Les débuts du camping, du vélo au credo
Olivier Sirost relève que c'est dans la presse sportive que le terme de "camping" apparaît en France au mois de juillet 1903 (1). Un article du journal L’Auto portant sur les campements sportifs des Anglais insiste sur l’origine et la culture britannique d’un mode de vie : « Les Anglais ont le génie de ces organisations en plein air. Depuis longtemps le goût du camping out et du bivouac lointain a pris dans le Royaume-Uni des proportions considérables. » Paul de Vivie dit Vélocio, grande figure du cyclotourisme français, écrivait la même année que la "bicyclette n'est pas seulement un outil de locomotion ; elle devient encore un moyen d'émancipation, une arme de délivrance. Elle libère l'esprit et le corps des inquiétudes morales, des infirmités physiques que l'existence moderne, toute d'ostentation, de convention, d'hypocrisie – où paraître est tout, être n'étant rien – suscite, développe, entretien au grand détriment de la santé." Pédaler et camper sont les joies du plein air, un concept en vogue en ce début de 20ème siècle dans les catégories sociales aisées. Avant la Grande Guerre, les campeurs sont principalement des randonneurs battant seuls la campagne à pied ou en vélo avec une toile de tente militaire rudimentaire.
Dans l'Europe industrialisée, cette pratique va se diffuser avec les réflexions hygiénistes sur le corps et l'environnement. Bouleversée par les progrès techniques, la vie moderne contraindrait l'homme qui, ne fusionnant plus avec la nature à cause d'une domestication sans freins, s'éloignerait de l'essentiel. Comme le note Alain Corbin, un retour à la nature est une façon de lutter contre les maux de la société industrielle (alcoolisme, tuberculose) en revigorant la vigilance du citoyen prêt à défendre les intérêts de la nation et la production de l'ouvrier à son poste. En Grande-Bretagne et aux États-Unis, l'idéal d'un nouvel Adam est porté par les protestants du Young Men’s Christian Associations (YMCA) qui développent les pratiques du camping en idéalisant l'Indien et la civilisation primitive américaine. Le triangle symbole de l'YMCA représente les trois domaines que l'être humain doit développer pour demeurer en équilibre. « Le triangle est l'exemple d'une symétrie essentielle à l'homme sur les plans spirituel, intellectuel et physique » (Luther Gulick, professeur du YMCA et créateur du symbole). Ce programme fondé sur l’indianisme et l'harmonie entre corps et esprit influence le scoutisme et initie la pratique du camping aux États-Unis. En France, les Unions chrétiennes de jeunes gens (UCJG) importent l'héritage anglo-saxon et en 1910 quelques uns de leurs membres fondent le Camping club français (CCF) pour forger une jeunesse aux rudiments de la vie au grand air.
"Nous méprisons, non sans raison,
les maisons, ces prisons,
d'où l'on ne peut pas voir les étoiles
et le beau ciel sans voile"
La chanson du plein air, extraite du livret Chansons des scouts de France (1932), montre la conjonction entre les influences anglo-saxonnes et suisse-allemande où le camping est le meilleur moyen de prolonger les moments passés au contact de la nature. Face à l'urbanisation galopante, l’Allemagne et l’Autriche proposent aux citadins une cure de nature où la randonnée en forêt, la baignade en rivière et le feu de camp entretiennent parfois un esprit contestataire où naturisme, végétarisme se diffusent en parallèle. C'est sur le disque "Les chansons de Bob et Bobette", première production discographique à l'attention des enfants de l'entre-deux guerres, que l'on retrouve un éloge de la liberté et de la toile de tente avec "La partie de camping" (1948). Les oiseaux chantent, l'air est pur. Parfois un orage craque mais rien ne vaut la vie en pleine nature.
Puisqu'il faut vivre avec son temps
Vivons autrement qu' nos parents
Qui végétaient entre quatre murs
Il nous faut un plafond d'azur
La vie qui nous enchante
Chante, chante, chante
C'est le campeur qui plante
La vie indépendante
Des trappeurs au cœur bien trempé (Un, deux, trois)
Campeurs, sachons camper !
(Refrain)
Ah ! Qu' c'est beau la nature
Les fleurs, les p'tits oiseaux
La brise qui murmure
Et les reflets sur l'eau
Pour posséder tout à la fois
Campons au coin d'un bois
Vers le camping de masse
Au camping éducatif promu par le Camping club français des origines s'ajoute progressivement une pratique plus familiale. Le développement de l'industrie touristique en France s'accompagne d'une massification du camping où l'on distingue les Sybarites (adeptes du confort, du nom de la prospère ville grecque de Sybaris) et les Spartiates. Pratique plutôt bourgeoise au départ, le camping se démocratise avec les congés payés de 1936. La création et la modernisation de zones de vacances dans les communes donnent naissance aux campings municipaux et à une pratique familiale en bord de mer ou sur les terres natales. Après la Seconde Guerre mondiale, une réglementation vise à limiter le camping sauvage qui dégrade des espaces naturels mais représente aussi un manque à gagner pour une industrie des loisirs en plein boom. La plupart des campeurs des Trente Glorieuses se rendent alors gaiement dans les terrains de camping en plein essor ou investissent dans leur propre parcelle privée.
Bob, moustache, lunettes rondes, la bouille de Marcel Zanini est entrée dans les annales de la chanson française avec son reprise impayable de Brigitte Bardot dans "Tu veux ou tu veux pas" déjà étudiée sur l'Histgeobox. Né à Istanbul en 1923, d'un père français et d'une mère d'origine grecque, Zanini voyage entre la Côte d'Azur et les Alpes pour animer les saisons touristiques. En 1971, cet amoureux de jazz s'amuse des petits déboires des vacanciers à toile de tente avec le très seventies "Le camping". Sur la pochette où Zanini mime un coup de fourchette sur son matériel pliable, l'idéal du campeur en quête d'un nouvel Éden est bien loin. Le camping jouxte la route et la gare de chemin de fer, les "gros camions" déboulent sur l'aire et bouchent la vue du pauvre campeur au chapeau zébré. Transistors à bloc et surpopulation, l'espiègle Zanini se délecte du camping de masse. Il y a t-il encore une place pour les puristes du camping dans une société de loisirs et de consommation où le confort s'immisce même là où l'on avait chassé ?
Au super camping de la plage
Evidemment c'était complet
Mais moyennant un bon pourboire
On nous a quand même casés
Entre un gros camion de la Corrèze
Qui nous bouchait toute la vue
Et une famille portugaise
Qui faisait frire de la morue
On s'est regardés
Puis on s'est dit
On se plaindra
A Trigouni
Refrain
Ah quelle joie d'avoir une caravane
Ah quelle joie de faire du camping
L'endroit était très sympathique
Mais il y avait les transistors
Et sans les millions de moustiques
On aurait pu dîner dehors
On trouvait tout à la cantine
A condition d'attendre son tour
Pour une boîte de sardines
J'ai fait la queue pendant trois jours
Un de nos voisins
Pour des petits pois
A fait la queue
Pendant un mois
Refrain
Bien sûr, on ne voyait pas la plage
A cause de la gare de chemin de fer
Mais en grimpant sur le porte-bagage
On pouvait quand même voir la mer
A part les huit jours de tourmente
Et la tente qui s'est envolée
On a passé de bonnes vacances
On s'est vraiment bien amusé
Si on n'est pas
Tellement bronzés
On a quand même
Bien rigolé
Refrain
Ah quelle joie d'avoir une caravane
Ah quelle joie de pouvoir s'en servir
La France, le premier parc européen de campings
L'INSEE (2) nous livre des statistiques récentes qui confirment l'engouement pour le camping hexagonal. "En 2016, la France métropolitaine compte 7800 campings touristiques et 710 000 emplacements, soit une taille moyenne de 90 emplacements par établissement. Elle possède le deuxième parc mondial de campings, derrière les États- Unis et le premier parc européen. Elle concentre notamment un tiers des capacités européennes, contre seulement un dixième du parc européen de chambres d’hôtels." Sur la décennie écoulée, la fréquentation des campings a progressé de 10%. Si les campeurs français préfèrent les emplacements équipés d'un mobil-home, bungalow ou chalet, les visiteurs étrangers optent pour les emplacements "nus" où ils plantent leur propre tente ou garent leur caravane, camping car ou voiture avec tente de toit.
Dans un article du Huffington Post daté d'août 2018, tout montre que les campings français sont en train de devenir un nouvel eldorado économique. La diversification de l'offre séduit de plus en plus d'urbains aimantés par un hébergement insolite en pleine nature comme le glamping (contraction de glamour et camping). Tous les âges et toutes les catégories socio-professionnelles sont représentés car du camping car à la tente dépliable en deux secondes les solutions d'hébergement sont nombreuses et dans l'air du temps.
D'autres alternatives apparaissent avec les campings cinq étoiles ou les campings permaculture où les clients consomment les légumes et fruits produits sur place qui se rapprochent du camping à la ferme chanté par Jean-Louis Murat sur le double-album Babel que Samarra évoque ici.
Sources
1. Les débuts du camping en France : du vieux campeur au village de toile par Olivier Sirost
(https://www.cairn.info/revue-ethnologie-francaise-2001-4-page-607.htm)
2. Les campings, un confort accru, une fréquentation en hausse (https://www.insee.fr/fr/statistiques/2852693#graphique-Figure1)
En savoir plus : https://www.francetvinfo.fr/decouverte/vacances/l-evolution-du-camping-a-travers-le-temps_1013263.html
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