lundi 11 septembre 2023

"Lyon presqu'île", la balade musicale de Benjamin Biolay dans la capitale des Gones.

Benjamin Biolay naît en 1973 à Villefranche-sur-Saône (1), non loin de la métropole lyonnaise où, enfant, il se rendait fréquemment, car son père y travaillait.  « On arrivait par le 9e arrondissement, assez crade, ensuite on entrait dans les beaux quartiers. J’aimais ce contraste. Je me disais : “ Dans un premier temps, je viendrai vivre ici. ” Je me suis installé adolescent pour faire le conservatoire et je suis resté une dizaine d’années. » (source C)

Puis Biolay s'installe à Paris, devient chanteur, célèbre. Un soir de vague à l'âme, alors qu'il se trouve à Bruxelles, pris d'une bouffée de nostalgie et sous l'effet de l'alcool, de soudaines réminiscences de sa ville de cœur lui inspirent la chanson Lyon presqu'île. Dans une interview accordée aux Inrocks, le chanteur revenait ainsi sur la genèse du morceau:" Oui, bourré à 7 heures du matin à Bruxelles. Je suis rentré seul à l’hôtel et j’ai commencé à jouer de la guitare. Je ponds un rythme à la Gipsy Kings et ça me fait marrer. D’un coup, je me rends compte que l’air me fait penser à Lyon. Dans Lyon presqu’île, j’ai choisi de décrire la ville comme une ville du Sud, ouverte sur l’Italie. Ça me fait plaisir que les Lyonnais l’aiment, qu’on la passe au stade de Gerland."

Le titre propose une approche sensible et géographique des lieux. Le titre permet de rappeler qu'un espace, avant d'être un objet d'étude, reste surtout un lieu de vie, un espace vécu où l'on use ses fonds de culottes. "On n'est pas d'un pays, mais on est d'une ville", comme le suggère Bernard Lavilliers, Stéphanois de naissance et de cœur. Ici, Biolay se remémore, ému, les lieux de son adolescence et de sa jeunesse lyonnaise. Les souvenirs reviennent en nombre et «c'est comme si j'étais parti la veille», constate le chanteur.  

 

Biolay s'extrait des brumes éthyliques pour s'ancrer à la confluence de La Saône et du Rhône, là où «l'eau qui dormait se réveille». Il insiste ensuite sur la topographie des lieux. Le titre du morceau se réfère à la presqu'île, une langue de terre installée au pied de la colline de la Croix Rousse. Cette dernière est identifiée dans le premier couplet à la "colline qui crie", sur les pentes de laquelle travaillaient au XIX° siècle, les canuts, ces ouvriers de la soie dont les révoltes récurrentes et bruyantes secouèrent la ville. Par opposition à la colline qui travaille, Biolay évoque Fourvière, "la colline qui prie". Située à l'ouest, sur la rive droite de la Saône, elle est surmontée par la basilique Notre-Dame, construite fin XIX° dans un style néo-byzantin.   

La carte au format pdf téléchargeable en cliquant ici.
 

Le chanteur identifie également les lieux et monuments emblématiques de Lyon. A l'aide d'un jeu de mot, Biolay mentionne les "belles cours", clin d’œil à la fois aux cours Renaissance du Vieux Lyon auxquels on accède grâce à des passages appelés traboules, mais aussi à «la grand place éternelle» lyonnaise: la place Bellecour. En son cœur trône «la statue du roi Soleil», celle de la Vierge Marie - «la statue d'or» de la chanson - est juchée au sommet de la basilique Notre Dame. Il est enfin question de la « tour en stylo bille », le gratte-ciel du Crédit lyonnais situé dans le quartier des affaires de la Part-Dieu et que les Lyonnais désignent généralement comme la "tour crayon".

Les infrastructures de transports ne sont pas oubliées. Indispensables aux déplacements des habitants à l'intérieur de la ville, elle permettent également de l'ouvrir au monde. A l'échelle d'une existence humaine, elle sont aussi des lieux de départs vers un ailleurs professionnel ou récréatif. «La gare morne et l'autre fière» sont celles de Perrache et de la Part-Dieu. Cette dernière peut se targuer de transporter les Lyonnais «jusqu'aux sports d'hiver».

Biolay joue du contraste et des effets de lumière. Les paroles ne cessent de se référer à l'astre lumineux, qu'il s'agisse de la mention du quartier du « Point du jour » ou de l'évocation de la tarte aux pralines, dont les couleurs chaudes donnent l'illusion que l'on «mange un morceau de soleil». Tiré de sa léthargie, le chanteur est aveuglé par l'éclat d'une ville aux atours méridionaux, dont les «cours sont gorgées de soleil».

Le chanteur se fait aussi sociologue pour décrire au plus près l’embourgeoisement qu’a connu la ville, désormais peuplée de « hippie[s], hippie[s] chic[s] », comme toutes les autres métropoles.

Laissons les derniers mots au géographe Yann Calbérac (source A), pour lequel "les souvenirs enfouis sous les eaux dormantes remontent à la surface et encerclent la presqu’île. Et la litanie finale de Lyon presqu’île traduit la persistance du souvenir."

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Notes:

1. Dans "Je me suis rappelé / De là  où j'ai passé / Mes plus belles années / Sorbet glacé / Je me suis rappelé  / Que j'ai tout oublié  / Je ne prendrai plus jamais / L'autocar Planche / Villefranche"

Sources:

A. Yann Calbérac. Lyon presqu'île. Raphaël Pieroni; Jean-François Staszak. Villes enchantées. Chansons et imaginaires urbains, Georg Editeur, pp.174-175, 2022, 9782825713020.(en version pdf en cliquant ici)

B. Lyon presqu'île dans Ces chansons qui font la France

C. «Benjamin Biolay:"A Lyon, je suis devenu un homme."», in Les Inrocks, publié le 1er juin 2011. 

D. "Lyon en chansons: ballades urbaines" [L'influx]

Liens:

- Lyon est une ville largement chantée comme le prouve cette playlist réalisée par @didactravemartos9569

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