mercredi 3 juin 2020

Quand le rap du 113 éclaire de façon originale les enjeux d'identités des vacances au bled.

Chaque année, des milliers de Marocains, Algériens, Tunisiens vivant en Europe reviennent passer leurs vacances d'été dans leur pays d'origine, ou dans celui de leurs parents et grands-parents. 

En 1999, le 113 sort son premier album intitulé Les princes de la ville. Porté par le tube Tonton du Bled, l'album rencontre un immense succès.  Les ventes s'envolent (450 000) et les prix pleuvent. Aux victoires de la musique, le groupe débarque sur scène en 504 et rafle le trophée de "l'album rap" et surtout celui de la "révélation du public". Rim'K, AP et Mokobé, les trois membres du groupe, habitent 113 rue Camille Groult, à Vitry sur Seine dans le Val de Marne. La rencontre avec DJ Medhi leur permet de décoller avec une production originale et ambitieuse. Trois morceaux de leur premier album reviennent sur les origines bigarrées des membres du 113: l'Algérie pour le Tonton du Bled de Rim'K, le Mali sur Tonton d'Afrique de Mokobé, la Guadeloupe avec Tonton des îles d'AP.
Tonton du bled témoigne de l'importance et de la complexité des échanges culturels et économiques qu'entretiennent avec leur région d'origine les  migrants maghrébins (et leurs descendants) installés en Europe. Le morceau permet en outre d'aborder la difficile situation de la double culture ( préjugés, stéréotypes, etc…) et le sentiment de toujours avoir le cul entre deux chaises pour une partie de la population issue de l’immigration.

Au bout du compte, il s'agit d'un morceau bien plus drôle et fin qu'une écoute inattentive pourrait le laisser croire. 


Par vacances au bled, on entend les séjours passés dans le pays natal des parents par les descendants d’immigrés marocains ou algériens aujourd’hui adultes. Le maintien de séjours réguliers apparaît comme le signe d’un attachement particulier à la terre des ancêtres. 
Que représentent ces séjours? Quelles sont les motivations mises en avant par les individus? Quels sont les effets produits en termes de sentiment d’appartenance?

Charles01 / Public domain
* Epiques départs estivaux.
L'introduction du morceau témoigne de l'effervescence suscitée par le départ en vacances au bled. Le Tonton s'impatiente et presse ses neveux de monter à bord d'une voiture familiale remplie jusqu'à la gueule. Le fameux"504 Break [est] chargé" de victuailles, de "cabas (...) trop lourds", de cadeaux pour la famille. Sous le poids de "la grosse malle bleue" et de passagers "nombreux comme une équipe de foot", les "voitures au ras du sol" démarrent. De nos jours, les véhicules sont encore lourdement chargés mais, par suite de la surveillance policière, on ne voit plus de "voitures cathédrales" et leur empilement d'objets de toutes sortes. 
Rim'K poursuit: "on est les derniers locataires qui décollent". Il insiste ainsi sur l'importance des flux estivaux vers les pays d'origine. Dans les cités peuplées de nombreuses familles d'origine algérienne, marocaine ou tunisienne, les départs vers le bled vident le quartier de ses habitants. On comprend aisément le désir de s’enfuir loin des grandes tours invivables sous 40° C.
Le trajet vers le pays d'origine est également éprouvant et long. Il faut donc éviter les arrêts inutiles ("Billel va pisser") et ne pas oublier de faire "le plein de gazoil et d'gazouz [soda en arabe] pour pas flancher", tant les organismes comme les véhicules sont soumis à rude épreuve sur la route du soleil. Pour embarquer, "direction l'port, deux jours pied sur l'plancher / Jusqu'à Marseille avec la voiture un peu penchée". Une partie notable de la circulation de cette migration saisonnière s'effectue par avion, mais la majorité des vacanciers continue à emprunter les autoroutes espagnoles jusqu'aux ports d'Algésiras, Almeria. Ici le 113 décrit un trajet différent. La 504 descend la vallée du Rhône jusqu'à Marseille. L'ampleur des retours vers le pays et la longueur des itinéraires surchargés, entraînent chaque été de nombreux accidents dus à la fatigue des conducteurs. Cette situation incite les autorités des pays traversés (en particulier l'Espagne) à multiplier les contrôles. 
Le franchissement de la Méditerranée s'effectue grâce à des ferries. La saison démarre autour du 15 juin, avec des pointes successives qui atteignent leur plafond fin juillet-début août. Les retours vers l'Europe se concentrent sur une courte période, du 15 août au début septembre. Sous le soleil, la longue attente sur les parkings portuaires constitue un moment éprouvant pour les vacanciers. Lors de la haute saison, la rotation des navires s'effectue jour et nuit; dès qu'un bateau est rempli, il part. (1) La traversée entre l'Espagne et le Maroc s'effectue en moins d'une heure et demie. Le ballet des ferries fonctionne comme une autoroute  maritime, qui doit couper les flux marchands du trafic général du détroit entre Méditerranée et Atlantique. Pour le 113, le choix de Marseille implique une traversée plus longue, "24 heures de bateau, je sais c'est pas un cadeau". 

A l'issue de ce périple interminable, le rappeur rend visite aux paysages et lieux chers à son cœur, une manière de réactiver des souvenirs enfouis.  «Je vais kiffer sur la place Gueydon / A Bejaïa City» ou sur « la plage à Boulémat ». Les retours au pays ou simplement les vacances au bled ont plusieurs significations, mais manifestent en premier lieu l'attachement affectif aux lieux et aux personnes. La priorité est donnée aux visites à la famille, aux relations de voisinage, du moins en milieu rural. Les retrouvailles sont l'occasion de fêtes et de réjouissances.
Rim'k a «dévalisé tout Tati », pour offrir des cadeaux à tout son village en Algérie. Cette redistribution est une des composantes indispensables de la visite ou du retour au pays. Le visiteur est moralement  tenu d'apporter des cadeaux de là-bas. «J'vais rassasier tout le village même les plus petits / Du tissu et des bijoux pour les jeunes mariés / et des jouets en pagaille pour les nouveaux nés».

Hamoud Boualem / Public domain
 Après la visite imposée à la famille, "l'immigré" (2) peut enfin s'adonner aux activités de loisirs caractéristiques des vacances au bord de la mer: plage, farniente, rencontres. La force du morceau tient aussi à toutes les références à la manière de vivre au "pays". Ces éléments rendent le décor plus fidèle et transportent l'auditeur de l'autre côté de la Méditerranée. Rim'K mentionne ainsi les produits de consommation courante comme le "verre de Selecto", une boisson à l'essence de pomme très populaire en Algérie et dont la couleur rappelle celle du Coca-Cola. Pour éviter les coups de soleil, il faut s'enduire d'huile d'olive, se recouvrir d'une "couche de zit-zitoune sur les corps et sur les bras."
Puis le rappeur se réfère au paysage sonore lorsqu'il évoque le "derbouka" de son cousin ou la musique écoutée avec son "pote", ce "fond de Zahouania" (Chaba Zahouania est une chanteuse algérienne de raï).
 Rim'k intègre en outre de vrais mots d’arabe (dans le refrain notamment) et aussi d’argot algérien, ce qui donne du cachet au morceau et témoigne de l'attachement aux racines familiales. Enfin, le sample utilisé tout au long de la chanson est un titre du grand chanteur Oranais Ahmed Wahbi:  «Harkatni Eddamaa».

Une fois le décor planté, la discussion à bâton rompu s'engage entre le rappeur et son cousin du bled. «On parle de tout et de rien, des Nike air aux visas / De la traversée du désert au bon couscous de Yemma [maman]». (3) Les points de vue échangés avec des membres de la famille, du même âge, mais restés en Algérie, est une manière de se confronter avec soi-même et son identité, sa manière de vivre.
De plus en plus subtil au fil du morceau, le rappeur met en scène le décalage qu’il y a entre les habitants du pays et ceux qui y viennent pour les vacances.  «Avec 2, 3 blédards on tape la discussion» : Or, très vite, le Vitriot n’arrive pas à suivre: «Ils parlent trop vite, et en argot d’blédard ». Quand ses interlocuteurs apprennent que Rim'K est dans la chanson, le malaise grandit. L'un deux met en doute sa parole, constatant goguenard: « Moi j’t’ai pas vu fi tilivision » ["je ne t'ai pas vu à la télé"]. Le second demande : « Sa7a ta3ref Mickaël Jackson » ["connais-tu Michael Jackson?"] Un fossé irréversible se creuse et le rappeur conclut fataliste: «Je sais ce qu’ils feraient pour une poignée de dinards counard [référence à une chanson d'Ideal J] ». 

La confrontation entre les motivations des "touristes" et la manière dont le séjour se déroule est parfois durement ressentie. Les populations locales considèrent souvent les "immigrés" comme de véritables étrangers, ce que ces derniers - dans leur quête identitaire - vivent assez mal. Le constat est amer pour ces derniers qui peinent à trouver leur place. Certains « ne se sentent finalement ni pleinement d’ici ni pleinement de là-bas (...). (...) Les vacanciers sont alors pris dans une situation ambivalente. En partageant des caractères physiques, linguistiques, religieux et même des habitudes culinaires avec les habitants du pays visité, ils ressentent une certaine familiarité avec la société locale. Mais leur statut d’« immigré», les reproches qu’on peut leur adresser sur leur maîtrise imparfaite de la langue locale, sur leur tenue vestimentaire, sur leurs manières de se tenir et de parler, leur vécu des différences de modes de vie entre leur pays de résidence et le pays visité, tout cela les renvoie en même temps à une forme d’altérité. Cette confrontation à la différence peut amener à développer, sur place, une sociabilité plutôt centrée sur le groupe des « immigrés » : plus qu’il ne se sent appartenir au pays d’origine, l’individu diasporique se sent appartenir au groupe qui n’est ni d’ici ni de là-bas, ou des deux à la fois." (source A)  Finalement, on se définit comme marocain, franco-algérien ou musulman par la confrontation avec d'autres groupes et pas par des traits culturels propres et invariants. 

Pour une partie de la population issue de l'immigration, les discriminations subies en France s'accompagnent du sentiment de n'être pas pleinement accepté au "bled". Au fond, ils ont le sentiment de n’être nulle part à leur place. Au contraire, Rim'k fait de cette double culture une force. L'attachement à la France et à l'Algérie est particulièrement perceptible lors des vacances d'été, une période cruciale pour de nombreux immigrés.

Béjaïa. Oussama dzlion / CC BY-SA (https://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0)
Avant de rentrer en France, Rim'k dresse le bilan de ses vacances. Les bons moments passés ne l'empêchent pas d'insister sur l'écart de niveau de développement entre les deux rives de la Méditerranée. "J’ai passé un bon mois dans c’qu’on appelle le tiers-monde." Le rappeur entend aussi transmettre, porter témoignage, faire connaître le pays de ses ancêtres. "Si j’avais assez d’oseille j’ramènerais tout le monde". Pour autant, le rappeur est bien conscient du traumatisme vécue par l'Algérie au cours de la "décennie noire". «Mais j’peux pas fermer les yeux sur c’qui s’passe vraiment / J’dédie ce morceau aux disparus, aux enfants et aux mamans».
Puis Rim'k rentre à Vitry habillé d'un vêtement traditionnel ("Et j’suis rentré à la cité en Abaya"), des souvenirs plein la tête, des saveurs plein les papilles. "Pendant deux s'maines, j'ai mangé que de la chorba" (la soupe à base de viande ovine et de légumes). Content de retrouver ses activités habituelles, ses proches et sa copines. "Content d’revoir mes potos et ma chebba", il n'en formule pas moins le souhait de "finir [ses] jours là-bas inch’Allah". En conclusion du morceau, le chanteur demande à son père de pouvoir emporter de quoi contrer l'ennui de la vie au bled: télé, console de jeu, scooter, CD et cassettes, tout y passe... Le daron refuse, catégorique: "lé, lé, la". Ce dialogue de sourd démontre aussi que les pratiques du retour changent avec les générations. Selon que l'on soit un primo-migrant ou un descendant, la manière d'envisager le voyage varie considérablement. Cela n'a rien d'étonnant car pour l'immigré de première génération, les vacances au bled sont un retour au pays de l'enfance, pas pour ses descendants nés à l'étranger qui n'y voient que des lieux de villégiature.
Ainsi, les émigrés qui s'installent en Europe dans les années 1960 et 1970 gardent des relations intenses avec l'autre rive de la Méditerranée. Les retours temporaires au pays sont le symbole du maintien de relations concrètes avec le pays d'origine. Pour eux, les séjours de vacances pouvaient constituer un préalable à un retour définitif, même illusoire. (4) Le séjour au bled ne signifie pas forcément un temps de repos car la question du projet immobilier, de son avancement ou de son devenir, se pose inévitablement: restauration ou agrandissement de la demeure familiale. Lorsque les moyens financiers sont limités, on fait les travaux soi même, été après été - achat d'un terrain pour la construction (mais la migration internationale fait grimper le prix du foncier), surveillance du chantier, démarches administratives...   Dans cette perspective, "les retours vacanciers des émigrés et les modalités d'insertion dans la société locale ont vocation à déconstruire le processus d'émigration comme déracinement, établissement définitif dans un autre pays et coupure avec la société d'origine." (source A)

Pour leurs enfants, il en va autrement. Quand ils se rendent en Algérie, au Maroc ou en Tunisie, il sont hors de leur quotidien. Ils profitent des vacances pour se détendre sur les plages, sortir dans les endroits branchés, profiter des paysages magnifiques, mais sans pour autant chercher à s'impliquer davantage dans un territoire auquel ils sont indubitablement attachés, mais qui reste un lieu de vacances. Ainsi, lorsque Rim'K réclame de pouvoir emporter avec lui tous ses objets fétiches, c'est aussi parce qu'il craint de s'ennuyer ferme, loin de ses repères habituels. En cela, la fin de la chanson est aussi un refus de se faire dicter sa vie, d'être prisonnier des racines familiales. Rim'k lance amusé à son père:"Tu crois qu'j'vais aller là-bas pour m'marier ou quoi"? Et les chœurs de répondre: "wah, wah, wah" ("oui, oui, oui").
Pour une partie de la population issue de l'immigration, les discriminations subies en France s'accompagnent du sentiment de n'être pas pleinement accepté au "bled", le sentiment de, finalement, n’être nulle part à sa place. Rim'k fait ici de cette double culture une force.


* Quelles motivations?
Au delà du maintien de relations humaines concrètes, ces séjours sont aussi parfois l’occasion d’une interrogation sur les origines; ils posent la question de la mémoire familiale. Le voyage permet aussi parfois de mieux connaître "son" pays d'origine, en dehors du cadre familial. Il s'agit alors de découvrir le territoire et son patrimoine, à la manière d'un touriste lambda, mais en vivant ce périple comme un rite de passage.  
Le voyageur peut parfois aussi être en quête d'une familiarité culturelle. Dès lors, il s'agit de visiter les traces de la civilisation arabe, musulmane, ou « orientale ». Ces déplacements touristiques apparaissent comme véritablement « identitaires ». 
Dans ces différents cas de figure, l’appartenance est tantôt pensée en termes de filiation, tantôt considérée en termes territoriaux, voire plus largement culturels, tantôt comme une combinaison de ces différentes conceptions.

113: "Tonton du bled"
Intro:
Hé tonton, les cabas sont trop lourds!
Aaaahhhh, montez dans la voiture!
Monte Bilal et Atmen
Allez monte, monte,
Allez, on y va, on y va
Hey 3ami [oncle en arabe] Karim
Tonton du bled
Pour tous les "misstmout" ["enfant du pays" en kabyle] 
Wled el bledi ["enfant du pays" en arabe]
Refrain:
J'voulais rester à la cité  mon père m'a dit "lé, lé, la" ["non, non, non" en arabe]
Dans c'cas là j'ramène tous mes amis "lé, lé, la"
Alors dans une semaine j'rentre à Vitry "lé, lé, la"
J'irai finir mes jours là-bas "wah, wah, wah" ["oui, oui, oui" en arabe]

Couplet 1:  
504 break chargé, allez montez les neveux
Juste un instant que je mette sur le toit la grosse malle bleue
Nombreux comme une équipe de foot, voitures à ras du sol
On est les derniers locataires qui décollent
Le plein de gazoil et d’gazouz [soda en arabe] pour pas flancher
Billel va pisser le temps qu’j’fasse mon petit marché
Direction l’port, deux jours pied sur l’plancher
Jusqu’à Marseille avec la voiture un peu penchée
Plus 24 heures de bateau, je sais c’est pas un cadeau

 Mais qu’est-ce que je vais kiffer sur la place Gueydon [à Bejaïa]
A Bejaïa City du haut de ma montagne [en Petite Kabylie]
Avant d’rentrer fi dar ["à la maison"], j’fais un p’tit tour par Wahran [= Oran]
Vu qu’à Paris j’ai dévalisé tout Tati [magasin du bd Barbès connu pour ses petits prix]
J’vais rassasier tout le village même les plus petits
Du tissu et des bijoux pour les jeunes mariés
Et des jouets en pagaille pour les nouveaux-nés

[Refrain] : 2X

Couplet 2:

J’suis sur la plage à Boulémat avec mon zinc [cousin en verlan] et son derbouka [percussion]
Dans la main un verre de Selecto [boisson très populaire] imitation Coca
Une couche de zit-zitoun [huile d'olive] sur le corps et sur les bras
Avec mon pote sur un fond de Zahouania [chanteuse de raï]
On parle de tout et de rien, des Nike Air aux visas
De la traversée du désert au bon couscous de Yemma [= maman]
Et mon cousin m’dit : « Karim tetkayef fel zatla? » [ = Karim, fumes-tu le cannabis?"]
Il était tellement bon que j’ai jeté mon cirage en rat. [le shit du cousin est meilleur, 

il jette donc discrétement son mauvais joint  de couleur sombre (cirage).]
Avec 2, 3 blédards on tape la discussion
Mahmoud n’peut pas s’empêcher de dire que j’suis dans la chanson
L’un d’eux me dit : « Moi j’t’ai pas vu fi tilivision » ["je ne t'ai pas vu à la télé"]
Et l’autre me demande : « Sa7a ta3ref Mickaël Jackson » ["connais-tu Michael Jackson?"]
Ils m’parlent trop vite et en argot d’blédard
Je sais ce qu’ils feraient pour une poignée de dinards counard [référence à une chanson d'Ideal J]
Le soleil se couche et tout l’monde rentre chez soi
C’est l’heure du repas et d’l'atey  [= le thé] pour d’autres la chicha
J’ai passé un bon mois dans c’qu’on appelle le tiers-monde
Et si j’avais assez d’oseille j’ramènerais tout le monde
Mais j’peux pas fermer les yeux sur c’qui s’passe vraiment
J’dédie ce morceau aux disparus, aux enfants et aux mamans [les victimes de la "décennie noire"]


Pont:
Et j’suis rentré à la cité en Abaya [vêtement traditionnel]
Content d’revoir mes potos et ma chebba [sa "belle"]
Pendant deux semaines, j’ai mangé que d’la chorba
[la soupe traditionnelle] 
 J’irai finir mes jours là-bas inch’Allah ["si Dieu veut"]

Refrain: 2X

Outro:
S'te-plaît, vas-y laisse-moi ramener mon scooter (lé, lé, la)
Bon dans c'cas là, j'ramène mon trois quarts alors (lé, lé, la)
Bon alors, j'prends tous mes CD et toutes mes cassettes (lé, lé, la)
Bon, bon j'prends rien alors (wah, wah, wah)
Bon, j'me fais la boule au moins avant d'partir (lé, lé, la)
J'ramène la Playstation (lé, lé, la)
Bon, la télé du salon au moins (lé, lé, la)
Tu crois qu'j'vais aller là-bas pour m'marier ou quoi (wah, wah, wah).

Notes:
1. L’intensité de la pratique "des vacances au bled" est impressionnante si l'on s'en réfère aux chiffres disponibles. Les entrées de Marocains et d'Algériens résidant à l'étranger représentent la majorité des entrées touristiques du Maroc et de l'Algérie. Pour les  descendants d’immigrés maghrébins, les vacances dans la famille algérienne ou marocaine au bled constituent presque un passage obligé. La fréquence des visites au bled est également facilitée par la proximité géographique des pays du Maghreb avec les zones d’immigration en Europe. 
 D'après une enquête, 82,6 % des descendants d’Algériens sont partis dans leur enfance en Algérie, un sur trois tous les ans ; c’est le cas de 95,1 % des descendants de Marocains , 2/3 tous les ans.
2. Les parents installés en Europe sont nommés localement "immigrés", "touristes" ou "vacances".
3. De manière plus anecdotique, la consommation de cannabis, communes aux jeunes des deux rives, permet néanmoins de constater la supériorité des produits locaux. «Et mon cousin m’dit : "Karim tetkayef fel zatla?" [ = Karim, fumes-tu le cannabis?"] / Il était tellement bon que j’ai jeté mon cirage en rat.»  Autrement dit, après avoir goûté le pétard de son cousin, il se débarrasse discrètement de son mauvais shit.
4. Les premiers départs pour l'Europe s'inscrivent dans le cadre d'une émigration de travail. Contrairement aux exilés politiques, les immigrés ont poursuivi d'intenses relations avec le pays d'origine. L'émigration algérienne, d'origine coloniale, a été longtemps animée par l’« illusion du provisoire » ou  par le mythe du retour. Une installation définitive chez l'ancien colonisateur ne semblait alors pas envisageable. La naturalisation a d'ailleurs longtemps été refusée par les émigrés algériens, car vue comme un « impossible reniement » après les années de lutte pour se libérer de l'emprise du pays colonisateur. 

Sources:
A. Jennifer Bidet et Lauren Wagner, « Vacances au bled et appartenances diasporiques des descendants d’immigrés algériens et marocains en France », Tracés. Revue de Sciences humaines, 23 | 2012.
B. «"Vacances au bled", un voyage en Algérie loin des clichés».
C. Jennifer Bidet, « Vacances au bled de descendants d’immigrés algériens.
Pratiques, trajectoires, appartenances
 », Insaniyat / إنسانيات, 70-69 | 2015, 139-148..

D. Bidet Jennifer, « « Blédards » et « immigrés » sur les plages algériennes. Luttes de classement dans un espace social transnational », Actes de la recherche en sciences sociales, 2017/3 (N° 218), p. 64-81. Le Monde: «Les plages de la discorde».
E. "Les vacances au bled font partie du patrimoine national français." Entretien avec Jennifer Bidet
F. Abdelhafid Hammouche: "Du bled au camping, mémoires de vacances", Hommes et migration,  1243,pp18-25, 2003.
G. Brain: "Oui, Tonton du bled fait partie du patrimoine culturel français."
H. Mouv': "Il y a 20 ans, 113 sortait l'un des plus grands albums du rap français."
I. Arte radio: "la route du bled"
J. "Calogirou Claire, « Le motif des racines dans le hip-hop », Ethnologie française, 2013/1 (Vol. 43), p. 97-108.
K. Claire Calogirou:« Le rap ou la conscience partagée », L’autre Musique, n°3.

Liens:
- Le Mouv': "Quand le rap français part au bled."
- 7 milliards de voisins: "L'argent des cadeaux: angoisse avant les vacances au bled"
- Causette.
- "Les princes de la ville, l'histoire de l'hymne du 113"
- "Tonton des îles".

Aucun commentaire: