samedi 2 mars 2024

"La rage" de Keny Arkana, "car ce monde ne nous correspond pas" (2006)

 


"La rage car ce monde ne nous correspond pas"

D’origine argentine par son père qu’elle n’a pas connu enfant, marseillaise par sa mère, Keny Arkana, dont le vrai nom n’a jamais été divulgué, est née en 1982 en région parisienne. Ses années 1990 sont marquées par les allers-retours entre le domicile maternel à Marseille, les foyers dont elle fugue autant qu’elle peut, et la rue qui l’a forgée. Cette rue, dont elle loue la liberté sans l’idéaliser, a inspiré le titre de son premier album Entre ciment et belle étoile (2006) dont est issu le titre « La Rage du peuple », enregistré en 2005. Après des années de galère, qui ont forgé son caractère et nourri ses chansons, elle accède à la notoriété au début des années 2000. Dans une ville qui en a fait une religion, le rap la sauve. Elle obtient de haute lutte des éducateurs et de sa mère de pouvoir participer aux ateliers de Namor à la Friche de la Belle-de-Mai. C’est le début d’une carrière singulière. Elle refuse de jouer le jeu du show-business : elle annule des tournées de concerts mais maintient les « assemblées populaires » qui les accompagnent, crée son propre label, refuse les réseaux sociaux. Elle parvient à percer tout en restant indépendante, fixe ses propres règles, quitte à disparaître des radars. « Contestatrice qui fait du rap », plutôt que rappeuse, elle ne met pas en avant son genre, pas plus qu’elle ne donne dans l’ego trip. Comme Médine ou Youssoupha, elle interroge de manière engagée les problèmes de notre planète. Et elle s’offre le luxe d’être reconnue dans le monde du rap tout en critiquant ses codes.

Son premier album est disque d’or et la fait connaître auprès du public. Il se nourrit des débats altermondialistes du nouveau millénaire. Keny Arkana s’en inspire pour faire sortir la « rage » qui est en elle. Elle y multiplie les bruits de manif et les collages sonores dans plusieurs langues (français, espagnol, anglais) qui font écho au bouillonnement qui s’exprime alors dans les forums sociaux mondiaux auxquels elle participe. Militante et activiste, Keny Arkana prône la « mondialisation de la rébellion » depuis 2006. Suite à la pandémie, ses tendances complotistes, déjà perceptibles dans certains de ses morceaux, se sont exacerbées : elle s’affirme aujourd’hui antivax, et a annoncé quitter le pays …


La rage du peuple

 En un peu moins de 5 minutes, Keny Arkana résume la vision qu’elle a du monde, alors que les banlieues françaises viennent de connaître des émeutes sans précédent et que Nicolas Sarkozy est aux portes du pouvoir. La précision et la rudesse de son diagnostic frappent en dépit de quelques généralités et approximations. Mais Keny les assume dans un autre titre de l’album : « Je n’ai vu que les violences du système donc excuse mon manque de nuances ». Le monde de Keny Arkana est en effet séparé en deux, entre ceux qu’elle identifie comme des « ennemis » ou "Babylone" et ceux qui ont la rage.

 Le titre du morceau fait référence à l'une de ces luttes menée au sein du colectif La Rabia del Pueblo. Son site internet porte d'ailleurs toujours ce nom. Il s'agit au départ de lutter contre un projet de rénovation urbaine dans le quartier de Noailles à Marseille. Composé d'artistes et de militants, dont Keny Arkana, il dénonce la gentrification à l'oeuvre à Marseille. Un processus qu'elle ne cesse de dénoncer comme dans le morceau "Capitale de la rupture", au moment où la ville devient capitale de la culture européenne en 2013.




Les images du clip offrent, comme souvent chez Keny Arkana, un feu d'artifice de tout ce qui ne va pas dans le monde de 2005: guerres, atteintes à l'environnement, capitalisme destructeur, violences policières, conflit israélo-palestinien... Ce patchwork est fait pour insister sur ce qui doît être combattu. Il alterne avec des images des luttes et des mobilisations auxquelles l'artiste participe elle-même beaucoup.
Dans le clip, on voit ainsi des images des luttes du monde entier. En Asie, en Afrique, en Amérique latine, en Europe. L'une des figures aperçues, à laquelle Keny Arkana fait toujours référence, est le sous-commandant Marcos dont elle salue le combat au Chiapas (Mexique). On le voit saluer la foule et un de ses messages est montré à la fin du clip, en guise de conclusion et d'invitation à la lutte.

 


 

La rage du peupleLa rage du peupleLa rage du peupleLa rage du peuple
Ok, on a la rage mais c'est pas celle qui fait baverDemande à Fabe, la vie claque comme une semelle sur les pavésLa rage de voir nos buts entravés, de vivre en traversLa rage gravée depuis bien loin en arrièreLa rage d'avoir grandi trop vite quand des adultes volent ton enfanceBah, imagine un mur et un bolideLa rage car impossible est cette paix tant voulueLa rage de voir autant de CRS armés dans nos ruesLa rage de voir ce putain d'monde s'autodétruireEt que ce soit toujours des innocents au centre des tirsLa rage car c'est l'homme qui a crée chaque murSe barricader d'béton, aurait-il peur de la nature?La rage car il a oublié qu'il en faisait partieDésharmonie profonde, mais dans quel monde la colombe est partie?La rage d'être autant balafré par les piquants des normesEt puis la rage, ouais la rageD'avoir la rage depuis qu'on est môme
on restera debout quoi qu'il arrive(La rage) d'aller jusqu'au bout et là où veut bien nous mener la vie(Parce qu'on a la rage) on pourra plus s'taire ni s'asseoirDorénavant on s'tiendra prêt parce qu'on a la rage, le cœur et la foi(Parce qu'on a la rage) on restera debout quoi qu'il arrive(La rage) d'aller jusqu'au bout et là où veut bien nous mener la vie(Parce qu'on a la rage) rien ne pourra plus nous arrêterInsoumis, sage, marginal, humaniste ou révolté
La rage parce qu'on choisit rien et qu'on subit tout le tempsEt vu que leurs choix sont bancals et bien tout équilibre fout le campLa rage car l'irréparable s'entasse depuis un bout de tempsLa rage car qu'est ce qu'on attend pour s'mettre debout et foutre le boucanLa rage c'est tout ce qu'ils nous laissent, t'façon tout ce qui nous resteLa rage, combien des nôtres finiront par retourner leur vesteLa rage de vivre et de vivre l'instant présentDe choisir son futur libre et sans leurs grilles d'oppressionLa rage, car c'est la merde et que ce monde y adhèreEt parce que tout leurs champs OGM stérilisent la TerreLa rage pour qu'un jour l'engrenage soit briséLa rage car trop lisent "Vérité" sur leur écran téléviséLa rage car ce monde ne nous correspond pasNous nourrissent de faux rêves pour placer leurs rempartsLa rage car ce monde ne nous correspond pasOù Babylone s'engraisse pendant qu'on crève en bas
on restera debout quoi qu'il arrive(La rage) d'aller jusqu'au bout et là où veut bien nous mener la vie(Parce qu'on a la rage) on pourra plus s'taire ni s'asseoirDorénavant on s'tiendra prêt parce qu'on a la rage, le cœur et la foi(Parce qu'on a la rage) on restera debout quoi qu'il arrive(La rage) d'aller jusqu'au bout et là où veut bien nous mener la vie(Parce qu'on a la rage) rien ne pourra plus nous arrêterInsoumis, sage, marginal, humaniste ou révolté
La rage d'y croire et de faire en sorte que ça bougeLa rage d'un Chirac, d'un Sharon, d'un Tony Blair ou d'un BushLa rage car ce monde voit rouge mais de grisaille entouréParce qu'ils n'entendent jamais les cris lorsque le sang couleLa rage car c'est le pire que nous frôlonsLa rage car l'Occident n'a toujours pas ôté sa tenue de colonLa rage car le mal tape sans cesse tropEt que ne sont plus mis au goût du jour tant de grands savoirs ancestrauxLa rage, trop de mensonges et de secrets gardés les luttes de nos EtatsRiches de vérité, pouvoir changer l'humanitéLa rage car ils ne veulent pas que ça change, heinPréférant garder leur pouvoir et nous manipuler comme leurs enginsLa rage car on croit aux anges et qu'on a choisi de marcher avec euxLa rage parce que mes propos dérangentVois aux quatre coins du globe, la rage du peuple en ébullitionLa rage, ouais la rage ou l'essence de la révolution
on restera debout quoi qu'il arrive(La rage) d'aller jusqu'au bout et là où veut bien nous mener la vie(Parce qu'on a la rage) on pourra plus s'taire ni s'asseoirDorénavant on s'tiendra prêt parce qu'on a la rage, le cœur et la foi(Parce qu'on a la rage) on restera debout quoi qu'il arrive(La rage) d'aller jusqu'au bout et là où veut bien nous mener la vie(Parce qu'on a la rage) rien ne pourra plus nous arrêterInsoumis, sage, marginal, humaniste ou révolté
on restera debout quoi qu'il arrive(La rage) d'aller jusqu'au bout et là où veut bien nous mener la vie(Parce qu'on a la rage) on pourra plus s'taire ni s'asseoirDorénavant on s'tiendra prêt parce qu'on a la rage, le cœur et la foi(Parce qu'on a la rage) on restera debout quoi qu'il arrive(La rage) d'aller jusqu'au bout et là où veut bien nous mener la vie(Parce qu'on a la rage) rien ne pourra plus nous arrêterInsoumis, sage, marginal, humaniste ou révolté
Anticapitalistes, alter-mondialistesOu toi qui cherche la vérité sur ce mondeLa résistance de demain (Inch'Allah)A la veille d'une révolution (mondiale et spirituelle)La rage du peuple, la rabia del puebloParce qu'on a la rage, celle qui fera trembler tes normesParce qu'on a la rage, la rage a pris la populace et la rage est énorme

 

Pour aller plus loin:

- 18. Keny Arkana:"Victoria".

- 54. Keny Arkana : "Ordre mondial" 

- Une notice est consacrée à la chanson "Jeunesse du monde" dans Étienne Augris, Julien Blottière, Jean-Christophe Diedrich et Véronique Servat, En lutte ! Carnet de chants, éditions du Détour, 2022

- Sylvain Bertot, Ladies First. Une anthologie du rap au féminin, Le mot et le reste, 2019

- Bettina Ghio, Pas là pour plaire! Portraits de rappeuses, Le mot et le reste, 2020

- Julien Valnet, M.A.R.S. Histoires et légendes du hip-hop à Marseille, Wildproject, 2013








 



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