mardi 3 novembre 2009

190. Alpha Blondy: « Armée française » (1988).



L’année 1960 est celle des indépendances pour les colonies françaises d’Afrique subsaharienne. Et si l'on excepte la terrible guerre de libération au Cameroun (dont nous reparlerons bientôt) ces colonies ont été "décolonisées" avant que ne s'y développent de grandes luttes pour l'indépendance. Or, dès la fin des années 1950, le gouvernement français choisit de confier le pouvoir à des Africains "modérés" afin de mener avec ces derniers des politiques de coopération.

Ces indépendances suscitent d’importants débats entre les nouveaux pays. Certains penchent pour une indépendance fédérative dans le cadre du projet panafricain porté, entre autres par Kwame Nkrumah. Or cette option est vite écartée par la plupart des pays.

Au bout du compte, ce sont des indépendances bilatérales qui s’imposent. Le président ivoirien Félix Houphouët Boigny parle ainsi de « l’indépendance dans l’interdépendance. » En effet, ce mode de décolonisation s’avère particulièrement avantageux pour l’ancienne puissance coloniale qui peut facilement imposer une coopération (économique et militaire) et une aide publique au développement (APD) qui lui est largement bénéficiaire comme l’atteste, de manière symbolique, le maintien de la zone monétaire CFA (Communauté financière africaine) et celui de la zone linguistique et culturelle (francophonie).

Au cours des années soixante, les pays nouvellement indépendants d’Afrique de l'ouest doivent choisir leur camp dans le contexte de la guerre froide. Propagande et contrepropagande vont bon train.
Or, selon un accord tacite avec les Etats-Unis, c'est la France qui a pour mission de tenir ce pré-carré hors de portée de l'influence communiste ou, en tout cas, d'un régime hostile aux intérêts Occidentaux.

* le « gendarme » français. Ainsi, l'ancienne puissance coloniale s'est vite transformée en gendarme de l'Afrique de l'ouest.
L'objectif déclaré des autorités françaises est de veiller à la stabilité du continent. De fait, il faut reconnaître que dans les anciennes colonies françaises (anciennement AOF et AEF dont elle a la charge), il y eut nettement moins de victimes de guerre que dans les ex-colonies britanniques (Ouganda, Kenya), belges (soubresauts sanglants au lendemain des indépendances avec la guerre civile provoquée par la sécession katangaise qu'appuient les grandes compagnies minières occidentales) ou portugaises (ces dernières étant ravagées par de terribles guerres civiles en Angola notamment). Cette décolonisation très avantageuse pour la France lui permet de maintenir des liens et une influence très forts en Afrique subsaharienne. Aussi, dans les pays où la décolonisation s’est opérée sans violences majeures s’installe très vite un système politico-économique d’interdépendance (connu sous le nom de Françafrique) qui privilégie le maintien des intérêts français, souvent au détriment de la démocratie (voir les récents événements au Gabon).

Des années soixante aux années quatre-vingt, la France soutient des démocraties de façade telles que la Côte d’Ivoire de Félix Houphouët Boigny, le Burkina Faso de Blaise Compraoré, le Sénégal d’Abdou Diouf, ou des dictatures classiques comme le Cameroun d’Ahmadou Ahidjo, le Togo de Gnassingbé Eyadema, le Gabon d’Omar Bongo, le Tchad d’Idriss Déby...

N. Sarkozy et son homologue tchadien en 2008.

La France maintient son influence grâce à son importante présence militaire sur le continent. Elle y multiplie d’ailleurs les interventions armées, à plus ou moins juste titre. Revenons sur quelques unes de ces interventions: - En 1962, elle intervient pour la sauvegarde du président Léopold Sédar Senghor au Sénégal. - En mai 1978, intervention au Zaïre demandée par le dictateur Mobutu. Les parachutistes du régiment étranger de parachutistes de la Légion étrangère sautent sur Kolwezi, une ville minière du Zaïre pour secourir des otages européens aux mains des rebelles katangais qui étaient parvenus à rallier une partie de l'armée zaïroise (voir video ci-dessous).
Nouvelle intervention française en 1991-1992 lors des manifestations anti-Mobutu.
- En 1979, en République centrafricaine, l'opération barracuda permet de déposer l’empereur Bokassa, remplacé par David Dacko (amené dans les soutes d’un Transall français). Puis de nouveau en 1996-1997, les opérations Almandin I et II (2 300 hommes) ont pour but de neutraliser des mutineries militaires.
  - 1983-1984: au Tchad, l'Opération Manta déploie 4 000 soldats afin de venir au secours de Hissène Habré, le dictateur arrivé au pouvoir en 1982 (video ci-dessous). En 1988, toujours en soutien au pouvoir en place, la France déclenche l'Opération Epervier (900 soldats) pour combattre la Libye, qui occupe le nord du pays.

- En 1986, au Togo, 150 paras français sont envoyés pour protéger le président Eyadéma après une tentative de coup d'Etat. - Débarquement aux Comores après l'assassinat du président Abdallah en 1989. Puis de nouveau en 1995, l'Opération Azalée (1 000 hommes) qui permet la mise en échec d'un putsch (orchestré par l'inévitable Bob Denard) contre le président Djohar. - Au Rwanda, de 1990 à 1993, l'Opération Noroît envoie trois compagnies françaises et des forces belges pour soutenir le gouvernement Habyarimana. Elles évacuent leurs ressortissants durant les affrontements entre le régime et l'opposition tutsie du FPR.
En 1994, 500 soldats français évacuent 1 400 étrangers au début du génocide dans le cadre de l'Opération Amaryllis. Après cent jours de génocide, l'Opération Turquoise (2 500 hommes) est menée au Zaïre et dans l'ouest du Rwanda, pour venir en aide aux réfugiés hutus (officiellement en tout cas). - Intervention en Somalie en 1992 dans le cadre de la campagne militaire américaine "restore hope" visant à stabiliser le pays. - 1997: Opération Antilope (1 250 soldats) pour évacuer 6 500 étrangers de Brazzaville. - En 2002, l'armée française est présente en Côte d'Ivoire pour s'interposer dans la guerre civile qui oppose les troupes du gouvernement et les rebelles (d'abord seule, puis sous mandat de l'ONU).

Des soldats français patrouillent lors de l'opération Licorne dans un village au nord-ouest d'Abidjan (en 2005) [AFP/JACK GUEZ].

- Enfin à plusieurs reprises, des forces françaises interviennent au Gabon de l’ami Bongo ou de son prédecesseur Léon M'Ba…
En 1964, ce dernier est renversé par un coup d'état, il doit son salut à des parachutistes français qui le remettent en selle.
En 1990, l'Opération Requin ( 2 000 soldats) permet l'évacution de 1 800 ressortissants étrangers. Elle aide surtout le régime confronté à des émeutes à Libreville et Port-Gentil. Aux lendemains des élections présidentielles 2009 qui ont permis l'adoubement d'Ali Bongo, le fils de l'ancien dictateur, la France a de nouveau déployé des troupes afin d'encadrer les manifestants qui dénonçaient la fraude électorale et menaçaient les intérêts français (Total à Libreville).

Carte tirée du magazine Jeune Afrique n°2543, du 4 au 10 octobre 2009 (cliquez sur la carte afin de l'agrandir).

Aujourd'hui encore, la France dispose de bases militaires en Afrique dans le cadre d'accords bilatéraux: deux bases permanentes à Libreville (Gabon) et Dakar (Sénégal) sur la façade atlantique de l'Afrique, auxquelles s'ajoutent les bases de Djibouti et la Réunion.
Dans sa chanson "armée française", l'Ivoirien Alpha Blondy dénonce les interventions militaires françaises à répétitions qui constituent à ses yeux autant d'atteintes à la souveraineté nationale des pays concernés.

« Armée française », Alpha Blondy, CD Ytzak Rabin, 1998

Armée française allez-vous en !
Allez-vous en de chez nous
Nous ne voulons plus d’indépendance sous haute
Surveillance (2x)
Nous sommes des Etats souverains
Votre présence militaire entame notre souveraineté
Confisque notre intégrité
Bafoue notre dignité
Et ça, ça ne peut plus durer (alors allez-vous en !)
En Côte d’Ivoire,
Nous ne voulons plus de vous
Au Sénégal,
Nous ne voulons plus de vous,
Au Gabon,
Nous ne voulons plus de vous,
En Centrafrique,
Nous ne voulons plus de vous,
A Djibouti,
Nous ne voulons plus de vous
A N’Djamena,
Nous ne voulons plus de vous
Nos Armées Nationales nous suffisent
Vos conseillers militaires nous suffisent.

Sources:
- Stephen Smith: "Atlas de l'Afrique, un continent jeune, révolté, marginalisé", Autrement, 2005.
- Yves Lacoste: "Atlas géopolitique, Larousse.
- Jeune Afrique n°2543, du 4 au 10 octobre 2009.

Liens:
- D'autres titres consacrés au système "Françafrique" sur le blog.
- Le monde.fr: "les interventions militaires françaises en Afrique depuis 1981".
- Sur l'avenir des bases françaises en Afrique.
- Rue 89: "cinquante ans d'interventions militaires françaises en Afrique".

7 commentaires:

lnk a dit…

Je viens de découvrir ce blog un peu par hasard et je le trouve extraordinaire. C'est d'un très grand intérêt et même si on n'est ni professeur ni lycéen, on s'instruit et (re)découvre de belles chansons!. Merci!

blottière a dit…

Merci pour ces encouragements qui font très plaisir.

J.B.

Deor a dit…

Survie vient justement de sortir son dernier dossier noir: que fait l'armée française en Afrique?

Le site de l'association fourmille d'ailleurs d'infos sur la Françafrique : et pour cause, c'est l'ancien président, Françoix-Xavier Verschave qui a définit et popularisé ce concept...

Anonyme a dit…

Le dernier dossier noir de Survie est d'ailleurs édifiant. Aller derrière les rumeurs et les non-dits de la raison d'Etat et de la raison politique, et il y aura pire que ce que vous soupçonnez...

Deor a dit…

D'ailleur, l'auteur, Raphaël Granvaud sera ce soir à Paris pour présenter son livre.

Plus d'informations là.

Il sera ailleurs en France aussi dans les semaines à venir. Surveillez le site de Survie et de ses comités locaux pour plus d'infos.

Florian a dit…

L'un de ces liens permettrait éventuellement de remplacer le lien mort. Ce sont deux diaporamas chacun :
https://www.youtube.com/watch?v=zaP6fExQ6SY
https://www.youtube.com/watch?v=4yzXT3UFZCY
Bonne journée !

blottière a dit…

Merci Florian!