lundi 2 octobre 2023

Les espaces de faibles densités en chansons.

Avec une densité de population inférieure à 30 hab/km², les espaces faiblement peuplés en France occupent près de la moitié du territoire national et regroupent environ 4 millions de personnes. Dans ces espaces, la population réside majoritairement dans de petites villes, villages ou dans un habitat isolé.  

Phillip Capper, CC BY 2.0, via Wikimedia Commons

Le déclin démographique des campagnes françaises remonte à loin. Il a accompagné la diminution drastique du nombre d'agriculteurs. Le pays connaît un puissant mouvement d'exode rural (1), qui affecte tout particulièrement les régions pauvres de moyenne montagne dès la fin du XIX° siècle. Dans "Chacun vendrait des grives", Jean-Louis Murat revient sur le dépeuplement d'un village du Massif Central qui passe de 3900 à 114 habitants entre le début et la fin de la chanson. 

Très grand succès de Jean Ferrat , "la montagne" oppose le monde artificiel et frelaté des villes aux terroirs montagnards peuplés d'habitants authentiques. Le chanteur n'y va pas avec le dos de la bêche, opposant les vieux paysans, qui savaient monter "des murettes jusqu'au sommet de la colline", et leurs enfants qui "seront flic ou fonctionnaires / de quoi attendre sans s'en faire que la retraite sonne". Les premiers vivent dans un cadre naturel somptueux, quand les seconds rentrent "dans leur HLM / manger du poulet aux hormones".
 


Les espaces de faibles densités sont variés. Il peut s'agir de régions d'agriculture productiviste comme la Beauce ou la Champagne. Les très hauts rendements y sont obtenus grâce à une agriculture très mécanisée nécessitant peu de main d’œuvre. 
D'autres espaces ruraux sont facilement accessibles depuis une grande aire urbaine, ce qui incite quelques citadins à quitter la ville, dans l'espoir de trouver à la campagne de meilleures qualités de vie du calme, de beaux paysages, un coût de la vie moins élevé. Ainsi Ridan rêve de reconversion et de devenir "agriculteur". "J'en ai ras-le-bol de tout ce béton / J'ai la folie des grands espaces / J'en ai ras-le-bol de tout ce béton / J'ai la folie des grands espaces". (0'50)"Et puis merde! J'ai décidé de vivre loin sur la colline / Vivre seul dans une maison avec la vue sur ma raison / J'préfère vivre pauvre avec mon âme, que vivre riche avec la leur / Et si le blé m'file du bonheur, je ferais p'têt' agriculteur".
 
Dans le Perche, dans le sud de la Normandie, à environ 2 heures de route de Paris. les villages accueillent désormais de nouveaux habitants venus de la ville. Désignés comme des néo-ruraux, ils contribuent à transformer ces espaces. Parfois, la cohabitation avec les habitants de longue date ne va pas sans confrontation.
En 1977, Michel Delpech révèle l'ambivalence des relations entre citadins et ruraux dans son titre "Loir-et-Cher". Le jeune urbain d'origine rurale est l'objet des railleries de la famille restée aux champs. "Ils me disent (X2) / Tu vis sans jamais voir un cheval, un hibou / Ils me disent / Tu ne viens plus, même pour pêcher un poisson / Tu ne penses plus à nous". Jeanne Cherhal se met dans la peau d'un résident secondaire qui aime la campagne et tout ce qui est "rural" mais de loin ou de manière épisodique, et à condition de ne pas se salir. "D'assez loin c'est joli / La province le samedi / La paroisse l'ensilage / Le purin le village / C'est fermier tiers-état / Paysan mais très sympa / C'est tranquille bien tranquille / Si tranquille trop tranquille / C'est rural bien rural / Si rural trop rural / Touche pas chéri c'est sale". Dans A la campagne, Bénabar moque l'attitude des citadins n'envisageant les terroirs ruraux que comme des espaces récréatifs. "À la campagne on veut de l'authentique / Du feu de cheminée et du produit régional / À la campagne il nous faut du rustique / Un meuble qui n'est pas en bois / Ça nous ruine le moral / À la campagne on dit qu'on voudrait rester / Quitter Paris, le bruit, le stress et la pollution / À la campagne c'est la fête aux clichés / La qualité de vie et le rythme des saisons".
 

 
Kent propose; "Allons z'à la campagne". "Allons z'à la campagne (allons z'à la campagne) et oublions Paris (Paris) / Cherchons à la campagne (cherchons à la campagne) le vrai sens de la vie / Dans quelques temps, dès qu'on pourra, quand notre plan-épargne / Sera fini, on se paiera une maison d'campagne".
 
Un autre type d'espaces de faibles densités est composé des zones de haute et moyenne montagne, parfois enclavées et mal desservies, qu'il s'agisse d'une grande partie du Massif central, des Pyrénées ou des hautes vallées alpines. L'essor des sports d'hiver permet toutefois de créer des emplois dans le stations de ski de haute montagne. Cependant, ces activités de service (gîtes, restaurants) restent saisonnières et très dépendantes du climat (enneigement).
 
Certains espaces de faibles densités possèdent de solides atouts leur permettant de lutter contre le déclin démographique et la déprise agricole: le calme, les beaux paysages naturels, un riche patrimoine historique, des produits du terroir de qualité (fromage, vin...), parfois un climat favorable. Le Lubéron, l'Ardèche, la Drôme, les Cévennes, le Périgord bénéficient ainsi d'un fort héliotropisme. Tous ces éléments permettent parfois le maintien ou la création d'emplois sur place. Le tourisme vert attire de nombreux visiteurs en Périgord, dans le Lot ou le Cantal. Jean-Louis Murat décrit mi-amusé, mi-affligé, l'arrivée des estivant dans leur super "camping à la ferme". "Le paysan vient en tracteur / Nous chercher je te jure / C'est vraiment la folie / Des gens charmants qui vous / Accueillent dans leur famille / Devine pour quoi, pour qui / Cool, super cool / C'est le camping, / Camping à la ferme".
 
Artisan d'un Ploucstarap hexagonal, MC Circulaire dresse un portrait au vitriol de la Vendée rurale, dont il est originaire. La misère, l'ennui, l'alcoolisme règnent en maître dans "Demain c'est trop tard". "T"façon tout l'monde s'en branle, on est la France oubliée / Dans mon quartier y'a jamais eu de MJC! / Pourtant la misère est là, j't'assure qu'elle est bien réelle / Elle s'cantonne pas qu'dans les banlieues, elle est universelle / Combien de familles au chômdu qui survivent grâce aux allocs / Y'a plus de darons alcooliques qu'en cure de désintox / L'Etat nous laisse dans not'merde, et verra plus tard / On est qu'une bande de crevards gouvernée par des bâtards / On est pas la France qui squatte les halls, mais les arrêts d'car/ Et ici-bas on sait bien que demain c'est trop tard."


 
Tous les espaces de faibles densités ne tirent pas leur épingle du jeu. Le terme hyper rural désigne ainsi les territoires isolés, très peu peuplés, les plus éloignés des villes importantes. Les contraintes naturelles (relief, climat), l'enclavement (peu de routes, zones blanches), le vieillissement de la population affectent ces territoires. Devenus répulsifs, ils subissent la fermeture des commerces, la désertification médicale et la disparition des services publics. Les rares jeunes du coin partent vers les villes pour y suivre des études supérieures ou parce qu'elles offrent davantage de perspectives d'emplois. Dans ces conditions, ces campagnes se dépeuplent toujours plus, entraînant la disparitions des derniers services. La Poste, le commerce, l'école ferment les uns après les autres. Les habitants de ces espaces ont alors le sentiment de compter pour quantité négligeable. Gauvain Sers, originaire de la Creuse, se fait le porte-parole de ces "oubliés", dans une chanson narrant la fermeture d'une école.

Découvert sur internet grâce au morceau "Marly-Gomont", Kamini dépeint son quotidien dans ce village de l'Aisne, en Thiérache. La rareté des services y représente une gêne considérable pour les habitants. Le départ à la retraite de médecins non remplacés transforme ces territoires en déserts médicaux. Ainsi le rappeur ne peut que constater: "Dans les p'tits patelins / Faut pas être cardiaque / Ah ouais, sinon t'es mal / Faut traverser vingt villages / En tout cinquante bornes pour trouver un hôpital / Que dalle / Là-bas y a rien / C'est des pâtures".

Ces territoires connaissent alors un abandon progressif des activités, notamment agricoles. Les terres ne sont alors plus cultivées, les logements demeurent inhabités, la population continue de diminuer. David Lafore:"Petit village" (1'49")
 
Originaire du Lauragais (Montgiscard à 25 km de Toulouse), Yous MC décrit son environnement dans "la colline d'en face". "J'viens chroniquer les steppes anonymes et discrètes /Je vois que la verdure prospère du haut de ma colline / Viens dans mon Lauragais, ses plaines à la folie s'y prêtent / Je vois qu'elles ont que de l'air pur, mais austère, à t'offrir / Tu croiseras personne de Villeneuve à Pompertuzat / Ni belle gosse, ni caisse, ni restau / le pousse en l'air on s'enfonce dans les profondeurs rurales / Une odeur de bête morte dans le fossé plus bas". Il rappe: "Le pousse en l'air, on s'enfonce dans les profondeurs rurales". De fait, les habitants de ces espaces se doivent d'être motorisés car pour trouver un emploi et le conserver, il faut parcourir de nombreux kilomètres et passer beaucoup de temps sur la route. Cette dépendance à la voiture explique la colère suscitée par la diminution de la vitesse de circulation autorisée de 90 à 80 km/h lors du surgissement du phénomène gilets jaunes.
 
Terminons avec "la diagonale du vide", le beau morceau poétique que Bertrand Burgalat a consacré aux espaces de faibles densités. Le chanteur nous invite à ne pas voir seulement dans ces territoires des vides, dépourvus de signal ou de connexion. "Une bande de territoire à faible densité / Des bases de loisir / Et des rideaux de fer / Un silence absolu / Sauf le bruit de mes pas".

Notes:

1. C'est en 1931 que, pour la première fois, la population française devient majoritairement urbaine.  

Ce billet est aussi disponible en version podcast:


Sources:

A. Benoît Coquard:"Ceux qui restent. Faire sa vie dans les campagnes en déclin", La Découverte, 2019

B. Jean-Laurent Cassely et Jérôme Fourquet:"La France sous nos yeux", Le Seuil, 2021

C. Lorraine de Foucher:"Le rap des champs", Le Monde, 1er décembre 2017

D. Certains titres ici mentionnés ont fait l'objet d'un billet et d'une analyse plus approfondie: "la diagonale du vide" de Bertrand Burgalat, "les oubliés" de Gauvain Sers, "Marly-Gomont" de Kamini, "la montagne" de Jean Ferrat et "Chacun vendrait des grives" de Jean-Louis Murat.

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