mercredi 20 mai 2009

161. Joan Baez:"Birmingham sunday".

En 1963, nous sommes en pleine bataille pour les droits civiques des Afro-américains dans une Amérique profondément ségréguée.

Birmingham, la capitale économique de l'Alabama et la ville la plus peuplée de l'état, intéresse très tôt les mouvements pour les droits civiques, notamment la SCLC de Martin Luther King (MLK). En effet, cette ville constitue une citadelle de la ségrégation où les relations entre blancs et noirs s'avèrent particulièrement tendues.
Les églises, les maisons des manifestants pour les droits civiques explosent la nuit et la police n'inquiète (ou feint de ne jamais retrouver) les poseurs de bombes qui agissent donc en toute impunité. Cette sinistre spécialité vaut d'ailleurs à la ville le surnom de Bombingham.

Par O'Halloran, Thomas J., photographer [Public domain], via Wikimedia Commons


Ces violences poussent MLK et Fred Shuttlesworth, un pasteur de Birmingham devenu la cible favorite des poseurs de bombes, à mener une opération d'envergure dans la ville. Nous sommes alors au printemps 1963. Ce projet C (comme "confrontation") entend mettre à jour la violence de la police locale, en particulier celle de son chef "Bull" O'Connor, adepte de la manière forte face aux manifestations pacifiques et hostile à toute remise en question de la ségrégation dans le Sud des Etats-Unis.

Après plusieurs reports, le projet C est lancé le 3 avril 1963. King entend s'appuyer sur un réseau de volontaires prêts à aller en prison. Les organisateurs du mouvement ne ciblent pas le pouvoir politique, mais les firmes pratiquant la ségrégation au quotidien (Woolworth's, H. L.). Un manifeste réclame l'accès à tous des commodités dans la magasins, l'embauche des Noirs par les employeurs, la parité entre Noirs et Blancs dans la gestion de la ville...

La SCLC et l'Alabama Christian Mouvement for Human Rights, le mouvement de Shuttlesworth, parviennent ainsi à créer une situation de crise qui atteint son paroxysme à Pâques. Malgré les injonctions du tribunal local qui interdit les manifestations dans la ville, MLK entame une marche vers le centre de Birmingham, le vendredi saint 12 avril. Aux approches du quartier blanc, les manifestants sont arrêtés.

(Wikimedia Commons)


Lors de son séjour en prison, MLK rédige sa fameuse "lettre de la prison de Birmingham", dans laquelle il place les pasteurs blancs locaux face à leurs contradictions:

"L’histoire est la longue et tragique illustration du fait que les groupes privilégiés cèdent rarement leurs privilèges sans y être contraints. Il arrive que des individus soient touchés par la lumière de la morale et renoncent d’eux même à leurs attitudes injustes, mais les groupes ont rarement autant de moralité que les individus. Nous avons douloureusement appris que la liberté n’est jamais accordée de bon gré par l’oppresseur ; elle doit être exigée par l’opprimé. Franchement, je ne me suis jamais engagé dans un mouvement d’action directe à un moment jugé « opportun », d’après le calendrier de ceux qui n’ont pas indûment subi les maux de la ségrégation."

Grâce à l'intervention des Kennedy (notamment Robert, alors attorney général) et au versement d'une caution de 50 000 dollars par l'acteur et chanteur Harry Belafont, ami et soutien de MLK, ce dernier est enfin libéré. Il se trouve alors face à un dilemme, puisque les militants prêts à se faire arrêter de nouveau font défaut (des centaines croupissent toujours dans les prisons de la ville). La SCLC se tourne alors vers les lycéens qu'elle a initiés à la non-violence. A cette occasion, elle découvre que des centaines d'écoliers du primaire semblent prêt à se joindre au mouvement. C'est ainsi que se constitue cette "croisade des enfants" très controversée, qui lance de nombreux jeunes dans les rues. de Birmingham.

Or, MLK souhaite médiatiser l'opération au maximum. Il entend créer un électro-choc chez l'Américain moyen en lui mettant sous les yeux ce qu'il ne veut pas voir. A ce titre, l'opération est une réussite, dans la mesure où les manifestants des droits civiques sont agressés par des chiens dressés pour attaquer, renversés par les jets d'eau à très forte pression qui sortent des lances des pompiers et tout cela sous les flashs des photographes... La présence importante des enfants et adolescents dans le cortège ne modère en rien la répression policière. Les images d'enfants mordus par les chiens policiers font le tour du monde et obligent l'Etat fédéral à réagir. Dans un de ses éditoriaux, le New York Times se fait l'écho du malaise ressenti par un nombre croissant d'Américains:

"Aucun Américain instruit dans le respect de la dignité humaine ne peut lire sans honte le récit des actes de barbarie commis par les autorités de la police de l’Alabama à l’encontre des manifestants, noirs et blancs, pour les droits civiques. L’utilisation de chiens policiers et de lances d’incendie sous forte pression pour réprimer des écoliers à Birmingham est un déshonneur pour la nation. Parquer comme du bétail des centaines d’adolescents et même de gamins dans des prisons et des maisons de détention sous prétexte qu’ils exigent le respect de leur droit naturel à la liberté est une parodie de la justice."


  Marshall Frady dans la biographie de Martin Luther King revient sur ce célèbre cliché (ci-dessus): "Alors qu’il se trouvait dans le Bureau ovale, le regard du Président tomba sur une photo parue dans la presse. Elle montrait un policier agrippant d’une main par la chemise un jeune Noir, tandis qu’il tenait de l’autre la laisse d’un chien policier qui tournoyait autour du gamin. « C’est écoeurant », lâcha le président au groupe de visiteurs présents ce jour-là."

Les pompiers eux-mêmes renâclent à utiliser leurs "armes" face à des foules pacifiques en prière (comme le 5 mai). La stratégie adoptée pour ce plan C s'avère donc payante, puisque le 10 mai, après d'interminables négociations avec des hommes d'affaires de Birmingham, un accord est trouvé. Pour autant, la ville n'en a pas fini avec les violences racistes. Le 11 mai, la maison d'A. D. King, le frère de MLK, est plastiquée. Une autre bombe explose à proximité du Gaston Motel où MLK réside au cours des événements. Le Klan, toujours très vivace en Alabama, semble se trouver derrière ces violences. En réponse, les population noires pillent et agressent le forces de police. Le président Kennedy est alors contraint d'envoyer 3000 soldats fédéraux aux alentours de Birmingham.

Par Adam Jones from Kelowna, BC, Canada [CC BY-SA 2.0 (https://creativecommons.org/licenses/by-sa/2.0)], via Wikimedia Commons

Les violences de Birmingham se soldent par la mort des quatre fillettes dans l'attentat visant l'église baptiste de la 16ème rue. Le 15 septembre 1963, trois membres du Ku Klux Klan placent 19 bâtons de dynamite dans le sous-sol du temple baptiste de la Seizième Rue, siège officieux du mouvement de Birmingham. Quatre jeunes filles – Addie Mae Collins, Carole Robertson, Cynthia Wesley et Denise McNair – décèdent dans l’attentat et 22 personnes sont blessées. La manifestation de protestation face à ces assassinats est, elle aussi, endeuillée par la mort de deux autres adolescents (13 et 16 ans), qui ont le tort de croiser la route de la police de "Bull" O' Connor.

La chanson Birmingham sunday revient sur cet épisode dramatique. Chanté ici par Joan Baez, le morceau fut composé par une étoile filante du folk: Richard Farina.
Né d'un père cubain et d'une mère irlandaise, Richard Fariña grandit à Brooklyn. Etudiant, il écrit des nouvelles et des poèmes pour des revues universitaires. Il décide de devenir parolier et fréquente la jeune scène folk new yorkaise, notamment Bob Dylan. Figure de la contre-culture, il multiplie les titres engagés. En 1963, il épouse Mimi Baez, la sœur de Joan. Il collabore avec ces dernières sur plusieurs titres folk. Trois ans plus tard, il meurt dans un accident de moto, le jour de la fête organisée pour ses 29 ans...

Cette chanson émouvante est magnifiée par l'interprétation de Joan Baez dont la voix cristalline donne le frisson et tranche avec l'horreur du crime commis.




"Birmingham Sunday". Richard Farina.

Come round by my side and I'll sing you a song.
I'll sing it so softly, it'll do no one wrong.
On Birmingham Sunday the blood ran like wine,
And the choirs kept singing of Freedom.

Venez vous asseoir près de moi et je vais vous chanter une chanson.
Je vais la chanter si doucement, elle vous plaira.
A Birmingham dimanche le sang coula comme le vin
et les chœurs continuèrent à chanter la Liberté

That cold autumn morning no eyes saw the sun,
And Addie Mae Collins, her number was one.
At an old Baptist church there was no need to run.
And the choirs kept singing of Freedom,
The clouds they were grey and the autumn winds blew,
And Denise McNair brought the number to two.

Par ce froid matin d'automne, personne ne vit le soleil,
et Addie Mae Collins fut la première.
A la vieille église baptiste, il n'y avait aucun besoin de courir,
et les choeurs continuèrent à chanter la Liberté,
les nuages étaient gris et les vents d'automne soufflaient,
Denise McNair porta le nombre à deux

The falcon of death was a creature they knew,
And the choirs kept singing of Freedom,
The church it was crowded, but no one could see
That Cynthia Wesley's dark number was three.
Her prayers and her feelings would shame you and me.
And the choirs kept singing of Freedom.

Le faucon de la mort est une créature qu'elles connaissaient
et les chœurs entonnèrent des chants de Libération
L'église était comble, mais personne ne put voir
que le sombre numéro de Cynthia Wesley était le trois
ses prières et sa sincérité vous aurez rendu honteux, vous et moi.
et les chœurs
continuèrent à chanter la Liberté.


Young Carol Robertson entered the door
And the number her killers had given was four.
She asked for a blessing but asked for no more,
And the choirs kept singing of Freedom.

La jeune Carol Robertson entra
et le chiffre que ses tueurs lui avait attribué était le quatre.

Elle demanda une bénédiction, en vain,

et les chœurs
continuèrent à chanter la Liberté.


On Birmingham Sunday a noise shook the ground.
And people all over the earth turned around.
For no one recalled a more cowardly sound.
And the choirs kept singing of Freedom.

Ce dimanche à Birmingham un bruit fit trembler le sol?
personne n'avait entendu un son si lâche.
Et les choeurs continuèrent à chanter la Liberté.


The men in the forest they once asked of me,
How many black berries grew in the Blue Sea.
And I asked them right with a tear in my eye.
How many dark ships in the forest?

Les hommes dans la forêt me demandèrent un jour,
combien de baies noires se développèrent dans la mer.
Je leur ai demandé alors avec une larme au fond de l'œil.

Combien y a -t-il de sombres navires dans la forêt?


The Sunday has come and the Sunday has gone.
And I can't do much more than to sing you a song.
I'll sing it so softly, it'll do no one wrong.
And the choirs keep singing of Freedom.

Ce dimanche est venu et il est passé
et je ne peux pas faire plus que de vous chanter cette chanson.

Je la chanterai si doucement, qu'elle plaira à tous.
Et les chœurs continuèrent à chanter la Liberté.

Sources:
- C. Johnson et B. Adelman: "I have a dream", éditions de la Martinière.
- N. Bacharan: "Les Noirs américains _ des champs de coton à la Maison Blanche", éditions Panama, 2008.
- M.A. Combesque: "Martin Luther King Jr", Le Félin, 2008.

Liens:
* De nombreux titres sont consacrés à ce thème sur L'histgeobox:
- Bob Dylan: "Only a pawn in their game".
- Nina Simone: "Mississippi Goddam".
- Phil Ochs: "Too many martyrs".
- John Coltrane: "Alabama".

* Pour en savoir plus sur le Projet C, ce sublime site (en anglais).
* Extraits de la "Lettre de la geôle de Birmingham".

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonjour et chapeau pour cet article si bien documenté !
Cela me rappelle le livre de Romain Gary "Chien Blanc" sur l'Amérique à feu et à sang de l'époque.
Cordialement.
François

blottière a dit…

Merci pour ce commentaire et pour la suggestion de lecture (cela je n'avais plus rien à lire).

Cordialement.

J.B.