samedi 10 décembre 2022

"Glad to be gay": Les chansons ayant accompagné l’affirmation de l’homosexualité masculine dans le Royaume-Uni des années 1970 et 1980.

Dans les années 1970-1980, l’homosexualité n’est plus considérée au RU comme un délit. Les relations entre adultes du même sexe de 21 ans et plus sont autorisées depuis 1967 (contre 16 pour les hétérosexuels). Cependant, les homosexuels restent largement discriminés et marginalisés dans une société où l’homophobie reste latente.

Face à cette chappe de plomb, les artistes restent discrets sur leurs orientations sexuelles. Freddie Mercury, George Michael, Marc Almond de Soft Cell ou Boy George tardent à sortir du placard. Il faut dire qu’à l’époque, faire son coming out pouvait ruiner une carrière. D’autres cherchent à donner le change, à l’instar d’Elton John, qui convole en justes noces en 1984.

En 1976, Rod Stewart jette un pavé dans la marre avec « The killing of Georgie ». Les paroles racontent l’histoire d’un jeune homosexuel mis à la rue par ses parents. La mère pleure, le père se demande ce qu’il a raté dans son éducation. Georgie part pour NY. Enfin accepté pour ce qu’il est, il vit, heureux, et s’impose comme la coqueluche de Broadway. Mais il est tué par une bande alors qu’il rentre chez lui après un spectacle. La chanson importante car elle est le premier grand succès pop dont le sujet central est le droit à vivre sa sexualité librement, sans verser dans la caricature ni le stéréotype. Un message pro gay dans une époque qui ne l’est pas. La chanson souligne l’hypocrisie des années 1970.


Actif à partir de la fin des années 1970, le Tom Robinson Band est un groupe, très politisé qui milite, notamment en faveur de la cause homosexuelle. En 1978, il livre une des premières chansons d’indépendance homosexuelle avec le tube « Sing if you’re glad to be gay », dont le refrain fait:

« Chante si tu es content d’être gay
Chante si tu es heureux comme ça 
»

Le titre s’ouvre sur une dédicace à l’OMS qui considère alors l’homosexualité comme une maladie mentale. Bien que la chanson soit un tube, la BBC refuse cependant de diffuser. Les paroles énumèrent les discriminations persistantes à l’égard des homosexuels : la fermeture des bars par la police sous des prétextes bidons, l’assimilation de la représentation d’un corps masculin nu à de la pornographie, les violences physiques contre les gays. Le dernier couplet, plein d’ironie, explique aux homos comment donner l’illusion d’être de parfaits machos homophobes afin de ne pas avoir d’ennuis. 

 

Tom Robinson enregistre plusieurs versions du morceau dont il adapte les paroles en fonction des événements. Dans une version de  1996, il introduit un nouveau couplet chanté a cappella : « Si la révolution homosexuelle signifie la liberté pour tous / Attention, à l’inverse, une étiquette n’est pas du tout une libération. / Je suis ici, je suis un homosexuel. / Je fais ce que j’ai à faire, mais je ne veux pas être enfermé dans une camisole de force pour vous. »

En 1984, pour la première fois, un trio de garçons se présente comme ouvertement homosexuels, et fiers de l’être : le Bronski Beat. Jimmy Sommerville, le leader, a le crâne rasé, arbore t-shirt, jeans et Doc Martens. Il possède une voix phénoménale. L’avènement des synthétiseurs permet au groupe de marier l'électronique à la Hi-NRG, la pop à la disco. 


 Smalltown boy est l’histoire d’un garçon qui quitte sa petite ville de province pour tenter de trouver l’amour à la capitale. Jimmy Somerville y raconte le quotidien d’un jeune gay et la difficulté à vivre son homosexualité dans l’environnement hostile qu’est celui de l’Angleterre homophobe des années Thatcher. « Malmené et maltraité / Toujours un garçon seul / Tu étais celui / dont ils parlaient dans toute la ville / Celui qu’ils humiliaient » La chanson, qui remporte un très grand succès, devient l’emblème d’une visibilité nouvelle pour les homos.

Le premier album du Bronski Beat, « The age of consent », comprend d’autres tubes, dont le morceau Why. Sommerville y chante : « Toi et tes fausses valeurs, déchirant ma vie, me condamnant. / Tu me qualifies de maladie /Tu me dis que c'est péché - jamais je ne me suis senti coupable / Jamais ne m'y suis abaissé. » Le morceau  Ain't necessarily so, reprend une chanson de l'opéra Porgy and Bess de George et Ira Gershwin. La version originale évoquait la condition des Afro américains dans l'Amérique des années '20. Le Bronski Beat adapte la sienne à celle des homosexuels  soixante ans plus tard. Sur la pochette du disque figure un triangle rose, en hommage aux homosexuels disparus dans les camps de concentration au cours du IIIème Reich. Tom Robinson Band avait fait de même sur un disque live en 1979.


Lors des élections législatives de 1987, le parti conservateur dénonce la présence d’un livre (« Jenny lives with Eric and Martin » ) abordant la question de l’homosexualité et de l’homoparentalité dans deux écoles. Pour les Torys, il s’agit d’une tentative de corruption de la jeunesse.  La polémique mène à l’adoption en 1988 de la section 28, un amendement interdisant de faire la « promotion » de l’homosexualité. Pour ses partisans, cela permettait de s’opposer à l’évocation de l’homosexualité par des enseignants dans un cadre pédagogique. Cela empêchait également de faire de la prévention dans le cadre de la lutte contre le VIH. Une homophobie institutionnelle vient ainsi compléter l’homophobie latente, au moment où les médias qui rapportent les premiers cas de sida, associent la maladie à l’homosexualité, contribuant à ostraciser les individus identifiés comme gays.   

 : Depuis lors, la situation des homosexuels s’est considérablement améliorée au Royaume Uni. Toutefois, pour les gays, la vigilance est de mise. En 2016, quarante ans après la création de sa chanson, Tom Robinson chante de nouveau « Glad to be gay » ou plutôt « glad to be May » devant le 10 Downing Street. Theresa May vient en effet d’être désignée première ministre. L’artiste se rappelle ainsi au bon souvenir de celle qui avait refusé en 1998 de voter en faveur de l’alignement de l’âge du consentement sexuel des homos sur celui des hétéros. En 2002, elle s’était également opposée au droit à l’adoption pour les couples du même sexe.

 

Sources:

A. SL Taylor: "The Last Word", Glad to be gay _ Tom robinson

B. Isabelle B. Price: "Glad to be gay de Tom Robinson", Univers-L.com 

C. Caroline Pintupie:"Smalltown boy de Bronski Beat", Univers-L.com

D. "The last word" [gladtobegay.net]

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