mardi 19 septembre 2023

Les aires urbaines en chansons

Une aire urbaine est un espace continu qui se compose d'une ville-centre, de ses banlieues immédiates et d'une couronne périurbaine. La ville se caractérise par une densité importante de l'habitat et une population nombreuse. Elle est le lieu d'échanges, de flux de personnes, de marchandises.  

Aujourd'hui en France, 85% de la population vit dans des espaces urbains, même si les villes ne recouvrent que 20% du territoire. Ce phénomène de concentration des populations dans les villes (urbanisation) profite particulièrement aux métropoles qui concentrent les populations, les activités spécialisées et les richesses. On parle ainsi de métropolisation

[Ce billet en version podcast > ]

Les métropoles sont marquées par un rythme de vie frénétique, plus ou moins supporté par ses habitants. Grand Corps Malade, qui se définit comme un "Enfant de la ville", apprécie. "Je me sens chez moi à Saint-Denis, quand y’a plein de monde sur les quais / Je me sens chez moi à Belleville ou dans le métro New-yorkais / Pourtant j’ai bien conscience qu’il faut être sacrément taré / Pour aimer dormir coincé dans 35 mètres carrés / Mais j’ai des explications, y’a tout mon passé dans ce bordel"

Les métropoles organisent le territoire qu'elles dominent. 35% des Français vivent dans l'une des dix premières aires urbaines. Ces métropoles ont un rayonnement économique important et concentrent les emplois les plus qualifiés, les sièges sociaux d'entreprises, les réseaux de transport et les activités de recherche-développement. L'accès aux services y est facile comme le concède Fabe dans "Si tu rêves de la métropole" "Si tu rêves de stress, de bourse, de course à la promotion  / De magasins tout-par, de supermarchés pour des commissions  / De superstars, de caviar et si la tour Eiffel t'appelle, prends des ailes  / Ici t'auras tout ce que tu veux et même encore plus Taxi, métro, R.E.R, bus, train, t'en rates un t'en  / as un dans les 5mn  / Un bus dans les 10mn, à l'arrivée des gens qui luttent  / Mouvement de foule, tout le monde court mais combien savent pourquoi ? "

Une métropole de rang mondial ne dort jamais totalement. "Il est cinq heures, Paris s'éveille" chantée par Jacques Dutronc et écrite par Claude Lanzmann, propose une description de la capitale à l'aube. Si les abattoirs de la Villette n'existent plus, la frénésie d'activités reste bel et bien d'actualité. "Les banlieusards sont dans les gares / À la Villette, on tranche le lard / Paris by night, regagne les cars / Les boulangers font des bâtards / Il est cinq heures / Paris s'éveille"

Les principales métropoles de l'hexagone ont fait l'objet de chansons hommages de la part de chanteurs natifs ou en tout cas attachés à une ville de cœur.  Quelques exemples. Renaud est "amoureux de Paname". Avec "Je suis Marseille", le collectif 13 organisé, représenté ici par Shurik'n, clame son amour de la cité phocéenne.> "Mars tous les coups partent, ville jugée coupable. / Ce rap, c'est la soupape (ouais), Notre-Dame nous garde. On parle pas de quota, diversité incroyable. / (...) C'est elle [Marseille] qui régit nos âmes, toile de fond de nos vies. Vas-y, traitre-nous de sauvage, une mère connaît ses petits. Plus il en viendra, plus il y en aura sur le parvis. Tu sais ce qu'on dit, blason brandi, c'est reparti."


Avec "Lyon presqu'île", Biolay nous propose une émouvante visite de sa ville d'adolescence. La tour crayon, les gares de Perrache et , la place Bellecour sont au rdv. "le point du jour, la statue d'or, la tour en stylo-bille / Lyon, presqu'île / Il y a une gare morne et l'autre fière d'aller jusqu'aux sports d'hiver / C'est comme si j'étais parti, parti hier / Et puis la statue du Roi Soleil sur la grand-place éternelle / Des belles cours gorgées, gorgées, gorgées de soleil"

Le Lyon de Benjamin Biolay.

Dans "ô Toulouse", ode à la cité gasconne, Nourago fait rouler les r, évoquant tour à tour le canal du midi, la brique rouge des Minimes, l'église saint-Sernin, le rouge et noir du stade toulousain, le Capitole, les hauts buildings et les avions qui ronflent gros. 

Parmi les métropoles importantes qui structurent l'espace, et non citées précédemment, il ne faudrait pas oublier Lille, Bordeaux, Nice, Nantes, Strasbourg, Rennes ou encore Montpellier.

Les aires urbaines sont constituées de trois types d'espaces bien spécifiques. "Dans ma ville on traîne" d'Orelsan propose une expédition à Caen. Dès l'intro du morceau, il identifie les éléments constitutifs de l'aire urbaine. "Dans ma ville on traîne, entre le béton, les plaines / Dans les rues pavées du centre où tous les magasins ferment / On passe les week-ends dans les zones industrielles / Dans les zones pavillonnaires où les baraques sont les mêmes".

Caen vue par Orelsan. Carte réalisée grâce à umap openstreetmap (version pdf)

 

 La ville-centre concentre le coeur historique avec ses monuments anciens, mais aussi les activités et services (commerces, administrations, etc...). Le prix du m² y atteint des sommets, ce qui participe à un phénomène de gentrification, chassant du cœur des villes les classes populaires. Thomas Dutronc décrit ce processus dans son titre "J'aime plus Paris"/ "Passé le périph / Les pauvres hères / N'ont pas le bon gout / D'être millionnaire / Pour ces parias / La ville lumière / C'est tout au bout / Du RER / Y a plus de titi / Mais des minets / Paris sous cloche / Ça me gavroche / Il est fini le pari d'Audiard / Mais aujourd'hui, voir celui d'Hédiard"

Bistanclaque revient pour sa part sur la métamorphose de la "Croix-Rousse" à Lyon. La spéculation foncière chasse les classes populaires du quartier historique des canuts, les ouvriers de la soie. Sous l'effet de l'embourgeoisement rapide, le quartier se transforme et perd ainsi son âme. "Et la ville bourgeoise / Te grignote les pieds (/ Cette ville te toise / Te met ans ses papiers / Te réduit au silence  / Te refait la façade (…) Bienvenu à la croix rousse  / Est-ce la dernière secousse et l’ennui à nos trousses… / Et chacun sa Croix Rousse"

Deuxième élément constitutif de l'aire urbaine, les banlieues accueillent une part importante de la population urbaine dans des pavillons ou des logements collectifs. Au cours des décennies 1950-1960, l’État aménageur a engagé une politique volontariste de grands travaux. La banlieue se hérisse de logements collectifs appelés grands ensembles. En comparaison des logements vétustes d'avant-guerre, les nouveaux logements font rêver. Bécaud nous en livre une description idyllique. "A l´escalier 6, bloc 21, / J´habite un très chouette appartement / Que mon père, si tout marche bien, / Aura payé en moins de vingt ans. / On a le confort au maximum, / Un ascenseur et un´ sall´ de bain. / On a la télé, le téléphone / Et la vue sur Paris, au lointain."  

 

La piètre qualité de construction, le délabrement rapide de quartiers mal raccordés au centre-ville font rapidement de ces zones des repoussoirs, tout juste bonnes à accueillir les activités nécessitant beaucoup d'espace : aéroports, centres commerciaux, usines, dont se déleste la ville-centre. Dans "banlieue rouge", Renaud dépeint le quotidien monotone d'une habitante de ces quartiers. "Elle habite quelque part / Dans une banlieue rouge / Mais elle vit nulle part / Y a jamais rien qui bouge / Pour elle la banlieue c'est toujours la zone / Même si au fond d'ses yeux y a un peu d'sable jaune / Elle travaille tous les jours / Elle a un super boulot / Sur l'parking de Carrefour / Elle ramasse les chariots / Le week-end c'est l'enfer / Quand tous ces parigots / Viennent remplir l'coffre arrière / D'leur 504 Peugeot"

Pour les habitants des banlieues cossues de l'ouest parisien, les problèmes sont d'une autre nature. "Auteuil-Neuilly-Passy". "Hé mec / Je me présente / Je m'appelle Charles-Henri Du Pré / J'habite à Neuilly / Dans un quartier 'et alors paumé / Je suis fils unique / Dans un hôtel particulier / C'est la croix, la bannière / Pour me sustenter. / Pas un Arabe du coin / Ni un Euromarché / Auteuil, Neuilly Passy: tel est notre ghetto". 

Troisième composante de l'aire urbaine: la couronne périurbaine. De nombreux citadins s'installent aujourd'hui à la périphérie de la métropole car les prix en centre-ville sont chers et les logements dépourvus de jardins et souvent petits. Le déplacement des citadins vers les espaces ruraux proches des villes se nomme la périurbanisation. Ce phénomène entraîne un étalement urbain, soit une extension de la ville qui progresse au détriment de l'espace rural alentour.

La périurbanisation a de nombreuses conséquences. Les Français habitent de plus en plus loin de leur lieu de travail ce qui provoque une augmentation des mobilités pendulaires. L'utilisation de la voiture est généralisée ce qui entraîne pollution et embouteillages. L'étalement urbain provoque la disparition des terres agricoles. Il implique aussi la construction d'équipements coûteux (routes, éclairages, gaz, eau) pour répondre aux besoins de nouveaux habitants. "La maison près de la fontaine" chantée par Nino Ferrer est rattrapée par la périurbanisation. "La maison près des HLM / A fait place à l'usine / Et au supermarché / Les arbres ont disparu, mais ça sent l'hydrogène sulfuré / L'essence".

La périurbanisation contribue à l'artificialisation et à la bétonisation des entrées de villes toutes plus moches les unes que les autres. Cet état de fait inspire à Dominique A le morceau "Rendez nous la lumière".  "On voit des autoroutes, des hangars, des marchés / De grandes enseignes rouges et des parkings bondés / On voit des paysages qui ne ressemblent à rien / Qui se ressemblent tous et qui n'ont pas de fin"

Ceux qui vient dans la couronne périurbaine portent un jugement plus nuancé sur ces espaces. "Chaque week-end", Diziz la Peste et Alpéacha accueillent leurs amis, font chauffer les barbecues et s'ambiancent sur de la bonne musique, en dévorant des plats  . [« Le soleil se couche sur la zone pavillonnaire / On est assis sur le toit, et y’a du bonheur dans l’air »]. Pour Liz Van Deuq, il y a une vie dans "les banlieues pavillonnaires" après dix heures du soir. "Fini le chant des tondeuses, la pelouse en est radieuse. Le vent joue à la balançoire. Il est l'heure des arroseurs, des clapotis au trottoir. Il y a une vie dans les banlieues pavillonnaires après 10 heures le soir."


En conclusion, si la population française est aujourd'hui largement citadine, la croissance urbaine s'avère inégale. Les villes du grand ouest et du sud du territoire sont les plus attractives car le cadre de vie y est perçu comme agréable et car elles profitent du développement d'activités dynamiques. Les villes du nord et de l'est de la France connaissent une croissance plus faible. Dominique A:" Je suis une ville" de Dominique donne la parole à une de ces villes rétrécissantes. (début) "Je suis une ville dont beaucoup sont partis / Enfin pas tous encore mais ça se rétrécit / Il reste celui-là qui ne se voit pas ailleurs / Celui-là qui s’y voit mais à qui ça fait peur / Et celle-là qui ne sait plus, qui est trop abrutie / Qui ne sait pas où elle est ou qui se croit partie"

 Sources:

- "Banlieues pavillonnaires: chansons d'amour, chansons de dégoût", "La France des Maisons Phénix", "La France des pavillons... et les autres France", Ces chansons qui font l'actu de Bertrand Dicale sur France Info.

- «Tentative de réhabilitation du tissu pavillonnaire par la "musique urbaine"»

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