo"

Poursuivons notre exploration de l'histoire du Congo depuis l'époque de la colonisation sous la terrible férule de Léopold II, roi des Belges au XIXème siècle. J. Blottière nous a décrit la sauvagerie de l'exploitation du pays en étudiant le titre "Indépendance cha cha cha" de Joseph Kabasele, je vous avais parlé du personnage de Patrice Lumumba, héros de l'indépendance, et de la déforestation avec la chanson très originale de Vincent Courtois et Ze Jam Afane "L'Arbre Lumumba". Grâce à un ska de Lord Brynner, Julien Blottière vous a présenté les principaux protagonistes de la vie politique très animée du jeune Congo, indépendant en 1960 (Lumumba, Tschombé, Kasavubu et bien sûr Mobutu). Avec Baloji, nous survolons ces deux périodes et poursuivons sur l'histoire du pays de l'époque Mobutu à aujourd'hui.

Qui est Baloji ?

Baloji est né au Zaïre en 1978, à Lubumbashi dans la riche province du Katanga. Dès 3 ans, il rejoint son père en Belgique, à Ostende où son père aurait croisé Marvin Gaye. Le chanteur de soul américain y enregistre en effet "Sexual Healing" avant de rentrer et d'être assassiné par son propre père. Mais revenons à Baloji. Après Ostende, c'est Liège, mais toujours la même souffrance de grandir dans une famille qu'il ne ressent pas comme étant la sienne. C'est un des thèmes qui revient souvent dans ses chansons, notamment "Entre les lignes". Il quitte la maison dès 16 ans, forme un groupe, les Starflam. Suite à un contact téléphonique avec sa mère, qu'il n'a pas vu depuis ses 3 ans, Baloji prend le temps de réfléchir. En 2004, il quitte le groupe et entame l'écriture d'un album solo en forme de réponse à sa mère pour lui conter ses tranches de vie. Le résultat : Hôtel Impala, un album très personnel et magnifique, entre rap et slam, avec des influences sonores très variées, sorti en 2007. L'hôtel Impala, c'est un hôtel possédé par son père à Kolwezi au Katanga. Cet hôtel a été détruit dans les années 1990.
Entre Belgique et Congo, père, mère et belle-famille, entre passé et présent. Baloji navigue et erre en toute liberté, apparemment réconcilié avec lui-même.

Voici la chanson. On se retrouve après pour quelques explications :




Baloji- Tout Ceci Ne Vous Rendra Pas Le Congo... par rap2bomb



Du Congo au Zaïre et retour...

Présent dans les cercles du pouvoir dès l'indépendance, Joseph-Désiré Mobutu devient chef d'Etat-major avant de lâcher Patrice Lumumba et de s'imposer peu à peu avec la bénédiction des Belges et des Américains. Le coup d'Etat militaire du 24 novembre 1965 renversant le président Joseph Kasavubu lui permet de détenir seul l'essentiel du pouvoir. Il va alors progressivement imposer sa dictature. C'est le début du "règne du Maréchal".


Choyé par les occidentaux (ci-dessus en visite à Washington avec Nixon), il tente de séduire les Congolais en utilisant la figure de Lumumba, qu'il a pourtant directement contribué à écarter et à assassiner. Il revendique sa filiation pour mener à bien ses projets, notamment les nationalisations.
Sur le plan économique, l'indépendance n'est qu'illusoire. Les Belges contrôlent près de 80% de l'économie, notamment l'Union Minière du Haut-Katanga, symbole de la colonisation puisque créée en 1906, donc au "temps de Léopold" (le roi des Belges Lépopold II qui détenait personnellement le Congo comme colonie). L'UMHK exploitait dans la province méridionale du Katanga, celle-là même qui tenta, avec le soutien de l'UHMK, de faire sécession en 1960, d'énormes gisements de cuivre, de nickel, de cobalt (75% de la production mondiale en 1950 !), d'uranium (notamment celui de la mine de Shinkolobwe qui servit pour la première bombe atomique américaine en 1945), d'étain et de zinc.
En 1966, Mobutu décide de nationaliser l'UMHK qui devient la Gécamines (Société générale des Carrières et des Mines). Mais la Gécamines va rapidement perdre de sa splendeur. Une partie de ses activités, notamment le terril de Lubumbashi (photo ci-contre), a été rachetée par le controversé entrepreneur belgo-congolais Georges Forrest.
Mais revenons à la fin des années 1960. Mobutu a besoin d'asseoir son régime. Pour cela, il va lancer l'idée de "l'authenticité". Cette authenticité prend en fait à des sources très variées (les "traditions" locales, des héritages de la colonisation et même certains préceptes du communisme...). La nouvelle idéologie s'appuie sur quelques règles simples :
  • l'autorité indiscutée du chef ("On ne peut s'asseoir à deux sur la même peau de léopard" affirme Mobutu),
  • le parti unique qui devient "la nation zaïroise organisée politiquement" et une famille dont il est naturellement le chef. Tous se doivent donc de faire partie de la famille ("Olinga olingate ozali MPR", "que vous le vouliez ou non, vous êtes membres du mouvement populaire de la révolution"),
  • La centralisation administrative enfin, qui doit plus à l'héritage colonial
Absence de liberté d'expression, embrigadement (avec le MOPAP) et surveillance des congolais qui doivent désormais s'appeler "citoyens" font plonger le pays dans une dictature. Sur le plan culturel, l'abandon du costume au profit de "l'abacost" (à bas le costume...) inspiré du costume mao et celui des prénoms chrétiens se veut un retour à l'authenticité. Mobutu montre l'exemple en devenant Mobutu Sese Seko Kuku Ngbendu wa Za Banga c'est-à-dire "le guerrier qui va de victoire en victoire sans que personne ne puisse l'arrêter"...
L'aboutissement de cette quête d'une identité nationale est le changement de nom du pays. Le Congo est rebaptisé Zaïre. En fait d'authenticité, le mot vient d'une déformation portugaise d'un mot kikongo signifiant "rivière".

Après le combat de "l'authenticité", vient l'heure de la "zaïrianisation". Les entreprises possédées par des étrangers sont attribuées à des Zaïrois en 1973. Mais la manière hasardeuse et l'importance prise par la corruption jusqu'au plus haut niveau en font une catastrophe économique. La plupart des biens sont alors nationalisés en 1974, puis ensuite rétrocédés à des étrangers devenus méfiants vis-àvis du pays. Ajouté à la baisse des cours du cuivre qui rapportait 70% de ses devises à l'Etat, l'échec de la "zaïrianisation" achève de précipiter le pays dans le marasme économique où seule la débrouille et les relations permettent à chacun de s'en sortir. L'économie informelle devient dès lors la règle pour longtemps. A la fin des années 1980, la dette extérieure du pays s'élève à 9,5 milliards de $.[photo ci-contre : Mobutu sur un billet de 10 000 zaïres de 1989]
L'augmentation des contestations et la pression des occidentaux, le pouvoir de Mobutu va peu à peu s'effriter. La fin de la guerre froide l'a rendu moins précieux aux yeux des Etats-Unis. En 1990, le vieux chef se résoud à autoriser le multipartisme mais ce n'est pas encore la démocratie. En mai, des étudiants sont tués par la garde présidentielle à Lubumbashi. Les pillages par les militaires se multiplient.
A partir de 1991, Mobutu lance un processus de démocratisation apparent (conférence nationale) en faisant tout pour le saper. En 1993, le Zaïre compte ainsi 283 partis politiques, Mobutu appliquant le principe du diviser pour mieux régner. Ce n'est qu'avec l'extension au Zaïre des affrontements du Rwanda que les choses vont changer.

Au mois de juin 1994, le FPR de Kagame met fin au génocide et la plupart des génocidaires (notamment certains Interahamwe) a réussi à s'enfuir au Zaïre (en particulier au Kivu), fuite sans doute facilitée par l'opération humanitaire Turquoise menée par les militaires français en juin 1994 au Rwanda. Dès lors, le nouveau régime rwandais n'a de cesse de traquer les hutus présents au Kivu. Pour ce faire, le FPR n'a pas hésité à plusieurs reprises à aider des rebelles congolais, le plus souvent tutsis (des tutsis, les Banyamulenge, sont installés depuis longtemps dans l'est du Congo). En 1996, c'est ainsi que le mouvement de Laurent-Désiré Kabila réussit en quelques mois une percée spectaculaire qui le conduit jusqu'à Kinshasa la capitale. Kabila est un vieil opposant à Mobutu depuis les années 1960. Les alliés de l'est habillent leur conquête en révolution interne en utilisant Kabila. Les partisans de Kabila (AFDL) arrivent à la capitale Kinshasa en mai 1997. Le régime de Mobutu s'est effondré en quelques mois.
Au passage, de nombreux hutus sont massacrés par les troupes rwandaises qui portent Kabila au pouvoir en mai 1997 à la place du vieux Mobutu qui s'enfuit (il meurt cette même année au Maroc). Le Zaïre redevient la République démocratique du Congo. Le franc congolais remplace le zaïre et les couleurs nleue et jaune du drapeau de Léopold, déjà adoptées entre 1960 et 1963, remplacent le vert du Zaïre.


Kabila (ci-dessous en photo avec son fils Joseph) tente de se défaire de l'influence de ses encombrants parrains, omniprésents dans les sphères du pouvoir.
Il rompt avec eux en 1998 en renvoyant son chef-d'état major, le Rwandais James Kabarebe. La guerre reprend donc dans l'est du Congo. Cette guerre prend une dimension continentale avec l'intervention de troupes ougandaises et rwandaises d'un côté, zimbabwéennes, tchadiennes, namibiennes et angolaises derrière Kabila. Alliés d'hier, Ougandais et Rwandais finissent même par s'affronter en 1999 autour de Kisangani, semble-t-il pour le partage des richesses. Rappelons-nous que le Congo regorge de ressources naturelles dont l'occident, et pourquoi pas la Chine, ont grand besoin : Zinc, or, diamants, Cobalt et Colombo-Tantalite (ou Coltan, utilisé dans les téléphones portables). C'est l'atout du pays et son plus grand drame.... Le pays est alors coupé en trois : Au Nord, une zone contrôlée par l'Ouganda et les mouvements rebelles qu'il aide, à l'Est, le territoire contrôlé par le Rwanda et à l'Ouest, la zone contrôlée par le gouvernement.

[La RDC en 2003,Wikipedia]

Kabila est assassiné en janvier 2001 dans des conditions encore non éclaircies. Son "fils" Joseph lui succède alors (Laurent-Désiré et Joseph Kabila en photo ci-dessus). Après quelques années au cours desquelles la guerre se poursuit, notamment avec Jean-Pierre Bemba au nord (celui-ci est actuellement en attente d'un procès devant la CPI), la paix est signée en 2002. Plus de 4 millions de personnes ont perdu la vie, directement ou indirectement (maladies, malnutrition) dans ce conflit. A partir de 2003, une transition et un processus démocratique sont mis en oeuvre qui aboutissent à l'élection de Joseph Kabila en 2006. Les différentes milices doivent s'intégrer à l'armée nationale.

Mais la guerre n'a pas complètement disparu dans l'est du pays, notamment en Ituri où intervient une force européenne en 2003 (Opération Artémis). Au Kivu, province limitrophe du Rwanda, le général Laurent Nkunda (photo ci-contre), un tutsi congolais, refuse de reconnaître le gouvernement de Kabila et, soutenu par le Rwanda, entretient des troubles dans l'Est. Accusé de nombreux crimes de guerre, notamment contre les civils, il vient finalement d'être lâché par son ancien allié rwandais dans un retournement spectaculaire. Il a même été arrêté au Rwanda et pourrait être extradé à Kinshasa....

Les gouvernements congolais et rwandais se sont en effet mis d'acccord pour que des troupes rwandaises puissent travailler avec les troupes congolaises pour lutter efficacement contre ce qui reste des génocidaires de 1994 (les forces démocratiques de libération du Rwanda). C'est un changement considérable qui pourrait signifier la fin d'une décennie d'affrontements dont les premières victimes ont été les populations civiles.



Baloji nous en parle, de quoi s'agit-il ?

Kin : Kinshasa
M16 : nom d'un fusil d'assaut américain
Matongé : quartier populaire de Kinshasa qui a donné son nom à un quartier de la ville d'Ixelles près de Bruxelles, destination privilégiée des Congolais et autres Africains de Belgique.
Western Union : organisme financier qui permet de transférer de l'argent vers le pays d'origine. très utilisé par les émigrés pour les transferts financiers à leur famille.
Che Guevara se rend au Congo en 1965 pour entretenir des foyers armés de contestation chez les alliés des Etats-Unis. Il rencontre Laurent-Désiré Kabila qui le déçoit. Celui-ci fait partie des lumumbistes qui mènent des actions de guérilla dans l'est du pays, comme Pierre Mulele. Le Che a raconté cette expérience dans Passages de la guerre révolutionnaire au Congo.
"évolués mais dépendants" : allusion sans doute au statut de congolais immatriculé, aussi appelé "évolué" créé par les Belges après la Seconde Guerre mondiale. Il s'agit d'une certaine élite (diplômée, de "bonne moralité") qui dirige le pays après l'indépendance. Ils sont évalués à 100 000 en 1960.
"Tout ça ne nous rendra pas le Congo" est une expression ironique belge pour se lamenter de tout ce qui va mal, à commencer par la Belgique...
Baloji termine en laissant la parole à l'humoriste congolais Dieudonné Kabongo qui évoque le rôle joué par la religion catholique dans le colonialisme belge à travers une histoire connue mais dont je ne connais pas l'origine.

Le site de Baloji et un entretien sur Evene.
Pour en savoir plus sur le génocide au Rwanda, deux entretiens, une chronologie et quelques lectures sur Samarra.

Ma source principale pour cet article :

4 commentaires:

ital corner a dit…

Coté musique c'est un instrumental de Manu Dibango: afro-soul.Il se trouve sur l'album de 1972 africadelic qui a été réédité ces dernières années.

Baloji à ici réalisé un magistral premier album.l

E.AUGRIS a dit…

Merci pour cette précision !
E.A.

Dr. Funkathus a dit…

Chapeau pour ce blog. Il témoigne de ce que l'enseignement peut être une vocation.

Merci pour votre commentaire à propos de mon article sur Baloji :
http://lelixirdudrfunkathus.blogspot.com/2010/10/baloji-kinshasa-succursale-funk-la-mode.html

Modestement, sans être historien, j'avais déjà évoqué la situation du Congo dans un autre article plus général (l'étymologie du funk, Docteur Nico, Staff Benda Bilili, Trio Madjesi, etc...) :
http://lelixirdudrfunkathus.blogspot.com/2009/12/lu-fuki-ya-kongo-ou-la-malediction-de.html

Sinon, coïncidence, je venais juste de découvrir votre blog il y a quelques jours, en me documentant sur le mouvement d'authenticité impulsé par Sékou Touré en Guinée.

Et, dans la foulée d'avoir trouvé, il y a quelques instants tout juste, votre commentaire sur Baloji, j'ai mis l'histgéobox en lien sur l'Elixir... Si la réciproque vous tente, j'en serais ravi.

Bonne continuation...

E.AUGRIS a dit…

Merci beaucoup pour ce commentaire.
Nous ne sommes pas les auteurs du commentaire sur votre blog. Mais nous approuvons !
J'ai parcouru rapidement "l'ELixir du Dr Funkathus", ça a l'air vraiment très bien. Je vais regarder (et écouter) ça plus attentivement. On est bien sûr d'accord pour faire un lien.
Je n'ai pas encore réussi à me procurer le dernier album de Baloji dont la sortie a apparemment été retardée en France.
Aug