vendredi 10 août 2018

352. Serge Gainsbourg - "L'eau à la bouche" (1960), amour et consentement

1969, l'orgasmique "Je t'aime moi non plus" célèbre la passion amoureuse au cœur de l'immense œuvre de l'homme à la tête de chou. La sortie du morceau enregistré dès 1966 avec Brigitte Bardot est annulée par Serge Gainsbourg, amant éconduit mais gentleman envers Gunther Sachs, mari de BB, peu enclin à entendre la trace radiophonique des ébats passés de sa belle. Les râles et soupirs de BB sont alors réenregistrés par Jane Birkin, pétillante anglaise de 23 ans et nouvelle muse du chanteur. Slow sulfureux, ce tube de l'année érotique est banni des ondes complètement ou avant minuit. Pour la petite histoire, Gainsbourg dira que "Je t'aime moi non plus" est la chanson la plus morale qu'il ait écrite car "l'amour physique ne suffisant pas à la passion, il faut s'en référer à d'autres arguments." S'il n'est pas le premier oser le sexe en chanson, Gainsbourg contribue à faire tomber les tabous de l'amour physique puisqu'en 1984 "Love on the beat" est autorisé.


"L'amour à la papa
Dis moi, dis moi
Dis moi ça ne m'intéresse pas
Ca fait déjà des mois
Des mois, des mois
Que j'attends autre chose de toi

Quatre-vingt-dix à l'ombre
De mon corps et tu sombres
Tu n'es pas une affaire
Tu ne peux faire
Qu' l'amour à la papa

Crois moi, crois moi
Y a trente deux façons de faire ça
Si d'amertume
Je m'accoutume
Il est fort probable qu'un jour
En ayant marre
C'est à la gare
Que je t'enverrais toi et tes amours"

Sorte de face B de "L'amour à la papa" vilipendé par Gainsbourg en 1959, plus bestial dans le propos que "Je t'aime…", "Love on the beat" c'est l'acte charnel torride mais diffusable à la télé, une permissivité dont les seventies ont accouché.


Écoutant "Je t'aime moi non plus" et "Love on the beat" en 2018 à l'aune de l'affaire Weinstein et du mouvement #MeToo, on peut se demander si Gainsbourg est le chanteur de l'amour consenti où désir et jouissance sont pleinement partagés. Aujourd'hui, la notion de consentement se construit et reste difficile à définir car il a un double sens comme le note la philosophe et historienne Geneviève Fraisse.


"C'est à la fois choisir et accepter. De nombreux campus américains ont adopté une règle pour lutter contre les agressions sexuelles qui consiste à dire que le consentement ne peut être exprimé que par un "oui" formulé verbalement, qu'un silence ne vaut pas consentement, afin de clarifier un peu les choses. En français, on parle souvent de consentement tacite, éclairé ou implicite. Tous ces adjectifs qu'il faut ajouter à ce terme montrent bien qu'il a plusieurs sens."

Dans l'œuvre de Gainsbourg, "L'eau à la bouche" est une chanson qui traite parfaitement de l'interprétation du consentement sexuel, "une question complexe dans le schéma où l’homme propose et la femme dispose, viennent s’insérer silences et quiproquos, la fameuse « zone grise »." (1)


En 1960, Gainsbourg signe la bande originale du film "L'eau à la bouche" de Jacques Doniol-Valcroze. Michel Galabru et Bernadette Lafont jouent notamment à merveille un couple fripon dans un château des Pyrénées-Orientales où six personnages réunis pour régler une question d'héritage se laissent aller au marivaudage. Les paroles de Gainsbourg qui servent l'intrigue amoureuse s'immiscent dans cette zone grise de la séduction. Entre prédateur (Je t'en prie ne sois pas farouche / Quand me vient l'eau à la bouche (…) Je te veux confiante, je te sens captive / Je te veux docile, je te sens craintive / Je ne prends que ta bouche) et homme patient capable d'attendre l'accord explicite de sa partenaire (Si tu veux bien / Je te prendrais doucement et sans contrainte), Gainsbourg fait sa danse nuptiale à la frontière du consentement et de la "liberté d'importuner" revendiquée par Catherine Deneuve (qu'il surnommait Catherine d'Occase) et BB dans une tribune au Monde de janvier 2018 (2). "Nous pensons que la liberté de dire non à une proposition sexuelle ne va pas sans la liberté d’importuner", concluent ces femmes, qui débutent leur texte en estimant que "la drague insistante ou maladroite n’est pas un délit, ni la galanterie une agression machiste".


Écoute ma voix, écoute ma prière 
Écoute mon cœur qui bat laisse-toi faire
 Je t'en prie ne sois pas farouche 
Quand me vient l'eau à la bouche 

Je te veux confiante, je te sens captive
 Je te veux docile, je te sens craintive
 Je t'en prie ne sois pas farouche
 Quand me vient l'eau à la bouche

 Laisse toi au gré du courant
 Porter dans le lit du torrent
 Et dans le mien
 Si tu veux bien
 Quittons la rive
 Partons à la dérive

 Je te prendrais doucement et sans contrainte
 De quoi as-tu peur, allons n'aie nulle crainte
 Je t'en prie ne sois pas farouche
 Quand me vient l'eau à la bouche

 Cette nuit près de moi tu viendras t'étendre
 Oui je serai calme je saurai t'attendre
 Et pour que tu ne t'effarouches
 Vois je ne prends que ta bouche

 




Actuellement, le terme de consentement est réinterrogé partout notamment sur le plan juridique en Suède où une nouvelle loi est entrée en vigueur : la justice considère dorénavant comme viol « tout acte sexuel sans accord explicite ».


À lire sur l'Histgeobox, le billet sur "Tu veux ou tu veux pas" de Marcel Zanini qui détaille le contexte de libération sexuelle des années 1960. L'émission Les pieds sur terre de France culture a consacré une série de quatre documentaires sur le consentement à réécouter sur leur site. Pour ceux qui aiment les voix haut perché,  "Consentement" un titre de Mylène Farmer sorti en 1999, aborde un thème dont s'est emparé Vins, rappeur montpelliérain engagé contre les violences faites aux femmes.


"Puis un viol ça reste un viol ça dépend pas d'la taille de sa robe
Et toi qui cries que c’est toutes les mêmes t’as rien compris
Ouais la salope dans cette histoire c’est surtout toi et ta connerie
Les traiter de putes c’est plus facile que d’admettre
Qu’elles veulent pas prendre un verre avec toi car tu sais pas t’y prendre avec
Tu gonfles les pecs et les abdominaux
Tu vois les femmes comme des femelles car être un homme c’est être un mâle dominant
Puis on dira que c’est de sa faute si les hommes sont dans l’abus
Oui regarde un peu ses habits, normal qu’on l’agresse dans la rue
Étouffées par son étreinte, rares sont celles qui portent plainte
Au final au tribunal on dira qu’elle le voulait peut-être un peu."


Sources
1. Après MeToo, une nouvelle libération sexuelle, Pauline Grand d'Esnon, juin 2018, https://www.neonmag.fr/apres-metoo-une-nouvelle-liberation-sexuelle-507820.html 
2. Nous défendons une liberté d'importuner indispensable à la liberté sexuelle, manifeste d'un collectif de 100 femmes paru le 9 janvier 2018 (https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/01/09/nous-defendons-une-liberte-d-importuner-indispensable-a-la-liberte-sexuelle_5239134_3232.html)

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